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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

Ah ! mon Dieu ! peut-on me proposer d’établir une loi par laquelle on est obligé de se marier au bout de quatre ans ?

...

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13 Avril 1767

Je supplie mes anges et M. de Thibouville de lire les nouveaux changements ci-joints. Il ne faut plaindre ni la peine de l’auteur, ni celle du libraire, ni celle des comédiens.

Pour engager le libraire à faire des cartons ou à faire une édition nouvelle, il ne donnera que trois cents livres à Lekain, et je lui donnerai les trois cents autres.

J’ose me persuader que mes juges, en voyant ce nouveau mémoire de leur client, me donneront cause gagnée.

Je ne sais pas pourquoi on a imprimé à Paris : 

Nous marchons dans la nuit, et d’abîme en abîme.

Je vous assure que mon vers 

Nous partons, nous marchons de montagne en abîme ,1

est beaucoup plus convenable aux voisins du mont Jura. Je vois de mes fenêtres une montagne, au milieu de laquelle se forment des nuages. Elle conduit à des précipices de quatre cents pieds de hauteur, et, quand on est englouti dans cet abîme, on trouve d’autres montagnes qui mènent à d’autres précipices. Je peins la nature telle qu’elle est et telle que je l’ai vue. Je vous demande en grâce de faire jouer les Scythes après Pâques, de n’en faire annoncer qu’une représentation, et d’en donner deux si le public les redemande, après quoi on les jouera à Fontainebleau.

Les papiers publics disent qu’on les reprendra à la rentrée ; il ne faut pas les démentir, ce serait avouer une chute complète ; les Frérons triompheraient. Lekain me doit au moins cette complaisance ; il pourrait bien retarder d’un jour son voyage de Grenoble.

J’avoue que le rôle d’Athamare ne lui convient point. Il faudrait un jeune homme beau, bien fait, brillant, ayant une belle jambe et une belle voix, vif, tendre, emporté, pleurant tantôt de tendresse et tantôt de colère ; mais comme il n’a rien de tout cela, qu’il y supplée un peu par des mouvements moins lents. Que mademoiselle Durancy passe toute la semaine de Quasimodo à pleurer ; qu’on la fouette jusqu’à ce qu’elle répande des larmes ; si elle ne sait pas pleurer, elle ne sait rien.

Ah ! mon Dieu ! peut-on me proposer d’établir une loi par laquelle on est obligé de se marier au bout de quatre ans ? Cela serait en vérité d’un comique à faire rire. Il n’est permis d’ailleurs de supposer des lois que quand il en a existé de pareilles. La loi de venger le sang de son mari, ou de son père, ou de son frère, a été connue de vingt nations ; celle de n’être reçu dans un pays qu’à condition qu’on s’y mariera ressemblerait à l’usage du château de Cutendre, où l’on n’entrait que deux à deux 2.

Dieu me préserve de charger d’aventures et d’épisodes la noble simplicité, si difficile à saisir, si difficile à traiter, si difficile à bien jouer .

Rendez-moi Mlle Lecouvreur et Dufrêne, je vous réponds bien du troisième acte. Le meilleur conseil qu’on m’ait jamais donné se trouve exécuté dans ces vers.

Va, si j’aime en secret les lieux où je suis née,

Mon cœur doit s’en punir, il se doit imposer

Un frein qui le retienne, et qu’il n’ose briser :

N’en demande pas plus…3

Je vous dirai de même : n’en demandez pas plus, ce serait tout gâter. J’ose vous répondre que, si les comédiens approchaient un peu de la manière dont nous jouons les Scythes à Ferney, s’ils avaient la vérité, la simplicité, l’empressement, l’attendrissement de nos acteurs, ils feraient fortune ; mais la même raison pour laquelle ils ne peuvent jouer ni Mithridate, ni Bérénice, ni tant d’autres pièces, leur fera toujours jouer les Scythes médiocrement. N’importe, je demande à cor et à cri deux représentations après Pâques . Si mon cher ange parvient à faire chasser le monstre qui déshonore la littérature depuis si longtemps, les gens de lettres lui devront une statue. Je demande pardon à M. Coqueley 4; mais un avocat plaide furieusement contre lui-même quand il se fait l’approbateur de Fréron : c’est se faire le recéleur de Cartouche. On le dit parent de M. le procureur-général : son parent devait bien lui dire qu’il se déshonorait. On ne connaît pas toutes les scélératesses de Fréron. C’est lui qui a répandu dans Paris la calomnie contre les Calas. Il a voulu engager un des gueux avec lesquels il s’enivre à faire des vers sur les prétendus aveux de la pauvre Viguière 5. Je suis bien fâché que la vérité se soit trop tôt découverte. Il fallait laisser parler et triompher les Frérons pendant quinze jours, et ensuite montrer leur turpitude. Les colombes n’ont pas eu la prudence du serpent 6.

