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23/06/2014

j'ai toujours pensé qu'un négociant était plus capable de conduire les finances que les maîtres des requêtes ordinaires de notre hôtel

... Mais c'est compter sans les choix politiques qui aussi déraisonnables soient-ils, sont notre lot français (je ne parle que d'un pays que je connais à peu près ! ).

 Je cite "Ce devait être, selon Michel Sapin, "l'année de la bascule vers plus de croissance et plus d'emplois". Mais ce pourrait être l'inverse" ; voir : http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/pacte-de-responsabilite-les-mesures-du-gouvernement-vont-elles-detruire-60-000-emplois_629755.html

Michel Sapin , énarque promotion Voltaire 1978, n'a vraiment rien de rien de voltairien . Vous me direz si ! il est très fortuné comme Voltaire, ce à quoi je vous réponds que c'est un peu léger comme qualité voltairienne et que Voltaire, lui, n'est pas devenu riche par simple héritage comme l'est notre ministre des finances , aucun effort de gestion excessif de sa part, il a gagné la timbale en argent/or et a pu s'offrir un futur président de la République (volage) comme témoin de son second mariage ; la porte du copinage a été largement ouverte, celle des capacités manageriales close . A suivre, mais je crains bien qu'il finisse (lui aussi) pendu au rétroviseur , dégageant une odeur de grillé, ne rappelant pas du tout sa forêt d'origine .

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 On trouve à la vérité de mauvais chapeaux à Genève ...

 

« A Jean-Robert Tronchin

Aux Délices 7 mai [1759]

Pourquoi M. Silhouette, ou de Silhouette, fait-il de si beaux arrangements ? Pourquoi calcule-t-il si bien l'intérêt du roi et du public ? Pourquoi prend-il le train d'égaler la recette à la dépense autant qu'il pourra ? C'est, mon cher monsieur, qu'il a été élevé 1 pour être négociant ; tel fut le grand Colbert, et celui-ci a l'avantage d'avoir travaillé en Angleterre et en Hollande 2; j'ai toujours pensé qu'un négociant était plus capable de conduire les finances que les maîtres des requêtes ordinaires de notre hôtel ; ceci soit dit sans vous déplaire . À l'égard des juments dont j'ai eu l'honneur de vous parler il faut que je vous explique mon économie . Je mets tous mes chevaux, excepté deux privilégiés, tantôt au carrosse, tantôt au chariot, tantôt à la charrue . Je choisis mes juments comme on doit choisir sa femme, ni trop belle ni trop laide, mais capable de faire des enfants ; et je veux que mes juments en fassent puisque mes servantes n'en font point ; si donc vous trouvez deux créatures convenables à mon sérail, noires et jeunes comme la maîtresse de Salomon 3, vous me ferez grand plaisir de me les envoyer à votre aise, à votre loisir, surtout si elles ne sont pas extrêmement chères .

