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21/06/2022

On se plaît à analyser tout. Les Français se piquent à présent d’être profonds...Ce qu’ils pourraient faire de plus judicieux serait de céder aux conjonctures, et de s’accommoder... leur dernière ressource est l’asile

... communément dénommé Assemblée Nationale . La chasse au perchoir est ouverte, les unions sont périmées, les divorces sont évités pour de pures raisons financières, les adultères sont inévitables : qui restera fidèle cinq ans ?

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse

[10 février 1767]

[Recommande d'Etallonde à l'attention du roi .] 1

1 V* signale cette lettre du 10 février à Frédéric II dans sa lettre du même jour à d'Etallonde . Frédéric répondra le 28 février 1767 , ce qui nous donne une idée des sujets abordés par V* : «  Potsdam, 28 février.

Je félicite l’Europe des productions dont vous l’avez enrichie pendant plus de cinquante années, et je souhaite que vous en ajoutiez encore autant que les Fontenelle, les Fleury et les Nestor en ont vécu. Avec vous finit le siècle de Louis XIV. De cette époque si féconde en grands hommes, vous êtes le dernier qui nous reste. Le dégoût des lettres, la satiété des chefs-d’œuvre que l’esprit humain a produits, un esprit de calcul, voilà le goût du temps présent.

Parmi la foule de gens d’esprit dont la France abonde, je ne trouve pas de ces esprits créateurs, de ces vrais génies qui s’annoncent par de grandes beautés, des traits brillants, et des écarts même. On se plaît à analyser tout. Les Français se piquent à présent d’être profonds. Leurs livres semblent faits par de froids raisonneurs, et ces grâces qui leur étaient si naturelles, ils les négligent.

Un des meilleurs ouvrages que j’aie lus de longtemps est ce factum pour les Calas, fait par un avocat[1] dont le nom ne me revient pas. Ce factum est plein de traits de véritable éloquence, et je crois l’auteur digne de marcher sur les traces de Bossuet, etc., non comme théologien, mais comme orateur.

Vous êtes environné d’orateurs qui haranguent à coups de baïonnettes et de cartouches : c’est un voisinage désagréable pour un philosophe qui vit en retraite, plus encore pour les Genevois.

Cela me rappelle le conte du Suisse qui mangeait une omelette au lard un jour maigre, et qui, entendant tonner, s’écria : « Grand Dieu ! voilà bien du bruit pour une omelette au lard[2]. » Les Genevois pourraient faire cette exclamation en s’adressant à Louis XV. La fin de ce blocus ne tournera pas à l’avantage du peuple. Ce qu’ils pourraient faire de plus judicieux serait de céder aux conjonctures, et de s’accommoder. Si l’obstination et l’animosité les en empêchent, leur dernière ressource est l’asile que je leur prépare, et qui se trouve dans un lieu que vous jugez très-bien qui leur sera convenable [3].

Je ne sais quel est le jeune homme dont vous me parlez[4]. Je m’informerai s’il se trouve à Wesel quelqu’un de ce nom. En cas qu’il y soit, votre recommandation ne lui sera pas inutile.

Voici de suite trois jugements bien honteux pour les parlements de France. Les Calas, les Sirven et La Barre devraient ouvrir les yeux au gouvernement, et le porter à la réforme des procédures criminelles ; mais on ne corrige les abus que quand ils sont parvenus à leur comble. Quand ces cours de justice auront fait rouer quelque duc et pair par distraction, les grandes maisons crieront, les courtisans mèneront grand bruit, et les calamités publiques parviendront au trône.

Pendant la guerre, il y avait une contagion à Breslau : on enterrait cent vingt personnes par jour ; une comtesse dit : « Dieu merci, la grande noblesse est épargnée ; ce n’est que le peuple qui meurt. » Voilà l’image de ce que pensent les gens en place, qui se croient pétris de molécules plus précieuses que ce qui fait la composition du peuple qu’ils oppriment. Cela a été ainsi presque de tout temps. L’allure des grandes monarchies est la même. Il n’y a guère que ceux qui ont souffert l’oppression qui la connaissent et la détestent. Ces enfants de la fortune, qu’elle a engourdis dans la prospérité, pensent que les maux du peuple sont exagération, que des injustices sont des méprises ; et pourvu que le premier ressort aille, il importe peu du reste.

