01/06/2022
Il faudrait être le maître absolu de son terrain pour fonder une colonie . Ce n’est pas où les Français réussissent le mieux
... La preuve ? Citez au moins une colonie française qui mérite ce titre encore existante : faites votre choix http://drapeaufree.free.fr/COLONIESFR/coloniesfr.htm
Ce fut !
« A Daniel-Marc-Antoine Chardon 1
Au château de Ferney par Genève, 2è février 1767
Monsieur, le mémoire sur Sainte-Lucie 2 ne me donne aucune envie d’aller dans ce pays-là, mais il m’inspire le plus grand désir de connaître l’auteur. Je suis pénétré de la bonté qu’il a eue, je lui dois autant d’estime que de reconnaissance.
Voilà comme les mémoires des intendants 3en 1698 auraient dû être faits .On y verrait clair, on connaîtrait le fort et le faible des provinces. Le pays sauvage où je suis, monsieur, ressemble assez à votre Sainte-Lucie ; il est au bout du monde, et a été jusqu’à présent un peu abandonné à sa misère.
Je suis trop vieux pour rien entreprendre ; et, après ma mort, tout retombera dans son ancienne horreur. Il faudrait être le maître absolu de son terrain pour fonder une colonie . Ce n’est pas où les Français réussissent le mieux. Nous trouverons toujours cent filles d’opéra contre une Didon.
Je serai très affligé si le mémoire pour les Sirven n’est digne ni de l’avocat ni de la cause . Mais je me console, puisque c’est vous, monsieur, qui rapporterez l’affaire. L’éloquence du rapporteur fait bien plus d’impression que celle de l’avocat. Vous verrez, quand vous jugerez cette affaire, que la sentence qui a condamné les Sirven, qui les a dépouillés de leurs biens, qui a fait mourir la mère, et qui tient le père et les deux filles dans la misère et dans l’opprobre, est encore plus absurde que l’arrêt contre les Calas. Il me semble que les juges des Calas pouvaient au moins alléguer quelques faibles et malheureux prétextes ; mais je n’en ai découvert aucun dans la sentence contre les Sirven. Un grand roi 4 m’a fait l’honneur de me mander, à cette occasion, que jamais on ne devrait permettre l’exécution d’un arrêt de mort qu’après qu’elle aurait été approuvée par le conseil d’État du souverain. On en use ainsi dans les trois quarts de l’Europe. Il est bien étrange que la nation la plus gaie du monde soit si souvent la plus cruelle.
Je vous demande pardon, monsieur ; je suis assez comme les autres vieillards qui se plaignent toujours ; mais je sais qu’heureusement le corps des maîtres des requêtes n’a jamais été si bien composé qu’aujourd’hui, que jamais il n’y a eu plus de lumières, et que la raison l’emporte sur la forme atroce et barbare dont on s’est quelquefois piqué, à ce qu’on dit, dans d’autres compagnies. Vous m’avez inspiré de la franchise ; je la pousse peut-être trop loin, mais je ne puis pousser trop loin les autres sentiments que je vous dois, et le respect infini avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Voir : https://data.bnf.fr/fr/10649904/daniel_marc_antoine_chardon/
et https://www.decitre.fr/auteur/13366538/Daniel+marc+antoine+Chardon
2 Essai sur la colonie de Sainte-Lucie, par un ancien intendant de cette île ; imprimé en 1779, in-8°. Cet ouvrage est attribué à Chardon par Beuchot ,et le CTHS de l’École nationale des Chartes .
3 Voir ce que Voltaire en dit page 513. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome14.djvu/533
4 Le roi de Prusse ; voir lettre du 3 novembre 1766 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6557
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31/05/2022
Je voudrais que tous vos enfants se mariassent
... sans avoir l'aval obligatoire d'un religieux de quelque nature qui soit !
« A Anne-Rose Calas
à Paris
A Ferney, 2è février 1767 1
Je partage votre joie, madame, celle de Mme votre fille, et celle de tous les honnêtes gens . Je fais à Mme votre fille et à M. votre gendre 2 les compliments les plus sincères . Je voudrais que tous vos enfants se mariassent et que votre nom se perpétuât à jamais, pour servir de témoignage éternel à votre probité et à l'iniquité infâme des juges qui auraient dû avoir sur l'épaule les fleurs de lis sur lesquelles ils osent s’asseoir . Je vous souhaite à vous et à toute votre famille la prospérité que vous méritez .