À l'égard des soixante aunes de drap, est-ce que je me serais expliqué aussi mal que maître Guillaume ?4 n'ai-je pas demandé quarante aunes de gros drap vert foncé, gris de fer, et doublures en jaune foncé pour ces dites quarante aunes gris de fer ? Voilà pour des habits ; n'ai-je pas demandé vingt aunes de gros drap jaune foncé pour des vestes ? Je me charge de l'article des culottes et de la doublure pour les vestes ; vous convenez de tout cela et moi aussi . Je suppose qu'on a ces petites provisions-là à meilleur marché quand on en prend beaucoup et surtout quand on les prend de la première main . Je pense surtout que quand on s'est consacré comme moi à la campagne et qu'on a des tours et des ponts-levis, il faut avoir un bon magasin de livrées de domestiques, afin de n'être pas exposé à des nuances différentes quand on achète son drap au hasard : je pense aussi qu'il faut avoir sa provision de boutons , une douzaine de garnitures, au moins , qu'il les faut durables et que si quelqu'un de vos amis en peut fournir, ce sera une nouvelle obligation que mon petit ménage vous aura . Mon économie s'étend encore sur les galons de chapeaux . On trouve à la vérité de mauvais chapeaux à Genève qui ne sont pas excessivement chers ; mais les galons , qui n'y valent rien, sont un tiers plus chers qu'à Lyon ; douze bordures de chapeaux seront donc mon affaire . Mais voici bien une autre affaire . Vous me demandez ce qu'il faudra payer vers la Saint Jean pour mes provinces de Tournay et de Ferney . Vous avez je crois, l'énoncé des lettres de change, dont partie est déjà payée ; il me semble que vous devez donner dix huit mille livres pour Tournay, et environ cinquante ou soixante mille livres pour Ferney : je n'ai pas ici les contrats . À l'égard du domaine sacerdotal de Diodati, dont j'ai payé partie de ma poche, vous en avez payé pour votre part 13150 livres au temps de Pâques, ou je suis fort trompé . Je vous ai encore épargné une vingtaine de mille francs pour d’autres acquisitions auxquelles mon petit pécule s'est trouvé par hasard en état de suffire . J'ai payé aussi sans vous importuner les lods en grande partie et le centième denier et le contrôle et tous les faux frais, qui sont immenses . Vous voyez qu'après le baron de Grandcour, je suis bien grand seigneur . Mais tout grand seigneur que je suis , je sens que je n'ai pas assez de foin ; il m'en faudra environ 4000 quintaux par année, et je ne veux plus rien acheter de ma vie que du sel et du bœuf ; je veux vivre en patriarche . On me propose un domaine au denier 20 qui me mettrait au dessus d'Isaac et de Jacob . Ce domaine me coûterait environ 1700 livres argent courant que certainement je ne donnerai pas de ma poche . Il en faudrait moitié à la Saint Jean et moitié aux Rois préfix 5; reste à savoir si vous êtes assez riche pour payer cela de votre trésor . Je ne sais point du tout comment nous sommes ; j'ai bien peur qu'il ne faille bientôt vendre à bon marché les annuités achetées chères, c'est sur quoi j'attends vos ordres .

Le papier manque . Il faut finir de crainte de vous parler encore de quelque terre à acheter . Je trouve qu'à mon age il n’y a que la campagne de convenable . Mais il faudrait vous y voir quelquefois . Je vous embrasse de tout mon cœur .

Je ne vous ai point parlé de la muraille de la Chine qu'on veut faire aux Délices . C'est l'affaire de monsieur votre frère . »

1 Élevé est en surcharge sur un autre mot biffé .

2 Silhouette a effectivement voyagé dans ces deux pays .

5 Préfix, terme de droit signifiant fixé à l'avance .

22/06/2014

je veux que vous soyez heureuse de toutes les façons et de tous les côtés

... Mam'zelle Wagnière, et Voltaire, en toute modestie, se joint à moi pour ces voeux .

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Un signe des temps, un cygne d'étang, insigne détente .

 

 

 

« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

à l'Île Jard

à Strasbourg

Aux Délices 7 mai [1759]

Il faut que vous me pardonniez , madame, j'écris très peu parce que je n'ai pas un moment à moi ; je me défais tous les jours de mes correspondances de Paris, je ne voudrais conserver que la vôtre ; je ne connais plus que vous et la retraite ; je m'intéresse plus à la pension de votre fils qu'à la guerre et aux finances ; je veux que vous soyez heureuse de toutes les façons et de tous les côtés ; on aurait beau, d'ailleurs , tout bouleverser je n'en prendrai point d'alarme ; j'ai su faire à peu près comme vous . J'ai des terres libres, je veux y vivre et y mourir . Il est vrai que je m'y prends un peu tard pour bâtir et pour planter, mais la vraie jouissance est dans le travail , la culture est un aussi grand plaisir que la récolte . Il vaut mieux ensemencer ses terres que de les ensanglanter comme on fait en Allemagne 1 . Le docteur Pangloss est un grand nigaud avec son tout est bien ; je crois que les choses ne vont bien que pour ceux qui restent chez eux ou pour M. de Zeutmandel 2, et pour sa grasse et riche chanoinesse, qui épouse un très aimable mari . Tout sera bien longtemps pour vous, madame, puisque vous avez le courage de conserver votre régime, ce n'est pas une petite vertu ; et votre vertu sera récompensée . Je ne vous mande aucune nouvelle , je n'en sais que des siècles passés . Si vous en savez du siècle présent ne m'oubliez pas, mais songez toujours que celles qui vous regardent me sont les plus chères et que je vous suis attaché avec le plus tendre respect .