Déployez vos ailes, mes anges, jetez le diable dans l’abîme, et tirez les Scythes du tombeau. Respect et tendresse. 

V.»

1 Les Scythes , Act. I, sc. III.

3 Les Scythes , Acte II, sc. I.

5 La servante des Calas .

6 Évangile selon Matthieu, X, 16 : https://www.aelf.org/bible/Mt/10

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05/10/2022 | Lien permanent

Les commis à la douane des pensées sont inexorables

... Et on en arrive à la stupide auto-censure pour satisfaire l'égo hypertrophié de minorités qui se victimisent faute d'être assez intelligentes. Le crétinisme de la révision du titre des Dix petits nègres n'en est qu'un petit exemple . On continue à châtrer des oeuvres remarquables, et les éditeurs sont alors d'une lâcheté infinie pour garder une clientèle de cloportes qui se croient phares de la bienséance . Comme dit maître Rabelais, compissons tous ces aigre-pisseux !

Gardons notre respect et notre amour pour ceux qui ont écrit, comme Voltaire,  qu'un chat est un chat !

Les « Dix petits nègres » d'Agatha Christie rebaptisé

 

 

 

« A Daniel-Marc-Antoine Chardon

11è décembre 1767

Monsieur, vous m'étonnez de vouloir lire des bagatelles, quand vous êtes occupé à déployer votre éloquence sur les choses les plus sérieuses mais Caton allait à cheval sur un bâton avec un enfant, après s'être fait admirer dans le sénat 1. Je suis un vieil enfant; vous voulez vous amuser de mes rêveries, elles sont à vos ordres mais la difficulté est de les faire voyager. Les commis à la douane des pensées sont inexorables. Je me ferais d'ailleurs, monsieur, un vrai plaisir de vous procurer quelques livres nouveaux qui valent infiniment mieux que les miens; mais je ne répondrais pas de leur catholicité. Ce qui me rassurerait, c'est que le meilleur rapporteur du conseil doit avoir sous les yeux toutes les pièces des deux parties.

Si vous pouvez, monsieur, m'indiquer une voie sûre, je ne manquerai pas de vous obéir ponctuellement.

J'ose me flatter que vous ferez bientôt triompher l'innocence des Sirven 2, que vous serez comblé de gloire; soyez sûr que tout le royaume vous bénira . Vous détruirez à la fois le préjugé le plus absurde, et la persécution la plus abominable.

J'ai l'honneur d'être, avec autant d'estime que de respect,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

Vous me pardonnerez de ne pas vous écrire de ma main, mes maladies et mes yeux ne me le permettent pas. »

 

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02/07/2023 | Lien permanent

Je me suis un peu mêlé du passé, mais j'avoue en général ma profonde ignorance sur l'avenir

 

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 Un vase pour mettre le passé, un présent fleuri, un vase source du futur .

Voilà mes voeux aux humains de bonne volonté .

 

 

« A M. Gaspard Le COMPASSEUR de CRÉQUI-MONTFORT, marquis de COURTIVRON1

Aux Délices, 22 juillet [1755].

