28/06/2023
Ainsi en usent tous nos grands seigneurs . Leurs affaires sont aussi embrouillées que celles du roi . Comme je ne suis pas grand seigneur, les miennes sont fort nettes ; mais aussi personne ne me paie, et tout le monde se moque de moi
...
C'est du passé récent .
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy
7è décembre 1767 à Ferney
Mon cher magistrat, vous ne ressemblez pas à ce conseiller de grand-chambre qui, étant prié d'arranger les affaires de sa famille, répondit qu'il n’entendait pas les affaires . Vous me paraissez les entendre fort bien ; vous n'avez point de négligence quoique votre notoriété vous mette en droit d'être paresseux .
Vous verrez par l'aide authentique que je vous envoie qu'il est nécessaire que vous me donniez un petit mot de ratification conjointement avec votre mère et le gros abbé .
De plus il est nécessaire que vous préveniez les chicanes de nos seigneurs les fermiers généraux des domaines . Ils pourraient très bien vous faire payer les droits d'insinuation que vous ne devez pas ; ou essayer de vous dépouiller de vos rentes sous prétexte que l'acte n'a ni été contrôlé , ni insinué . Il n'a point été contrôlé parce qu'il a passé en Alsace où le contrôle n'a point lieu . Il n'a point été insinué parce qu'on n'insinue que les donations et les substitutions ; et que cet acte ne porte aucun de ces caractères .
Votre mère s'arrangea avec moi il y a quelques années ; et c'est en vertu de cet arrangement que vous avez tous trois de ce chef chacun deux mille livres de rente immédiatement après ma mort indépendamment de ce qui vous revient d'ailleurs . Il faut donc qu'en ratifiant cet acte vous ayez la bonté de spécifier que l'argent a été fourni en partie par par vous trois, selon les conventions faites entre nous . En effet, ma nièce votre mère m'a fourni de l'argent comptant dans un de ses voyages ; et c'est cet argent qui a servi de base à ce contrat . Il est inutile de spécifier la somme .
Vous pouvez dire en deux mots, vous, Mme de Florian et l'abbé Mignot, que vous ratifiez l'acte pour la passation duquel vous avez tous trois fourni les deniers dont la rente vous est assurée .
Je suppose que vous êtes majeur, et, quand vous ne le seriez pas, je crois que votre signature autorisée par Mme de Florian et l'abbé Mignot est très valable dans le cas dont il s'agit .
Mme de Florian étant à la campagne, vous pourrez aisément lui envoyer un modèle de procuration ; moyennant quoi, l'abbé Mignot ou vous signerez pour elle .
Cette petite formalité étant expédiée, voici une autre affaire que je confie à votre prudence et à votre amitié, bien sûr que vous ne me refuserez pas vos bons offices . Il y a dans le monde un abbé de Blet 1, prieur de je ne sais où, gentilhomme poitevin attaché depuis longtemps au maréchal de Richelieu . Il s'est chargé de débrouiller les affaires de la maison par pur attachement . C'est un homme sage, honnête et exact . M. le maréchal me doit une somme assez considérable . Elle sera selon M. de Laleu d'environ quarante-deux mille livres au mois de janvier, et selon M. l'abbé de Blet elle ne sera que d'environ vingt-sept . La raison de cette différence est probablement que le commissionnaire chargé du recouvrement par M. de Laleu, n'a point compté avec lui de toute sa recette .
Je vous supplierais donc premièrement d'éclaircir cette difficulté, et de savoir ensuite de M. de Blet comment et dans quel temps il pourra me satisfaire, en m’envoyant des lettres de change sur Lyon .
Ce même M. de Blet s'est chargé aussi des arrangements concernant la succession du prince et de la princesse de Guise, dont M. le duc de Fronsac est petit-fils et héritier par sa mère .
J'avais contribué beaucoup au mariage de M. le duc de Richelieu avec Mlle de Guise en prêtant au prince de Guise le sourdaud, vingt-cinq mille livres dont il me fit une rente viagère de deux mille cinq cents livres 2, croyant que je mourrais dans l'année .
Ce fut au contraire le sourdaud qui mourut . L'auguste princesse sa femme, sur les biens de laquelle ma rente fut hypothéquée mourut aussi . Sa fille , la duchesse de Richelieu, en fit autant, et me voici en vie encore pour quelques mois .