Je souhaite, puisque la destinée du monde est d’être mené ainsi, que la guerre s’écarte de votre habitation, et que vous jouissiez paisiblement dans votre retraite d’un repos qui vous est dû, sous les ombrages des lauriers d’Apollon : je souhaite encore que, dans cette douce retraite, vous ayez autant de plaisir que vos ouvrages en ont donné à vos lecteurs. À moins d’être au troisième ciel[5], vous ne sauriez être plus heureux.

Fédéric.

  • Le Mémoire de Sudre ou celui d’Elie de Beaumont, mentionnés dans la note, tome XXIV, page 365, sous les nos ii et iv.

  • Beaucoup d’auteurs, et Voltaire lui-même (voyez tome XXVI, page 498), attribuent ce mot à Desbarreaux.

  • La lettre où Voltaire parle, pour la première fois, à Frédéric du malheureux d’Étallonde de Morival paraît perdue. (B.) — Dominique de Morival, cadet au régiment d’infanterie du général d’Eichmann, n° 48, à Wesel, fut nommé officier le 27 avril 1767.

  • « Au premier ciel. » (Œuvres posthumes, édit. de Berlin.) »

20/06/2022

Vous avez ri des grimaces des singes dans le pays des singes, et les singes vous ont déchiré

... Mais toi ami Cabu, tu vis encore !

Toujours aussi cons ! - 300 dessins toujours... - Cabu - Livres - Furet du  Nord

https://www.furet.com/livres/toujours-aussi-cons-300-dess...

 

 

« A Jacques-Marie-Bertrand Gaillard d'Etallonde

Le 10 février [1767]

Dans la situation où vous êtes, monsieur, j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de prendre la liberté de vous recommander fortement au maître que vous servez aujourd’hui. Il est vrai que ma recommandation est bien peu de chose, et qu’il ne m’appartient pas d’oser espérer qu’il puisse y avoir égard ; mais il me parut, l’année passée, si touché et si indigné de l’horrible destinée de votre ami et de la barbarie de vos juges qu'il me fit l’honneur de m’en écrire plusieurs fois avec tant de compassion et tant de philosophie, que j’ai cru devoir lui parler à cœur ouvert, en dernier lieu, de ce qui vous regarde. Il sait que vous n’êtes coupable que de vous être moqué inconsidérément d’une superstition que tous les hommes sensés détestent dans le fond de leur cœur. Vous avez ri des grimaces des singes dans le pays des singes, et les singes vous ont déchiré. Tout ce qu’il y à d’honnêtes gens en France (et il y en a beaucoup) ont regardé votre arrêt avec horreur. Vous auriez pu aisément vous réfugier, sous un autre nom, dans quelque province ; mais, puisque vous avez pris le parti de servir un grand roi philosophe, il faut espérer que vous ne vous en repentirez pas. Les épreuves sont longues dans le service où vous êtes ; la discipline, sévère , la fortune médiocre, mais honnête. Je voudrais bien qu’en considération de votre malheur et de votre jeunesse il vous encourageât par quelque grade. Je lui ai mandé que vous m’aviez écrit une lettre pleine de raison, que vous avez de l’esprit, que vous êtes rempli de bonne volonté, que votre fatale aventure servira à vous rendre plus circonspect et plus attaché à vos devoirs.

Vous saurez sans doute bientôt l’allemand parfaitement ; cela ne vous sera pas inutile. Il y aura mille occasions où le roi pourra vous employer, en conséquence des bons témoignages qu’on rendra de vous. Quelquefois les plus grands malheurs ont ouvert le chemin de la fortune. Si vous trouvez, dans le pays où vous êtes, quelque poste à votre convenance, quelque place que vous puissiez demander, vous n’avez qu’à m’écrire à la même adresse, et je prendrai la liberté d’en écrire au roi. Mon premier dessein était de vous faire entrer dans un établissement qu’on projetait à Clèves 1, mais il est survenu des obstacles . Ce projet a été dérangé, et les bontés du roi que vous servez me paraissent à présent d’une grande ressource.