Votre Traité d'optique, monsieur, ne peut devenir meilleur que par des augmentations, et ne peut l'être par des changements.
Je vous renouvelle mes remerciements pour cet ouvrage, et je vous en dois de nouveaux pour la bonté que vous avez de vous intéresser aux vérités historiques qui peuvent se trouver dans le Siècle de Louis XIV. Ces vérités ne sont pas du genre des démonstrations. Tout ce que je peux faire, c'est de croire ce que m'a assuré M. de Fénelon, neveu et élève de l'archevêque de Cambrai, que les vers imputés à Mme Guyon 2 étaient de l'auteur du Télémaque, et qu'il les lui avait vu faire; ce peut être la matière d'une note.
A l'égard de la poudre de diamant, comme cette question est du ressort de la physique expérimentale, elle peut mieux s'éclaircir. Le verre et le diamant n'étant que du sable, il redevient sable fin quand il est réduit en poudre impalpable, et cette poudre n'est pas plus nuisible que la poudre de corail. De là vient que tant d'ivrognes ont été dans l'habitude d'avaler leur verre après l'avoir vidé. J'ai eu le malheur de souper quelquefois, dans ma jeunesse, avec ces messieurs, ils brisaient leurs verres sous leurs dents, et ni le vin ni le verre ne leur faisaient mal. Si les fragments de verre ou de diamant n'étaient pas assez broyés, assez pilés, on ne pourrait les avaler, ou du moins on sentirait au passage un petit déchirement, une douleur qui avertirait. Je n'ai point sous les yeux l'article où Boerhaave parle des poisons ; j'ai celui d'Allen 3, qui dit en effet que la poudre de diamant est un poison. Mais le docteur Mead 4 disait: « Qu'on me donne deux gros diamants à condition que j'en avalerai un en poudre, et je ferai le marché. » En un mot, il est très-certain que la poudre de diamant impalpable ne peut faire de mal, et que, grossière, on ne l'avalerait pas. Du verre pilé tue quelquefois des souris, et souvent les manque, mais une princesse, dont le palais est délicat, n'avalerait point du verre mal pilé.
Je viens de parler de tout cela à M. Tronchin 5, qui est entièrement de mon avis, ce peut encore être l'objet d'une note.
Je vous aurai obligation, monsieur, d'éclaircir ces deux faits dont vous me faites l'honneur de me parler.
La prédiction des tremblements de terre sera un peu plus difficile à constater. Je me suis un peu mêlé du passé, mais j'avoue en général ma profonde ignorance sur l'avenir.
Tout ce dont je suis bien sûr, pour le présent, c'est de la sensibilité que vos attentions obligeantes m'inspirent, et de l'estime infinie avec laquelle j'ai l'honneur d'être, etc. »

2 Mme Guyon ; voir http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411331n/f66.image et pages suivantes .

3 Probablement Thomas Allen, mathématicien , dont les ouvrages se sont perdus, né en 1542, mort en 1632.

4 Richard Mead , mort le 16 février 1754, et que V* a connu à Londres en 1726 ; Mead figure à la fin du conte Histoire de Jenni . Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/Richard_Mead

et : page 104 et 105 : http://books.google.fr/books?id=xjEHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q=mead&f=false

5 Théodore Tronchin, médecin à Genève .

 

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23/02/2012 | Lien permanent

Si vous voyez quelque académicien, mettez-lui le cœur au ventre

... Et si vous voyez quelque politicien, mettez-lui le sens des réalités en tête .

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Illustration du char de l'Etat tracté par un emplumé écervelé ?! On va surement progresser .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

3 octobre [1761] 1

Permettez-moi, mes anges, de vous demander si vous avez donné Polyeucte à M. Duclos. J’ai renvoyé deux fois Cinna et Pompée. L’Académie met ses observations en marge. Je rectifie en conséquence, ou je dispute ; et chaque pièce sera examinée deux fois avant de commencer l’édition. C’est le seul moyen de faire un ouvrage utile. Ce sera une grammaire et une poétique au bas des pages de Corneille ; mais il faut que l’Académie m’aide, et qu’elle prenne la chose à cœur. Je fatigue peut-être sa bonté ; mais n’est-ce pas un amusement pour elle de juger Corneille de petit commissaire 2 sur mon rapport ? Si vous voyez quelque académicien, mettez-lui le cœur au ventre. Je serai quitte de la grosse besogne avant qu’il soit un mois.

J’appelle grosse besogne le fond de mes observations ; ensuite il faudra non seulement être poli ; mais polir son style, et tâcher de répandre quelques poignées de fleurs sur la sécheresse du commentaire.

M. de Lauraguais, qui est ici, me paraît un grand serviteur des Grecs . Il veut surtout de l’action, de l’appareil. Vous voyez qu’il court après son argent, et qu’il ne veut pas avoir agrandi le théâtre pour qu’il ne s’y passe rien. Il dit qu’à présent Sémiramis et Mahomet font un effet prodigieux. Dieu soit loué ! On se défera enfin des conversations d’amour, des petites déclarations d’amour ; les passions seront tragiques, et auront des effets terribles ; mais tout dépend d’un acteur et d’une actrice. C’est là le grand mal ; cet art est trop avili.

Peut-on ne pas avoir en horreur le fanatisme insolent qui attache de l’infamie au cinquième acte de Rodogune ? Ah, barbares ! ah, chiens de chrétiens (chiens de chrétiens veut dire chiens qui faites les chrétiens) ! que je vous déteste ! que mon mépris et ma haine pour vous augmentent continuellement !

