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22/06/2021

Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs.

... Je dois avouer que je n'en dirai pas autant , ils n'ont pas l'exclusivité de ma tendresse . Bon nombre de "penseurs" me hérissent le poil, et mon plus cher voeu est qu'ils pensent librement mais qu'ils ne nous inondent pas de leurs élucubrations oiseuses (et pour certain.e.s, les miennes ).

Par contre, j'ai une infinie tendresse et respect pour les panseurs . Ils ont encore trop souvent à réparer les dégâts faits par les sus-nommés penseurs de bas étages .

 

 Expo] Les photos du "Chat déambule" de Geluck aux Champs-Élysées

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

[12 mars 1766]1

Mon très-cher philosophe, si vous vous étiez marié, vous auriez très-bien fait ; et, en ne vous mariant pas, vous ne faites pas mal ; mais, de façon ou d’autre, faites-nous des d’Alembert. C’est une chose infâme que les Fréron pullulent, et que les aigles n’aient point de petits. Je me doute bien que votre dioptrique ne ressemble pas à celle de l’abbé Molières 2 ; vous n’êtes pas fait pour voir les choses comme lui.

Si vous avez quelque air d’un Molière, c’est de Jean-Baptiste Poquelin ; vous en avez la bonne plaisanterie, et je crois qu’il y paraîtra dans le petit supplément 3 que vous préparez pour ces renards de jésuites, et pour ces loups de jansénistes.

C’est assurément un grand malentendu qu’un ministre qui a beaucoup d’esprit n’ait pas été au-devant de votre mérite, et qu’il ait laissé cet honneur aux étrangers. Je crois qu’il avait grande envie de se raccommoder avec vous ; mais vous n’êtes pas homme à faire les avances. Je sers actuellement mon quartier de Tirésie 4. Mes fluxions sur les yeux me mettent hors d’état d’écrire, et je pourrais bien être aveugle encore quelques semaines. Nous avons ici M. de Chabanon : il est musicien, poète, philosophe, et homme d’esprit ; il fait de vous le cas qu’il en doit faire. Nous avons tous été fort contents de la réponse de notre protecteur 5 à messieurs du parlement ; cette pièce nous a paru noblement pensée et noblement écrite ; et si l’auteur n’était pas notre protecteur, je le voudrais pour mon confrère.

Je me flatte que votre ami M. de La Chalotais sortira brillant comme un cygne de la bourbe où on l’a fourré ; il a trop d’esprit pour être coupable 6.

Vous savez que le parlement d’Angleterre a révoqué son timbre 7; je ne pense pas qu’il raccommode celui de Jean-Jacques. Adieu, mon très-cher philosophe ; je me flatte que la personne avec qui vous vivez est philosophe aussi, et je fais des vœux pour que le nombre s’en augmente. Ne m’oubliez pas auprès de M. Turgot, s’il est à Paris. Je me sens beaucoup de tendresse pour les penseurs. »

1L'édition de Kehl la date du 31 mars 1766 . La date choisie ici est donnée par Renouard qui l'a probablement trouvée dans le manuscrit original ; elle est confortée par la référence à Chabanon ; cependant, voir la note 6 suivante .

V* répond à la lettre du 3 mars de d'Alembert : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6284

3 D’Alembert ne publia qu’en 1767 la Lettre à M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à l’ouvrage qui est dédié à ce même magistrat, et qui a pour titre : Sur la Destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé ; mais cette Lettre était faite dès 1765. Voir : https://play.google.com/store/books/details/D_Alembert_Lettre_a_Mr_conseiller_au_parlement_de?id=rkY3FWI3EcsC

et lettre du 2 mars 1764 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1764/Lettre_5580

4 Il est « aveugle » pour un trimestre .

5 Louis XV.

6 Louis-René de Caradeuc de La Chalotais a été emprisonné à la suite des démêlés entre le parlement de Bretagne et le roi ; il vient de publier ses Mémoires contenant deux mémorandums écrits de la forteresse-prison de Saint-Malo . Voir : http://www.wiki-rennes.fr/La_Chalotais

7 Le Stamp Act vient d'être repoussé le 11 mars après de longs débats . Il reste difficile que V* ait pu faire état si tôt de cette décision . Voir : https://www.history.com/this-day-in-history/parliament-repeals-the-stamp-act

21/06/2021

Le roi Stanislas, monsieur, est mort comme Hercule, dont il avait le poignet

...

