09/06/2021
il y a du plaisir à se plaindre, et il y aura toujours des gens riches qui diront que le temps est dur
... C'est d'ailleurs parfois un moyen de les reconnaitre , tel l'ex-ministre Ferry, grande gueule, qui se trouve incommodé de n'avoir que 3000€ mensuels de retraite, ne pas pouvoir joindre les deux bouts avec de si modestes sommes et est soulagé d'avoir d'autres revenus, il est limite indigent : écoeurant ridicule !
« A Etienne-Noël Damilaville
23 février 1766 1
Je viens de lire, mon cher ami, un morceau qui regarde la Population 2 ; j’en ai été encore plus frappé que des choses excellentes qui sont dans le Vingtième. C’est bien dommage qu’il y ait si peu de chose de vous dans une collection si utile au genre humain. Je ne connaissais pas tous vos grands talents ; je pensais que vos occupations journalières vous bornaient à aimer la vérité, et je ne savais pas que vous sussiez la dire avec tant de force et d’énergie. Vous n’employez les détails que pour faire sortir le fond, que vous rendez aussi lumineux qu’intéressant. Je veux bien du mal à la fortune, qui vous force d’examiner des comptes, quand vous voudriez donner tout votre temps à la philosophie. Dites-moi je vous prie, de qui sont les articles marqués sur le feuille ci-jointe . Il y en a un terrible contre les jésuites 3.
Je vous avoue que je n’ai pu m’empêcher de rire en voyant que l'on fait à la Suisse dans l'article Population 4 l’honneur de dire qu’elle est la contrée de l’Europe la plus peuplée. Les Suisses, au contraire, se plaignent de la dépopulation . Leurs académies donnent, pour sujet de leurs prix, d’en trouver la cause et le remède. Ils disent que c’est la France qui est le pays de l’Europe le plus peuplé à proportion. Vous voyez que chacun se plaint, et peut-être fort injustement. Le dénombrement du canton de Berne se monte à 375 000 âmes ; et quand toute la Suisse fit sa grande émigration, du temps de César, le tout se montait à 365 000. Mais il y a du plaisir à se plaindre, et il y aura toujours des gens riches qui diront que le temps est dur.
Vous ne me dites plus rien de Bigex : vous ne me parlez plus de ce que vous me destiniez pour le carême. Mandez-moi, je vous en prie, pourquoi vous n’avez pas à Paris ce que j’ai à Neuchâtel. J’ose me flatter qu’une telle rigueur ne peut pas durer. Embrassez pour moi tendrement Platon et Protagoras . Dites les choses les plus tendres à M. de Beaumont.
Ma santé est toujours fort chancelante . Je n’ai plus d’estomac : il me reste un cœur qui vous aimera jusqu’au dernier moment.
Vous avez sans doute les certificats pour Sirven et mon billet pour Briasson 5?Écr. l’inf. »
1 Copie contemporaine de Darmstadt B. est incomplète d'une partie du premier paragraphe (C'est bien dommage ...à la philosophie ) et des trois derniers mots ; l'édition de Kehl , suivie des autres, n'est pas tout à fait complète et datée du 26 .
2 De Damilaville aussi . Voir page 7 : file:///C:/Users/james/AppData/Local/Temp/rde-2953.pdf
et : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/POPULATION
3 Depuis Dites-moi, ce passage biffé sur la copie Beaumarchais-Kehl manque dans toutes les éditions .
4 Ces quatre mots sont absents sur la copie Beaumarchais qui auparavant remplace l'on fait par vous faites .
5 Autre phrase manquante sur la copie Beaumarchais et éditions suivantes .
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08/06/2021
Il me paraît qu’à Paris on ne songe qu’à son plaisir. Cela prouve qu’on a de l’argent ; mais il faudra qu’on en ait beaucoup
... Ach Paris !
« A Etienne-Noël Damilaville
21 février 1766 1
L'article Vingtième, mon cher ami, est l’ouvrage d’un excellent citoyen et d’un philosophe qui a de grandes vues . Je le relirai avec plus d’attention encore. Je suis un peu fâché, à la première lecture, que l’auteur n’aime pas Jean-Baptiste Colbert. Il me semble qu’il ne pardonne pas assez à un ministre qui fut jeté hors de toutes ses mesures par les guerres de Louis XIV et par la magnificence de ce monarque. Il fut obligé de faire pour quatre cents millions d’affaires avec les traitants 2, immédiatement après avoir signé un arrêt par lequel il était défendu à jamais d’en faire. Il faut songer que le duc de Sully n’avait point de Louvois qui le contrariât éternellement. Quoi qu’il en soit, je suis pénétré de la plus haute estime pour feu M. Boulanger 3.
