Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/02/2010

Ô pauvres cœurs que nous sommes, foutus Français !

Brut de décoffrage !

 

 

« A Sophie-Frédérique-Wilhelmine de Prusse, margravine de Bayreuth

 

A Montriond près de Lausanne pays de Vaud 8 février [1757]

 

                            Madame,

 

                            Je crois que la suite des nouvelles que j’ai eu l’honneur d’envoyer à Votre Altesse Royale lui paraîtra aussi curieuse qu’atroce, et que le Roi son frère en sera surpris. a[f1] 

 

                            Il a eu la bonté de m’écrire une lettre où il daigne m’assurer de ses bonnes grâces. b[f2]  Mon cœur l’a toujours aimé. Mon esprit l’a toujours admiré. Et je crois que je l’admirerai encore davantage.

 

                            L’impératrice de Russie me demande à Pétersbourg ; pour écrire l’histoire de Pierre Ier. Mais Pierre Ier n’est pas le plus grand homme de ce  siècle. Et je n’irai point dans un pays dont le Roi votre frère battra l’armée.

 

                            Je ne sais si la nouvelle du changement de ministère en France est parvenue déjà à Votre Altesse Royale. On croit que l’abbé de Bernis aura le premier crédit. c[f3]  Voilà ce que c’est que d’avoir fait de jolis vers.

 

                            Madame, Madame, le Roi de Prusse est un grand homme.

 

                            Que Votre Altesse Royale conserve sa santé. Qu’elle daigne ainsi que Monseigneur honorer de sa protection et de ses bontés ce vieux Suisse qui lui a été tendrement attaché avec le plus profond respect dès qu’il a eu l’honneur d’être admis à sa cour. Qu’elle n’oublie pas frère V…

 

 

 


 [f1]Datées de Paris 30 janvier, elles concernent le procès de Damiens : il aurait des complices, on aurait envoyé du poison au dauphin, la Bastille est pleine. Il est question également du changement de ministres et que l’abbé de Bernis « qui a signé le traité de Vienne (alliance avec l’Autriche) a(it) les Affaires étrangères ». Ces informations seront transmises par la margravine à son frère.

 [f2]Lettre de Dresde le 19 janvier

 [f3]Il était entré au Conseil le 2 janvier, mais c’est Rouillé qui va être nommé ministre des Affaires étrangères ; Rouillé sera obligé de démissionner le 15 juin et sera remplacé par Bernis qui prêtera serment le 29 juin.

 

 

 

 

foutus.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 « A Charles de Brosses, baron de Montfalcon

 

8 février [1760] aux Délices

 

                            Monsieur,

 

                            1° Il doit vous importer fort peu, ainsi qu’au parlement, qui paye les frais du beau procès Panchaud, Sa majesté ou moi. Ainsi, permettez que je vous recommande mon bon droit, comme Agnelet.a[f1]  J’ai eu beau demander, chercher un titre, un  exemple qui prouvât que la justice de Tournay s’étend sur le fief de Genève où est située la cabane près de laquelle on a volé des noix et donné un coup de sabre. Je n’ai eu nul éclaircissement. Je présente requête au parlement pour qu’il soit ordonné aux juges de Gex de faire apparoir comme quoi la justice appartient à Tournay ; et faute de ce, le procès fait à Panchaud sera aux frais de Sa Majesté : je ne vois rien de plus juste.

 

                            Je vous supplie donc, Monsieur, de faire donner au procureur qu’il vous plaira la mienne requête. Je vous serai très obligé de cette bonté. Il faut secourir les gens en détresse.

 

                            2° Un point plus important est l’objet de délivrer la province, grande comme une épître de Lacédémonien, de douze brigades d’alguazils, qui la dévastent sans que nosseigneurs les fermiers généraux tirent un sou de ces déprédations.

 

                            Un fermier général va venir pour traiter avec la province b[f2] ; la province avec la compagnie. Vos cent dix mille livres serviront à libérer le pays, et vous produiront dix pour cent. c[f3] 

 

                            3° Une aventure de sbires contribue à la libération de la province ; la voici. Le pain manquant aux Délices, nous faisons venir de Ferney vingt-quatre coupes de blé (car du blé à Tournay ! néant d[f4] , grâce à l’administration de Chouet, qui meurt ivre et ruiné). Nous accompagnons nos voitures de Ferney d’un billet d’avis et de la permission du bacha de la province ; trois domestiques sont envoyés, l’un pour endosser la patente du bacha, les deux autres pour témoins. On nous saisit notre blé, nos équipages. Grandes plaintes, mémoires au contrôleur général, à Mgrs les fermiers généraux, à Sa majesté M. l’intendant ; procès, écritures ; enfin le contrôleur du bureau vient déclarer et signer aux Délices que les employés sont des fripons et qu’il les désavoue ; et le lendemain, le receveur vient déclarer et signer qu’ils ont fait un faux procès-verbal, et qu’ils l’ont antidaté. Leurs aveux, et copies figurées, envoyées vite en haut, comme disent les petits, et si haut même que copie en parvient à l’assemblée de nosseigneurs les fermiers généraux, le tout suivi de remontrances contre l’armée qu’ils entretiennent au pays de Gex et contre l’infernale administration de ce malheureux pays. Or, Monsieur, je vous demande sur tout cela votre protection immédiate.

 

                            4° Qu’est devenue votre Sallusterie ? e[f5]  Les discours de Gordon en français viennent de paraître. Il y a deux chapitres contre la monarchie papale et contre la monarchie jésuitique, qui ne sont pas à l’eau de rose.

 

                            Ces Anglais pensent comme ils se battent. O noï poverini becchi, fututi francesi ! f[f6] 

 

                            Mille respects.

 

                            V. »

 

 

 


 [f1]Dans L’Avocat Patelin, comédie de David-Augustin Brueys, jouée en 1706 et rééditée en 1760.

 [f2]V* a demandé à Mme d’Epinay d’envoyer son mari.

 [f3]Il s’agit de fonder une compagnie qui rachète le droit de « fournir le sel au pays de Gex » et si possible à « Genève, à Versoy, et ua pays de Vaud …(et) à l’étranger ». V* faisait le compte des dépenses et bénéfices à Fabry  le 4 janvier. Il a demandé à être le syndic : le 7 janvier à de Brosses : « Si la chose réussit, s’engage à payer (à de Brosses) une rente de dix pour cent pour la vente de Tournay », mais il ne lui versera « aucune somme comptant en signant le contrat… Les 110 000 livres, prix de Tournay seront placées dans la somme donnée au roi par la province. »

 [f4]Les documents retrouvés montreront que ce n’est pas tout à fait exact.

 [f5]Histoire de la République romaine par Salluste, en partie traduite du latin sur l’original, en partie rétablie et composée sur les fragments (1777) . V* a proposé en janvier 1759 de faire imprimer l’ouvrage à Genève

 [f6]Ô pauvres cœurs que nous sommes, foutus Français !

 

 

 

Les commentaires sont fermés.