V. »

1 Cette phrase manque dans les éditions précédentes .

2 Le baron von Zuckmantel, frère de Mme de Brumath, amie de Mme de Lutzelbourg .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/fr:Ch%C3%A2teau%20d%27Osthoffen?uselang=en

Voir aussi page 18 : http://c18.net/18img/cl8-specimen.pdf

21/06/2014

je ne perds point de vue dans tous ces tracas les objets qui vous regardent

...

 

 

 

« A Cosimo Alessandro Collini 1

gouverneur de M. le comte

de Sauer

à l'hôtel de Neuviller

à Strasbourg

Aux Délices , 7 mai 1759

Je n'ai pas eu un moment à moi depuis deux mois mon cher Collini . Tantôt malade, tantôt surchargé de quelques travaux indispensables, tantôt occupé de ma ruine en faisant bâtir deux châteaux ; je ne perds point de vue dans tous ces tracas les objets qui vous regardent ; j'ai toujours devant les yeux Manheim et Francfort ; je ferai l'impossible pour aller à Schwetzingen, et je ferai l'impossible aussi pour vous prendre en passant . Vous avez grande raison de n'être point de l'avis du docteur Pangloss ; je ne penserai comme lui que quand je pourrai parvenir à vous être utile .

V. »

1 Sur le manuscrit original, Collini note : « 7 mai 1759 . A M. C … M. de V... venait d'acquérir deux belles terres en France dans le pays de Gex, Ferney et Tournay . Il rappelle dans cette lettre la malheureuse affaire de Francfort . Il s'intéressait beaucoup pour placer M. C... auprès de Mgr l’Électeur palatin, et il y réussit bientôt, car M. C... entra au service de ce souverain au commencement de l'année 1760. »

20/06/2014

je suppose que vous avez fini heureusement votre négociation, puisque vous l’avez commencée

... M. Montebourg-Monteaucrénau !

Chez Alstom il y a dorénavant de l'électricité US dans l'air, combien d'étoiles General Electric vat-elle allumer ? ou alors vat-on voir trente six chandelles, comme à Lourdes ? Miracolo !

 

36 chandelles.jpg

 

 

« Au baron Heinrich Anton 1

Paris, le 6 mai 1759

Monsieur, je suppose que vous avez fini heureusement votre négociation, puisque vous l’avez commencée, et, soit que vous soyez encore à Paris, soit que vous soyez déjà de retour à Manheim, je prie Votre Excellence de recevoir mes très sincères compliments ; je vous en fais surtout pour la bataille de Bergen 2. Le beau palais de Palatinat ne sera pas cette fois-ci exposé à des incursions, et il y aura encore plus de gaieté à Shwetzingen que l'année passée ; je me flatte que j’aurai l'honneur de vous y voir dans deux mois et de vous y renouveler mes tendres remerciements pour toutes vos bontés . »

1Cette lettre ne figure pas dans l'édition Bestermann . La mention de Paris dans la date ne doit pas être authentique, V* n'y étant pas venu à cette époque .

2 La bataille de Bergen fut une victoire du maréchal de Broglie et des alliés contre l'armée prussienne en avril 1759 .http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Bergen_%281759%29

 

19/06/2014

il est beaucoup plus aisé de tenir une nation dans la stupidité pendant mille ans comme nous avons eu l'honneur d'y être que de nous replonger quand une fois nous en sommes sortis

... Facile ou pas facile, il semble bien que le plongeon dans la stupidité est un art donné à tout le monde, et ne semble effrayer personne, bien des cheminots et des intermittents du spectacle et autres nobles professions grévistes ou futures grévistes sont là pour le prouver . La capacité de nuisance à la France de certains syndicats n'est plus à démontrer .