Madame de Sauvigny 3 dit que Clairon viendra me voir ; qu’elle y vienne, mon théâtre est fait ; il est très beau, et il n’y en a point de plus commode. Nous commençons par l’Ecossaise . Nous attendons qu’on joue à Paris le Droit du Seigneur pour nous en emparer.

Je suis bien vieux ; pourrai-je faire encore une tragédie ? qu’en pensez-vous ? Pour moi, je tremble. Vous m’avez furieusement remis au tripot, ayez pitié de moi. »

1 Date complétée par d'Argental .

2 Juger, travailler de petits commissaires, signifie juger de façon préliminaire, sans attendre la décision des chambres, quand les conseillers jugeaient et travaillaient chez le président ; Beuchot cite en note : « Nous jugions à huis clos de petits commissaires » voir : Regnard, Le Légataire universel, Ac. I, sc. 1 : vers 89-90 : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/REGNARD_LEGATAIRE.xml#A1

 

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19/09/2016 | Lien permanent

il n’y a rien qu’on ne fasse pour satisfaire ses passions

... Et ma belle amie Mam'zelle Wagnière en est la preuve vivante, passionnée et passionnante fidèle de Voltaire. Avec un coeur d'or ...

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«  A Pierre-Joseph Thoulier d'Olivet

Au cjâteau de Ferney en Bourgogne,

par Genève 16è august 1761

Nous sommes vieux l’un et l’autre, mon cher Cicéron ; par conséquent il faut se presser. J’ai envoyé à M. le secrétaire perpétuel de l’Académie 1 l’Epître dédicatoire adressée à la compagnie, les commentaires sur les Horaces et sur Cinna, et la préface du Cid. Je vous envoie les remarques sur le Cid : et je vous supplie, vous qui êtes si au fait de l’histoire littéraire de ce temps-là, de m’aider de vos lumières. J’attends de votre ancienne amitié que vous voudrez bien presser un peu l’ouvrage. Nous n’attendons, pour commencer l’impression, que l’approbation du corps auquel je dédie ce monument, qui me paraît assez honorable pour notre nation.

Presque tous les amateurs s’accordent à désirer un commentaire perpétuel sur toutes les tragédies de Pierre Corneille. Cet ouvrage n’est ni aussi long ni aussi difficile qu’on le pense pour un homme qui depuis longtemps a fait une lecture assidue et réfléchie de toutes ces pièces . Il n’en est point qui n’ait de beaux endroits. Les remarques sur les fautes pourront être utiles, et les remarques historiques pourront être intéressantes.

Je ne m’embarrasse point de la manière dont les Cramer imprimeront l’ouvrage : c’est leur affaire. Il y aura probablement six ou sept volumes in 4° ; et à deux louis d’or l’exemplaire il y aurait beaucoup de perte, sans la protection que le roi et les premiers du royaume accordent à cette entreprise. J’aurai peut-être l’honneur d’y contribuer autant que le roi même ; car il faudra que je fasse toutes les avances, et que je supplée toutes les non-valeurs ; mais il n’y a rien qu’on ne fasse pour satisfaire ses passions ; et la mienne est d’élever avant ma mort un monument dont la nation me sache quelque gré. Vous voyez que j’ai puisé un peu de vanité dans la lecture de votre Cicéron ; mais je vous avertis qu’il n’y a rien de fait, si l’Académie ne me seconde pas.

Je supplie M. le secrétaire de marquer en marge tout ce qu’il faudra que je corrige, et je le corrigerai sur-le-champ ; je ne fatiguerai pas l’Académie de mes observations sur Pertharite, Agésilas, Suréna, Attila, Andromède, la Toison d’or, Pulchérie, en un mot sur les pièces qu’on ne joue jamais, et dont le commentaire sera très court . Mais je prendrai la liberté de la consulter sur tous mes doutes. Vous sentez qu’il est important qu’un tel ouvrage ait la sanction du corps, et qu’on puisse faire un livre classique qui sera l’instruction des étrangers et des Français.

Couronnez votre carrière, mon cher ami, en donnant tous vos soins au succès de notre entreprise.

Je suis obligé de dicter tout ce que j’écris, attendu qu’il ne me reste plus guère que la parole, et que je dicte en me levant, en me couchant, en mangeant, et en souffrant.

Vale, care Olivete.

