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18/12/2024

Tolérance. C’est un nom devenu respectable et sacré dans les trois quarts de l’Europe ; mais il est encore en horreur chez les misérables dévots

... Intégristes de toutes couleurs et de tous pays, le temps viendra où vous disparaitrez inéluctablement ; vos excès vous condamnent .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

19 juin 1769

Mes divins anges sauront que j’ai envoyé quatre exemplaires des Guèbres à M. Marin : l’un pour vous ; le second pour lui ; le troisième pour l’impression ; le quatrième pour Mme Denis.

Je ne suis pas à présent en état d’en juger, parce que je suis assez malade ; mais, autant qu’il peut m’en souvenir, cet ouvrage me paraissait fort honnête et fort utile, il y a quelques jours, dans le temps que je souffrais un peu moins. Il en sera tout ce qu’il plaira à Dieu et à la barbarie dans laquelle nous sommes actuellement plongés.

Eh bien, mon cher ange, nous n’avons donc vécu que pour voir anéantir la scène française qui faisait vos délices et ma passion. Je ne m’attendais pas que le théâtre de Paris mourrait avant moi. Il faut se soumettre à sa destinée. Je suis né quand Racine vivait encore, et je finis mes jours dans le temps du Siège de Calais, et dans le triomphe de l’opéra-comique. Un peu de philosophie consolait notre malheureux siècle de sa décadence ; mais comme on traite la philosophie, et comme elle est écrasée par la superstition tyrannique ! Les Guèbres me paraissaient faits pour soutenir un peu la philosophie et le bon goût ; mais voilà qu’un pédant du Châtelet 1 s’oppose à l’un et à l’autre, et on ne sait à qui s’adresser contre ce barbare. Je m’en remets à vous. Nous n’avons contre les Goths et les Vandales que la voix des honnêtes gens. Vous les ameuterez ; les honnêtes gens l’emportent à la longue.

Celui qui a imprimé Les Guèbres dans mon pays sauvage, ne sachant pas de qui était cette tragédie, me l’a dédiée. Il a cru cette dédicace nécessaire pour recommander la pièce, et la faire vendre dans les pays étrangers, où l’on ne juge que sur parole. J’ai soigneusement retranché cette dédicace, qui serait aussi mal reçue à Paris qu’elle est bien accueillie ailleurs.

On a supprimé aussi le titre de La Tolérance, dont le nom effarouche plus d’une oreille dans votre pays. Cette tragédie est imprimée chez l’étranger sous ce titre de Tolérance. C’est un nom devenu respectable et sacré dans les trois quarts de l’Europe ; mais il est encore en horreur chez les misérables dévots de la contrée des Welches. Trémoussez-vous, mes chers anges, pour écraser habilement le monstre du fanatisme. Comptez que vous lui donnerez 2 un rude coup en donnant aux Guèbres quelque accès dans le monde. Vous me direz peut-être que ce fanatisme triomphe d’une certaine cérémonie qu’un certain ennemi des coquins a faite il y a quelques mois ; mais cette cérémonie servira un jour à mieux manifester la turpitude de ce monstre infernal . Il y a des choses qu’on ne peut pas dire à présent. Le public juge de tout à tort et à travers ; laissez faire, tout viendra en son temps.

Je me mets à l’ombre de vos ailes. »

2 Le texte édité met porterez au lieu de donnerez .

17/12/2024

Je me soucie peu des vains discours de ceux qui n'ayant rien à faire se mêlent toujours de censurer ce que les autres font

... Droit dans ses bottes le Bayrou fâché !

 

 

« A Marie-Louise Denis

19 juin [1769 de Ferney 1]

Dieu ne saurait empêcher que ce qui est fait ne soit fait . Que j'aie eu tort ou non d'être trop sensible, il n'importe . Je l'ai été , je n'ai pu m'imaginer qu'on pût de sang-froid dire une chose si cruelle 2 à un vieillard dont on n'avait nul sujet de se plaindre, et conserver de l'amitié pour lui . Il est dur de se sentir méprisé et haï à mon âge . J'ai cru l'être . Qu'en est-il arrivé ? Je m'en suis puni moi-même , et moi seul . J'ai jugé qu'on devait cacher sa vieillesse et sa douleur dans la solitude avant d'ensevelir l'un et l'autre dans la bière . J'ai dévoré seul mon chagrin pendant seize mois, et si l’étude n'avait pas un peu consolé mon état, je serais mort .

