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17/10/2021

L’Italie commence à mériter d’être vue ... on peut y aller aujourd’hui pour y voir des hommes qui pensent, et qui foulent aux pieds la superstition et le fanatisme

... Il y a de quoi rire -jaune-,  ami Voltaire , tant l'actualité est biscornue et si peu conforme à ton idéal espéré. Les Italiens étant aussi nases que les Français s'opposent à l'obligation du pass sanitaire  et se bagarrent : https://www.20minutes.fr/dossier/italie

Que n'ont-ils pas employé ce temps pour aller plutôt se faire vacciner ?

Il est vrai que la logique et les humains bornés sont incompatibles .

 

 

« A Charles-Joseph, prince de Ligne 1

Aux eaux de Rolle en Suisse par Genève 22 juillet 1766 2

Vous voyez bien, mon prince, par le lieu dont je date, que je ne suis pas le plus jeune et le plus vigoureux des mortels, mais, en quelque état que je sois, je ressens vos bontés comme si j’avais votre âge. Votre lettre me fait voir que vous êtes aussi philosophe qu’aimable. Né dans le sein des grandeurs, vous faites peu de cas de celles qui ne sont pas dans vous-même, et qu’on n’obtient que par la faveur d’autrui.

Il ne vous appartient pas d’être courtisan, c’est à vous qu’il faut faire sa cour , et vous pouvez jouir assurément de la vie la plus heureuse et la plus honorée, sans en avoir l’obligation à personne.

Je serais bien tenté de vous envoyer un petit écrit sur une aventure horrible, assez semblable à celle des Calas 3; mais j’ai craint que le paquet ne fût un peu trop gros . Il est de deux feuilles d’impression. Je suis persuadé qu’il toucherait votre belle âme ; vous y verriez d’ailleurs des choses très curieuses. Je passe dans ma petite sphère les derniers temps de ma vie, comme vous passez vos beaux jours, à faire le plus de bien dont je suis capable ; c’est par cela seul que je mérite un peu les bontés dont vous daignez m’honorer. Vous en ferez beaucoup dans vos belles et magnifiques terres ; vous y vivrez en souverain ; vous pourrez attirer auprès de vous des hommes dignes de vous plaire . Les plus grands rois n’ont rien au-dessus. On m’a dit que vous iriez faire un tour en Italie . Je ne sais si ce bruit est fondé, mais il me plaît infiniment. Je me flatterais que vous prendriez la route de Genève, que je pourrais avoir l’honneur de vous recevoir dans ma cabane ; vos grâces ranimeraient ma vieillesse. L’Italie commence à mériter d’être vue par un prince qui pense comme vous. On y allait, il y a vingt ans, pour voir des statues antiques, et pour y entendre de nouvelle musique ; on peut y aller aujourd’hui pour y voir des hommes qui pensent, et qui foulent aux pieds la superstition et le fanatisme.

Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes. 4

Il s’est fait en Europe une révolution étonnante dans les esprits. J’ai trop peu d’espace pour nous dire ici ce que je pense du vôtre, et pour vous faire connaître toute l’étendue de mon respect et de mon attachement.

V.»

2 La lettre à laquelle V* répond n'est pas connue .

3 Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven : https://tolosana.univ-toulouse.fr/fr/notice/083232508

4 Racine, Mithridate, ; act. III, sc. 1, vers 820 : https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/RACINE_MITHRIDATE.pdf

16/10/2021

Autant on voit ailleurs de fanatisme et de cruauté, autant il y a de vertu et de générosité dans votre âme

... M. Matthieu Ricard , et vos compagnons d'écriture :

Trois Amis En Quête De Sagesse   de André Christophe  Format Beau livre

Trois sourires qui font plaisir . A suivre ...

