Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné
Cartes de géographie : C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs
"Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles " , c'est vrai pour moi qui ces temps -ci me détache nettement de l'actualité, au point, rendez-vous compte, de ne voir Kho lanta que dans la nuit de mardi à mercredi à des heures que connaisssent bien les parents de bébés affamés :
- 2h du mat
- j'ai des frissons
- bébé braille
- il monte le son
- j'me sens tout seul
- tout seul dans mon lit
- maman ravitaille du bout du sein
- le fruit de ses entrailles
- sacré gamin !
Sur l'air bien connu : http://www.dailymotion.com/video/x48f42_5-heures-du-mat-j...
avec mes excuses pour le décalage horaire, j'ai le jet lag !
Et maintenant, sans transition , quelques "pauvres et inutiles vérités philosophiques" d'un modeste penseur du XVIIIème siècle qui me plaisent .
« A Nicolas-Claude Thiriot
M. Helvetius m’a envoyé son Esprit, mon ancien ami ; ainsi vous voilà délivré du soin de me le faire parvenir : je ne veux point avoir double esprit comme Élisée. Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles .J’ignore ce qui a excité un si grand soulèvement contre un philosophe estimable qui (à l’exemple de saint Matthieu) a quitté la finance pour suivre la vérité [Helvétius était fermier général ; le privilège pour l’impression, accordé le 12 mai, était révoqué le 12 août, et le censeur J.-P. Tercier qui l’avait accordé avait été destitué . Le livre fut condamné par le Parlement le 6 février 1759 et brûlé le 10 février]. Il ne s’agit dans son livre que de ces pauvres et inutiles vérités philosophiques qui ne font tort à personne, qui sont lues par très peu de gens, et jugées par un plus petit nombre encore en connaissance de cause. Il y a tel homme dont la simple signature, mise au bas d’une pancarte mal écrite, fait plus de mal à une province que tous les livres des philosophes n’en pourront jamais causer. Cependant ce sont ces philosophes, incapables de nuire, qu’on persécute.
Je ne suis pas de son avis en bien des choses : il s’en faut de beaucoup ; et s’il m’avait consulté, je lui aurais conseillé de faire son livre autrement ; mais tel qu’il est, il y a beaucoup de bon, et je n’y vois rien de dangereux. On dira peut-être que j’ai les yeux gâtés.
Il faut qu’Helvétius ait quelques ennemis secrets qui aient dénoncé son livre aux sots, et qui aient animé les fanatiques. Dites-moi ce qui lui a attiré un tel orage. Il y a cent choses beaucoup plus fortes dans l’Esprit des lois, et surtout dans les Lettres persanes. Le proverbe est bien vrai qu’il n’y a qu’heur et malheur en ce monde.
Au lieu de me faire avoir cet Esprit, pourriez-vous avoir la charité de m’indiquer quelque bon atlas nouveau, bien fait, bien net, où mes vieux yeux vissent commodément le théâtre de la guerre, et des misères humaines. Je n’ai que d’anciennes cartes de géographie. C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs. Il n’en est pas de même, à ce que je vois, des pièces de théâtre, des romans, des vers, des ouvrages de morale etc.
Je dicte ce rogaton, mon cher ami, parce que je suis un peu malade aujourd’hui. Mais j’ai toujours assez de force pour vous assurer de ma main que je vous aime de tout mon cœur.
V.
18 octobre 1758. »
18/10/2009 | Lien permanent
La Suisse n'a jamais rien vu de pareil
... En particulier l'ONU à Genève : décès à 100 ans de son ex- secrétaire général Javier Perez de Cuellar : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/05/j...
« A Marie-Françoise-Catherine de Beauvau-Craon, marquise de Boufflers-Remiencourt
[vers le 30 décembre 1764] 1
Le jeune peintre, madame, que vous avez eu la bonté de m'annoncer n'a pas encore tout à fait le pinceau de Raphaël . Mais il a les grâces de l'Albane et plus d'esprit que les écoles italiennes, flamandes et françaises fondues ensemble . La Suisse n'a jamais rien vu de pareil ; et je crois qu'à Paris et à Versailles il y a peu de peintres qui riment comme lui et peu de rimeurs qui peignent aussi bien . Quand il était abbé, il ressemblait à l'abbé de Chaulieu et à présent qu'il est chevalier il est fort au-dessus du chevalier de Gramont . Il est digne de madame sa mère à qui je souhaite une santé des plus robustes .