Joignez à mes peines des souffrances de corps presque continuelles, et jugez qui, de vous ou de moi, a été le plus malheureux . Je ne sais comment je finirai ma vie, mais ce qui est bien sûr, ma chère nièce, c'est que je la finirai en vous aimant . Il est bien certain que si je ne vous avais pas aimée, mon affliction aurait été moins douloureuse .

L'idée d'être séparé de vous est affreuse, celle de vous voir à Genève tandis que je serais à Ferney ne l'est pas moins . Je me soucie peu des vains discours de ceux qui n'ayant rien à faire se mêlent toujours de censurer ce que les autres font . Mais il est certain que rien ne ferait un plus mauvais effet que de voir ma nièce à qui Ferney appartient attendre deux lieues de là . Il vaudrait cent fois mieux que j'allasse m'ensevelir ailleurs de mon vivant que que vous vinssiez vous établir à Ferney.

Le mieux serait sans doute que j'achevasse ma vie auprès de vous, soit à Ferney soit dans un faubourg de Paris . Je ne connais pas un troisième parti qui ne soit cruel . Il y a des situations où l'on ne peut être que mal . Cependant j’ai fait tout ce que j'ai pu au monde pour que vous oyez bien . Le fracas d'une maison ouverte ne nous convient plus, et mon âge, mes goûts, mes maladies me rendent cette vie bruyante insupportable . La solitude avec moi à Ferney serait un fardeau que vous ne pourriez soutenir . Vous êtes à l’étroit à présent parce qu'il vous a fallu acheter des meubles, et que vous avez vu chez vous beaucoup de monde . Je suis embarrassé de mon côté parce que le Châtelard coûte une fois plus qu'on ne croyait comme cela arrive toujours et que le trésorier du duc de Virtemberg m'a manqué de parole . Dans cette situation, voyons bien tous deux ce que nous voulons devenir . Consultez avec vous-même . Il arrive souvent qu'on ne sait pas précisément ce qu'on veut, et cet état est très pénible . Pour moi je sais très bien que je veux que vous soyez heureuse . Décidez de la manière dont vous voulez l'être . Faites un plan et je bâtirai dessus. J'ignore si vous êtes toujours à Rueil 3, et combien de temps vous y serez .

Choudens 4 continue toujours son procès . Si on nomme des experts ils se feront un plaisir de décider contre nous . Les paysans n’en usent jamais autrement avec les seigneurs , et dans le pays de Gex ce sont les paysans qui en sont crus quand il s'agit dévaluer un domaine .

Il y a un exemplaire des Guèbres pour vous chez M. Marin . Nous verrons ce que cet ouvrage deviendra . Les honnêtes gens devraient un peu s’ameuter dans cette occasion, mais les honnêtes gens sont bien tièdes . Comptes que ce n'est pas avec tiédeur que je vous aime . 

V.»

1 Ces trois mots sont ajoutés par Mme Denis sur le manuscrit.

2 Cette « chose si cruelle » semble avoir été, selon Wagnière, qu'elle aurait dit à son oncle que « les représentants ne l’aimaient pas plus que les négatifs ».

3 En effet une lettre du 19 juin de Mme Denis à Hennin est datée « de Rueil », écrit Ruel sur le manuscrit, comme dans la lettre du 23 juin 1769, avec un cachet de poste de Nanterre . Dans cette lettre Mme Denis se plaint de l'influence que H « M. D. » (Durey) exerce sur son oncle et du fait qu'elle n'a pas reçu de lettre de lui depuis près de trois semaines, « ce qui ne [lui] est pas encore arrivé depuis qu'[elle est ] à Paris «  . Elle explique aussi qu'elle est « à la campagne par raison, pour éviter la dépense de Paris » ; son état étant « fort peu assuré », elle « crain[t ] toujours de [s'] endetter.". »

4 Jacques-Louis de Choudens qui a vendu à V* une propriété à Colovrex dont le titre est incertain ; voir lettre du 16 mai 1759 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/30/je-veux-peupler-mes-terres-d-hommes-et-de-perdrix-5402179.html

on tâchera d'en venir à bout dans quelques jours

... Nominations ministérielles ? Ou sauvetage à Mayotte ?