J'ai l'honneur d'être, madame, avec tous les sentiments que je vous dois, votre très humble et très obéissant serviteur.
V. »
1 Original . Coquerel imprime quelques mots de cette lettre .
2 Suivant Coquerel, Nanette Calas se maria avec Jean-Jacques Davoisin le 25 février 1767 Or la présente lettre et la lettre du même jour à Damilaville indiquent clairement que V* est persuadé que le mariage avait eu lieu . Il faut , ou que V* ait mal compris le faire-part de Mme Calas, ce qui est assez probable, ou que Coquerel ait fait une erreur, peut être d'un mois : il faudrait lire 25 janvier .
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30/05/2022
Dieu est juste. Nous ne savons point encore de détails ; mais nous pensons que sa justice doit écraser les diables
... Un Dieu -hypothétique- contre une nuée de diables -humains- : qui va gagner ?
Dieu est-il dans le top 10 ? outsider ? favori ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
2è février 1767
Nous apprenons par la sœur de M. Thurot 1 que Dieu est juste. Nous ne savons point encore de détails ; mais nous pensons que sa justice doit écraser les diables, et que surtout le diable Jeannin doit être recommandé fortement à M. de La Reynière. J’en ai écrit à M. de Chauvelin. Je vous demande en grâce de m’aider et de venger la sœur de Thurot. Je respire enfin ; je ne fais plus de paquets, et nous répétons les Scythes.
Vous devez avoir reçu à présent les deux exemplaires envoyés à M. le duc de Praslin bien corrigés. Si vous en voulez encore une copie, on vous l’enverra ; mais vous pouvez aisément faire porter sur vos anciens exemplaires les corrections qui sont sur les nouveaux, et vous pouvez aussi en donner un à M. de Thibouville. Il distribuera les rôles selon vos ordres, et de tout ceci il n’y aura pour vous que du plaisir.
Je crois qu’il est convenable que j’écrive un petit mot de reconnaissance à M. de Montyon, quoique l’abbé du Grand Conseil 2 et Mlle Thurot ne m’aient pas encore instruit des détails. Permettez donc que je mette ma lettre pour M. de Montyon dans votre paquet.
Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de M. le duc de Praslin. M. le duc de Choiseul nous a délivrés de la famine ; qu’il soit béni, et vous aussi, mes anges, qui avez si bien battu des ailes dans cette maudite affaire ! Je me flatte que Mme d’Argental est en bonne santé.
Respect et tendresse. »
1 Mme Lejeune, ; sur le corsaire Thurot, voir lettre du 7 août 1759 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/09/06/que-dites-vous-de-moi-qui-vous-commande-des-decorations-tand-5441724.html
2 L'abbé Mignot .
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29/05/2022
Il faut un poignard sur l'autel . Il est probable que la troupe a un de ces poignards à ressort, meuble comique très ordinaire !
... Qui dans la NUPES fournira le poignard de comédie, qui le remplacera par une vraie lame et tranchera des noeuds nuptiaux qui n'ont rien de gordien ? Je tiens le pari que cela n'attendra pas la fin de l'année, les premières discussions parlementaires et les ambitions personnelles aidant .
« A Gabriel Cramer
[vers le 1er février 1767]
Caro, il n'y avait point certainement dans mon manuscrit :
Et que je pus unir sans une aveugle audace
Il y avait :
Que je pouvais unir sans une aveugle audace .
Mais le sieur Guy Duchesne , dont Dieu veuille avoir l'âme, m'a toujours défiguré, Dieu merci .
Les Scythes sont bien difficiles à jouer ; cette pièce demande beaucoup de répétitions . Si on voulait faire une décoration, il faudrait deux berceaux en demi-cercle aux coins du théâtre . Ces deux berceaux percés à jour feraient un effet très agréable . Une banquette serait sous l'un des deux berceaux ; mais on peut simplement mettre ce banc dans un coin, et un Scythe l'approcherait sur le devant du théâtre pour la conversation des deux vieillards .