V. »

1 Duclos .

 

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Les petites guerres intestines qu'on se fait à Paris sont aussi plates, que nos aventures sur terre et sur mer sont malh

... Tristounettes pagailles politiciennes sur fond de théâtre guerrier sur terre africaine et orientale et lutte, -le mot n'est pas trop fort,- contre l'afflux migratoire en Méditerranée .

 

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« A Louise-Marie-Madeleine Dupin 1

Au château de Tournay pays de Gex

par Genève 22 mai [1760]

La lettre dont vous m'honorez, madame, m'a été rendue bien tard , mais vous ne doutez pas de mes transports en la recevant . Plus j'ai renoncé à Paris, et moins je renonce à votre souvenir . Vous me consolez de toutes les nouvelles ou tristes ou ridicules qu'on reçoit de ce pays-là depuis plus d'une année . Les petites guerres intestines qu'on se fait à Paris sont aussi plates, que nos aventures sur terre et sur mer sont malheureuses . Les billets de confession, la condamnation de l'Encyclopédie, les convulsions, des citoyens joués sur le théâtre, des libelles de Fréron protégés, des gens de mérite persécutés, une foule de mauvais livres et de mauvaises pièces, ce sont là les beaux avantages de notre siècle . Si je n’avais pas pris depuis longtemps le parti de la retraite, je le prendrais aujourd'hui . Je ne suis heureux et je n'ai vécu que du jour où je me suis soustrait à toutes ces misères . Le goût de la campagne augmente encore le bonheur de ma retraite . Je n'y marche pas à quatre pattes, je crois qu'on peut être philosophe avec les aisances de la vie . J'avoue , madame, qu'il serait encore plus agréable d'avoir l'honneur de vivre avec vous . Votre société vaut assurément mieux que mes campagnes . On dit que vous n'allez guère à votre magnifique terre de Chenonceaux et que vous vous partagez entre Paris et Clichy . Heureux ceux qui vous y font la cour .

Oserai-je , madame, abuser de votre bonté pour vous faire une prière ? Pourrais-je obtenir un exemplaire des réflexions très judicieuses que M. du Pin fit sur L'Esprit des lois ?2 Cet ouvrage ne sortirait point de ma bibliothèque et servirait beaucoup à m'instruire . Donnez-moi votre protection auprès de lui . Il peut m'envoyer le livre par la poste sous l'enveloppe de M. Bouret . Accordez-moi cette faveur pour me dédommager de la société délicieuse que j'ai perdue, et conservez vos bontés pour le Suisse

V. »

 

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22/05/2015 | Lien permanent

La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d'avoir eu de grands sentiments de religion ? Qu'on es

... Je confirme, et , comme la peine c'est une sottise capitale .

 Idiot, mais pas sot !

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« Marie-Louise Denis

et

Voltaire

à [François-Augustin Paradis de Moncrif]1

[septembre 1759]

[…] qu'il nous reviendra pour vous monsieur je crains fort que votre santé, votre paresse et Saint Cloud ne nous privent du plaisir de vous recevoir dans un de nos châteaux, et que vou[s]2 ne nous obligiez de vous aller faire une petite visite à Paris . Mais comment faire quitter à mon oncle sa charrue ? La chose est plus difficile que l'on ne croit . L'absence ne peut altérer la tendre amitié que j'ai pour vous depuis si longtemps et que je vous conserverai toute ma vie .

Denis.

 

Soyez bien malade mon cher camarade, afin que nous vous guérissions . Venez au temple d’Esculape, faites votre pèlerinage comme les dames de Paris . Nous avons ici depuis deux ans Mme d'Epinay, confessée en chemin, arrivée mourante . Non seulement elle est ressuscitée mais inoculée . Voilà un grand triomphe et un grand exemple . Et moi donc ! ne pourrai-je me citer ? Je m'étais arrangé pour mourir il y a quatre ans et je me trouve plus fort que je ne l'ai jamais été, bâtissant, plantant, rimant, faisant l'histoire de cet empire russe qui nous venge et qui nous humilie .

O fortunatos nimium, sua nam bona morunt, agricola .3

Ainsi je ne me suis point fait enduire de térébenthine 4 et je n'ai point eu besoin d'envoyer chercher des capucins . Maupertuis a vécu comme un insensé et est mort comme un sot . Le roi de Prusse ne pouvait le souffrir mais comme il n'avait encore de niches à faire ni à l'impératrice , ni au roi, il en faisait à Maupertuis et à moi . J'ai pris le parti d'enterrer l'un, et d'être beaucoup plus heureux que l'autre . L'ingratitude du roi de Prusse a fait mon bonheur, et le roi notre bon maître l'a comblé en déclarant mes terres libres . Il ne me manque que de vous voir arriver ici pour prendre comme moi des lettres de vie au bureau de Tronchin .

