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22/12/2023

On est aisément abandonné par ceux qui nous ont mis eux-mêmes dans le péril

... Notre gouvernement en est un exemple parlant , on ne manque ni de ministres mis en examen ni de démissionnaires . 

 

 

« A Marie-Louise Denis

chez M. d'Hornoy, Conseiller au

Parlement

rue d'Anjou au Marais

à Paris

19è avril 1768 à Ferney

On ne peut pas toujours écrire de sa main ; je vous écris ma chère nièce par celle de Wagnière qui est le confident de mes pensées, et le témoin de mes actions . Votre lettre du 15 avril me rassure sur celle du 24 mars qui m’avait attristé et inquiété . Vous ne vouliez, disiez-vous, voir M. le duc de … 1 que quand vous seriez satisfaite , vous ne l'étiez donc pas . Cela est clair comme le jour, et cela est assurément aussi triste qu’inintelligible . Mais la bonté de votre cœur a réparé ce qui est échappé à votre plume . Je ne demande point du tout que vous fassiez cette visite ; je n'exige autre chose sinon que vous meniez une vie douce et heureuse ; je me garderai bien de faire le marché de M. de Cideville ; il n'a songé qu'à lui, et je songe à vous .

Le mémoire que je vous ai envoyé sur mes affaires m'a paru indispensable, car je ne sais point du tout en quel état je suis avec M. de Laleu qui n'écrit jamais .

On m'a mandé de Paris qu'on trouvait étrange que j'eusse fait à Ferney ce que tous les habitants y font dans les jours prescrits 2, et ce que j'y avais déjà fait lorsque mon âge était moins avancé . Je laisse dire le monde . Je crois avoir répondu sur cet article aux plaisants en termes mesurés qui ne peuvent me compromettre . La conduite que je tiens était indispensable ; elle peut d'ailleurs fermer la bouche à la calomnie qui est beaucoup plus forte que vous ne pensez . On est aisément abandonné par ceux qui nous ont mis eux-mêmes dans le péril, il faut à la fin un bouclier à l'abri duquel on puisse finir avec tranquillité ses tristes jours . Je ne les coulerai pas dans l'amertume si vous me conservez cette amitié qui en a fait le charme . Vos lettres seront ma consolation ; vous pardonnerez à ma sensibilité toute la douleur où j’ai été plongé, et que la solitude ne dissipe pas .

Chennevières me mande qu'il vous a envoyé une Princesse ; ce sont des amusements qui ont occupé un moment mon loisir, et que j'oublie ensuite pour jamais ; ce qui nourrit le cœur est la seule chose qui reste . Ce cœur est à vous jusqu'au dernier moment de ma vie .

Fay arrive et va hériter . Il dit que M. Dupuits viendra bientôt . J'embrasse Mme Dupuits dont vous ne me parlez jamais .

V. »

2 Les fameuses pâques de V* qui ont inspiré à La Harpe le commentaire suivant dans une lettre à un correspondant non identifié le 14 avril 1768 : « Tout Paris a su la scène édifiante qui s'est passée dans l’église de Ferney . On en parle bien diversement . Quant à moi qui connais l'homme, je n'en suis point du tout étonné . Tout est permis pour la bonne cause ; mais les gens rigides ne pensent pas de même ici, et l'on traite cette action de fausseté inutile . »

Elle étonne l'Europe et ses sujets la bénissent

... Marine Le Pen bien entendu !

Devant elle, le grand lèche-bottes Bardella , fort de son score aux sondages .

Leurs inepties ont encore le vent en poupe, les Français sont spécialement doués pour rejouer Trafalgar , un Napoléon n'a pas suffi pour nos experts en naufrages ; la devise est de plus en plus fluctuat et cito fluit .

 

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https://www.lopinion.fr/de-qui-se-moque-t-on/dessin-jordan-bardella-lheritier-rassemblement-national-le-pen-fils-fille

 

 

« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

Au château de Ferney par Genève 19è avril 1768 1

J'ai toujours eu l'honneur, madame, de vous répondre très exactement quand vous m'avez fait celui de m’écrire de l'abominable château que vous habitiez . Vous voilà maintenant à Hambourg où vous ne resterez peut-être pas longtemps . Quand vous voudrez habiter un château où il y a des portes et des fenêtres comme dans celui du baron de Tonder Thentronck j'en ai un à votre service où vous serez la maîtresse absolue, et tant que je vivrai il sera à votre service . J'ai couru comme vous le monde, et je  me suis enfin bien trouvé de m'être fixé . Vous ne trouveriez nulle part une plus belle vue, ni des promenades plus agréables, ni plus de liberté ; et vous auriez de la société quand vous en voudriez . Mais je crains bien que vous ne regardiez mon château comme un château en Espagne .