La succession se partage entre M. le duc de Fronsac et M. le prince de Beauvau, M. de Fronsac parce qu'il est petit-fils , M. de Beauvau parce qu’il a épousé une petite-fille .
Tout ceci posé, il faut savoir que cette succession me doit environ dix-huit mille livres, et au mois de janvier plus de vint mille livres . J'entends toujours toutes impositions déduites . L'abbé de Blet ne refusera pas d'entrer en conférence avec vous . Vous verrez ce que je peux et ce que je dois faire, et vous me fournirez s'il en est besoin, un avocat et un procureur, qui ne demeurant pas, s'il est possible, fort loin de l'hôtel de Richelieu où demeure M. l'abbé de Blet, et qui ne dédaignent pas de me rendre compte du succès de cette entremise, soit entremise de simple considération, soit entremise juridique .
Il faut vous dire que dans cette affaire le duc de Fronsac agit en son propre nom, et le prince de Beauvau au nom de ses enfants mineurs . Ainsi je soupçonne qu'il y a du juridique dans l'arrangement de cette succession .
Voici de plus ce qui est arrivé, et ce qui pourrait me nuire . Mon hypothèque pour les deux mille cinq cents livres de rente était spécialement établie sur la terre de Monjeu . Cette terre a été vendue, et je ne sais ce qui est advenu de mon hypothèque .
J'ai eu la même aventure avec M. le maréchal de Richelieu ; il a tant retourné, tant saboulé son bien, que mon hypothèque avec lui est à tous les diables . Ainsi en usent tous nos grands seigneurs . Leurs affaires sont aussi embrouillées que celles du roi .
Comme je ne suis pas grand seigneur, les miennes sont fort nettes ; mais aussi personne ne me paie, et tout le monde se moque de moi 3.
Il n'en sera pas ainsi de vous, et les bagatelles déléguées irrévocablement sur des fermiers de Franche-Comté, ne souffriront jamais de retardement . Je m'arrange actuellement en Franche-Comté ; je compte sur votre amitié pour être arrangé à Paris . Je vous demande pardon d'une si longue lettre et de tant de fatras, mais les fatras d'affaires sont l'élément d'un conseiller de la cour .
Sur ce, mon cher neveu, je vous embrasse le plus tendrement du monde .
V. »
1 Il est question de cet abbé de Blet dans une lettre de Richelieu à V* du 12 novembre 1767 ; c'est une sorte d'intendant du duc . Voir : « Blet, abbé, correspondant de Voltaire, XV 74 » https://societe-voltaire.org/cv-index.php
2 Somme ajoutée de la main de V* .
3 Ces mots et tout le monde se moque de moi sont une addition manuscrite de V*.
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27/06/2023
Nous sommes plus savants sur certains chefs intéressants que dans le siècle passé mais adieu les talents, le goût, le génie et les grâces
... En cette période de passages d'examens, les résultats de ces chers collégiens, lycéens et étudiants de tous poils viennent confirmer ce constat .
« A Michel-Paul-Guy de Chabanon , de
l'Académie des belles-lettres
rue du Doyenné-Saint-Louis-du Louvre
à Paris
Ami aussi essentiel qu'aimable, ayez tout pouvoir sur Pandore. Vous me donnez le fond de la boîte, et j'espère tout de votre goût, de la facilité de M. de La Borde. A l'égard de ma docilité, vous n'en doutez pas.
Je suis bien étonné qu'on ait fait un opéra d'Ernelinde, de Rodoald, et de Ricimer 1; cela pourrait faire souvenir les mauvais plaisants
De ce plaisant projet d'un poète ignorant
Qui de tant de héros va choisir Childebrand. 2
Le bizarre a succédé au naturel en tout genre. Nous sommes plus savants sur certains chefs intéressants que dans le siècle passé mais adieu les talents, le goût, le génie et les grâces.
Mes compliments à Rodoald je vais relire Atis 3.
J'ai peur que vous ne soyez dégoûté de l'empire romain et d'Eudoxie, depuis que vous avez vu la misère où les pauvres acteurs sont tombés. On dit qu'il n'y a que la Sorbonne qui soit plus méprisée que la Comédie française.