En passant, la minute de silence des députés pour honorer les morts à Mayotte est l'archétype du cautère sur la jambe de bois . Mesdames et messieurs vous êtes plus doués pour les effets de manche que pour construire le bien de la nation ;  arrêtez vos discours stériles et imbéciles .

 

« A Gabriel Cramer

[juin 1769 ?] 1

Je vous envoie économie de paroles . Si je n’étais pas très malade, je vous enverrais davantage .

S'il ne tient qu'à vous faire tenir beaucoup de manuscrits à la fois, on tâchera d'en venir à bout dans quelques jours.

Au reste, il est tout aussi aisé de débiter un volume séparé, que de débiter une Histoire du Parlement en un seul volume . Je vous répète, mon cher Gabriel, que je vous conseille de m'imprimer de mon vivant, car après ma mort je ne m'en soucie point du tout . »

1 Date incertaine . Ce billet pourrait aussi bien avoir été écrit dix-huit mois plus tard .

16/12/2024

On lui sera fort obligé

... Oui, on sera reconnaissant au pape s'il revoit ses prises de position sur la laïcité française et quelques idées rétrogrades touchant la vie des femmes, et ses considérations "de sous culture" concernant les idées du Siècle des Lumières : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/16/la-discutable-lecon-de-laicite-du-pape_6451425_3232.html

 

 

 

« A monsieur [Paul-Claude] Moultou 1

à Genève

[vers juin 1769]

Monsieur de Moultou est supplié de se souvenir qu'il a promis à son ami d'envoyer chez M. Souchay le livre dont il lui a parlé . On lui sera fort obligé . On lui fait les plus tendres compliments .

Lundi au soir . »

1 Le manuscrit portait ici le mot fils, biffé . C'est donc que le père de Moultou était mort depuis peu, d'où la date proposée . Néanmoins celle-ci reste très hypothétique .

Il eût été honnête d’avouer au moins que vous vous étiez trompé ; vous pouviez vous faire un mérite de cet aveu

... Petit encouragement au président et à tous ses ministres passés, présents et à venir .

 

« A Jean-Pierre Biord 1

[vers le 15 juin 1769] 2

Monsieur,

En revenant d’un assez long voyage, j’ai revu le vieillard qui m’est très cher par mille raisons, à qui je dois la plus tendre reconnaissance, et dont je vous avais parlé dans ma lettre 3. J’avais quelques affaires à régler avec lui pour la succession d’un de nos parents nommé M. Daumart, mousquetaire du roi, qu’il a gardé neuf ans entiers chez lui, estropié, paralytique, livré continuellement à des douleurs affreuses. Vous savez qu’il en a eu soin comme de son fils ; et vous savez aussi que, quand vous passâtes à Ferney, vous ne daignâtes pas venir consoler cet infortuné, après le grand repas que le seigneur du lieu vous fit porter chez le curé.

Ce n’est pas votre méthode, monsieur, de consoler les mourants ; vous vous bornez à les persécuter, eux et les vivants, autant qu’il est en vous. J’ai trouvé le parent de feu M. Daumart et le mien très-malade, et ayant plus besoin de médecins que de vos lettres, qu’il m’a montrées, et qui n’ont paru que des libelles à tous ceux qui les ont vues.

Il se faisait lire à table (où il ne se met que pour recevoir ses hôtes) les sermons du P. Massillon 4selon sa coutume. Le sermon qu’on lisait roulait sur la calomnie. Faites-vous faire la même lecture : il est triste que vous en ayez besoin.

Mais relisez surtout le portrait que fait saint Paul de la charité 5; vous verrez s’il approuve les impostures, les délations malignes, les injures, et toutes les manœuvres de la méchanceté.

Vous n’avez pas oublié que mon parent, en rendant le pain bénit dans sa paroisse, le jour de Pâques 1768, ayant recommandé à voix basse à son curé de prier pour la reine qui était en danger, vous eûtes le malheur d’écrire à son roi qu’il avait prêché dans l’église.