Vous avez une héroïne par-delà Hambourg en tirant droit vers le nord qui pourrait bien avoir la préférence sur moi . Elle étonne l'Europe et ses sujets la bénissent . Mais peut-être êtes-vous dégoûtée des impératrices .

Quand vous n'aurez rien à faire, souvenez-vous d'un ancien ami qui vous sera attaché avec le plus tendre respect jusqu'au dernier moment de sa vie . Je vous promets que quand je mourrai ( ce qui arrivera bientôt ) je vous donnerai la préférence sur tous les curés et sur tous les prédicants du voisinage .

N. B. – Je vous avertis, madame, que le château de Ferney est pendant l’été un des plus beaux de la nature . Je vous défie d'avoir sur l'Elbe une aussi jolie maison.

Agréez encore une fois mon respect et mes regrets . 

V.»

1 Cette lettre de V* répond à une lettre très mélancolique de la comtesse, laquelle avait appris par un correspondant que V* s'était séparé de Mme Denis . Voici sa lettre :

« Hambourg le 28 mars 1768

Après plus de trois années d'oubli et de silence, à peine peut-être vous rappelez-vous de mon nom . Je fais encore une tentative, monsieur, pour essayer de réveiller chez vous cette bienveillance, cette amitié si chère, si flatteuse pour moi, qui avait résisté aux vicissitudes du temps ; au tourbillon des cours ; à l'absence ; au peu que je pouvais mériter ; et qui tout à coup a paru s'éteindre et s'anéantir, par un effet si triste pour moi, dont la cause m'est toujours restée inconnue.

Dussiez-vous vous impatienter contre une importunité que le sentiment seul a pu vous attirer ; dussiez-vous le garder encore ce silence qui m'afflige, qui me désole, il ne s'agit point de vanité ici, il s'agit d'amitié, d'estime, de vénération, enfin de tout ce que le cœur peut ressentir de plus intéressant . L'ami , le bienfaiteur de l'humanité serait-il insensible à la sincérité d'une des personnes du monde qui l'a de toute sa vie le plus sincèrement admiré ? dont l'hommage ne saurait lui être suspect d'aucun des faux jours qui déshonorent ceux que la fraude, la légèreté, l'intérêt, ou quelque autre mauvais motif peut arracher ? Je vais m'émanciper à vous parler un moment de moi, de ma présente situation comme si vous daigniez encore vous y intéresser . Vous verrez que c'est le cœur seul qui me fait parler ; et peut-être serez-vous touché du sentiment qui m'anime , peut-être aurai-je la douceur de vous retrouver le même pour moi .

Les dernières lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire, il y a près de trois ans du vieux château de Jever, et auxquelles je n'ai eu aucune réponse vous ont dit que j'y passais des jours assez doux, à cause du voisinage de ma bonne vieille mère ; mais du reste assez triste par le mauvais air, et le manque total de la moindre société .

Nos santés respectives s'en sont cruellement ressenties . Ma mère pouvait encore s’aérer et se refaire quelquefois, à son château ; mais j'ai si bien avalé les exhalaisons de ces marais croupissants que je suis presque aux abois . J'avais trois nièces charmantes qui faisaient la douceur de ma vie . Deux ont été placées à des cours, où elles ne sont point heureuses ; et la troisième, la plus aimable, est morte entre mes bras de la petite vérole . Les veilles, la douleur m'ont mises à deux doigts de la mort . J'ai eu deux ou trois maladies mortelles . Je ne me suis plus traînée pendant toute une année qu'à l'aide d'un bâton .