 

 

« A Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt, margravine de Baden-Durlach 1

A Ferney 22 juillet 1766 2

Madame,

Votre Altesse Sérénissime ne perd aucune occasion de faire du bien . Autant on voit ailleurs de fanatisme et de cruauté, autant il y a de vertu et de générosité dans votre âme . Ma respectueuse admiration pour vos sentiments augmente mon regret de ne pouvoir vous faire ma cour . Mon âge et mes maladies m'ont privé de ce bonheur . Je n'aspire qu’au moment où je pourrais venir à vos pieds vous dire avec quel profond respect et avec quel attachement je serai jusqu'au dernier moment de ma vieillesse

madame

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

2 Edition Erich Schmidt, dans Im neuen Reich, 1879

Jamais on n’a plus persécuté la raison et la vérité en France

... Que voulez-vous, c'est la grande foire de l'élection présidentielle  , la course au trône républicain, coups bas, mensonges et affabulations vont bon train, comme d'habitude à chaque échéance nationale .

 

 

« A Caroline-Henriette-Christine de Deux-Ponts, landgravine de Hesse-Darmstadt

A Ferney par Genève 22 juillet 1766 1

Madame,

M. Grimm, qui est attaché à Votre Altesse Sérénissime, enhardit ma timidité . Il me mande que je puis sans crainte m’adresser à elle et implorer ses bontés en faveur d’une famille aussi infortunée que celle des Calas. Je sais, madame, que vous protégez la raison contre la tyrannie de la superstition. Le fanatisme déshonore encore la nation française ; c’est à l’Allemagne à lui donner des leçons et des exemples. Votre Altesse a donné déjà l’exemple de la compassion et de la générosité . Les Calas publient ses bienfaits, et tous les sages vous applaudissent. Ceux qui ont entrepris la défense des Sirven seront bien honorés s’ils peuvent, madame, compter votre nom respectable au premier rang de ceux qui encouragent leur zèle . Ce nom nous sera plus cher que les plus grands secours. Nous vous supplions de borner vos générosités. Si Votre Altesse daigne me faire adresser une marque de ses bontés et de sa pitié pour les Sirven, cette famille cessera d’être malheureuse. Plus le fanatisme fait d’efforts contre la nature humaine, plus celle-ci sera défendue par votre belle âme. Jamais on n’a plus persécuté la raison et la vérité en France ; la superstition emploie les supplices, et vous les bienfaits , c’est le combat des Grâces contre les monstres. Je me tiens heureux de pouvoir vous implorer.

Je suis avec le plus profond respect,

madame,

de Votre Altesse Sérénissime

le très-humble et très-obéissant serviteur

Voltaire,

gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. »

1 Briefwechsel des Grossen Landgräfin Caroline von Hessen. — Von dr Ph.-A.-F. Walther. — Wien, 1877, tome II, page 419.

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Caroline_de_Palatinat-Deux-Ponts-Birkenfeld

et : http://www.histoireeurope.fr/RechercheLocution.php?Locutions=Caroline-Henriette+de+Deux-Ponts-Birkenfeld

15/10/2021

Je me laisse si peu abattre que je prendrai probablement le parti d’aller finir mes jours dans un pays où je pourrai faire du bien. Je ne serai pas le seul

... Qui dit mieux ?

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

Aux eaux de Rolle en Suisse, par Genève, 21 juillet 1766 1

Je ne me laisse point abattre, mon cher frère ; mais ma douleur, ma colère, et mon indignation, redoublent à chaque instant. Je me laisse si peu abattre que je prendrai probablement le parti d’aller finir mes jours dans un pays 2 où je pourrai faire du bien. Je ne serai pas le seul. Il se peut faire que le règne de la raison et de la vraie religion s’établisse bientôt, et qu’il fasse taire l’iniquité et la démence. Je suis persuadé que le prince qui favorisera cette entreprise vous ferait un sort agréable si vous vouliez être de la partie. Une lettre de Protagoras pourrait y servir beaucoup. Je sais que vous avez assez de courage pour me suivre ; mais vous avez probablement des liens que vous ne pourrez rompre.

J’ai commencé déjà à prendre des mesures ; si vous me secondez, je ne balancerai pas. En attendant, je vous conjure de prendre au moins, chez M. de Beaumont[2] , le précis de la consultation, avec les noms des juges. Je n’ai vu personne qui ne soit entré en fureur au récit de cette abomination.

Comme je serai encore quelque temps aux eaux de Suisse, je vous prie d’adresser vos lettres à M. Boursier, chez M. Souchay, à Genève, au Lion d’or.