Vous vous souvenez que vous eûtes l’indiscrétion (pour ne rien dire de plus fort) de publier une lettre que M. le comte de Saint-Florentin 6 vous écrivit en réponse, au nom de Sa Majesté Très-Chrétienne, avant que cette imposture ridicule fût juridiquement reconnue ; vous eûtes la discrétion de ne pas montrer l’autre lettre que vous reçûtes, à ce qu’on dit, du même ministre 7, quand tout l’opprobre de cette accusation absurde demeura à l’accusateur.

Il eût été honnête d’avouer au moins que vous vous étiez trompé ; vous pouviez vous faire un mérite de cet aveu. Vous le deviez comme chrétien, comme prêtre, comme homme.

Au lieu de prendre ce parti, vous publiâtes et vous fîtes imprimer, monsieur, la première lettre de M. le comte de Saint-Florentin, ministre d’État d’un roi de France, sous ce titre : Lettre de M. de. Saint-Florentin à monseigneur l’évêque d’Annecy. C’est dommage que vous n’ayez pas mis : À Sa Grandeur monseigneur l’évêque prince de Genève ; si vous êtes prince de Genève, il vous faut de l’altesse. Avouez que vous seriez une singulière altesse 8.

Mais il n’est pas ici question de dignités, de titres, et de toutes les puérilités de la vanité, qui vous sont si chères et qui vous conviennent si peu. Il s’agit d’équité, il s’agit d’honneur : tâchez que cela vous convienne.

Si vous connaissez les premiers éléments du savoir-vivre, concevez combien il est indécent de faire publier, non-seulement la lettre d’un ministre d’État, sans sa permission, mais les lettres du moindre des citoyens. C’est donc en cela seul que vous êtes homme de lettres ! Au lieu d’agir en pasteur qui doit exhorter, et ensuite se taire, vous commencez par calomnier, et ensuite vous faites imprimer votre petit Commercium epistolicum 9, pour vous donner la réputation d’un bel esprit savoyard. Vous y parlez d’orthographe : ne trouvez-vous pas que cela est bien épiscopal ? Quand on a voulu perdre un homme innocent, savez-vous ce qui serait épiscopal ? Ce serait de lui demander pardon. Mais vous êtes bien loin de remplir ce devoir, et de vous repentir de votre manœuvre.

Vous lui imputez, à ce que je vois par vos lettres, des livres misérables, et jusqu’à la Théologie portative 10, ouvrage fait apparemment dans quelque cabaret : vous n’êtes pas obligé d’avoir du goût, mais vous êtes obligé d’être juste.

Comment avez-vous pu lui dire qu’on lui attribue la traduction du fameux Discours de l’empereur Julien, tandis que vous devez savoir que cette traduction, si bien faite et accompagnée de remarques judicieuses, est du chambellan du Julien de nos jours , je veux dire d’un roi victorieux et philosophe, et je ne veux dire que cela.

Comment ignorez-vous que ce livre est imprimé, débité à Berlin, et dédié au respectable beau-frère de ce grand roi et de ce grand capitaine ? Souvenez-vous du fou des fables d’Ésope, qui jetait des pierres à un simple citoyen, « Je ne peux vous donner que quelques oboles, lui dit le citoyen ; adressez-vous à un grand seigneur, vous serez mieux payé 11. »

Adressez-vous donc, monsieur, au souverain que sert M. le marquis d’Argens, auteur de la traduction du Discours de Julien 12, et soyez sûr que vous serez payé comme vous méritez de l’être. Faites mieux, examinez devant Dieu votre conduite.