J'envie le bonheur de M. Dupuits, qui va vous embrasser. Je félicite M. de La Harpe de tous ses succès. Il en est si occupé qu'il n'a pas daigné m'écrire un mot depuis qu'il est parti de Ferney 4.
Mme Denis vous regrette tous les jours . Elle brave l'hiver, et j'y succombe. Je lis et j'écris des sottises au coin de mon feu, pour me dépiquer.
J'ai reçu d'excellents mémoires sur l'Inde 5. Cela me console des mauvais livres qu'on m'envoie de Paris. Ces mémoires seraient seraient mal reçus de votre Académie, et encore plus de vos théologiens. Il est prouvé que les Indiens ont des livres écrits il y a cinq mille ans . Il nous sied bien après cela de faire les entendus ! Leurs pagodes, qu'on a prises pour des représentations représentations de diables, sont évidemment les vertus personnifiées.
Je suis las des impertinences de l'Europe. Je partirai pour l'Inde, quand j'aurai de la santé et de la vigueur. En attendant, conservez-moi une amitié qui fait ma consolation.
V.
7è décembre 1767 à Ferney. »
1 Sur cet opéra, voir lettre du novembre 1767 à Chabanon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/15/je-presume-qu-il-passe-fort-agreablement-son-temps-avec-quel-6447856.html
Les paroles d'Ernelinde sont de Poinsinet, la musique de Philidor. La première représentation avait été donnée le 24 novembre 1707.
2 Boileau, Art poétique., ch. III, v. 241-242 : https://fr.wikisource.org/wiki/Boileau_-_%C5%92uvres_po%C3%A9tiques/L%E2%80%99Art_po%C3%A9tique/Chant_III#cite_note-16
La citation comme l'idée sont familières à V* à cette époque.
3 Atys, opéra de Quinault et Lully : https://www.youtube.com/watch?v=QZjJeb6MPtU&ab_channel=BonsplansClassique
4 Cette phrase a été barrée en vue de l'édition sur le manuscrit original ; elle a cependant été imprimée .
5 Phrase importante . Ces écrits sur l'Inde vont marquer profondément V* dans les cinq- six années subséquentes . Le commencement du chapitre XXIX du Précis du Siècle de Louis XV montre qu'il a reçu les deux premier volumes de l'ouvrage de John Zephaniah Holwell, Interesting Historical Events, Relative to the Provinces of Bengal, and the Empire of Indostan, 1766-1771 .
Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_29
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26/06/2023
cela va produire une file de tracasseries qui ne finira point
... Ainsi en est-il à Mayotte : https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/
La misère n'est toujours pas moins pénible au soleil, comme chantait le petit Charles .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
7 décembre à Ferney
Mon cher ange, je vous, dépêche mon gendre 1, qui ne va à Paris ni pour l'opéra de Philidor, ni pour l'Opéra-Comique, ni pour le malheureux tripot de l'expirante Comédie-Française. Il aura le bonheur de faire sa cour à mes deux anges ; cela mérite bien le voyage. De plus, il compte servir le roi, ce qui est la suprême félicité. Puisse-t-il le servir longues années en temps de paix!
J'ai vaincu mon horrible répugnance, en excédant M. le duc de Duras de l'histoire de la falsification de mon testament 2. Je vois bien que je mourrai avant d'avoir mis ordre à mes affaires comiques, et que cela va produire une file de tracasseries qui ne finira point. Le théâtre de Baron, de Lecouvreur, de Clairon, n'en deviendra pas meilleur. La décadence est venue, il faut s'y soumettre . C'est le sort de toutes les nations qui ont cultivé les lettres ; chacune a eu son siècle brillant, et dix siècles de turpitude.
Je finis actuellement par semer du blé, au lieu de semer des vers en terre ingrate, et j'achève, comme je le puis, ma ridicule carrière.
Vivez heureux en santé, en tranquillité.
Dites , je vous prie , à M. de Thibouville que j'ai écrit à M. le duc de Duras 3 .
Adieu, mon ange, que j'aimerai tendrement jusqu'au dernier moment de ma vie.