Cet aimable peintre a vu à Lausanne une Mme la marquise de Gentil Langalerie, bru de ce M. de Langalerie 2 qui envoya … promener cet imbécile de Chamillard, ministre de la Guerre et des Finances 3, et qui aima mieux se joindre au prince Eugène pour nous battre, que d'être 4
Plût au ciel qu’en effet j'eusse été votre père !
Cet honneur n’appartient qu'aux habitants des cieux
Non pas tous encore . Il est des demi-dieux
Assez sots et très ennuyeux,
Indignes d'aimer et de plaire .
Le dieu des beaux esprits, le dieu qui nous éclaire,
Le dieu des beaux vers et du jour
Est celui qui fit l'amour
A madame votre mère .
Vous tenez de tous deux, ce mélange est fort beau.
Vous avez (comme ont dit les saintes Écritures)
Une personne et deux natures,
De l'Apollon et du Beauvau 5.
Je suis tendrement dévoué à [l'un] et l'autre , la Suisse est émerveillée de vous . Ferney pleure votre absence . Le bonhomme vous regrette, vous aime, vous respecte infiniment . »
1 L'édition de Kehl, ainsi que toutes les éditions, place cette lettre en 1768 ; les allusions qu'elle contient la mettent en fait tout à la fin de 1764 ; voir la lettre du 15 décembre 1764 à la marquise, ainsi qu'une lettre contemporaine de chevalier de Boufflers à sa mère, lui envoyant « un petit dessin d'un Voltaire pendant qu'il perd une partie aux échecs », vers le 30 décembre ; voir page 277 : https://books.google.fr/books?id=Fog-AAAAYAAJ&pg=PA268&lpg=PA268&dq=voltaire+boufflers+decembre+1764&source=bl&ots=ebmPnDWXWm&sig=ACfU3U1_9vHwKCuWNcXo0p_HOC0eV21qZg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwijoe3G94LoAhUOzIUKHRpYB1AQ6AEwCHoECAoQAQ#v=onepage&q=voltaire%20boufflers%20decembre%201764&f=false
2 Voir page 269 : https://books.google.fr/books?id=Fog-AAAAYAAJ&pg=PA268&lpg=PA268&dq=voltaire+boufflers+decembre+1764&source=bl&ots=ebmPnDWXWm&sig=ACfU3U1_9vHwKCuWNcXo0p_HOC0eV21qZg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwijoe3G94LoAhUOzIUKHRpYB1AQ6AEwCHoECAoQAQ#v=onepage&q=voltaire%20boufflers%20decembre%201764&f=false
3 Pour V* il n'était « ni politique, ni guerrier, ni même homme de finance » (Siècle de Louis XIV). Voir : http://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/michel-chamillart-ministre-secretaire-etat-guerre-louis-xiv-1654-1721
4 On est ici en bas de page du manuscrit et V* n'a pas terminé sa phrase au dos .
5 La marquise de Boufflers , née de Beauvau-Craon, est la sœur de Charles Juste de Beauvau, prince de Beauvau-Craon , et a été l'amie d’Émilie du Châtelet en même temps que sa concurrente auprès du poète Saint-Lambert .
05/03/2020 | Lien permanent
Expliquez-moi donc cela , je vous en conjure . Est-il fou ?
... Donald Trump, bien entendu ! Une armée de l'espace ! Coutant des milliards de dollars ! Dans le même temps que des milliers de pompiers luttent contre des incendies énormes depuis des temps infinis avec des moyens finis . Le président bas-de-plafond-décoloré a vu trop de films de série Z, Z comme zinzin (et non pas Zorro !)
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI
et à
Jeanne-Grace Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
18è auguste 1763 1
Je reçois la lettre du 11è auguste, de mes divins anges, avec le gros paquet . J'entre tout du coup en matière, car je n'ai pas de temps à perdre .
D'abord , mes anges sauront que toutes les choses de détail ne sont point du tout comme elles étaient .