Enfin tant de peines, et d'autres inconvénients ; ce château quasi insoutenable en hiver, et qu'il ne dépendait pas de moi de faire réparer, m'a obligée de choisir un autre séjour l'année passée . Je verrai […] ma bonne mère à Brême, un couple de mois, et je passe le reste du temps à Hambourg . J'y ai une parente, des liaisons et assez de liberté . Ma santé ruinée me prive presque de tout . Je suis plus souvent au lit qu'ailleurs . Enfin je ne crois pas que je la ferai longue, ni que j'attendrai comme ma mère les quatre-vingt-onze ans, qu'elle porte plus lestement que moi mes cinquante . Me laisserez-vous mourir, monsieur, sans me donner encore une seule marque d’amitié ? Une ligne qui me dise que vous rendez justice à l'extrême attachement qui n'a jamais varié, jamais diminué pour vous, depuis que vous-même, avant de me connaître, m'aviez appris à essayer au moins de penser ?

Oui, monsieur, je ne sais si je souffrirai encore longtemps les maux physiques, et les dégoûts moraux de la vie, mais je sais bien que ce que j'ambitionne le plus , c'est d'obtenir encore un sentiment de bonté, un retour de souvenir de votre part .

Ce n'est point votre célébrité, l’orgueil de recevoir des lettres de l'homme du siècle qui me donne ce désir si vif . J'ai connu il y a trente ans peut-être cette vanité . Elle est morte en moi, comme la plupart des passions . L'attendrissement que m'inspire le bienfaiteur du genre humain, celui qui a passé sa glorieuse et utile vie à détruire les préjugés, qui seul m'a enseigné à les connaître, à m'en défier, qui m'a fait aimer la justice, la vérité et la vertu ; le grand homme à qui les Calas, les Sirven ont dû leur salut, celui qui mérite l'hommage, l'éternelle gratitude des protestants, de l'innocence opprimée le noble ennemi des erreurs, le bienfaiteur de tous mes contemporains et le mien, cet attendrissement si juste et si tendre que lui seul peut inspirer à de tels titres, voilà monsieur le mouvement qui me guide . On m'a dit l'autre jour que vous étiez malade², que vous aviez des chagrins ; mon cœur s'est senti déchiré , j'ai cru sentir tout cela moi-même pour vous . Eh bon Dieu qui est-ce donc qui doive aspirer au bonheur , si le ciel peut permettre qu'il manque quelque chose au vôtre ? Votre respectable vieillesse est l'objet qui doit intéresser tout le genre humain . C'est le père de l'humanité qu’elle doit honorer en vous . Chaque être pensant vous doit tout . Que la terre entière l'oublie, je ne l'oublierai jamais . Dédaignez, négligez-moi, si vous le pouvez, si vous le voulez . Refusez-moi l'unique consolation que je vous demande . Ce sera un tort, un tort unique que vous aurez, il m'affligera extrêmement ; mais il ne me paraîtra à moi-même qu'un point , qu'un atome, qui disparaîtra dans l’immensité de vos bienfaits, et qui ne m’ôtera rien de cet attachement, de cette vénération intime, qui vous appartient et que je compte d’emporter au tombeau, et peut-être au-delà, si vous me fâchez . Ah monsieur, que quelques lignes me feraient plaisir ; et voudriez-vous contre moi seule vous refuser au charme de faire des heureux ?

Comtesse de Bentinck née d'Altenburg.

21/12/2023

Les bulletins de Paris sont faits par des gens qui ramassent ce qu'ils entendent dire dans les cafés, et qui mentent pour gagner de l'argent

...

 

« A Jean Ribote-Charron, etc.

à Montauban

16è avril 1768

Il n’y a pas un mot de vrai, monsieur, à tous les bruits qui se sont répandus dans les provinces . Les bulletins de Paris sont faits par des gens qui ramassent ce qu'ils entendent dire dans les cafés, et qui mentent pour gagner de l'argent . Le Compère Matthieu est un assez mauvais ouvrage dont le dernier volume surtout est détestable . Cela est composé par un moine défroqué qui a de l'esprit, mais qui n'a pas le ton de la bonne compagnie .

On ignore encore si on doit sous l'enveloppe de monsieur l'intendant 1 en mettre une autre pour M. Baudinot son premier secrétaire .

On vous fait mille compliments sincères. »

1 S'il s'agit bien de l'intendant de Montauban, c'est Alexis-François-Joseph de Gourgues ; voir : https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc40086n

et : https://books.openedition.org/igpde/16883?lang=fr

20/12/2023

Je fais plus de cas d'un philosophe ... qui honore la médiocrité de sa fortune que d'un hypocrite nageant dans l'opulence, et se pavanant dans sa fausse grandeur

...