Pour le monde politique, je suppose ici que ses membres ne sont jamais sortis du bain , en tout cas ces membres de l'opposition qui ne pensent qu'à la succession au trône UMP ou à piquer la place du futur-ex-candidat Sarko .

Stupides, cupides !

stupidité.jpg

 

Stupid cupid est heureusement plus amusant:

 http://www.youtube.com/watch?v=AS6oFnmDhDU&feature=kp

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

Mort-Dieu, mon ancien ami, envoyez-moi au plus vite Abraham Chaumeix crucifié 1 : on dit que c'est là le titre, c'est au moins quelque chose de semblable ; il pleut des brochures, il en pleuvra toujours, et il faut laisser pleuvoir ; mais pour la prophétie d'Abraham Chaumeix, ce n'est pas chose à négliger par gens comme nous . Employez le crédit de M. Bouret pour me faire tenir Abraham Chaumeix .

Vous avez vu sans doute Mme de Fontaine que nous vous avons renvoyée en assez bonne santé ; elle est chargée de payer tous les bijoux que vous m'avez fait tenir de Paris . Êtes-vous encore dans la rue Saint Honoré, ou à l'Arsenal ?2 Je ne sais pas trop où vous prendre ; vous me paraissez un beaucoup plus grand voyageur que moi ; vous faites plus de chemin dans Paris que je n'en ai fait dans l'Europe . Si vous avez la curiosité de voir à Lyon les cours de France et de Naples, je vous conseille de pousser jusqu'à Genève .

Pour moi je vous avertis que si vous vous contentez de courir d'un bout de Paris à l'autre, et que vous ne veniez point chez moi, je prendrai le parti de venir vous voir . Avez-vous pris quelque action dans les fermes générales ? On se plaignait autrefois qu'il y eût quarante de ces messieurs 3, et aujourd'hui tout le monde l'est . C'est le royaume qui est fermier général du royaume . Cette opération est tout à fait anglaise . Remarquez que depuis trente ans nous avons tout pris des Anglais : philosophie, petite vérole, nouvelle charrue et finances . Il ne nous manque que de prendre d'eux l'empire de la marine . Il me semble qu'on veut vous ôter à vous autres Parisiens la liberté de penser que vous devez aussi aux Anglais : mais il est beaucoup plus aisé de tenir une nation dans la stupidité pendant mille ans comme nous avons eu l'honneur d'y être que de nous replonger quand une fois nous en sommes sortis .

Frère Berthier, frère Abraham Chaumeix et leurs semblables auront beau crier que tout est perdu si on ne se met à avoir le sens commun, les cabales les plus infâmes auront beau exciter le parlement de Paris à faire des remontrances au roi, et à faire brûler l'Encyclopédie , le roi et les philosophes se moqueront du Parlement . Bonsoir ; j'adresse cette lettre à Mme de Fontaine ; pour Dieu envoyez-moi votre adresse .

Mille tendres amitiés .

V.

5 mai [1759] »

1 André Morellet : Mémoire pour Abraham Chaumeix, contre les prétendus philosophes Diderot et d'Alembert ; ou réfutation par faits authentiques des calomnies qu'on répand tous les jours, contre les citoyens zélés qui ont eu le courage de relever les erreurs dangereuses de l'Encyclopédie, 1759 ; cette défense de l'Encyclopédie qui utilisait les armes de l'ironie eût un retentissement considérable ; on l'attribue parfois, à tort , à Diderot .Voir : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.1998.oferret&part=4949

2 Voir lettre du 11 juin 1759 à Thieriot  à laquelle il fit réponse en disant : « M. Bélidor est à Verdun faisant des cours de génie . Il faut m'adresser à présent mes lettres à l'Arsenal tout simplement parce que je ne loge plus chez lui . » Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Forest_de_B%C3%A9lidor

18/06/2014

je ne sais pas trop par quelle route il pourra se tirer des coquins qu'il a engagés pour servir l’État . Ce sont des gens très belliqueux, car ils jettent des pierres à tous les passants , comme faisait mon singe Luc

... On croirait que Voltaire décrit le gouvernement nommé par François Hollande et Manuel Vals , sans oublier celui de Fillon et Sarko et leurs comparses de l'UMP, Copé et quelques autres du même acabit . 