Je vous embrasse de tout mon cœur . La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d'avoir eu de grands sentiments de religion ?

Qu'on est sot à Paris !

V. »

1 Manuscrit olographe où manque le premier feuillet de Mme Denis ; l'édition Cayrol suggère Cideville comme destinataire, mais celui-ci n'est pas membre d'une académie et de plus il n'y a rien qui le concerne personnellement, de même que le ton de la lettre ne convient pas ; Voltaire à Ferney suggère Chennevières, mais on peut faire les mêmes remarques que pour Cideville . De plus la mention de Saint Cloud doit être retenue, d'où le destinataire ici proposé .

Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-augustin-paradis-de-moncrif

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Augustin_de_Paradis_de_Moncrif

2 Correction du texte de Bestermann, vous , qui ne convient pas .

3 Ô trop heureux les laboureurs, car ils connaissent leur bonheur ; Virgile, Bucoliques, X,458-459.

4 Allusion aux expériences de Maupertuis, V* parle ordinairement de poix-résine . http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Louis_Moreau_de_Maupertuis

 

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08/10/2014 | Lien permanent

Daignez m'écrire seulement que les rentes que j'ai établies par contrats ..., en faveur de ma famille, lui seront toujou

... Telle est la requête des avocats , ou à peu près !

Du coup, ça fait tout drôle, étant innocent, de se retrouver derrière les barreaux .

https://www.lefigaro.fr/social/c-est-une-honte-c-est-du-v...

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« A Louis-Eugène, prince de Wurtemberg

5è décembre 1764 au château de Ferney

Permettez que j'aie encore l'honneur de parler à Votre Altesse Sérénissime sur la petite affaire de ma famille . Je ne suis point étonné que vous ayez mandé à ma nièce que dans l'occasion vous auriez égard à la justice de ses prétentions , nous comptons sans doute elle et moi sur la générosité de vos sentiments .

Vous avez ajouté à ces assurances de vos bontés, qu'il n'y avait plus de substitution dans les terres de votre maison . Vous entendez probablement qu'il est établi que les princes de votre sang en succédant à leurs parents, sont tenus de remplir les engagements de leurs prédécesseurs, de continuer les pensions , de payer les rentes et charges assignées .

C'est une loi qu'en effet l'honneur a dicté dans votre illustre maison ; mais la substitution est formelle dans toutes ses terres, et les ducs de Virtemberg ne peuvent aliéner aucun de leurs domaines, pas même en Franche-Comté et en Alsace .

Ainsi, monseigneur, aucun des domaines de votre maison n'est aliéné en ma faveur . J'ai établi seulement des rentes sur ma tête, et sur celles de mes neveux et nièces . Je ne jouirai pas longtemps des miennes ; mon âge de soixante et onze ans et mes infirmités, me font regarder l’extinction de ces rentes comme prochaines .

Reste donc celles qui sont sur la tête de Mme Denis, et celles qui sont sur la tête de mes neveux . Ils peuvent survivre à monseigneur le duc régnant, et en ce cas ils perdraient ce que je leur ai donné, si votre Altesse Sérénissime n'avait pas la bonté de tenir cet engagement, et d'ordonner le paiement de leurs rentes .

Ces rentes étant spécialement hypothéquées par-devant notaire sur les terres de l'Alsace et de la Franche-Comté , n'ont absolument rien de commun avec les États du Virtemberg . Je crois même que ce sont les seules dettes dont vos terres en France soient chargées . D'ailleurs, Votre Altesse Sérénissime sait bien que ces rentes, regardées comme alimentaires, et qui s’éteignent par la mort, n'entament jamais le fonds, et ne peuvent porter aucun préjudice ni à votre maison, ni à vos États .

Fondé sur ces raisons, et obligé de pourvoir à ma famille, j'ai donc pris la liberté de m'adresser directement à Votre Altesse Sérénissime . Je me suis félicité de voir mes intérêts dépendre de votre justice , et de la magnanimité de votre cœur . Il ne s'agit ici d'aucune discussion, d'aucun arrangement qui regarde le duché de Virtemberg, d'aucune affaire avec les États ; enfin, de rien au monde qui puisse compromettre votre personne . Je ne demande qu'un mot de lettre ; et si mon état me permettait de paraître en votre présence, je ne demanderais qu’une parole de votre bouche . Daignez m'écrire seulement que les rentes que j'ai établies par contrats avec monseigneur le duc votre frère, en faveur de ma famille, lui seront toujours payées .