Celui qui vous écrit désire passionnément de vous servir, et voudrait, s’il le pouvait, faire repentir les barbares qui ont traité des enfants avec tant d’inhumanité. »

1 La colonie de philosophes ,essentiellement antichrétiens , à dont il a été question dès 1766 .

Ces libelles sont plus dangereux dans ces temps de fermentation que dans tout autre

... Et il s'en pond plus d'un à la seconde dans notre chaud pays de France qui -ô merveille- a une Assemblée Nationale des plus hétéroclites . Superbe pétaudière . On laisse son cerveau au vestiaire .

Un bel avenir est promis par l'OPPOSITION, qui dans sa science infuse a trouvé la recette de la démolition par principe . Notre nation est internationalement reconnue comme nulle en mathématiques, les projets de NUPES le prouvent, l'argent va tomber du ciel comme des cailles rôties, rien à craindre Mélenchon est leur prophète .

Quant à Marine, elle pète de joie , souris croyant soulever autant de poussière qu'un éléphant .

https://www.vie-publique.fr/en-bref/285441-legislatives-2...

 

 

« A Albrecht Friedrich von Erlach

10è février 1767, au château de Ferney par Genève 1

Monsieur,

Je crois remplir mon devoir, et je satisfais en même temps mes sentiments respectueux pour votre gouvernement en avertissant Votre Excellence des libelles diffamatoires que quelques séditieux, partisans secrets de Jean-Jacques Rousseau, font imprimer journellement à Yverdon au mépris de toutes vos lois . Ces libelles sont plus dangereux dans ces temps de fermentation que dans tout autre . On m'avertit que c’est le professeur Felici 2 qui les fait imprimer .

Il m'est tombé une feuille d'un de ces libelles entre les mains avec une lettre d'un garçon imprimeur nommé La Roche, qui est employé par ce professeur Felici . Ce garçon, qui paraît honnête , semble indigné lui-même des manœuvres auxquelles on l'emploie, et mérite par là probablement votre protection .

Je me flatte que Votre Excellence me saura gré de ma démarche . Votre gouvernement et tous les particuliers ont intérêt que de tels délits soient réprimés . Je n'oublierai jamais les bontés dont j’ai été honoré dans vos États .

J’ai l'honneur d'être, avec beaucoup de respect, monsieur , de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Original, signature autographe, Bibliothèque de Berne ; édition K. [Karl Georg König] : «  Rasche und gute Justiz », Zeitschrift des Bernischen Juristen-Vereins, avril 1872.

2 Le personnage que V* dénonce ici (lui qui paradoxalement se plaint de la censure sur les écrits ) est Fortunato Bartolomeo de Felice qui a publié des Étrennes aux désœuvrés, ou Lettres d'un quaker à ses frères et à un grand docteur . Le Conseil a examiné cet écrit et conclu qu'il ne contient rien de contraire à la religion, au gouvernement et aux mœurs ( note du premier éditeur ).

Voir page 5 https://www.aveg.ch/articles/BUL16_2006_42_52.pdf

Voir : https://stringfixer.com/fr/Fortunato_Felice

et : https://books.google.fr/books?id=At9XAAAAcAAJ&pg=PA1&lpg=PA1&dq=%C3%89trennes+aux+d%C3%A9s%C5%93uvr%C3%A9s,+ou+Lettres+d%27un+quaker+%C3%A0+ses+fr%C3%A8res+et+%C3%A0+un+grand+docteur&source=bl&ots=g9rm2dPNx3&sig=ACfU3U2rjQkMcsDvlzxNsQlR4iaaANcFJA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjCmPvRybv4AhUa_xoKHR2NA2AQ6AF6BAgPEAM#v=onepage&q=%C3%89trennes%20aux%20d%C3%A9s%C5%93uvr%C3%A9s%2C%20ou%20Lettres%20d'un%20quaker%20%C3%A0%20ses%20fr%C3%A8res%20et%20%C3%A0%20un%20grand%20docteur&f=false

Serait-il possible que je ne jouisse pas ... mais mon cœur sera toujours jeune

... Quelques-uns des nouveaux députés sont comme ça ? https://www.galerieglineur.com/beatrice-terra

On est proche du dénouement! - 130 x 97 cm

 

Mon dépouillement hier soir : bulletin blanc

 

 

« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches,

Baron de Rebecque, etc.,

à Lausanne

Serait-il possible que je ne jouisse pas, monsieur, du plaisir de vous entendre, et d'être témoin de l'honneur que toute votre famille daigne faire aux petits amusements de mon loisir ? Si ma santé ne me permettait pas de venir à Lausanne, je vous supplierais au moins de passer par Ferney quand vous retournerez en France . J'écrivis à M. Constant le jour qu'il partit pour vous aller voir, il ne reçut point ma lettre, mais je ne veux pas tenir pour perdus les hommages et les remerciements dont elle était pleine . Je vous prie qu'il ne les ignore pas . Vous savez avec quel attachement inviolable je suis dévoué pour toute ma vie à tout ce qui vous entoure .