Vous avez cru pouvoir faire chasser de ses terres celui qui n’y a fait que du bien ; arracher aux pauvres celui qui les fait vivre, qui rebâtit leurs maisons, qui relève leur charrue, qui encourage leurs mariages, qui par là est utile à l’État ; un vieillard qui a deux fois votre âge ; un homme qui devait attendre de vous d’autant plus d’égards que toute votre famille lui a toujours été chère : votre grand-père a bâti de ses mains un pavillon de sa basse-cour ; vos proches parents travaillent actuellement à ses granges ; et votre cousin, nommé Mudri, a demandé depuis peu à être son fermier. Plût à Dieu qu’il l’eût été ! il eût pu adoucir la mauvaise humeur qui vous dévore contre un seigneur de paroisse vertueux qui ne vous a jamais offensé, et qui ne donne à ses paroissiens que des exemples de charité, de véritable piété, de douceur et de concorde. Quoi ! vous avez osé demander qu’on le fit sortir de ses terres, parce que des brouillons vous ont dit qu’il vous trouvait ridicule ? Quoi ! vous avez proposé la plus cruelle injustice au plus juste de tous les rois ? Sachez connaître le siècle où nous vivons, la magnanimité du roi qui nous gouverne, l’équité de ses ministres, les lois que tous les parlements soutiennent contre des entreprises aussi illicites qu’odieuses.

D’où vient que le curé du seigneur de paroisse que vous insultez chérit sa vertu, sa piété, sa charité, sa bienfaisance, ses mœurs, l’ordre qui est dans sa maison et dans ses terres ? D’où vient que ses vassaux et ses voisins le bénissent ? D’où vient que le premier président du parlement de Bourgogne et le procureur général le protègent ? D’où vient qu’il a de même la protection déclarée du gouverneur ? D’où vient que le grand pape Benoît XIV et son secrétaire des brefs, le cardinal Passionei, digne ministre d’un tel pape, l’ont honoré d’une bonté constante ? Et d’où vient enfin que vous êtes son seul ennemi ? Est-ce parce qu’il a remboursé à ses vassaux l’argent que vous avez exigé d’eux quand vous êtes venu faire votre visite ? argent que vous ne deviez pas prendre, et que depuis il vous a été défendu de prendre en Savoie ?

Celui que vous insultez, prosterné aux pieds des autels, prie Dieu pour vous, au lieu de répondre à vos injures : il n’y répondra jamais ; et dans le lit de mort où il souffre et où vous serez comme lui, il n’est ni en état ni en volonté de repousser vos outrages et vos manœuvres.

C’est ici que je dois surtout vous parler de l’impertinente Profession de foi supposée, dans laquelle on a la bêtise de lui faire dire que la seconde personne de la Trinité s’appelle Jésus-Christ, comme si on ne le savait pas ; et qu’il condamne toutes les hérésies et tous les mauvais sens qu’on leur donne 13.

Quel sacristain ivre a jamais pu composer un pareil galimatias ? Quel brouillon a pu faire dire à un séculier qu’il condamne les hérésies ? Je ne crois pas que vous soyez l’auteur de cette pièce extravagante. Vous devez savoir que notre sage monarque a imposé le silence à tous ces ridicules reproches d’hérésie, par un édit solennel, enregistré dans tous nos parlements. D’ailleurs, un seigneur de paroisse qui habite auprès du canton de Berne et aux portes de Genève doit de très-grands égards à ces deux républiques. Les noms d’hérétiques, de huguenots, de papistes, sont proscrits par nos traités. Mon parent se contente de prier Dieu pour la prospérité des treize cantons et de leurs alliés, ses voisins.

S’il n’est pas de la communion de Berne, il est de sa religion, en ce que le conseil de Berne est noble et juste, bienfaisant et généreux ; en ce qu’il a donné des secours à la famille des Sirven 14, opprimée par un juge de village, ignorant et fanatique ; entendez-vous, ignorant et fanatique ? En un mot, il respecte le conseil de Berne, et laisse à vos grands théologaux le soin de le damner. Il est fermement convaincu qu’il n’appartient qu’à messieurs d’Annecy d’envoyer en enfer messieurs de Berne, de Bâle, de Zuric, de Genève ; ajoutez-y le roi de Prusse, le roi d’Angleterre, celui de Danemark, les sept Provinces-Unies, la moitié de l’Allemagne, toute la Russie, la Grèce, l’Arménie, l’Abyssinie, etc., etc. Il n’appartient, dis-je, qu’à vos semblables, et surtout à l’abbé Riballier, de juger tous ces peuples, attendu qu’il a déjà quatre-nations 15 sous ses ordres ; mais pour mon parent et mon ami, il croit qu’il doit aimer tous les hommes, et attendre en silence le jugement de Dieu. Il est absolument incapable d’avoir fait une profession de foi si impertinente et si odieuse. Les faussaires qui l’ont rédigée, et qui l’ont fait signer longtemps après par des gens qui n’y étaient pas, seraient repris de justice si on les traduisait devant nos tribunaux. Les fraudes qu’on appelait jadis pieuses ne sont plus aujourd’hui que des fraudes. Celui qu’on fait parler s’en tient à la déclaration de foi qu’il fit étant en danger de mort, quand il fut administré malgré vous selon les lois du royaume : déclaration véritable 16, signée de lui par-devant notaire , déclaration juridique, par laquelle il vous pardonne, et qui démontre qu’il est meilleur chrétien que vous. Voilà sa profession de foi.