 

« A Philippe-Charles-François-Joseph de Pavée, marquis de Villevielle 1

10è mars 1766 à Ferney

Le roi Stanislas, monsieur, est mort 2 comme Hercule, dont il avait le poignet. L’un et l’autre ont été brûlés dans leur robe de chambre ; mais la carrière de Stanislas a été plus heureuse et plus longue que celle d’Hercule.

J’ai vu avec un extrême plaisir l’heureuse famille de M. de Marnesia 3. Je vous supplie de vouloir bien lui présenter mes compliments et mes remerciements.

Vous êtes toujours très regretté à Ferney, et surtout de votre très humble, très obéissant et très malade serviteur.

V. »

2 Stanislas est mort le 23 février 1766, âgé de quatre-vingt-neuf ans .

3 Ce personnage se retrouve sous le nom de Marnésiac dans la lettre du 29 novembre 1766 à Christin : « Je suis bien étonné que vous ne demandiez pas de nouveaux exemplaires des livres de jurisprudence que vous avez donnés à M. Guirand , et à M. le marquis de Marnésiac. » Il s'agit de Claude-François-Adrien, marquis de Lezay-Marnesia, écrivain de troisième rang, ainsi que son frère , Claude-Gaspard . Voir : https://data.bnf.fr/fr/12044658/claude-francois-adrien_lezay-marnezia/

et : https://www.idref.fr/028656059

et : https://www.geneanet.org/fonds/bibliotheque/?go=1&lang=fr&nom=lezay+marnesia&page=1&size=50

 

20/06/2021

mettre moitié sur la tête du mari et moitié sur la tête de la femme

... Pour Voltaire l'égalité homme-femme n'est pas une idée abstraite , qu'on en prenne de la graine et la rémunération des femmes pourra enfin ne plus être injustement affaiblie .

 

« A Guillaume-Claude de Laleu, Secrétaire

du roi, Notaire

rue Sainte-Croix-Bretonnerie

à Paris

Si monsieur de Laleu n'a pas encore passé le contrat au nom de Jean-Louis Wagnière, je le supplie de vouloir bien avoir la bonté de partager le principal en deux et d'en mettre moitié sur la tête du mari et moitié sur la tête de la femme .

Son très humble obéissant serviteur

Voltaire.

10 mars 1766.1 »

1 Ce texte figure sous la déclaration suivante : « Je suis née l'année 1741 le 26è avril dans Oron au canton de Berne de Guillaume Corboz et de Jeanne-Marie Lavernay . Je suis mariée à Jean-Louis Wagnière et je demeure avec lui chez M. de Voltaire au château de Ferney en Suisse. Fait à Ferney le 10 mars 1766. / Marie-Françoise Wagnière née Corboz. » (L'orthographe a été rectifiée).

Voir : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/049563/2012-08-20/

et pages 30  et 132 : http://societe-voltaire.org/vn1.pdf

19/06/2021

Nos noms unis perceront l'onde noire ...

... de l'infâme !

 

« A Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore

etc

rue des Capucines

à Paris

7è mars 1766 au château de Ferney 1

Le chantre de Henri IV remercie bien tendrement le chantre de Gabrielle .2

Nos noms unis perceront l'onde noire .

Je vous répète, monsieur , qu'assurément la belle Gabrielle , n'était pas en apoplexie quand elle écrivit sa lettre . Vous me flattez d'un recueil complet de vos agréables ouvrages , ils seront le remède de toutes les maladies en ie dont je suis persécuté . Tâchez que je ne meure point avant d'avoir l'édition de Racine qui me semble tarder beaucoup . Vos vers me font souvenir des siens . J'attends vos héroïdes et ses tragédies avec bien de l'impatience . Comptez, monsieur, sur le véritable attachement avec lequel je serai toute ma vie votre très humble et très obéissant serviteur