 

« A Claude-Germain Le Clerc de Montmercy 1

16è avril 1768

Plus j’avance en âge, monsieur, plus j'aime la philosophie et les philosophes ; jugez si j'ai conservé pour vous les sentiments d'une véritable amitié . Tout ce que vous m'avez jamais écrit a été conforme à ma manière de penser, excepté les éloges dont vous me comblez, éloges dont je suis redevable à votre seule indulgence .

Il est triste que tandis que la raison élève sa voix dans presque toute l'Europe, le fanatisme fasse toujours entendre ses cris dans Paris . Les honnêtes gens se taisent ou sont persécutés ; les fripons sont récompensés . Je fais plus de cas d'un philosophe comme vous qui honore la médiocrité de sa fortune que d'un hypocrite nageant dans l'opulence, et se pavanant dans sa fausse grandeur .

Comptez que je vous suis véritablement attaché .

V. »

1 Leclerc de Montmercy était poète, philosophe, avocat, botaniste, physicien, médecin, anatomiste ; il savait tout ce qu’on pouvait apprendre ; il mourut de faim dans son galetas ; mais il était savant… : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Cousin_d%E2%80%99Avallon_-_Diderotiana.djvu/70

Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65165379

19/12/2023

J'aimerais mieux mourir entre les bras d'un poète et d'un ami comme vous, qu'entre les mains de mon curé

... Qu'on se le dise !

C'est valable aussi contre tout rabbin et tout enturbanné qui gagne sa vie en prêchant . Ma vie éternelle n'a pas besoin d'un bon d'envoi . Redevenir poussière d'étoile, comme le dit si bien Hubert Reves, est une perspective suffisante dans l'état actuel de la connaissance . Enfer  , ou paradis avec ou sans purgatoire, réincarnations : quelles boeufferies !

 

 

« A George Keate Esqr

Nandos Coffeehouse

London

Monsieur,

J'ai vu le poème dont vous m'avez honoré 1 , annoncé dans les journaux, et je ne l’ai point reçu . Je suis réduit à l'entendre louer par d'autres, et je ne puis vous remercier que sur la voix publique . Je soupçonne que ce poème qui est l’objet de mes remerciements et de mes regrets est au nombre de plusieurs paquets qui ne me sont point parvenus . Il y a eu depuis plusieurs mois peu d'ordre dans les postes de Genève . Si vous pouviez me faire l'amitié de charger quelque ami de me faire parvenir cet ouvrage après lequel je soupire, je vous aurais une extrême obligation . Vous me rendrez Ferney plus cher, votre poésie l'embellira beaucoup plus que tous les architectes et les jardiniers ne pourraient faire . Horace a été obligé de chanter lui-même sa terre de Sabine, je serai plus heureux que lui . Mais Ferney me serait plus précieux encore si jamais je pouvais avoir le bonheur de vous y revoir . J'aimerais mieux mourir entre les bras d'un poète et d'un ami comme vous, qu'entre les mains de mon curé, quoique je lui soit très attaché .

Votre très humble et très obéissant serviteur

V.

A Ferney 16è avril 1768. »

18/12/2023

Encore une fois ne croyez rien de tout ce qu'on dit

... et de tout ce que vous voyez sur les réseaux sociaux, terrains de chasse d' "influenceurs" débiles et menteurs . Comment les utiliser sans se faire arnaquer : https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/b...

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Bull shit à gogo

Comme si croire au père Noël n'était pas déjà de trop

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

16 avril 1768 1

Encore une fois ne croyez rien de tout ce qu'on dit 2. Vous sentez bien, mon cher ami, qu'il est absurde que, quand des alguazils viennent de saisir des premiers venus qu'ils rencontrent dans une assemblée illicite, il y ait une dispute de générosité entre un père et un fils à qui restera entre leurs mains . Ce serait bon si le père avait été désigné, et si le fils s'était mis à sa place, mais ce n’est point du tout le cas dont il s'agit . Je sais bien que le jeune homme l'a dit depuis peu pour rendre la chose plus touchante, mais cela est aussi incroyable qu'il l'est dans la pièce que le galérien craigne d'avouer à sa maîtresse qu'il est aux galères pour son père.