V. »
1 Dupuits .
2 Cette lettre, on l'a vu dans la lettre du 30 novembre 1767 à Lekain (http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/18/je-sais-seulement-que-le-public-doit-etre-servi-de-preferenc-6447848.html ) ne nous est pas parvenue , mais on a la réponse du duc de Duras qui dit ceci en réponse à l'article du « testament » : « Il est certain que votre testament n'a pas été .exécuté avec la bonne foi que la candeur de Mlle Dubois pouvait faire espérer . Elle a voulu vous tromper comme elle trompe ses amants et même les greluchons . Elle a adjoint quelques lignes à la lettre que vous lui avez écrit . La bonne foi de Mlle Durancy en a été la dupe et son amour-propre la détermina à quitter la comédie pour retourner à l'opéra où ses succès sont peut-être plus amers . Je sais bien ce qu'il faudrait pour mettre tout le monde d'accord . Il en existe une qui comme vous ne peut jamais être remplacée . On l'a forcé de quitter un spectacle dont elle faisait l'ornement et malgré la sagesse qui dirige les premiers gentilshommes de la chambre, j'ose dire qu'il est impossible d'avoir une conduite plus pitoyable . Je pourrais pour me justifier dire que tout s'est passé contre mon avis mais l’événement n'en a pas moins eu les suites les plus désagréables pour le spectacle . Il faudrait un prophète comme vous pour la convertir . Je ne suis ni assez jeune ni assez éloquent pour entreprendre une besogne aussi difficile . »
3 Cette phrase est supprimée dans l'édition de Kehl .
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25/06/2023
je fais des vœux au ciel avec vous pour qu'il réussisse en tout, et pour que les hommes soient moins asservis à leurs préjugés, et plus dignes d'être heureux
... Voeux pour tout chef d'Etat digne de ce nom et des peuples qui ne soient pas bornés .
http://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10688539/...
« A Stanislas-Auguste Poniatowski, roi de Pologne
6 décembre 1767
Sire,
On m'apprend que Votre Majesté semble désirer que je lui écrive. Je n'ai osé prendre cette liberté ; un certain Bourdillon 1, qui professe secrètement le droit public à Bâle, prétend que vous êtes accablé d'affaires, et qu'il faut captare mollia fandi tempora 2. Je sais bien, sire, que vous avez beaucoup d'affaires mais je suis très sûr que vous n'en êtes pas accablé, et j'ai répondu au sieur Bourdillon Rex ille superior est negotiis 3.
Ce Bourdillon s'imagine que la Pologne serait beaucoup plus riche, plus peuplée, plus heureuse, si les serfs 4 étaient affranchis, s'ils avaient la liberté du corps et de l'âme, si les restes du gouvernement gothico-slavonico-romano-sarmatique étaient abolis un jour par un prince qui ne prendrait pas le titre de fils aîné de l'Église, mais celui de fils aîné de la raison. J'ai répondu au grave Bourdillon que je ne me mêlais pas d'affaires d'État, que je me bornais à admirer, à chérir les salutaires intentions de Votre Majesté, votre génie, votre humanité, et que je laissais les Grotius et les Puffendorf ennuyer leurs lecteurs par les citations des Anciens, qui n'ont pas fait le moindre bien aux Modernes. Je sais, disais-je à mon ami Bourdillon, que les Polonais seraient cent fois plus heureux si le roi était absolument le maître, et que rien n'est plus doux que de remettre ses intérêts entre les mains d'un souverain qui a justesse dans l'esprit et justice dans le cœur 5, mais je me garde bien d'aller plus loin. Vous n'ignorez pas, monsieur Bourdillon, qu'un roi est comme un tisserand continuellement occupé à reprendre les fils de sa toile qui se cassent; ou, si vous l'aimez mieux, comme Sisyphe, qui portait toujours son rocher au haut de la montagne, et qui le voyait retomber; ou enfin comme Hercule avec les têtes renaissantes de l'hydre.