V. »

1 La signature qui figure sur le manuscrit est de Wagnière pour l'initiale, le reste étant d'une autre main .

Le même jour, le Conseil de Genève enregistre une proposition de V*, transmise par Pictet et Saladin, par laquelle les citoyens de Genève demandent « qu'on abolisse l'usage où l'on est dans le pays de Gex de leur faire payer la taille, et qu'ils puissent acquérir dans ledit pays des terres nobles, sans être assujettis à payer les francs fiefs . Offrant de payer les contributions qui seront jugées convenables par les Etats en vertu d'une ordonnance qu'ils espèrent de la bonté de Sa Majesté […]. » La proposition est accompagnées des « noms d'un assez grand nombre de particuliers le tout écrit de la main du secrétaire du sieur de Voltaire . »Elle est jugée « telle qu'il ne convient pas au Conseil de s'en occuper . »

2 Blin de Sainmore a envoyé à V* la nouvelle édition de la Lettre de Gabrielle d'Estrées à Henri IV, précédée d'une épître à M .de Volta ire et de sa réponse . Voir : https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/2879b220932eff741dc05174d5803a45.pdf

et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54386270.texteImage

18/06/2021

Mille sincères respects à madame Hortensia

... Mam'zelle Wagnière, je suis [suivre, et non pas être] votre exemple ...

Hortensia Eughen Hahn | Silence, ça pousse !

 

 

« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont

Mon cher Cicéron, j’ai été bien malade ; je le suis encore ; mais je renaîtrai quand je verrai votre beau mémoire sur les Sirven imprimé. Je vous prie de m’en envoyer un exemplaire par la voie de M. Damilaville, qui le fera contre-signer. Ne ménagez point les signatures de vos confrères, et n’oubliez pas, je vous en prie, M. Jabineau, qui est prêt à donner la sienne. Que vous réussissiez ou non à obtenir du Conseil un arrêt d’attribution, vous réussirez auprès du public ; vous confirmerez votre réputation de vengeur généreux de l’innocence ; les malheureux juges wisigoths seront confondus ; on n’osera plus flétrir la nation par ces téméraires accusations de parricides. Ce sera à vous qu’on en aura l’obligation ; votre nom sera cher à tous les honnêtes gens. Comptez-moi, je vous en conjure, parmi les plus zélés de vos admirateurs, et permettez-moi de me dire de vos amis.

Mille sincères respects à madame Hortensia 1.

V. 

5è mars 1766.»

17/06/2021

Il fallait commencer par dire qu’Adam avait prêché Ève, et qu’au sortir du sermon Ève le fit cocu avec le diable

...

 

La pomme d'Adam, sûr, c'est l'Eve – Journal Epicurien

Dernier émoi, premier EHPAD

https://journalepicurien.com/2010/02/01/la-pomme-dadam-su...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

5 mars 1766 1

La diligence de Lyon, mon cher ami, ne m’apportera donc rien de votre part ? Je n'entends point parler de Bigex,2 je n’aurai point de consolation. Le petit livre que vous m’avez envoyé 3 ne me suffit pas ; il méritait d’être mieux fait, et pouvait être très-plaisant. Il fallait commencer par dire qu’Adam avait prêché Ève, et qu’au sortir du sermon Ève le fit cocu avec le diable ; il fallait continuer sur ce ton, et on serait mort de rire.

Je crois que vous avez été à la première représentation du Gustave de La Harpe. Vous savez que je m’intéresse à ce jeune homme : il n’a que son talent pour ressource . S’il ne réussit pas, il est perdu.

Est-il vrai que Protagoras se marie à Mlle de Lespinasse ? Voilà tous les philosophes en ménage, il ne manque plus que vous. Faites-nous des sages, ou faites-nous deux 4 livres. Quel dommage que Platon n’ait qu’une fille ! S’il avait eu des garçons, ils auraient coupé toutes les têtes de l’hydre, dont on a rogné 5 les ongles.

Pouvez-vous me faire un plaisir, mon cher ami ? C'est d'envoyer chez M. de Chabanon, de l'académie des belles-lettres, un paquet de mes maudites œuvres, de ma part ; je me flatte qu'il sera complet, et que vous avez reçu les six exemplaires de Panckoucke . M. de Chabanon demeure rue du Doyenné-Saint-Louis-du Louvre 6.