À l'égard de l'horreur que vous me proposez, et à laquelle Mme Denis n'a jamais pu consentir, cela prouve que vous êtes devenus très méchant depuis que vous êtes ministre 2. C'est ce que je mande à M. le duc de Praslin 3 ; le crime ne vous coûte rien ; nous avions jugé dans l'ignorance des champs, qu'il était abominable que Fulvie voulût assassiner Antoine, que ce n’était point l'usage des dames romaines quand on leur présentait des lettres de divorce, que deux assassinats à la fois, et tous deux manqués, pouvaient révolter les âmes tendres et les esprits délicats . Mais puisque ce comble de l'horreur vous fait tant de plaisir, je commence à croire que le public pourra la pardonner, mais je vous avertis que la combinaison de ces deux assassinats est horriblement difficile . Il est à craindre que l'extrême atrocité ne devienne ridicule . Un assassinat manqué peut faire un effet tragique . Deux assassinats manqués peuvent faire rire , surtout quand il y en a un hasardé par une dame . Toutes les combinaisons que ce plan exige, demandent beaucoup de temps . J'y rêverai, et j'y rêve déjà en vous contant la chose seulement .
Mes divins anges, mon affaire contre la sainte Église est entre les mains de M. Mariette ; cette affaire est terrible . Si nous la perdions, tous les droits, tous les avantages de notre terre nous seraient infailliblement ravis ; nous aurions jeté plus de cent mille écus dans la rivière . Tous nos droits sont fondés sur le traité d'Arau, il ne s'agit aujourd’hui que de savoir qui doit être juge du traité d'Arau, ou le roi qui le connait, ou le parlement de Dijon qui ne le connait pas .
La république de Genève, intéressée comme moi dans cette affaire, a chargé M.M. Crommelin d'en parler ou d'en écrire à M. le duc de Praslin, afin que ce ministre puisse faire regarder au Conseil cette affaire comme une affaire d’État, laquelle doit être jugée au Conseil des parties, comme tous les procès de ce genre y ont été jugés .
Mais aujourd’hui, il ne s'agit que de revenir contre un arrêt de ce même Conseil des parties, obtenu par défaut, et subrepticement contre MM. de Budé qui n'en ont rien su, et qui étaient dans leurs terres en Savoie, quand on a rendu cet arrêt ; il renvoie les parties à plaider au parlement de Dijon, selon les conclusions de l’Église, et contre les déclarations de nos rois que MM. de Budé n'ont pu faire valoir, dans l'ignorance où ils étaient des procédures que l'on faisait contre eux .
C’est à M. Mariette, chargé du pouvoir de MM. de Budé et du nôtre, à revenir contre cet arrêt, et à renouer l'affaire au conseil de parties .
Il sera peut-être nécessaire que préalablement, nous obtenions des lettres patentes du roi, au rapport de M. le duc de Praslin . C'est ce que j'ignore, et sur quoi probablement M. Mariette m’instruira .
On m'avait mandé des bureaux de M. de Saint-Florentin, que cette affaire dépendait de son ministère, parce qu’il a le département de l’Église ; mais M. le duc de Praslin a la département des traités .
Pompée et Fulvie disent qu'ils sont fort fâchés de cet incident qui vient les croiser, que le traité d'Arau n'a aucun rapport avec l'Empire romain et les proscriptions .
Mes anges, ma tête bout, mes yeux brûlent . Je me mets à l'ombre de vos ailes .
Encore un mot, pourtant . M. de Martel, fils de la belle Martel 4, ci-devant inspecteur de la gendarmerie, arrive ici sous un autre nom, par la diligence, avec une vielle redingote pelée, et une tignasse par-dessus ses cheveux ; il dit qu'il vous connait beaucoup . Expliquez-moi donc cela , je vous en conjure . Est-il fou ?
V.
M'est-il permis d'insérer ici ce petit paquet pour frère Damilaville ? Je ne vous parle point de Saül, j'aime mieux Pompée .
Respect, tendresse et reconnaissance .