J’ai reçu une lettre charmante de M. de Beaumont. Je ferai tout ce qu’il m’ordonne, et je lui écrirai incessamment.
Le bruit a couru dans notre pays de neige que le roi de Prusse était mort ; mais cette nouvelle n’est point confirmée. Si elle l’était, son tombeau pourrait bien être comme celui des anciens princes tartares, sur lequel on immolait des hommes . Il ne serait pas hors de vraisemblance que, dans quelque temps, la guerre recommençât en Allemagne.
Il me paraît qu’à Paris on ne songe qu’à son plaisir. Cela prouve qu’on a de l’argent ; mais il faudra qu’on en ait beaucoup si les cinquante millions se remplissent.
Je vous prie de me faire savoir si Panckoucke a envoyé chez vous les six volumes qu'on lui a demandés . Au reste, je voudrais que Merlin se donnât la peine de faire un paquet d'un des six recueils et qu'il le fît adressez par le coche à Mme Foureau, libraire à Angers 4, pour M. le chevalier de La Neuville . Il y a un an que ce M. de La Neuville me demande ce petit présent ; il faut bien à la fin le satisfaire .
Je serais honteux, mon cher ami, de toutes les peines que je vous donne si je ne connaissais votre cœur . Le mien est affligé aujourd’hui de vous dire si peu de choses . Je voudrais ne m'entretenir qu'avec vous ; mais malheureusement j'ai vingt lettres à écrire . Je vous embrasse avec la plus vive tendresse .
Je recommande à vos bontés les volumes du Voltaire portatif . Pouvez-vous en envoyer un volume à l'archevêque d'Auch et m'en faire avoir six exemplaires par la diligence de Lyon à mon adresse à Meyrins, route de Lyon, à Genève ? »
1 Voir note de la lettre du 17 février 1766 à Damilaville .
2 Voir Restaurer les finances : https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jean-Baptiste_Colbert/114048#10969108
3 Pseudonyme de Damilaville dans l'Encyclopédie .
4 Voir page 31 : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00010491/document
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07/06/2021
vous attendrez un temps favorable qui peut se présenter bientôt
... Paroles de cartomancienne ! Parle-t-elle de vos prochaines vacances ?
Complètement ma-boule ?
« A Gabriel Cramer
[vers le 20 février 1766]1
Je vous attendais aujourd'hui . Je songe continuellement à votre affaire . Il me semble que vous pourriez écrire à Paris que votre commis s'est trompé dans l'adresse des ballots, que vous comptiez envoyer en France un supplément de Corneille pour les souscripteurs avec une édition de mes œuvres, que vous envoyiez en Hollande un recueil de Mélanges de plusieurs auteurs, qu'on s'est mépris de ballot , et que vous priez qu'on vous renvoie celui qui était destiné pour la Hollande . Par ce moyen vous ne perdrez rien, et vous attendrez un temps favorable qui peut se présenter bientôt ; voilà mon idée, je vous la soumets, et vous embrasse très tendrement, mon cher Caro . »
1 L'édition Gagnebin place la lettre en 1765, ce qui est un peu trop tôt pour un supplément au Corneille .
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06/06/2021
on ne regrette que les gens à qui l’on plaît, excepté en amour, s’entend
... Oui ? Non ? Pourquoi ? Comment ?
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
19è février 1766 1
Il y a un mois, madame, que j’ai envie de vous écrire tous les jours ; mais je me suis plongé dans la métaphysique la plus triste et la plus épineuse 2, et j’ai vu que je n’étais pas digne de vous écrire.
Vous me mandâtes, par votre dernière lettre, que nous étions assez d’accord tous deux sur ce qui n’est pas ; je me suis mis à rechercher ce qui est. C’est une terrible besogne ; mais la curiosité est la maladie de l’esprit humain. J’ai du moins la consolation de voir que tous les fabricateurs de systèmes n’en savaient pas plus que moi ; mais ils font tous les importants, et je ne veux pas l’être . J’avoue franchement mon ignorance.