Il faut un poignard sur l'autel . Il est probable que la troupe a un de ces poignards à ressort, meuble comique très ordinaire !
M. Hennin est le plus aimable homme du monde, et ne mérite assurément pas qu'on le mortifie .
Je suis dans mon lit avec la fièvre, je vous embrasse de tout mon cœur . »
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28/05/2022
Je ne pourrai vous envoyer les rôles, nous sommes trop occupés . Il faudra que chacun transcrive son rôle, c'est le meilleur moyen d'apprendre
... Tel est le mot d'ordre de tous les chefs de partis pour les candidats députés envoyés au charbon , et souvent parachutés, pour tenter de devenir des pompes à finances : https://www.lesechos.fr/elections/pratique/pourquoi-les-e...
(nos chers, trop chers , députés et sénateurs )
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches,
Baron de Rebecque, etc.
à Lausanne
31è janvier 1767 à Ferney
M. votre frère 1 compte vous aller voir mardi, mon cher Colonel . Je lui donnerai Les Scythes pour vous . Il n'est pas juste qu'il vous en coûte un port considérable pour une mauvaise pièce .
M . le duc de Choiseul exige absolument qu'aucun exemplaire de cette pièce ne paraisse en public avant qu'elle ait été jouée à Paris . Nous ne voulons lui déplaire ni vous ni moi . Je suis bien sûr de votre prudence autant que de votre amitié . Si les rhumatismes, la fièvre, les fluxions sur les yeux, mon âge, ma faiblesse, et quarante lieues de neiges me le permettaient, je viendrais certainement répéter avec vous à Lausanne . Je ne pourrai vous envoyer les rôles, nous sommes trop occupés . Il faudra que chacun transcrive son rôle, c'est le meilleur moyen d'apprendre .
Je vous conjure encore une fois que la pièce ne sorte pas de votre maison .
Je présente mes tendres respects à toute votre famille.
V. »
1Samuel de Constant . Voir : https://gw.geneanet.org/garric?lang=en&n=constant+de+rebecque&oc=0&p=david+louis
09:38 | Lien permanent | Commentaires (0)
Nous ne craignons rien tant qu’un procès criminel devant un parlement, quel qu’il puisse être. Nous demandons surtout que le jugement du Conseil soit différé, s’il est possible, parce que le temps adoucit tout
... Il en est plus d'un qui , profitant de quelques bribes de pouvoir, fait ainsi jouer son entourage . Notre actualité politico-judiciaire française fournit son lot de justiciables qui, crient haut et fort à la malfaisance et au mensonge de femmes qui osent -enfin- les dénoncer . Marre de ces hommes abusifs et dangereux !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
30 janvier [1767], part le 31
Nous sommes très inquiets de la santé d’un de nos anges, et nous en demandons des nouvelles à l’autre. Voici bientôt le temps de vous amuser des Scythes. J’envoie deux exemplaires très bien corrigés à M. le duc de Praslin ; je vous prie d’en remettre un à M. Lekain, de faire porter les corrections sur les autres, de les examiner avec vos amis, et de faire valoir auprès d’eux ma docilité et mes efforts. Comptez que c’est beaucoup pour un malade enseveli dans la neige et dans les chagrins 1.
Voici enfin la leçon suivant laquelle nous jouons le cinquième acte à Ferney. Ce dernier acte nous a fait la plus grande impression. Nous avons trouvé dans Mme de La Harpe un talent bien singulier ; il ne lui a fallu que deux ou trois répétitions pour acquérir ce que Mlle Clairon a longtemps cherché. Sa déclamation, pleine de tendresse et de force, est soutenue par la figure la plus noble et la plus théâtrale, par de beaux yeux noirs qui disent tout ce qu’ils veulent dire, par un geste naturel, par la démarche la plus libre, et par les attitudes les plus tragiques. Son mari est un acteur excellent . Il récite des vers aussi bien qu’il les fait, et, quoique très petit, il a une figure très agréable sur le théâtre.
Cette occupation nous console un peu de nos malheurs ; et vous savez que ces malheurs sont la guerre et la famine, en attendant la peste.