Mon cher frère, que les hommes sont méchants, et que j’ai besoin de vous voir ! »

1 Copie contemporaine Darmstadt B. ; l'édition Correspondance littéraire d'après laquelle est faite la copie, ne porte pas le destinataire, comme chaque fois qu'il s'agit de Damilavile .

2 Le pays de Clèves ; voir la lettre de la mi-juillet 1766 de Frédéric II à V* : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6409

Les cris ne sont pas inutiles, ils effrayent les animaux carnassiers, au moins pour quelque temps

... Aussi ne cessons pas de crier et éliminer ces tueurs, et leurs complices, qui décapitent des professeurs : https://fr.news.yahoo.com/assassinat-samuel-paty-o%C3%B9-... 

Honneur à Samuel Paty .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

19 juillet 1766

Ce petit billet ouvert que je vous envoie 1, mon cher frère, pour Protagoras, est pour vous comme pour lui . Il est écrit dans l’amertume de mon cœur. Je crains que Protagoras ne soit trop gai au milieu des horreurs qui nous environnent. Le rôle de Démocrite est fort bon quand il ne s’agit que des folies humaines ; mais les barbaries font des Héraclites. Je ne crois pas que je puisse rire de longtemps. Je vous répète toujours la même chose, je vous fais toujours la même prière. La consultation en faveur de ces malheureux jeunes gens, et le mémoire des Sirven, ce sont là mes deux pôles. On m’assure que celui qui est mort n’avait pas dix-sept ans ; cela redouble encore l’horreur.

C’est aujourd’hui le jour où j’attends une de vos lettres. Si je n’en ai point, mon affliction sera bien cruelle ; mais si j’ai la consultation des avocats, je recevrai au moins quelque consolation ; je sais que c’est après la mort le médecin , mais cela peut du moins sauver la vie à d’autres. L’assassinat juridique des Calas a rendu le parlement de Toulouse plus circonspect . Les cris ne sont pas inutiles, ils effrayent les animaux carnassiers, au moins pour quelque temps.

Adieu, mon cher frère ; je vous embrasse toujours avec autant de douleur que de tendresse. »

C’était bien là le cas au moins de faire des représentations à ceux qui en font tous les jours de si violentes pour des sujets bien moins intéressants

... Poutou vs Darmanin ? Mélenchon vs tous ceux qui ne disent pas comme lui ? Chaque candidat LR contre tout concurrent du même parti ? Etc., etc., etc. Inintéressants, ça oui .

 

 

« A Philippe-Charles-François-Joseph de Pavée, marquis de Villevielle

18è juillet 1766

En vérité, monsieur, vous avez adouci mes maux et prolongé ma vie en me gratifiant de ces dix paquets de la poudre des chartreux 1. Je n’ai qu’une seule prise de la poudre des pilules de Prusse 2.

Oui, sans doute, il faut faire une seconde édition de cet ouvrage, et il y en aura plus d’une. L’avant-propos est violent : cet avant-propos est du roi : il n’y a qu’une seule faute, mais elle est grave, et sera relevée par les ennemis de la raison. Il y parle d’une falsification d’un passage dans l’évangile de Jean. L’on prétend que ce n’est point ce passage de l’évangile qui a été falsifié, mais bien deux endroits d’une épître 3. Le corps de l’histoire est de l’abbé de Prades ; il a besoin de beaucoup de corrections et d’additions. On m’a parlé de quelques autres ouvrages qui paraissent. Je remercie ceux qui nous éclairent ; mais je tremble pour eux, à moins qu’ils ne soient des rois de Prusse. La relation 4 que je vous envoie vous fera frémir comme moi : l’inquisition aurait été moins barbare.

La postérité ne concevra pas comment les gentilshommes d’une province ont laissé immoler d’autres gentilshommes par des bourreaux, sur un arrêt de vingt-cinq bourreaux en robe, à la pluralité de quinze voix contre dix. C’était bien là le cas au moins de faire des représentations à ceux qui en font tous les jours de si violentes pour des sujets bien moins intéressants.

Je souhaite passionnément, monsieur, d’avoir l’honneur de vous revoir. Je crois avoir retrouvé en vous un autre marquis de Vauvenargues. Vous me consolerez de sa perte, et des atrocités religieuses qu’on commet encore dans un siècle qui n’était pas digne 5 de lui. Je vous attends, monsieur, avec l’attachement le plus tendre et le plus respectueux. »

2 Les pilules de Prusse sont l’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique (voir lettre du 1er février 1766 à Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/05/18/sans-justesse-il-n-y-a-ni-esprit-ni-talent-6316581.html).