V. »
1 L'édition de Kehl, suivie des autres, omet à la suite de la copie Beaumarchais tout ce qui suit la première initiale .
2 Pour mémoire, d'Argental est ministre de Parme à Paris .
3 Voir lettre du 21 août 1763 au duc de Praslin : « Je me flatte toujours que vous daignerez aussi être mon juge, et que Mariette vous présentera une requête pour le traité d'Arau. »
4 Mme de Fontaine-Martel :
11/08/2018 | Lien permanent
Le peuple écoutait ces farces théologiques le cou tendu, les yeux fixes et la bouche ouverte, comme les enfants écoutent
... Béatitude des simples d'esprit qui se délectent aujourd'hui des discours de leurs hommes/femmes politiques préférés , à chacun sa religion , l'une profane n'excluant pas une deuxième couche cléricale , la double peine !
« A Louis-César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière
[vers le 25 avril 1761]1
Votre procédé 2, monseigneur le duc, est de l'ancienne chevalerie ; vous vous exposez pour sauver un homme qui s'est mis en péril à votre suite . Mais la petite erreur dans laquelle vous m'avez induit, sert à déployer votre profonde érudition . Peu de grands fauconniers 3 auraient déterré les Sermones festivi 4, imprimés en 1502, et réimprimés en 1515 5. Raillerie à part, vous faites une action digne de votre belle âme, en vous mettant pour moi à la brèche .
Vous me disiez dans votre première lettre qu'Urseus Codrus , était un grand prédicateur ; vous m'apprenez dans votre seconde que c’était un grand libertin, mais 6 qu'il n’était pas cordelier . Vous demandez pardon à Saint François d'Assise, et à tout l'ordre séraphique , de la méprise où je suis tombé . Je me joins à vous, et je prends 7 sur moi la pénitence ; mais il reste toujours très 8 véritable, que les mystères représentés à l'hôtel de Bourgogne, étaient beaucoup plus décents que la plupart des sermons de ce temps 9. C'est sur ce point que roule la question .
Mettons qui nous voudrons à la place d'Urseus Codrus, et nous aurons raison . Il n'y a pas un mot dans les mystères qui révolte 10 la pudeur et la piété . Quarante associés qui font, et qui jouent des pièces saintes en français, ne peuvent s'accorder à déshonorer leurs pièces , par des indécences qui révolteraient le public , et qui feraient fermer leur 11 théâtre . Mais un prédicateur ignorant, qui travaille seul, qui ne rend compte à personne de son ouvrage 12, qui n'a nul usage des bienséances, peut mêler dans son discours 13 quelques sottises, surtout quand il les prononce en latin .
Tels étaient par exemple, les sermons du cordelier Maillard, que vous avez sans doute dans votre 14 bibliothèque . Vous verrez dans son sermon du jeudi de la seconde semaine de Carême, qu'il apostrophe ainsi les femmes des avocats qui portent des habits garnis d'or, Vous dites que vous êtes vêtues suivant votre état, à tous les diables votre état, et vous-mêmes mesdemoiselles . Vous me direz peut-être, nos maris ne nous donnent point de si belles robes, nous les gagnons de la peine de notre corps, à trente mille diables la peine de votre corps, mesdemoiselles 15.
Je ne vous répète que ce trait de frère Maillard pour ménager votre pudeur , mais si vous voulez vous donner le soin d'en chercher de plus forts dans le même auteur, vous en trouverez de dignes d'Urseus Codrus . Frère André 16 et Menot 17 étaient fort fameux pour ces 18 turpitudes . La chaire, à la vérité, n'était pas 19 toujours souillée par des obscénités; mais longtemps les sermons ne valurent pas mieux que les mystères de l'hôtel de Bourgogne .
Il faut avouer que les prétendus réformés de France, furent les premiers qui mirent quelque raison dans leurs discours, parce qu'on est obligé de raisonner quand on veut changer les idées des hommes . Cette raison était encore bien loin de l'éloquence . La chaire, le barreau, le théâtre, la philosophie, la littérature, la théologie, tout chez nous fut à quelques exceptions près fort au dessous des pièces qu'on joue aujourd'hui à la foire .