Ce que je crains de la part du Conseil me paraît un plus grand fléau, car certainement si on renvoie le tout indivisiblement au procureur général de Dijon, cela devient une affaire horrible : décret de prise de corps contre la Doiret, qu’on peut retrouver ; ajournement personnel contre la Doiret de Châlons, qu’on trouvera et qui dira tout ; ajournement contre le quidam, qui est très connu, et dont les dépositions jetteront les intéressés dans le plus grand embarras ; ajournement personnel contre celui 2 qui est nommé dans le procès ; décret de prise de corps auquel on n’obéit pas ; une famille entière tombée tout d’un coup de l’opulence dans la pauvreté ; sept ou huit personnes accoutumées à vivre ensemble depuis dix ans, séparées pour jamais ; la nécessité de chercher une retraite en traversant des montagnes de glaces et des précipices, quand on est au lit, accablé de vieillesse et de maladies ; voilà sans aucune exagération tout ce qui peut arriver, et ce qui arrivera infailliblement si on prend le parti funeste dont on nous a parlé.
C’est donc ce qu’il faut éviter avec le plus grand soin. Il faut tâcher que le tout soit jugé définitivement au Conseil. On condamnera la Doiret, à la bonne heure ; il n’y aura là aucun mal ni pour elle ni pour personne ; que l’équipage soit déclaré bien confisqué et qu’on s’accommode avec les fermiers pour le prix, cela est encore très aisé : tout serait fini alors. Nous avions demandé, dans tous nos mémoires, que la malle de la Doiret fût envoyée au premier magistrat suivant l’usage ; nous le demandons encore. Nous voulions débattre la confiscation en justice réglée ; nous abandonnons ce point. Nous ne craignons rien tant qu’un procès criminel devant un parlement, quel qu’il puisse être. Nous demandons surtout que le jugement du Conseil soit différé, s’il est possible, parce que le temps adoucit tout, à moins que vous ne soyez sûr d’un jugement favorable ; mais qui peut en être sûr ? Cette affaire fait déjà du bruit à Versailles. Je n’en ai point écrit à M. le duc de Choiseul, et depuis sa lettre sur les Scythes, je n’ai point eu de nouvelles de lui 3. J'en ai dans le moment et je suis très content de lui ; il nous délivre de la famine . Je ne lui ai point parlé de la Doiret . Je m’étais flatté que, si les Scythes réussissaient, ce succès pourrait faire une diversion heureuse et détourner la persécution qui menace une tête de soixante-treize ans et un corps de quatre-vingt-dix. Je peux m’être trompé en cela ; mais au moins ce succès sera une consolation que je recommande à vos bontés généreuses. Mon attachement et ma tendresse pour vous sont une consolation bien supérieure à tous les succès possibles.
N. B. – Vous savez quelle est à présent la persécution de tout ce qui a rapport à cette affaire ; un homme de Lorraine, très protégé, vient d’être conduit en prison à Paris. »
1 Ces trois phrases depuis J'envoie , sont ajoutées en marge sur le manuscrit .
2 Évidemment V* lui-même .
3 Les deux phrases suivantes sont ajoutées dans la marge du bas par V*.
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27/05/2022
J'ai voulu quelquefois faire un peu de bien
... Qui peut en dire autant ?
« A David Lavaysse
30 janvier 1767 1
Votre souvenir, monsieur, est une de mes plus douces consolations dans ma vieillesse infirme et douloureuse […] J'ai voulu quelquefois faire un peu de bien ; ma récompense est de souffrir beaucoup de mal de toute façon […] Un de mes chagrins est qu'un homme aussi estimable que vous soit , malgré lui, le beau-père d'un homme 2 pour qui je suis forcé d'avoir des sentiments diamétralement opposés à ceux avec lesquels je serai, jusqu’au dernier moment de ma vie,
Votre , etc.
Voltaire. »
1 Original signé ( famille Angliviel) auquel il n'a pas été possible d'avoir accès ; édition Tapahanel .
2 La Beaumelle, époux de Rose-Victoire de Nicol, née Lavaysse , en 1764 : https://voltairefoundation.wordpress.com/tag/laurent-angliviel-de-la-beaumelle/
Au cours de son séjour à Berlin (novembre 1751 - fin avril 1752), La Beaumelle s'est brouillé avec Voltaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Angliviel_de_La_Beaumelle
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