Servir l'Etat , il y a beaucoup de marge de progression pour tous .

Vous êtes priés d'arrêter vos singeries !

 

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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine

Aux Délices 5 mai [1759]

Que j'écrive de la main de notre ami Jean-Louis 1 ou de la mienne, cela est égal, ma chère nièce, pourvu que j'écrive . Votre sœur n'a pas une santé bien brillante et n'est pas à beaucoup près si ingambe que moi . Je suis devenu plus grand cultivateur et plus grand architecte que jamais . J'élève des colonnades et j'ai des charrues vernies : il ne me manque que de tremper mon blé dans de l'eau de lavande . Vous irez sans doute bientôt à Hornoy . Vous m'y préparerez, s'il-vous-plait, les logis, car soyez très sure que j'y viendrai radoter avant qu'il soit deux ans .

Vous me conseillez en attendant de faire une tragédie parce que le théâtre est purgé de petits -maîtres . Moi , faire une tragédie après que le grand Jean-Jacques a écrit contre les spectacles ! Gardez-vous sur les yeux de votre tête de dire que je suis jamais homme à faire une tragédie . Non, je ne fais point de tragédie . Vous voudriez, n'est-il pas vrai, une tragédie d'un goût nouveau, pleine de fracas, d'action, de spectacle , bien neuve, bien intéressante, bien singulière, féconde en sentiments, en situations, des mœurs vraies,et cependant nouvelles sur la scène ? vous n'aurez rien de tout cela . Gardez vous de croire que je fasse une tragédie 2. Assez d'autres en feront et suppléeront par l'action théâtrale que je leur ai tant recommandée, au génie que je leur recommande encore plus .

Monsieur le conseiller du grand conseil 3, je vous suis très obligé d'avoir rompu avec moi votre silence pythagorique 4. Vous n'êtes pas l'écrivain le plus fécond de nos jours , mais quand vous vous y mettez, vous écrivez très joliment ; et vous avez par dessus Mme de Fontaine le mérite de l'orthographe . J'espère que dans l'année 1760 nous recevrons encore de vous un petit mot qui nous fera grand plaisir .

Monsieur le Vitruve d'Hornoy 5, je ne vous conseille pas de faire à votre château un aussi maudit escalier que vous en avez fait à celui de Tournay . Nous verrons comment vous aurez ajusté les appartements de votre aile . Je n'oublierai point les offres que vous me faites d'être quelquefois à Paris mon ambassadeur auprès des puissances nommées banquiers, notaires ou procureurs du parlement . Il faut que votre mousquetaire Daumart ait été blessé dans quelque bataille ; c'est le plus déterminé boiteux que nous ayons dans la province ; cependant il ne laisse pas de tuer en clopinant tous les renards et tous les cormorans 6 qu'il rencontre .

Monsieur le capitaine de cavalerie 7, vous avez fait un cornette qui est le plus malheureux cornette du pays : non seulement il n'a point de route, mais je ne sais pas trop par quelle route il pourra se tirer des coquins qu'il a engagés pour servir l’État . Ce sont des gens très belliqueux, car ils jettent des pierres à tous les passants , comme faisait mon singe Luc . On a beau les mettre en prison, ils finiront par assassiner leur cher cornette sur le grand chemin .

Luc m'écrit, du 13è avril 8, que cette campagne-ci sera plus meurtrière que les autres . Dieu veuille qu'il se trompe ! Je crois que nous ne nous trompons pas en nous flattant que M. de Silhouette fera dans son ministère des choses plus utiles aux hommes que Luc n'en fera de dangereuses .