Où est le temps où j’assistais à vos répétitions et où j'étais encore assez jeune pour faire le vieillard sur le théâtre de Monrepos 1 ? hélas ! Je suis trop vieux aujourd'hui pour jouer les rôles de vieux, mais mon cœur sera toujours jeune pour vous .

V.

A Ferney, 10è janvier 1767. »

1 Un passage similaire figure dans la lettre du 19 avril 1767 à Buirette de Belloy : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/05/correspondance-annee-1767-partie-29.html

19/06/2022

Genève, qui fait pour deux millions de contrebande par an, serait anéantie dans peu d’années

... si jamais la douane réussissait à saisir tout les fonds illégaux qui trouvent refuge dans les coffres helvétiques, et qui ne sont pas limités à deux millions . On peut voir ce qui se passait au temps de Voltaire qui dénonce une illégalité qui est toujours d'actualité : https://journals.openedition.org/chs/1470

Autour de l'Arve, des histoires de contrebande souvent dramatiques - Le  Messager

Contrebandiers contre douaniers , gendarmes contre voleurs, les truands ont souvent encore une longueur d'avance

 

 

 

« A Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville

À Ferney, 10 février 1767

Monsieur, certainement j’irai rendre à Votre Excellence les visites dont elle m’a honoré quand elle voulait mettre la paix chez des gens qui ne méritent pas d’avoir la paix.

M. le duc de Choiseul m’a donné à la vérité toutes les facilités possibles ; mais, quelques bontés qu’il ait, la gêne et le fardeau retombent toujours sur nous. Quel pays que celui-ci ! Je n’ai pu trouver dans Paris une lettre de change sur Genève ; il faut faire venir l’argent par la poste. Les coches de Lyon et de Suisse n’arrivent plus, et je peux vous assurer qu’on trompe beaucoup M. le duc de Choiseul si on lui écrit que les Genevois souffrent ; il n’y a réellement que nous qui souffrons. On croit se venger d’eux, et on nous accable. Si on voulait effectivement rendre la vengeance utile, il faudrait établir un port au pays de Gex, ouvrir une grande route avec la Franche-Comté, commercer directement de Lyon avec la Suisse par Versoix, attirer à soi tout le commerce de Genève, entretenir seulement un corps de garde perpétuel dans trois villages entre Genève et le pays de Gex ; cela coûterait beaucoup, mais Genève, qui fait pour deux millions de contrebande par an, serait anéantie dans peu d’années 1. Si on se borne à saisir quelques pintes de lait 2 à nos paysannes, et à les empêcher d’acheter des souliers à Genève, on n’aura pas fait une campagne bien glorieuse.

Pardonnez-moi la liberté que je prends en faveur de la confiance que vous m’avez inspirée, et de l’intérêt très réel que j’ai à tous ces mouvements.

La petite affaire de la sœur du brave Thurot est finie de la manière dont je l’aurais finie moi-même si j’avais été juge. Je n’en ai point importuné M. le duc de Choiseul ; j’ai la principale obligation de tout à monsieur le vice-chancelier.

Je vous conseille de jeter Les Scythes dans le feu, car je les ai bien changés ; et je vais m’amuser à en faire une meilleure édition.

Permettez que M. le chevalier de Taulès trouve ici les assurances des sentiments que j’aurai pour lui toute ma vie.