Ces deux lignes certainement ne commettent pas votre personne, elles rassurent toute ma famille, et elles préviennent une foule de formalités très coûteuses dans chaque juridiction des terres situées en France .

Je vous demande cette grâce avec la plus vive instance . Je n'en abuserai certainement pas, et je vivrai et mourrai pénétré de la reconnaissance et du respect avec lequel j'ai l'honneur d'être

monseigneur

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

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05/02/2020 | Lien permanent

L’effet des premiers bruits ne se répare presque jamais , il faut cent efforts pour détruire l'impression d'un moment

... Ne l'ayant ni vu ni entendu en direct, je découvre :

https://www.lepoint.fr/politique/voeux-presidentiels-macr...

Bonne impression !

Un peu de progrès prévu face à l'immobilisme des grévistes, ça fait du bien .

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Aussi bonne année que possible à tous !

A suivre ...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

7è novembre 1764 aux Délices

Je voulais vous envoyer aujourd'hui, mon cher frère, pour faire diversion, quelques exemplaires de la nouvelle réponse à la nouvelle édition du testament du cardinal de Richelieu, et à la nouvelle lettre de M. de Foncemagne . Mais étant obligé de faire partir beaucoup de gros paquets, je n'ai pas voulu effrayer la poste . Ce sera pour le premier ordinaire .

Il a fallu la protection que j'ai à la cour pour affaiblir seulement un peu l'opinion où était le roi que j’étais l’auteur du Portatif . Il ne sait pas malheureusement tous les détails qui prouvent mon innocence . Il ne sait pas qu'il a été constaté à l'Académie, que non seulement je n’ai nulle part à cette édition , mais que le livre est de plusieurs auteurs et de plusieurs styles . Il sera plus difficile d'arrêter la fureur des Omer . L'un d'eux a fait venir l'ouvrage, et j'ai vu des lettres de lui qui ne sont pas d'un homme modéré . On ne pourra empêcher ces persécuteurs de suivre leurs infâmes usages dont on se moque depuis assez longtemps . Tout ridicules qu’ils sont, ils ne laisseront pas de faire impression, et même sur l'esprit du souverain, qui en voyant l'ouvrage condamné le trouvera encore plus condamnable .

Tout le mal vient, encore une fois, de ce que les frères à qui on a communiqué cet ouvrage, ont eu l'imprudence de me nommer . Plus ils auraient été convaincus que j'en était l'auteur, plus ils auraient dû écarter les soupçons dans l'esprit des autres . L’effet des premiers bruits ne se répare presque jamais , il faut cent efforts pour détruire l'impression d'un moment .

Je vous supplie donc , mon cher frère, de continuer à réparer le mal . C'est déjà beaucoup que l'on ait dit en pleine Académie la vérité dont j’ai besoin . Si quelque chose peut arrêter la fureur des barbares, c'est que le public soit instruit que le livre est un recueil de pièces de différents auteurs dès longtemps publiées .

Admirons cependant la Providence qui a suscité jusqu'à un prêtre, qui est le premier de son Église, pour faire un des articles M. et le fameux Midleton, auteur de la Vie de Cicéron, pour un autre article . Frère Protagoras dit qu'il ne veut rien écrire, mais si tous les sages en avaient dit autant, dans quel état serait le genre humain ? Et dans quelles horribles superstitions ne serions-nous pas plongés ? La superstition est immédiatement après la peste le plus horrible des fléaux qui puissent affliger ce genre humain . Il y a encore des sorciers à six lieues de chez moi sur les frontières de la Franche-Comté, à Saint-Claude, pays où les citoyens sont esclaves ; et de qui esclaves ? de l'évêque et des moines ! Il y a quelques années que deux jeunes gens furent accusés d'être sorciers, ils furent absous, je ne sais comment, par le juge . Leur père qui était dévot , et que son confesseur avait persuadé du prétendu crime de ses enfants, mit le feu à la grange auprès de laquelle ils couchaient et les brûla tous deux pour réparer auprès de Dieu l'injustice du juge qui les avait absous . Cela s'est passé dans un gros bourg appelé Longchaumois ; et cela se passerait dans Paris s'il n'y avait eu des Descartes, des Gassendi, des Bayle , etc.