Je trouve d’ailleurs dans cette recherche, quelque vaine qu’elle puisse être, un assez grand avantage ; l’étude des choses qui sont si fort au-dessus de nous rend les intérêts de ce monde bien petits à nos yeux ; et, quand on a le plaisir de se perdre dans l’immensité, on ne se soucie guère de ce qui se passe dans les rues de Paris. L’étude a cela de bon qu’elle nous fait vivre tout doucement avec nous-mêmes, qu’elle nous délivre du fardeau de notre oisiveté, et qu’elle nous empêche de courir hors de chez nous pour aller dire et écouter des riens d’un bout de la ville à l’autre. Aussi, au milieu de quatre-vingts lieues de montagnes de neige, assiégé par un très rude hiver, et mes yeux me refusant le service, j’ai passé tout mon temps à méditer. Ne méditez-vous pas aussi ? madame , ne vous vient-il pas aussi quelquefois cent idées sur l’éternité du monde, sur la matière, sur la pensée, sur l’espace, sur l’infini ? Je suis tenté de croire qu’on pense à tout cela quand on n’a plus de passions, et que tout le monde est comme Matthieu Garo 3, qui recherche pourquoi les citrouilles ne viennent pas au haut des chênes.
Si vous ne passez pas votre temps à méditer quand vous êtes seule, je vous envoie un petit imprimé sur quelques sottises de ce monde 4, lequel m’est tombé entre les mains. Je ne sais s’il vous amusera beaucoup ; cela ne regarde que Jean-Jacques Rousseau, et des polissons de prêtres calvinistes. L’auteur est un goguenard de Neuchâtel, et les plaisants de Neuchâtel pourront fort bien vous paraître insipides ; d’ailleurs on ne rit point du ridicule des gens qu’on ne connait point. Voilà pourquoi M. de Mazarin disait qu’il ne se moquait jamais que de ses parents et de ses amis. Heureusement ce que je vous envoie n’est pas long ; et, s’il vous ennuie, vous pourrez le jeter au feu.
Je vous souhaite, madame, une vie longue, un bon estomac, et toutes les consolations qui peuvent rendre votre état supportable ; j’en suis toujours pénétré.
Je vous prie de dire à M. le président Hénault que je ne cesserai jamais de l’estimer de tout mon esprit, et de l’aimer de tout mon cœur. Permettez-moi les mêmes sentiments pour vous, qui ne finiront qu’avec ma vie.
V.
Dans le temps que ma lettre allait partir, je reçois la vôtre du 13 février . Soyez sûre que je vous écrirai toutes les fois qu'il me viendra des idées qui me paraîtront faites pour votre belle imagination et pour la justesse de votre esprit , c'est-à-dire que je vous donnerai ces idées à rectifier, car autrement je ne serais pas si hardi . Je vous plains beaucoup d’avoir perdu M. Craffurt ; je sens bien qu’il était digne de vous entendre ; on ne regrette que les gens à qui l’on plaît, excepté en amour, s’entend. »
1 L'édition de Kehl est incomplète et peu soignée, ainsi que toutes les autres . V* répond à une lettre du 14 janvier 1766, et en post scriptum à celle du 13 février 1766 . Crawford ( Craffurt sic ) avait quitté Paris pour l'Angleterre au début de février .
2 Probablement Le Philosophe ignorant, qui, ne vit le jour que quelques mois après ; voir https://fr.wikisource.org/wiki/Le_philosophe_ignorant
3 Fable de La Fontaine, livre IX, fable iv. « Le gland et la citrouille » : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/glancitr.htm
4 L'une des Questions sur les miracles, ainsi qu'on le sait par la réponse de Mme Du Deffand .
La collection des Lettres sur les miracles : voir https://fr.wikisource.org/wiki/Questions_sur_les_miracles/%C3%89dition_Garnier
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05/06/2021
Il faut se défier de toutes ces expériences hasardées, qui contredisent les lois de la nature
...Et tout autant se défier de ce qu'on nomme fake news qui contredisent le plus élémentaire bon sens .
« A M. l'abbé Lazzaro Spallanzani 1
Professeur de philosophie etc.
à Modène
Monsieur,
Je reçus, il y a quelques semaines, par la voie de Genève deux dissertations physiques, sans nom d'auteur 2. Il n'y avait point de lettre dans le paquet . Je viens d'apprendre que ces deux ouvrages qui montrent une grande sagacité et des connaissances très approfondies, sont de vous , monsieur, et sont dignes d'en être . Je voudrais pouvoir vous remercier dans votre belle langue italienne que vous parlez avec tant de politesse, mais l'état où je suis ne me permet pas d'écrire ; ma vieillesse et mes maladies me réduisent à dicter .