J'ai l’honneur d’être, avec bien du respect, et la plus tendre reconnaissance de toutes vos bontés, monsieur, de Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire. »

1 On a ici la première allusion à un projet hardi qui fut adopté par Choiseul, et qui aurait pu effectivement ruiner Genève si le ministre n'avait pas été destitué en 1770 . Si l'entreprise concernant Versoix avait été exécutée, cette localité n'aurait certainement pas été cédée à Genève et à la Confédération helvétique après la chue de Napoléon en 1815 . Le plan de V* témoigne non seulement de son côté bâtisseur mais aussi de sa rancune envers Genève .

il faut prendre son parti sans pusillanimité dans toutes les occasions de la vie, tant que l’âme bat dans le corps

... Alors on vote ?

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

9è février 1767 à Ferney

Vous connaissez, monseigneur, la main qui vous écrit 1, et le cœur qui dicte la lettre. Les neiges m’ôtent l’usage des yeux cet hiver-ci avec plus de rigueur que les autres ; mais j’espère voir encore un peu clair au printemps. L’aventure 2 dont vous avez la bonté de me parler dans vos deux lettres est une de ces fatalités qu’on ne peut pas prévoir. Je pense que vous croyez à la destinée ; pour moi, c’est mon dogme favori. Toutes les affaires de ce monde me paraissent des boules poussées les unes par les autres. Aurait-on jamais imaginé que ce serait la sœur de ce brave Thurot tué en Irlande 3 qui serait envoyée, à cent cinquante lieues, à un homme qu’elle ne connaît pas, qui s’attirerait une affaire capitale pour le plus médiocre intérêt, et qui mettrait dans le plus grand danger celui qui lui rendrait gratuitement service ? L’affaire a été extrêmement grave, elle à été portée au conseil des parties. On a voulu la criminaliser, et la renvoyer au parlement. C’est principalement monsieur le vice-chancelier dont les bontés et la justice ont détourné ce coup. Cette funeste affaire avait bien des branches. Vous ne devez pas être étonné du parti qu’on allait prendre, c’était le seul convenable ; et, quoiqu’il fût douloureux, on y était parfaitement résolu : car il faut prendre son parti sans pusillanimité dans toutes les occasions de la vie, tant que l’âme bat dans le corps. On risquait, à la vérité, de perdre tout son bien en France ; on jouait gros jeu ; mais, après tout, on avait brelan de roi quatrième 4. Je vous donne cette énigme à expliquer. J’ajouterai seulement qu’il y a des jeux où l’on peut perdre avec quatre rois, et qu’il vaut mieux ne pas jouer du tout. Je crois que la personne à laquelle vous daignez vous intéresser ne jouera de sa vie.

Cette affaire d’ailleurs a été aussi ruineuse qu’inquiétante ; et la personne en question 5 vous a une obligation infinie de la bonté que vous avez eue de la recommander à M. l’abbé de Blet.

On aura l’honneur, monseigneur, de vous envoyer, par l’ordinaire prochain, ce qui doit contribuer à vos amusements du carnaval 6 ou du carême ; il faut le temps de mettre tout en règle, et de préparer les instructions nécessaires. Si on n’avait que soixante-dix ans, ce qui est une bagatelle, on viendrait en poste avec ses marionnettes, et on aurait la satisfaction de vous voir dans votre gloire de Niquée 7.

Voici une requête d’une autre espèce que le griffonneur de la lettre 8 vous présente, et par laquelle il vous demande votre protection. Quoiqu’il s’agisse de toiles, il n’en est pas moins attaché à l’histoire ; et il croit que, s’il dirigeait les toiles de Voiron, il pourrait très commodément visiter tous les bénédictins du Dauphiné. Il saurait précisément en quelle année un dauphin de Viennois fondait des messes, ce qui serait d’une merveilleuse utilité pour le reste du royaume.

Voici à présent d’une autre écriture 9. Vous voyez, monseigneur, que celle de votre protégé s’est assez formée ; s’il continue, il se rendra digne de vous servir, ce qui vaudra mieux que l’inspection des toiles de son village. Je doute fort que M. de Trudaine déplace un homme qui est dans son poste depuis longtemps, pour favoriser un enfant de cet emploi.

Quoi qu’il en soit, je joins toujours sa requête 10 à cette lettre. Agréez le tendre et profond respect avec lequel je serai jusqu’au dernier moment de ma vie

V.