Vous avez été vicaire de paroisse à Paris ; votre esprit turbulent s’y est signalé par des billets de confession et des refus de sacrements ; soyez à l’avenir plus circonspect et plus sage. Vous êtes entre deux souverains également amis de la bienséance et de la paix ; une petite partie de votre diocèse est située en France : respectez ses lois, respectez surtout celles de l’humanité. Imitez les sages archevêques d’Albi 17, de Besançon 18, de Lyon 19, de Toulouse 20, de Narbonne 21 et tant d’autres pasteurs également pieux et prudents, qui savent entretenir la paix. Si vous faites la moindre de ces démarches que vous faisiez à Paris, et qui furent réprimées, sachez qu’on prendra la défense d’un moribond dont vous voulez avancer le dernier moment. Je me charge d’implorer la justice du parlement de Bourgogne contre vous.

J’ai renoncé depuis très longtemps au métier de la guerre ; mais je n’ai pas renoncé (il s’en faut beaucoup) aux devoirs qu’imposent la parenté, l’amitié, la reconnaissance, à un gentilhomme qui a un cœur, et qui connaît l’honneur, très inconnu aux brouillons.

Quand vous serez rentré dans les voies de la charité, de l’honnêteté et de la bienséance, dont vous vous êtes tant écarté, je serai alors, avec toutes les formules que votre amour-propre désire, et qui ont fait, à votre honte, le sujet de vos querelles,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur.22 »

1 Le sieur Biord. Voyez les Épîtres à Saint-Lambert ( https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtres_(Voltaire)/%C3%89p%C3%AEtre_105 ,

1769), à Horace ( https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89p%C3%AEtres_(Voltaire)/%C3%89p%C3%AEtre_114 ,1771). (Kehl.) — Cette lettre est bien de Voltaire ; mais elle fut signée et adressée à l’évêque d’Annecy par M. de Mauléon, qui avait longtemps servi dans le régiment du roi, et l’avait commandé en plusieurs occasions. Cet officier était cousin germain de M. de Voltaire. (Addition de Wagnière.)

Minute de la main de Bigex avec de nombreuses corrections autographes de V*, et mention de sa main : « Lettre de M. Mauléon à l'évêque d'Annecy » ; la signature « de Mauléon » a été biffée ainsi qu'un avant-dernier paragraphe : « Faites-vous informer au régiment du roi qui était mon père 1 , lequel a eu l'honneur de commander ce corps respectable ; faites-vous informer s'il n’était pas cousin germain de celui que vous calomniez ; ce sont là mes titres pour soutenir ce procès » . Le régiment du roi est à Verdun. Écrivez ». ; éd. Kehl .

2 Cette lettre est de juin 1769. C’est une composition de Voltaire que les éditeurs de Kehl s’étaient bien gardés de mettre dans la Correspondance, et qu’ils avaient placée dans les Mélanges littéraires. (Beuchot.)

3 Lettre du 17 mai 1769 , où , comme dans la présente, V* se dissimule sous le nom de Mauléon .

5 Ière épître aux Corinthiens, chap. xiii : https://www.bibliques.com/b/46co1/13.php

6 Cette lettre fait partie d’une brochure intitulée Confession de foi de messire François-Marie Arouet de Voltaire, seigneur de Ferney, Tourney, Prégny et Chambésy, précédée des pièces qui y ont rapport ; Annecy, 1769, petit in-8° de iv et 47 pages. Elle est aussi dans le cinquième volume de l’Évangile du jour, collection dont Beuchot a parlé tome XXVI : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/579