M. Bourdillon me répondit : « Il finira sa toile, il fixera son rocher, il abattra les têtes de l'hydre. »
Je le souhaite, mon cher Bourdillon, et je fais des vœux au ciel avec vous pour qu'il réussisse en tout, et pour que les hommes soient moins asservis à leurs préjugés, et plus dignes d'être heureux. Je ne doute pas qu'un grand jurisconsulte comme vous ne soit en commerce de lettres avec un grand législateur. La première fois que vous l'ennuierez de votre fatras, dites-lui, je vous en prie, que
je suis avec un profond respect, avec admiration, avec dévouement,
de Sa Majesté,
le très humble, etc. »
1 C'est le nom sous lequel Voltaire avait publié l'Essai sur les Dissensions des églises de Pologne; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/461
2 Saisir les occasions favorables de parler, d'après Virgile, L'Enéide, IV, 293-294 :
Par les plaisirs vos moments sont comptés. / Goûtez longtemps cette douceur première; /A la raison joignez les voluptés; /Et que je puisse, à mon heure dernière, /Me croire heureux de vos félicités.
3 Ce roi là est supérieur aux affaires .
4 La copie porte chefs, ce qui manifestement est une erreur .
5 C'est la doctrine du despotisme éclairé . Mais il est cruel de la proposer à Stanislas-Auguste, monarque éclairé certes, mais qui peut d'autant moins faire table rase des traditions de son pays que celles-ci en constituent l'armature contre ses ennemis naturels, notamment la puissante Russie.
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24/06/2023
l'inimitable auteur qui fait la plus grande gloire de la France
... Pour moi, c'est Voltaire, suivi de Zola et Hugo . Point .
« A Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore
A Ferney le 6 décembre 1767
Je vois, monsieur, que les éditeurs des commentaires de Racine 1 ont envoyé depuis longtemps leur livre aux auteurs du Journal encyclopédique ; j'espère qu'on me fera bientôt la même faveur . M. Damilaville, mon ami, qui demeure au Bureau Vingtième, quai Saint-Bernard, paiera le complément de la souscription . Comme c'est entre vos mains que j'ai souscrit 2 , je m'adresse à vous, monsieur, pour vous prier me faire tenir mon exemplaire ; il n'y a qu'à le mettre à la diligence de Lyon, à M. de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, par Lyon à Gex . Je vous aurai une très grande obligation de me procurer la lecture d'un commentaire que je crois digne de l'inimitable auteur qui fait la plus grande gloire de la France .
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Sur cette édition commentée de Racine, voir lettre du 8 février 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/04/29/etant-juge-sans-interet-vous-serez-plus-eclaire-et-moins-suspect-de-partial.html
2 Blin de Sainmore a noté sur le manuscrit : « Voltaire s'est trompé . Ce n'est point entre mes mains qu'il avait souscrit . Je l'ai seulement engagé, ainsi que le cardinal de Bernis et plusieurs autres personnes, de se mettre au nombre des souscripteurs . Si j'avais été le maître de l'édition et de la distribution, je n'aurais point proposé à Voltaire de souscrire : j'aurais été empressé de lui en offrir le premier exemplaire. »
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23/06/2023
Je ne veux point regretter des plaisirs dont je ne peux jouir
... On aurait moins de guerres, filles de l'envie, si tout le monde était conscient de cette sage et courageuse réflexion .
« A Etienne-Noël Damilaville
4 décembre [1767] 1
Mon cher ami, je reçois votre lettre du 28 novembre, et vous devez avoir reçu la mienne du 2 décembre, dans laquelle je vous mandais ce que j'avais fait auprès de M. le duc de Choiseul et de Mme de Sauvigny . Je vous rendais compte de ses intentions et de ses raisons . Je lui envoie aujourd’hui une copie de la lettre de monsieur le contrôleur général du 3 mars . Ma lettre est pour elle et pour monsieur l'intendant qui m'a fait aussi l'honneur de me venir voir à Ferney . Mais encore une fois vous ferez plus en un quart d'heure à Paris par vous et par vos amis .
Je ne peux encore avoir reçu la réponse de M. le duc de Choiseul .
Je suis bien étonné qu'on ait imprimé à Paris l'essai historique sur les dissidents de Pologne . Je ne crois pas que Son Excellence le nonce de Sa Sainteté 2 ait favorisé cette impression .
On parle de quelques autres ouvrages nouveaux, entre autres de quelques lettres écrites au prince de Brunswick sur Rabelais et sur tous les auteurs italiens, français, anglais, allemands, accusés d'avoir écrit contre notre sainte religion 3. On dit que ces lettres sont curieuses . Je tâcherai d'en avoir un exemplaire et de vous l'envoyer, supposé qu'on puisse vous le faire tenir par la poste.