Les orages sont toujours violents, voilà qui est très certain . Mon cher ami, les Grecs étaient légers et atroces ; aussi sont les Welches . Le bœuf tigre est un monstre, et les jésuites n'ont jamais fait tant de mal qu'en feront les jansénistes ; cette faction est plus odieuse que celle de la ligue . »

1  Nous avons ici la dernière lettre connue à Damilaville (il y en eut certainement d'autres) , celui-ci mourra, apparemment d'un cancer de la gorge, le 13 décembre 1768 .

Voir : https://data.bnf.fr/fr/12069704/etienne-noel_damilaville/

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_No%C3%ABl_D%27Amilaville

2   Allusion au cas de Fabre ; voir la lettre du 11 avril 1768 à Falbaire de Quingey : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/12/11/batard-du-batard-de-zoile-6475141.html

Tous les honnêtes gens seront donc pour lui, et, quoi qu’on dise, il y en a beaucoup en France

... Puisses-tu dire vrai ami Voltaire !

 

 

« A Michel-Paul-Guy de Chabanon, de

l'Académie des belles-lettres

rue du Doyenné Saint-Louis du Louvre à Paris

16è avril 1768

Je crains bien, mon cher ami, d’avoir été trop sévère et même un peu dur dans mes remarques sur Eudoxie ; mais, avant l’impression, il faut se rendre extrêmement difficile, après quoi on n’est plus qu’indulgent, et on soutient avec chaleur la cause qu’on a crue douteuse dans le secret du cabinet. C’est ainsi que mon amitié est faite : plus mes critiques sont sévères, plus vous devez voir combien je m’intéresse à vous.

Je n’ai pas encore profité de vos conseils auprès de M. de Sartines. J’ai craint que l’Homme aux quarante écus et la Princesse de Babylone ne fussent pas des ouvrages assez sérieux pour être présentés à un magistrat continuellement chargé des détails les plus importants. Je lui réserve le Siècle de Louis XIV, dont on fait une nouvelle édition, augmentée d’un grand tiers. J’espère que le catalogue raisonné des artistes et des gens de lettres ne vous déplaira pas ; c’est par là que je commence : car c’est le Siècle de Louis XIV que j’écris, plutôt que la vie de ce monarque ; et vous pensez avec moi que la gloire de ces temps illustres est due principalement aux beaux-arts. Il ne reste souvent d’une bataille qu’un confus souvenir : les arts seuls vont à l’immortalité.

Il est assez désagréable, lorsque je suis uniquement occupé d’un ouvrage que j’ose dire si important, qu’on ne cesse de m’attribuer les ouvrages du mathurin du Laurens et les insolences bataviques de Marc-Michel Rey, et je ne sais quel Catéchumène qui est tout étonné de trouver des temples chez des peuples policés, et le petit livre des Trois Imposteurs, tant de fois renouvelé et tant de fois méprisé, et cent autres brochures pareilles qu’un homme qui écrirait aussi vite qu’Esdras 1 ne pourrait composer en deux années. Il se trouve toujours des gens charitables et nullement absurdes qui favorisent ces calomnies, qui les répandent à la cour avec un zèle très dévot : Dieu les bénisse ! mais Dieu nous préserve d’eux !

Je crois la très désagréable aventure de La Harpe entièrement oubliée ; car il faut bien que de telles misères n’aient qu’un temps fort court. Pour moi, je n’y songe plus du tout.

Oui, mon très aimable ami, je suis sensible ; mais c’est à l’amitié que je le suis. Je plains notre cher pandorien 2 du fond de mon cœur ; mais ce qu’il m’a mandé me donne bonne opinion de son procès . Il est clair qu’il a affaire à un coquin hypocrite. Tous les honnêtes gens seront donc pour lui, et, quoi qu’on dise, il y en a beaucoup en France.

Je vous embrasse le plus tendrement du monde.

V. »

1 Esdras, de la classe sacerdotale des Juifs, ayant obtenu du roi Artaxercès Longue-main la permission de ramener à Jérusalem les Hébreux captifs qui n'avaient pas suivi Zonobabel (467 av. J.C) travailla à la restauration du culte et à la révision des Écritures . V* lui attribue une part importante dans leur composition . Voir lettre de 1721 à Thieriot qu'il compare à Esdras : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Esdras

2 Allusion à la plainte du musicien La Borde qui a composé la musique de Pandore contre le prêtre André de Claustre ; voir son Procès de Claustre, 1769 : https://fr.wikisource.org/wiki/Proc%C3%A8s_de_Claustre/%C...