Lettre du 14 juin 1769 . Saint Florentin écrivait à Biord que le roi « applaudi[ssait] aux sages conseils » qu'il avait donnés et lui ferait « mander de ne plus faire dans l'église d'éclat aussi déplacé que celui dont [il] av[ait] avec raison fait reproche. »

7 Du 27 mai 1769 dans laquelle Saint-Florentin se disait « très surpris » de la publication par Biord de sa lettre du 14 juin 1768 et lui conseillait « de ne pas fixer de nouveau sur [Voltaire] les regards du public en élevant des doutes sur la sincérité de sa démarche à l'occasion de Pâques . »

9 Commerce épistolaire . V* joue sur la ressemblance entre épistolicum et apostolicus .

10 La Théologie portative, ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne, dont la première édition parut en 1768, est attribuée au baron d’Holbach ; elle fut publiée sous le nom de l’abbé Dernier. C’est en réponse à la Théologie portative que le professeur Allamand, de Lausanne, composa son Anti-Bernier, 1770, deux volumes in-8° : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1520517x

11 Le mot « payé » est à double entente . Plus tard V* regrettera de ne pas disposer des 160 000 hommes du roi de Prusse pour répondre aux attaques de ses ennemis .

12 Voir l’Avertissement de Beuchot, page 1 du présent volume : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome28.djvu/11

Le Discours de l'empereur Julien qui a paru en 1769 . il contient un portait de l'empereur Julien qui a déjà paru dans le Dictionnaire philosophique en 1767 .

13 À la suite des lettres que contient la brochure dont nous avons parlé, note 2 de la page 72, est une Profession de foi de M. de Voltaire, qui a été réimprimée dans le tome V de l’Évangile du jour, et dans les Mémoires de Wagnière, etc., tome I, p. 83 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86456s/f94.item

Cette Profession de foi supposée contient les expressions citées par Voltaire.

Voir lettre du 15 avril 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/16/6519171si-je-me-suis-trompe-dans-quelques-occasions-j-ai-droit-de-m-adresse.html

16 Voyez cette déclaration du 31 mars 1769, dans les Mémoires de Wagnière, tome I, page 78 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86456s/f89.item

17 Le cardinal de Bernis.

22 La minute est signée Mauléon (biffé) . V* a renoncé à ce faux grossier qui, joint au paragraphe déjà supprimé, aurait pu lui attirer des démêlés superflus .

15/12/2024

Trouvez-moi un vieux pénard qui vous en fasse autant

...Telle a dû être la conclusion de Bayrou pour pousser Macron à le nommer au poste de premier ministre .

Voir, pour preuve [sic] : https://www.ladepeche.fr/2024/12/14/nouveau-premier-minis...

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 15 juin 1769] 1

Tout en Dieu 2, oui sans doute, saint Paul l'aurait signé ; cela est par Dieu très théologique . Point de Pediculose 3, point de Dagon auprès de l'arche 4.

Pour Dieu, faites-moi avoir la Géométrie de Clairaut 5. Il y aura dans un mois plus de soixante gros articles 6 de faits par A et par B, et vous pourrez commencer dans six semaines . Trouvez-moi un vieux pénard qui vous en fasse autant . Mais je vous renonce à jamais si vous ne m'envoyez pas demain ou après-demain ou dans trois jours la Géométrie de Clairaut et les autres livres dont j’ai besoin . Fi, ! que cela est vilain de laisser manquer d’outils son premier garçon ! Il est si aisé d'envoyer quelqu'un fourrager dans la boutique de Bardin ! Je ne peux y aller moi-même ; je ne sors point, et vous courez toujours . Vous ne courrez pas tant quand vous aurez mon âge .

Je vous demande en grâce de faire chercher ces livres .

E des Guèbres va bien . »

1 Copie contemporaine . Ed. Gagnebin qui place la lettre en mai 1769 . La référence aux Guèbres amène à reculer quelque peu cette date puisque la pièce ne parut qu'à la fin juin ou début de juillet .