Je laisse là l'opéra de Philidor 4. Je ne le verrai jamais . Je ne veux point regretter des plaisirs dont je ne peux jouir. Tout ce que je sais, c'est que le récitatif de Lully est un chef-d’œuvre de déclamation comme les opéras de Quinault sont des chefs-d’œuvre de poésie naturelle, de passion, de galanterie, d'esprit et de grâces . Nous sommes aujourd’hui dans la boue, et les doubles croches ne nous en tireront pas .
Voici une réponse que je dois depuis deux mois à un commissaire de marine qui a fait imprimer chez Merlin une ode sur la magnanimité 5 . Je suis assailli tous les jours de vingt lettres dans ce goût . Cela me dérobe tout mon temps et empoisonne la douceur de ma vie . Plus vos lettres me consolent , plus celles des inconnus me désespèrent . Cependant il faut répondre, ou se faire des ennemis . Les ministres sont bien plus à leur aise ; ils ne répondent point .
Je vous supplie de vouloir bien faire rendre ma lettre, par Merlin, au magnanime commissaire de marine .
J'attends l'édit du concile perpétuel des Gaules 6 ; je sais qu'il n'est pas enregistré par le public .
Adieu ; embrassez pour moi Protagoras , et aimez toujours votre très tendre ami .
Puisse votre santé être en meilleur état que la mienne !
Je n'ai point encore reçu mon Maréchal de Luxembourg .
Voltaire. »
1 Édition de Kehl, voir lettre du 27 novembre 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/13/vous-ne-me-parlez-point-des-nouveaux-edits-en-faveur-des-negociants-et-des.html
La Correspondance littéraire ajoute les deux derniers paragraphes et change la date -de façon injustifiable- en « 14 décembre ».
2 Bernardino Giraud, archevêque in partibus de Damas, qui a remplacé comme nonce Pamfili-Colonna en septembre 1766 .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernardino_Giraud
et https://fr.wikipedia.org/wiki/Pietro_Colonna_(cardinal,_1...)
3 Voir lettre du 4 octobre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/05/12/ces-marauds-la-ne-valent-pas-la-plaisanterie-il-ne-faut-poin-6442855.html
4 Sur cet opéra, voir lettre du 30 novembre 1767 à Chabanon : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/15/je-presume-qu-il-passe-fort-agreablement-son-temps-avec-quel-6447856.html
5 Il s'appelait H. de Bélin, et était ancien commissaire de la marine. Son Ode à la Magnanimité a été imprimée en 1767, in-8°. La lettre que Voltaire lui adressait manque. Voir : https://c18.net/vll/vll_fiche.php?id_vo_vll=329
et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5462929t/f2.item
6 La Censure de la faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre Bélisaire, qui a été finalement été publiée : les Mémoires secrets notent sa parution à la date du 1er décembre 1767 . Voir : https://books.google.fr/books?id=3HA8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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22/06/2023
Monsieur et madame, je me garderai bien de vous séparer
... Entendez-vous M. Macron et Mme Borne ? Entendez vous bien ! L'union fait la force, dit-on .
« Au chevalier Jacques de Rochefort d'Ally et à Jeanne-Louise Pavée de Provenchères de Rochefort d'Ally 1
A Ferney, 2 décembre 1767
Quand vers leur fin mes ans sont emportés,
Vous commencez une belle carrière:
Par les plaisirs vos moments sont comptés .
Goûtez longtemps cette douceur première .
À la raison joignez les voluptés,
Et que je puisse à mon heure dernière
Me croire heureux de vos félicités .
Voilà ce qu'un vieux malade, qui n'en peut plus, dit à deux jeunes époux dignes du bonheur qu'il leur souhaite. Monsieur et madame, je me garderai bien de vous séparer.
A moi, du vin de Champagne! à moi, qui suis à l'eau de poulet! à moi, pauvre confisqué! Ah! monsieur et madame, venez le boire vous-mêmes. Je ne puis être que le témoin des plaisirs des autres, et c'est surtout aux vôtres que je m'intéresse.
Votre satisfaction mutuelle me ranime un moment pour vous dire à tous deux avec combien de reconnaissance et de respect j'ai l'honneur d'être,
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
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