Le bon goût, en tout genre, n'établit son empire que dans le siècle de Louis XIV . C'est là ce qui me détermina, il y a longtemps, à donner une légère esquisse de ce temps glorieux et vous avez remarqué que dans cette histoire, c'est le siècle qui est mon héros, encore plus que Louis XIV lui-même, quelque respect et quelque reconnaissance que nous devions à sa mémoire .
Il est vrai qu'en général nos voisins ne valaient guère mieux que nous . Comment s'est-il pu faire que l'on prêchât toujours et que l'on prêchât si mal ! Comment les Italiens qui s'étaient tirés depuis si longtemps de la barbarie en tant de genres, ne fussent 20 pour la plupart dans la chaire que des arlequins en surplis ; tandis que la Jérusalem du Tasse égalait l'Iliade, que l'Orlando furioso surpassait l'Odyssée, que le Pastor fido 21 n'avait point de modèle dans l'Antiquité, et que les Raphaël et les Paul Véronèse exécutaient réellement ce qu'on imagine des Zeuxis, et des Apelle ?
Il n'est pas 22, monseigneur le duc, que vous n'ayez lu le concile de Trente, il n'y a pas 23 de duc et pair ( à ce que je pense ) qui n'en lise quelque session tous les matins . Vous avez remarqué le sermon de l'ouverture du concile par l'évêque de Bitonto 24.
Il prouva 25 premièrement, que le concile est nécessaire parce que plusieurs conciles ont déposé des rois et des empereurs . Secondement, parce que dans l'Enéide Jupiter assemble 26 le concile des dieux . Troisièmement, parce qu'à la création de l'homme, et à l'aventure de la tour de Babel, Dieu s'y prit en forme de concile . Il assure ensuite que tous les prélats doivent se rendre à Trente comme dans le cheval de Troie : enfin , que la porte du Paradis et celle 27 du concile est la même , que l'eau vive en découle, et que les pères doivent en arroser leurs cœurs comme des terres sèches ; faute de quoi, le Saint-Esprit leur ouvrira la bouche comme à Balaam et à Caïfe .
Voilà ce qui fut prêché devant les états généraux de la chrétienté 28. Le sermon de saint Antoine de Padoue, aux poissons, est encore plus fameux en Italie que celui de M. de Bitonto . On pourrait donc excuser notre frère André et notre frère Garasse, et tous nos gilles de la chaire du 16è et 17è siècle s'ils n'ont pas mieux valu que nos maîtres les Italiens .
Mais quelle était la source de cette grossièreté absurde si universellement répandue en Italie du temps du Tasse ; en France du temps de Montagne, de Charon et du chancelier de L'Hospital ; en Angleterre dans le siècle du chancelier Bacon ? Comment ces hommes de génie, ne réformaient-ils pas leur siècle ? Prenez-vous-en aux collèges qui élevaient la jeunesse, et à l'esprit monacal et théologal, qui mettait la dernière main à notre barbarie que les collèges avaient ébauchée . Un génie tel que le Tasse lisait Virgile, et produisait la Jérusalem . Un Machiavel lisait Térence et faisait La Mandragore . Mais quel moine, quel curé 29, lisait Cicéron et Démosthène ? Un malheureux écolier, devenu imbécile pour avoir été forcé pendant quatre ans, d'apprendre par cœur Jean Despautère 30, et ensuite devenu fou pour avoir soutenu thèse sur l'universel 31, et de la pensée, et sur les catégories, recevait en public son bonnet et ses lettres de démence, et s'en allait prêcher devant un auditoire, dont les trois quarts étaient plus imbéciles que lui , et plus mal élevés .
Le peuple écoutait ces farces théologiques le cou tendu, les yeux fixes et la bouche ouverte, comme les enfants écoutent les contes de sorciers, et s'en retournent tout contrit . Le même esprit qui le conduisait aux facéties de la mère sotte 32, le conduisait à ces sermons, et on y était d'autant plus assidu qu'il n'en coûtait rien 33.
Ce ne fut guère que du temps de Coeffeteau 34 et de Balzac 35, que quelques prédicateurs osèrent parler raisonnablement, mais ennuyeusement, et enfin, Bourdaloue fut le premier en Europe qui eut de l’éloquence en chaire . Je rapporterai encore ici le témoignage de Burnet, évêque de Salisbury qui, dans ses mémoires dit qu'en voyageant en France , il fut étonné de ces sermons, et que Bourdaloue réforma les prédicateurs d'Angleterre, comme ceux de France 36.