L’aventure de la sœur de Thurot n’est plus bonne qu’à oublier. »

1 Cette lettre de la main est écrite par Gallien, protégé de Richelieu ; voir lettre du 8 octobre 1766 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/10/il-n-y-a-point-assurement-de-facon-de-pisser-plus-noble-que-6359638.html

2 L’affaire Le Jeune.

4Voir lettre du 9 février 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/17/tachez-donc-enfin-que-ce-memoire-paraisse-avant-que-les-parties-soient-mort.html

Voltaire serait allé chercher asile chez l’un des quatre rois protecteurs des Sirven .

5 Voltaire ; il s’agit des deux cents louis versés par Richelieu.

7Niquée est une héroïne d'Amadis de Gaule . Voir lettre à d’Arnaud du 19 mai 1750 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1750/Lettre_2085

8 Claude Gallien.

9 Celle de Wagnière et non de V* comme l'indiquent les éditions ..

10 Cette requête est donnée par l'édition de Kehl suivant la copie Beaumarchais : « Il y a à Voiron, village du Grésivaudan en Dauphiné, une fabrique de toiles, dont l'inspection ne se donnait qu’à un des habitants de l'endroit ; cependant une personne qui demeure à Romans, et qui possède déjà plusieurs autres inspections considérables a trouvé e moyen de se faire encore revêtir de celle-ci . / M. de Trudaine est le maître d'accorder ce petit appui au sieur Claude Gallien, natif de Voiron . Il soulagerait une famille nombreuse connue depuis très longtemps, domiciliée et estimée dans ledit endroit . Le père, l'oncle et les frères de Claude Gallien ont été au service ; son frère fut tué à Crewel [Crefeld], étant pour lors sans les volontaires de Dauphiné . C'était l'aîné de la famille ./ Claude Gallien, demande très humblement la protection de M. de Trudaine. »

Plus tard V* dira que Gallien est né à Salmorenc ; lettres à Hennin : 4 janvier 1768 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-1.html

et 13 janvier 1768 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-3.html

et voir : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/326-timoleon-gallien-de-salmorenc

et : https://www.charles-de-flahaut.fr/dauphine/affiches_grenoble/2015_04_10.pdf

18/06/2022

Tâchez donc enfin que ce mémoire paraisse avant que les parties soient mortes de vieillesse

... Question affaires judiciaires en cours ou en suspens, ou jugées, c'est un véritable inventaire à la Prévert puissance dix , de Accident de Millas  à Karim Zéribi en passant par Sarkozy et Balkany : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Affaire_judi...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

9è février 1767 1

Vous avez dû recevoir une lettre2 pour M. de Lemberta , et vous devez être informé du petit malheur arrivé à la géométrie. Cela est bien désagréable ; mais actuellement personne ne sait ce qu’il fait dans Genève.

Voici une lettre pour notre ami M. de Beaumont. J’exécute fidèlement ce que vous m’avez prescrit. Tâchez donc enfin que ce mémoire paraisse avant que les parties soient mortes de vieillesse.

Je crois vous avoir mandé que le roi de Danemark venait de se mettre dans le rang de nos bienfaiteurs. J’ai brelan de roi quatrième 3; mais il faut que je gagne la partie. N’admirez-vous pas comme cette vie est mêlée de haut et de bas, de blanc et de noir ? et n’êtes-vous pas fâché que, parmi mes quatre rois 4, il n’y en ait pas un du Midi 5?

Un hasard singulier m’a fait connaître ce Lacombe, d’abord comme un homme de lettres, ensuite comme libraire. Chose promise, chose due. Je tâcherai de réparer tout cela. Je vous quitte ; il faut que j’écrive 6 aux maîtres des requêtes qui n’ont pas été de l’avis de M. d’Aguesseau. On dit que ce pauvre Leclerc 7 est un homme d’esprit et fort honnête homme. Ne trouvera-t-il point de protecteurs ? É.. L. »

1Copie par Wagnière ; copie contemporaine Darmstadt B. ; l'édition de Kehl joint un extrait de cette lettre à celle du 17 février 1767 .

3 Au brelan, une carte est retournée . Si un des joueurs a dans sa main trois cartes de même figure, son brelan devient quatrième ou carré . Coup gagnant, surtout avec les rois .

4 Les rois de Danemark, de Pologne, de Prusse, et l’impératrice de Russie.

5 Cet alinéa se retrouve quelquefois dans la lettre du 17 février. (Beuchot.)

6 Ces lettres manquent.