Quant à la poudre des chartreux (dont il est déjà parlé dans la lettre du 2 juin 1766), je ne sais ce que ce peut être. (Beuchot )

5 Mot manquant dans la copie et ajouté par l'édition .

14/10/2021

dans les délits qui ne traînent pas après eux des suites dangereuses, et dont la punition est arbitraire, il faut toujours pencher vers la clémence plutôt que vers la cruauté

... Ou "quand Voltaire parle d'actualités" : https://www.bfmtv.com/paris/lyceen-condamne-a-cinq-mois-d...

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

18è juillet 1766 aux eaux de Rolle en Suisse par Genève

Je ne sais où vous êtes, monseigneur ; mais quelque part que vous soyez, vous êtes compatissant et généreux . Vous serez touché de cette relation qu’on m’a envoyée 1. Je suis persuadé que si on avait été informé de l’origine de cette horrible aventure, on aurait fait quelque grâce. Cet élu d’Abbeville vous paraîtra un grand réprouvé. Il est seul la cause du désespoir de cinq familles, et il est lui-même au nombre de ceux qu’il a accablés par sa méchanceté. La peine de mort n’est point ordonnée par la loi, et le degré du châtiment est entièrement abandonné à la prudence des juges. Il y a plusieurs années qu’une profanation beaucoup plus sacrilège fut commise dans la ville de Dijon ; les coupables furent condamnés à six mois de prison, et à quatre mille livres envers les pauvres, payables solidairement. Les meilleurs jurisconsultes prétendent que, dans les délits qui ne traînent pas après eux des suites dangereuses, et dont la punition est arbitraire, il faut toujours pencher vers la clémence plutôt que vers la cruauté. Il est triste de voir des exemples d’inhumanité dans une nation qui recherche la réputation d’être douce et polie. Je sais bien qu’il n’y a point de remède aux choses faites ; mais j’ai cru que vous ne seriez pas fâché d’être instruit de ce qui a produit cette catastrophe épouvantable. Il est triste que l’amour en soit la cause . Il n’est pas accoutumé, dans notre siècle, à produire de telles horreurs . Il me semble que vous l’aviez rendu plus humain.

Continuez-moi vos bontés, et pardonnez-moi de ne vous pas écrire de ma main. Ma misérable santé est dans un tel état que je ne suis capable que de vous aimer, et de vous respecter jusqu’au dernier moment de ma vie. »

1 Voir : Extrait d’une lettre d’Abbeville, du 7 juillet 1766

· · · · · · · · · · · · · · ·

Un habitant d’Abbeville, lieutenant de l’élection, riche, avare, et nommé Belleval, vivait dans la plus grande intimité avec l’abbesse de Vignancourt, fille de M. de Brou, lorsque deux jeunes gentilshommes, parents de l’abbesse, nommés de La Barre, arrivèrent à Abbeville. L’abbesse les reçut chez elle, les logea dans l’intérieur du couvent, plaça, peu de temps après, l’aîné des deux frères dans les mousquetaires. Le plus jeune, âgé de seize à dix-sept ans, toujours logé chez sa cousine, toujours mangeant avec elle, fit connaissance avec la jeunesse de la ville, l’introduisit chez l’abbesse ; on y soupait, on y passait une partie de la nuit.

Le sieur Belleval, congédié de la maison, résolut de se venger. Il savait que le chevalier de La Barre avait commis de grandes indécences, quatre mois auparavant, avec quelques jeunes gens de son âge mal élevés. L’un d’eux avait donné, en passant, un coup de baguette sur un poteau auquel était attaché un crucifix de bois ; et quoique le coup n’eût été donné que par derrière, et sur le simple poteau, la baguette, en tournant, avait frappé malheureusement le crucifix. Il sut que ces jeunes gens avaient chanté des chansons impies, qui avaient scandalisé quelques bourgeois. On reprochait surtout au chevalier de La Barre d’avoir passé à trente pas d’une procession qui portait le saint sacrement, et de n’avoir pas ôté son chapeau.