Bourdaloue fut presque le Corneille de la chaire ( si l'on ose dire 37) comme Massillon en a été depuis le Racine ; non que j'égale un art profane à un saint ministère 38, ni que j'égale non plus la difficulté médiocre de faire un bon sermon, à la difficulté prodigieuse 39 de faire une bonne tragédie . Mais je dis que Bourdaloue porta la force du raisonnement dans l'art de prêcher, comme Corneille l'avait portée dans l'art dramatique 40, et que Massillon s'étudia à être aussi élégant en prose que Racine l'était en vers .
Il est vrai qu'on reprocha quelquefois 41 à Bourdaloue comme à Corneille, d'être un peu trop avocat, de vouloir quelquefois 42 trop prouver, au lieu de toucher, et de donner quelquefois de mauvaises preuves . Massillon, au contraire , crut qu'il valait mieux peindre et s'émouvoir ; il imita Racine autant qu'on peut l'imiter en prose ; en prêchant pourtant (comme de raison 43) que les auteurs dramatiques sont damnés 44. Son style est pur, ses peintures sont attendrissantes . Relisez ce morceau sur l'humanité 45.
« Hélas ! s'il pouvait être quelquefois permis d'être sombre, bizarre, chagrin, à charge aux autres et à soi-même, ce devrait être à ces infortunés que la misère, les calaminés, les nécessités domestiques, et tous les plus noirs soucis environnent, ils seraient bien plus dignes d'excuse, si portant déjà le deuil, l'amertume, le désespoir souvent dans le cœur, ils en laissaient échapper quelques traits au dehors . Mais faut-il que les grands, les heureux du monde à qui tout rit, et que les joies et les plaisirs accompagnent partout, prétendent tirer de leur félicité même un privilège qui excuse leurs chagrins bizarres et leurs caprices ? Qu'il leur soit permis d'être fâcheux, inquiets, inabordables, parce qu'ils sont plus heureux ? Qu'ils regardent comme un droit acquis à la prospérité , d'accabler encore du poids de leur humeur, des malheureux qui gémissent déjà sous le joug de leur autorité, et de leur puissance ? 46»
Souvenez-vous ensuite de ce morceau de Britannicus :
Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs,
Vos jours, toujours sereins , coulent dans les plaisirs ,
L'empire en est pour vous l'inépuisable source ;
Ou si quelque chagrin en interrompt la course,
Tout l'univers, soigneux de les entretenir,
S'empresse à l'effacer de votre souvenir .
Britannicus est seul, quelque ennui qui le presse,
Il ne voit dans son sort que moi qui s'intéresse ;
Et n'a pour tout plaisir, seigneur, que quelques pleurs ,
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs 47.
Je crois voir dans la comparaison de ces deux morceaux, le disciple qui tâche de lutter contre le maître . Je vous en montrerais vingt exemples, si je ne craignais d'être long .
Massillon et Cheminais 48 savaient Racine par cœur, et déguisaient ces vers dans leur prose . C'est ainsi que plusieurs prédicateurs venaient apprendre chez Baron l'art de la déclamation, et rectifiaient ensuite le geste du comédien , par le geste de l'orateur sacré . Rien ne prouve mieux que tous les arts sont frères quoique les artistes soient bien loin de l'être 49.
Le malheur des sermons, c'est que ce sont des déclamations dans lesquelles on dit 50 souvent le pour et le contre . Le même homme qui dimanche dernier assurait qu'il n'y point de félicité dans la grandeur, que les couronnes sont d'épine, que les cours ne renferment que d'illustres malheureux, que la joie n'est répandue que sur le front du pauvre, prêche le dimanche suivant, que le peuple est condamné à l'affliction et aux larmes, et que les grands de la terre sont plongés dans des délices dangereuses .
Ils disent dans l'avent, que Dieu est sans cesse occupé du soin de fournir à tous nos besoins ; et en carême que la terre est maudite . Ces lieux communs les mènent jusqu'au bout de l'année par des phrases fleuries