On a donc beaucoup plus d'obligation aux philosophes qu'on ne pense ; eux seuls ont changé les bêtes en hommes .

Le Julien du marquis d'Argens réussit beaucoup chez tous les savants de l'Europe , mais il n'est pas connu à Paris ; on y craint trop pour l’erreur qui est encore chère à tant de gens .

Mon cher frère écr l'inf. »

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01/01/2020 | Lien permanent

Les ouvrages métaphysiques sont lus de peu de personnes, et trouvent toujours des contradicteurs . Les faits évidents, l

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« A A Etienne-Noël Damilaville

4è octobre 1763

Mon cher frère, voici d’abord un paquet qu’on m’a envoyé de Hollande pour vous.

A l’égard de mademoiselle Clairon, il importe peu qu’elle mérite ou non l’attention qu’on a de lui envoyer ce que vous savez 1 : elle est intéressée à décrier ce qui condamne son état ; et, quoi que puissent penser ses amis sur les gens de lettres, ils pensent uniformément sur l’objet dont nous nous occupons ; ils sont très capables de répandre, sans se compromettre, ce qui doit percer peu à peu dans l’esprit des honnêtes gens. Je vous avoue, mon cher frère, que je sacrifie tout petit ressentiment, tout intérêt particulier, à ce grand intérêt de la vérité. Il faut assommer une hydre qui a lancé son venin sur tant d’hommes respectables par leurs mœurs et par leur science. Vos amis, et surtout votre principal ami 2, doivent regarder cette entreprise comme leur premier devoir, non pas pour se venger des morsures passées, mais pour se garantir des morsures à venir, pour mettre tous les honnêtes gens à l’abri, en un mot, pour rendre service au genre humain. Il est clair qu’il faut nettoyer la place avant de bâtir et qu’on doit commencer par démolir l’ancien édifice élevé dans des temps barbares . Les petits ouvrages que vous connaissez peuvent servir à cette vue . Je pense que c’est sur ces principes qu’il faut travailler. Les ouvrages métaphysiques sont lus de peu de personnes, et trouvent toujours des contradicteurs . Les faits évidents, les choses simples et claires sont à la portée de tout le monde, et font un effet immanquable.

Je voudrais que votre ami eût assez de temps pour travailler à rendre ce service ; mais il a un ami 3 qui est actuellement à sa terre, et qui a tout ce qu’il faut pour venger la vertu et la probité si longtemps outragées. Il a du loisir, de la science, et des richesses : qu’il écrive quelque chose de net, de convaincant, qu’il le fasse imprimer à ses dépens, on le distribuera sans le compromettre . Je m’en chargerai, il n’aura qu’à m’envoyer le manuscrit , cet ouvrage sera débité comme les précédents que vous connaissez, sans éclat et sans danger. Voilà ce que votre ami devrait lui représenter.

Parlez-lui, engagez-le à obtenir une chose si aisée et si nécessaire. On se donne quelquefois bien des mouvements dans le monde pour des choses qui ne valent pas celle que je vous propose. Employez, votre ami et vous, toute la chaleur de vos belles âmes, dans une chose si juste.

Je demande pardon à frère Thieriot, c’est-à-dire, à frère indolent, d’être aussi indolent que lui, et de ne lui point écrire ; mais je compte que ma lettre est pour vous et pour lui.

J’aime mieux, pour une inscription, deux vers que quatre . Ce distique

Il chérit ses sujets comme il est aimé d’eux ;

Heureux père entouré de ses enfants heureux,

n’est peut-être pas vrai aujourd’hui ; mais il peut l’être avant que la statue soit érigée, quand toutes les remontrances du parlement seront oubliées.

A-t-on imprimé le plaidoyer contre les Bernardins ? Si vous l’avez, mon cher frère, je vous supplie de me l’envoyer. Plût à Dieu que vous pussiez m’envoyer aussi quelque édit qui abolît les Bernardins !

Je ne peux trop vous remercier de la bonté que vous avez eue de faire parvenir mes mémoires et mes lettres à l’avocat au conseil. Je vous supplie de lui faire tenir encore cette lettre.

Je ne sais si j’aurai jamais la consolation de vous voir, et si je vous aimerai plus que je ne vous aime.

Voici encore un petit mot pour M. Helvétius ; je ne sais où il est ; je vous recommande ce petit mot. »

1 Un Catéchisme de l'honnête homme .

2 Diderot .

3 Helvétius , qui ne se laissera pas enrôler pour la bataille .

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30/09/2018 | Lien permanent

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