Adieu, ma chère nièce ; les deux ermites vous embrassent de tout leur cœur .

Je me suis arrangé avec la république de Genève pour avoir une belle terrasse de trente toises de long . Cela n'est pas bien intéressant, mais c'est un grand embellissement à nos Délices où je voudrais bien vous revoir . »

1Wagnière , secrétaire de V* .

2 En réalité V* travaillait bien à Tancrède . Voir la lettre de Mme Denis à Cideville du 8 juin 1759 , note dans la lettre du 27 mars 1759 à de Ruffey : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/15/sa-petulance-augmente-avec-l-age-il-n-a-rien-gagne-sur-ses-d-5369822.html

4 Le silence passe traditionnellement pour avoir été une des règles de la communauté des pythagoriciens . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_pythagoricienne

5 Fils de Mme de Fontaine , il aurait accompagné sa mère au début de 1759 chez V*, il était dans sa dix-septième année, et c'était son premier voyage aux Délices, Tournay et Ferney .

6 Les cormorans ont été si bien chassés qu'il n'en survit plus que dans les environs de Versoix, ce sont des nuisibles aux yeux des pècheurs .

7 Le marquis de Florian .

8 Sur la copie Beaumarchais-Kehl, l'éditeur a corrigé la date du 13 en 11 qui est exacte .

 

17/06/2014

J'ai deux curés dont je suis assez content . Je ruine l'un, je fais l'aumône à l'autre , il prie Dieu pour moi et tout va bien

...  Selon le sacro-saint principe des vases/calices communicants .

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« A Jean Le Rond d'Alembert

des Académies de Paris

rue Michel-le-comte

à Paris

Je reçus hier la faveur de vos quatre volumes 1, mon cher philosophe . Je dévorai d'abord votre laubrussellerie 2. Cela est excellent . On n'aurait jamais brûlé un Laubrussel, on vous incendiera quelque jour . Macte animo 3. Vous serez des nôtres . Luc (vous connaissez Luc) me mande du 11 avril, entre autres choses, je me félicite et je tire ma gloire que la guerre que me fait la France soit l'époque de la guerre qu'on fait à Paris au bon sens 4.

Mais s'il vous plait de quoi vous avisez-vous de dire dans vos éléments de philosophie que les sciences sont plus redevables aux Français qu'à aucune nation ?5 Est-ce que vous êtes devenu flatteur ? Est-ce aux Français qu'on doit la machine paralactique 6, la pompe à feu 7, la gravitation 8, la connaissance de la lumière 9, l'inoculation 10, le semoir 11, les condons ou condoms 12?

Parbleu vous vous moquez, nous n'avons pas seulement inventé une brouette 13 .

Vous avez donc fait réimprimer votre article de Genève ?14 Vous avez très bien fait . Mais vous faites trop d'honneur aux prédicants sociniens . Vous ne les connaissez pas vous dis-je . Ils sont aussi malins que les autres . Et les sociniens de Genève et les calvinistes de Lausanne, et les fakirs et les bonzes sont tous de la même espèce . Je laisse faire ceux de Paris, mais pour mes Suisses et mes Allobroges je les range . Et je n'ai fait la plaisanterie d'avoir un château à créneaux et à ponts-levis que pour y pendre un prêtre de Baal à la première occasion . J'ai deux curés dont je suis assez content . Je ruine l'un, je fais l'aumône à l'autre , il prie Dieu pour moi et tout va bien .

Vous avez fort mal fait quand vous êtes venu à Genève de fréquenter la prêtraille . Quand vous y reviendrez ne voyez que vos amis, vous serez fêté et honoré .

L'aventure de l'Encyclopédie 15 est le comble de l'insolence et de la bêtise . Ce n'était pas en France qu'il fallait faire cet ouvrage .

Quoi vous répondez sérieusement à ce fou de Rousseau 16, à ce bâtard du chien de Diogène ? Vous m’enhardissez . Je réponds moi à frère Berthier 17 et à tutti quanti, et vous verrez avec quelle impudence . Mais non vous ne le verrez point car on ne laissera pas passer ma besogne . Pour vos quatre volumes philosophiques , ils passeront, car tout brûlable que vous êtes vous êtes plus sage que moi . Mme Denis vous fait mille compliments, vous lit et vous regrette . Ainsi fais-je .