Belleval courut de maison en maison exagérer l’indécence très-répréhensible du chevalier et de ses amis. Il écrivit aux villes voisines ; le bruit fut si grand que l’évêque d’Amiens se crut obligé de se transporter à Abbeville pour réparer le scandale par sa piété.

Alors on fit des informations, on jeta des monitoires, on assigna des témoins ; mais personne ne voulait accuser juridiquement de jeunees indiscrets dont on avait pitié. On voulait cacher leurs fautes, qu’on imputait à l’ivresse et à la folie de leur âge.

Belleval alla chez tous les témoins ; il les menaça, il les fit trembler ; il se servit de toutes les armes de la religion ; enfin il força le juge d’Abbeville à le faire assigner lui-même en témoignage. Il ne se contenta pas de grossir les objets dans son interrogatoire, il indiqua les noms de tous ceux qui pouvaient témoigner ; il requit même le juge de les entendre. Mais ce délateur fut bien surpris lorsque le juge, ayant été forcé d’agir et de rechercher les imprudents complices du chevalier de La Barre, il trouva le fils du délateur Belleval à la tête.

Belleval, désespéré, fit évader son fils avec le sieur d’Étallonde, fils du président de Bancour, et le jeune d’Ouville, fils du maire de la ville. Mais, poussant jusqu’au bout sa jalousie et sa vengeance contre le chevalier de La Barre, il le fit suivre par un espion. Le chevalier fut arrêté avec le sieur Moinel son ami. La tête leur tourna, comme vous le pouvez bien penser, dans leur interrogatoire. Cependant, Moinel répondit plus sagement que La Barre. Celui-ci se perdit lui-même ; vous savez le reste.

Je me trouvai samedi à Abbeville, où une petite affaire m’avait conduit, lorsque de La Barre et Moinel, escortés de quatre archers, y arrivèrent de Paris, par une route détournée. Je ne saurais vous donner une juste idée de la consternation de cette ville, de l’horreur qu’on y ressent contre Belleval, et de l’effroi qui règne dans toutes les familles. Le peuple même trouve l’arrêt trop cruel ; il déchirerait Belleval ; il est sorti d’Abbeville, et on ne sait où il est.

Nota bene. Les accusés ont été condamnés par le parlement de Paris, en confirmation de la sentence d’Abbeville, à avoir la langue et le poing coupés, la tête tranchée, et à être jetés dans les flammes, après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire. Le chevalier de La Barre a été seul exécuté ; on continue le procès du sieur Moinel. Plusieurs avocats ont signé une consultation par laquelle ils prouvent l’illégalité de l’arrêt. Il y avait vingt-cinq juges ; quinze opinèrent à la mort, et dix à une correction légère.

L’Extrait de la lettre d’Abbeville étant joint à la lettre de Voltaire à Richelieu, a été mis en note par tous les éditeurs. J’ai conservé cette disposition.

Dans une copie qui m’a été communiquée, le Nota bene offre deux variantes que voici :

Nota bene. Le chevalier de La Barre a été condamné par le parlement de Paris en confirmation, etc… Le chevalier de La Barre a été exécuté. On a brûlé avec lui ses livres, qui consistaient dans les Pensées philosophiques de Diderot, le Sopha de Crébillon, des Lettres sur les miracles, le Dictionnaire philosophique, deux petits volumes de Bayle, un Discours de l’empereur Julien, grec et français, un Abrégé de l’Histoire de l’Église de Fleury, et l’Anatomie de la messe. On continue le procès du sieur Moinel. Les autres sont condamnés à être brûlés vifs. Plusieurs avocats ont signé, etc. »

Cette version me paraît toute vraisemblable. Les deux petits volumes de Bayle sont l’Extrait fait par le roi de Prusse (voir : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6252

Le Discours de l’empereur Julien est celui que Voltaire fit réimprimer en 1769 (voir : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Discours_de_l%E2%80%99empereur_Julien/%C3%89dition_Garnier ; l’Abrégé de l’Histoire de l’Église est celui dont l’Avant-propos est de Frédéric  ; l’Anatomie de la messe est un livre du XVIe siècle. (Beuchot.)