Comme vos bontés ne se lassent point, je suppose que vous m'avez rendu le service d'envoyer 7 un autre paquet pour M. le chevalier de Neuville , à Angers 8, recommandé à Mme Foureau, libraire de son métier .

Quand je vous devrais de l'argent vous savez que M. de Laleu est à vos ordres .

Quand vous aurez un moment à vous, mon cher ami, voyez notre Cicéron Beaumont, dites-lui combien je l'aime et le révère . Je doute fort qu'il réussisse à une attribution de juges pour Sirven, mais je suis très sûr qu'il réussira à se faire une grande réputation, et si la justice abandonne les Sirven, le public les vengera 9 .

On me dit qu’on a imprimé à Paris la petite comédie de Henri IV, faite par Collé. Quoique je n’aime point à voir Henri IV en comédie 10, cependant, mon cher ami, envoyez-moi cette bagatelle ; mais surtout écr. l’inf. 11»

1Copie contemporaine Darmstadt ; copie Beaumarchais-Kehl . Les deux manuscrits sont sensiblement différents, voir note suivantes .

2 Ce début de phrase ne figure que sur le manuscrit 1.

4Ici des sur le manuscrit 2 et toutes éditions .

5 A la place de ces deux mots, n'a rogné que sur ms.1 .

6 Cette phrase ne figure que sur ms. 1.

7 Ms. 2 remplace suppose […] d'envoyer par vous recommande .

8 Depuis Pouvez-vous me faire […] , passage biffé sur ms. 2 et manquant dans les éditions .

9Depuis recommandé par Mme Foureau […] , ce passage ne figure que sur ms. 1.

11 Ces cinq mots ne figurent pas sur ms. 1.

16/06/2021

les Genevois sont malades d’une indigestion de bonheur. Leurs petites querelles n’aboutissent qu’à de mauvaises brochures qu’eux seuls peuvent lire

... Italie 3 - Suisse 0 !!

Y'a pas l'feu au lac ! De toute manière, ils n'ont pas perdu, ils sont Genevois avant que  d'être Suisses .

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

À Ferney, 4 mars 1766

Madame,

Je ne sais comment les mauvaises plaisanteries 1 dont Votre Altesse sérénissime daigne me parler sont parvenues jusqu’à elle. J’ai eu l’honneur de lui envoyer par la dernière poste deux de ces rogatons que j’ai fait chercher dans Genève. On imprime tout le recueil en Suisse, et j’espère qu’à la fin de mars j’enverrai à Votre Altesse sérénissime cette collection de fadaises théologiques, puisqu’elle veut bien s’en amuser.

Je ne m’attendais pas, madame, à jouir du bonheur de vous renouveler de ma main mes sincères et respectueux hommages. Les fluxions qui me privaient de la vue ne me laissaient pas d’espérances ; mais enfin elles ont fait avec moi une trêve dont je profite. Mes yeux s’intéressent toujours bien vivement aux yeux de la grande maîtresse des cœurs. Je les ai quittés malades, et malheureusement il y a plus de douze ans que je les ai quittés, en m’arrachant à ce château dans lequel il serait si doux de passer sa vie.

Je ne sais si V. A. S. prend quelque part à ce qu’on appelle les troubles de Genève. Ces troubles sont fort pacifiques : les Genevois sont malades d’une indigestion de bonheur. Leurs petites querelles n’aboutissent qu’à de mauvaises brochures qu’eux seuls peuvent lire. Quand il s’élève quelque dispute en Allemagne, elle est plus sérieuse, et il en coûte ordinairement deux ou trois cent mille hommes.

L’ambassadeur de France en Suisse arrive dans quelques jours à Genève avec dix cuisiniers, qui seront plénipotentiaires.

Je suis un peu plus intéressé au procès que M. le duc de Virtemberg a aujourd’hui avec ses États. J’ignore quel en sera le résultat. Heureux les princes qui n’ont point à combattre leurs parlements, et qui sont adorés de leurs sujets. Cela fait songer à la Turinge. Daignez, madame, agréer mes vœux et mon profond respect pour Votre Altesse sérénissime et pour toute l’auguste branche ernestine. »

1 La duchesse vient de lire « quelques lettres sur les miracles, par un proposant de Genève » et demande à V* de lui envoyer « une petite collection » de l'ensemble de « ces lettres délicieuses. »