Vous avez très grande raison de combattre les prétendues expériences de M. de Needham . On l'a attaqué depuis peu à Genève sur les miracles . Il pourrait se vanter en effet d'avoir fait des miracles s'il avait pu produire des anguilles sans germe . Il faut se défier de toutes ces expériences hasardées, qui contredisent les lois de la nature . Il paraît que vous mettez autant d'exactitude dans vos expériences que de justesse dans vos raisonnements . On ne peut après vous avoir lu vous refuser la plus parfaite estime . C'est avec ces sentiments, et avec beaucoup de reconnaissance, que j'ai l'honneur d'être,
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire
de la chambre du roi
Au château de Ferney par Genève 17è février 1766. »
1Edition Luigi Cagnoli ; Lettere di vari illustri italiani del secolo XVIII et XIX a loro amici, 1741.
Et voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lazzaro_Spallanzani
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9n%C3%A9ration_spontan%C3%A9e
2 Voir lettre du 10 janvier 1766 à Albergati Capacelli : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/04/29/qui-souffre-ne-peut-guere-ecrire-6312802.html
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04/06/2021
Je suis bien aise qu’on ait en France un peu de sévérité sur l’entrée des livres étrangers. On en imprime de si pitoyables et de si ridicules que c’est très bien fait d’écarter cette vermine
... De nos jours, Google and Co ne sont pas regardants sur la marchandise et il n'y a plus de frontières pour se garder de la diffusion des idées les plus détestables . Reste à conserver un peu de jugeotte et quelques principes altruistes . Nul besoin de cyber-influenceurs bidons !
« A Etienne-Noël Damilaville
17 février 1766 1
Permettez, mon cher ami, que je vous adresse le billet important pour mon notaire , M. de Laleu . Le cœur me dit que je recevrai de vous aujourd'hui quelques nouvelles, où vous parlerez de vous, de votre santé, de l'affaire de Sirven .
Je suis bien aise qu’on ait en France un peu de sévérité sur l’entrée des livres étrangers. On en imprime de si pitoyables et de si ridicules que c’est très bien fait d’écarter cette vermine ; mais Cramer est la victime d’une méprise singulière à l’occasion de cette défense. Il envoyait en Hollande un recueil de Mélanges littéraires en trois volumes 2, dans lequel, sans me consulter, il a fourré quelques ouvrages qu’il a attrapés de moi ; et il envoyait en France des suppléments de Corneille, et d’autres œuvres permises. On s’est trompé ; on a adressé les Mélanges en France, et le Corneille en Hollande. J’espère que sa bonne foi le tirera de ce mauvais pas.
Je n'ai point encore mon Encyclopédie . Les relieurs de ce pays-ci sont aussi lents que mauvais ; je n'ai de ma vie été si contrarié . En attendant je me jette dans la métaphysique . Je voudrais bien être entre Platon et vous . »
1 L'édition de Kehl, suivant la copie Beaumarchais amalgame cette lettre à celle du 21 février 1766, datant le tout du 21 février, comme toutes les éditions .
2 Au commencement de 1766, parurent, sous le millésime de 1765, trois volumes intitulés Nouveaux Mélanges philosophiques, historiques, critiques, etc.
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03/06/2021
Caro vous étiez hier soir noir comme encre
...
« A Gabriel Cramer
[février 1766 ?] 1
Caro vous étiez hier soir noir comme encre . Je ne dis pas comme l'encre de votre imprimerie car elle est blanche. Consolez-vous, reprenez espérance et gaieté .
Je vous envoie le petit morceau que je recommande à votre amitié et à votre goût .
Petit cadre, joli caractère, marge large, correction, netteté, propreté, j'ai tout cela extrêmement à cœur . Vous me ferez un extrême plaisir de dépêcher cette besogne . Je vous enverrai du papier de Hollande . Je n'ai point encore de nouvelles des Pucelles de Panckoucke.
V. »
1 L'édition Gagnebin place la lettre en décembre 1761. On ne possède aucun indice permettant de penser que V* fût en relation avec Panckoucke avant 1764 ; du reste l'écriture du manuscrit est celle de V* plus âgé . On se souviendra qu'une allusion à La Pucelle ( en relation avec Panckoucke ) est faite dans la lettre du 27 janvier 1766 ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/05/16/portez-vous-bien-mon-cher-frere-et-soit-que-je-vive-soit-que-6316233.html ). Il sera aussi question de vingt Pucelles dans la lettre du 12 décembre 1766 à Cramer :
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