Aux château de Tournay 4 mai [1759]18 , venez nous y voir . »

2 L'essai sur [Ignace] de Laubrussel, Traité des abus de la critique en matière de religion, 1710-1711 se trouve dans les Mélanges , 1759, t. iv, page 321-380 . Voir aussi : http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015063562568;view=2up;seq=6

3 Courage ! Réminiscence de Virgile dans l'Enéide.

4 V* reprend en l'améliorant la phrase de Frédéric GIF dans sa lettre du 11 avril 1759 : voir lettre du 2 mai 1759 à Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/14/vos-rimes-familieres-immortalisent-les-beaux-cus-de-ceux-que-vous-avez-vain.html

5 Référence possible à un passage des Mélanges, t. iv, p. 281-282 : https://archive.org/stream/mlangesdelitt04alemuoft#page/280/mode/2up

6 Ou l'équatorial, en parlant de télescope, dont l'invention est sujette à controverse ; V* l'attribua à Zacharias Jansen, Jacob Metius et Galilée ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Monture_%C3%A9quatoriale

7 Aux yeux de V*, il était difficile de savoir qui était l'inventeur de la pompe à feu . Cet appareil fut mentionné, semble-t-il pour la première fois par Néron d'Alexandrie . Le mot de pompier, fabricant de pompe, est attesté en 1750 .http://fr.wikipedia.org/wiki/Pompe_%C3%A0_feu

9 Encore Newton .

10 Elle fut apportée de Turquie en Angleterre peu après 1700 par lady Mary Wortley Montagu .http://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Wortley_Montagu

11 V* pense-t-il à la première semeuse inventée par Locatelli en 1662, ou au semoir à blé de Jethro Tull de 1730 ? Voir : http://www.jstor.org/discover/10.2307/3739626?uid=3738016&uid=2129&uid=2&uid=70&uid=4&sid=21104327662023

12 Inventé vers 1665 par un colonel de ce nom ; voir A dictionnary of slang and inconventional English, 1937, p 197 .http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9servatif

13 V* mentionne la brouette peut-être justement parce que cette invention est attribuée à Pascal . :http://fr.wikipedia.org/wiki/Brouette#La_question_des_origines

L'objet est ancien, au moins sous certaines formes mal connues, et le nom apparaît dès le XIIIè siècle au moins , dérivant d'un mot latin signifiant « véhicule à deux roues » . sur tout ce passage des inventions, voir French inventions of the eighteenth century, de Shelby T. McCoy, 1952 .

14 Article « Genève » de l'Encyclopédie, 1759 .

16 Lettre de d'Alembert à M. J.-J. Rousseau sur l'article « Genève », 1759, également publiée dans l'article Genève cité .http://books.google.fr/books?id=Bj4HAAAAQAAJ&printsec=titlepage#v=onepage&q&f=false

17 On a toujours considéré que cette réponse devait être la longue « Note » de l'Ode sur la mort de […] la margrave de Bareith . En réalité il semble que V* pense déjà à la Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Berthier, 1759, qui fut publiée à la fin de l'année et dont on place généralement la composition en novembre . Mais plusieurs allusions de la correspondance laissent penser qu'elle a été mise en chantier avent le départ de Mme d'Epinay de Genève le 5 octobre 1759 . http://www.baillement.com/lettres/voltaire.html

18 Le même jour Haller écrivait à Bonnet : « Je crois comme vous que M. de V., que Diderot, que La Mettrie et même M. de M[aupertui]s auraient fait de grands persécuteurs, s'ils avaient été à la place des juges romains sous Domitien, ou sous Dioclétien » D'Alembert répondit à Voltaire le 13 mai ; voir page 63 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:D%E2%80%99Alembert_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes,_%C3%A9d._Belin,_V.djvu/71