2 Tout en Dieu, commentaire sur Malebranche , 1769 , fut publié vers la mi-août : https://fr.wikisource.org/wiki/Tout_en_Dieu/%C3%89dition_Garnier

3L'Instruction du gardien des capucins de Raguse à frère Pediculoso, partant pour la Terre Sainte, fut publié à la fin de l'ouvrage De la paix perpétuelle [de V* ] qui parut en juillet 1769 : http://www.monsieurdevoltaire.com/search/FAC%C3%89TIE%20-%20Instruction%20du%20gardien%20des%20capucins%20de%20Raguse/

4 Lorsque l’arche d'alliance fut prise par les Philistins après leur victoire et portée dans leur temple elle fut placée à côté de leur dieu , Dagon, qui perdit la tête et les mains (Samuel, I, 4-5 : https://www.biblegateway.com/passage/?search=1%20Samuel%204-5&version=NIV )

6 A savoir les articles des Questions sur l'Encyclopédie qui paraîtront en 1771 .

14/12/2024

c’est un être fort singulier ; il ne lâche point prise ; il se retourne dans tous les sens. Je vous ferai savoir de ses nouvelles dans quinze jours

... Jolie description de François Bayrou , promu premier ministre. Qui va-t-il racoler pour former son gouvernement et qui va-t-il jeter aux oubliettes ?

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« A Nicolas-Claude Thieriot

14è juin 1769

Je n’ai pas été assez heureux, mon ancien ami, pour que l’ouvrage de M. de Mairan sur le feu central 1 parvînt jusque dans mes déserts glacés 2. Tout ce que je sais, c’est que le feu qui anime sa respectable vieillesse m’a toujours paru brillant et égal. Il me semble que M. de Mairan possède en profondeur ce que M. de Fontenelle avait en superficie. Faites-moi l’amitié de me chercher son Feu central, et d’ajouter ce petit déboursé à ceux que vous avez déjà bien voulu faire pour moi.

Il y a longtemps que je suis très certain que le feu est partout : mais je pense qu’il serait difficile de prouver qu’il y eût un foyer ardent tout au beau milieu de notre globe ; il faudrait pour cela creuser ce grand trou que proposait ce fou de Maupertuis.

À propos, puisque vous dînez avec Mme Du Pin 3 et M. de Mairan, dites-leur, je vous prie, que je voudrais bien en faire autant.

Vous avez bien raison sur le cardinal de Bernis ; c’est lui qui a fait le pape . Il fait ce qu’il veut dans Rome, il y est adoré.

Le petit magistrat m’est venu voir encore  4: c’est un être fort singulier ; il ne lâche point prise ; il se retourne dans tous les sens. Je vous ferai savoir de ses nouvelles dans quinze jours.

On a frappé en Angleterre une médaille de l’amiral Anson . C’est un chef-d’œuvre digne du temps d’Auguste. Le revers est une Victoire posée sur un cheval marin, tenant une couronne de lauriers. Les noms des principaux officiers qui firent avec lui le tour du monde sont gravés autour de la Victoire, dans de petits cartouches entourés de lauriers 5. Cela est patriotique, brillant, et neuf . La famille me l’a envoyée en or ; elle m’a fait cet honneur en qualité de citoyen du globe dont l’amiral Anson avait fait le tour 6.

Bonsoir, mon ancien ami, qui me serez toujours cher tant que je végéterai sur ce malheureux globe. »

1 Mairan a donné, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, plusieurs mémoires sur la chaleur, où il parle d’un fonds de chaleur paraissant venir du centre de la terre ; les derniers de ces mémoires sont dans le volume de 1765, pages 1 et 143. (Beuchot.)

« Nouvelles recherches sur la cause générale du chaud en été et du froid en hiver, en tant qu'elle se lie à la chaleur interne et permanente de la terre » Histoire de l'Académie royale des sciences, année 1765 ; 1768.

Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/12395086/page1

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Dortous_de_Mairan

2 L'édition Garnier donne « l’enceinte de mes montagnes de neige » .

3 Bâtarde de Samuel Bernard ; voir lettre du 8 mai 1744 à Cideville , note 2 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome36.djvu/294

4 Toujours à propos du Dépositaire ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_D%C3%A9positaire/%C3%89dition_Garnier

6 Voltaire avait consacré à l’amiral Anson un chapitre entier de son Précis du Siècle de Louis XV ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome15.djvu/322