Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/02/2011

L'optimisme est désespérant . C'est une philosophie cruelle sous un nom consolant

 Le désir de consolation est impossible à rassasier !

 http://www.deezer.com/listen-705964

 

if-its-any-consolation.gif

 

 

 

« A Élie Bertrand i

pasteur de l'Eglise française à Berne.

A Montriond 18 février [1756]

 

J'avais, mon cher philosophe, un cruel redoublement de colique quand j'ai reçu votre lettre . Ma consolation est donc que je n'aurai pas la colique dans l'autre monde ? Vraiment, je l'espère bien ; et j'en dis un petit mot dans mon sermon ii. La question ne roule pas sur cet objet d'espérance . Elle tombe uniquement sur cet axiome, ou plutôt cette plaisanterie : tout est bien à présent, tout est comme il devait être, et le bonheur général présent résulte des maux présents de chaque être iii. Or en vérité cela est aussi ridicule que ce beau mot de Posidonius iv, qui disait à la goutte : tu ne me feras pas avouer que tu sois un mal .

 

Les hommes de tous les temps et de toutes les religions ont si vivement senti le malheur de la nature humaine qu'ils ont tous dit que l'œuvre de Dieu avait été altérée . Égyptiens, Grecs, Perses, Romains, tous ont imaginé quelque chose d'approchant de la chute du premier homme . Il faut avouer que l'ouvrage de Pope détruit cette vérité, et que mon petit discours y ramène . Car si tout est bien, si tout a été comme il devait être, il n'y a donc point de nature déchue . Mais au contraire , s'il y a du mal dans le monde, ce mal indique la corruption passée et la réparation à venir . Voilà la conséquence toute naturelle . Vous me direz que je ne tire pas cette conséquence, que je laisse le lecteur dans la tristesse et dans le doute . Eh ! bien , il n'y a qu'à ajouter le mot d'espérer v à celui d'adorer et de mettre :

 

mortels il faut souffrir

Se soumettre, adorer, espérer et mourir .

 

Mais le fond de l'ouvrage reste malheureusement d'une vérité incontestable . Le mal est sur la terre . Et c'est se moquer de moi que de dire que mille infortunés composent le bonheur . Oui, il y a du mal, et peu d'hommes voudraient recommencer leur carrière, peut-être pas un sur cent mille . Et quand on me dit que cela ne pouvait être autrement, on outrage la raison et mes douleurs . Un ouvrier qui a de mauvais matériaux et de mauvais instruments est bien reçu à dire : je n'ai pu faire autrement . Mais mon pauvre Pope, mon pauvre bossu, que j'ai connu, que j'ai aimé, qui t'a dit que Dieu ne pouvait te former sans bosse ? Tu te moques de l'histoire de la pomme . Elle est encore (humainement parlant, et faisant toujours abstraction du sacré), elle est plus raisonnable que l'optimisme de Leibnits, elle rend raison pourquoi tu es bossu, malade , et un peu malin .

 

On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain . L'optimisme est désespérant . C'est une philosophie cruelle sous un nom consolant . Hélas ! Si tout est bien quand tout est dans la souffrance, nous pourrions donc passer encore dans mille mondes, où l'on souffrira , et où tout sera bien . On ira de malheurs en malheurs, pour être mieux . Et si tout est bien, comment les leibnitsiens admettront-ils un mieux ? Ce mieux n'est-il pas une preuve que tout n'est pas bien ? Eh ! qui ne sait que Leibnits n'attendait pas ce mieux ? Entre nous, mon cher Monsieur, et Leibnits, et Shaftsburi, et Bolingbroke, et Pope n'ont songé qu'à avoir de l'esprit . Pour moi, je souffre et je le dis ; et je vous dis avec la même vérité que j'ai grande envie d'aller à Berne vous remercier de vos bontés et de celles de M. de Freydenreik . Vous savez toutes les nouvelles, tout est bien en France, Mme de Pompadour est dévote, et a pris un jésuite pour confesseur vi. »

 

ii Son Poème sur le désastre de Lisbonne : http://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sa...

iii Essai sur l'homme, Pope, fin de la première épitre : page 45: http://books.google.be/books?id=aesFAAAAQAAJ&printsec...

iv Posidonius, philosophe stoïcien du premier siècle avant J.-C., établi à Rhodes . Pompée voulut entendre ses leçons, en revenant de Syrie ; Posidonius souffrant d'un accès de goutte aurait dit à plusieurs reprises : « Tu perds ton temps, douleur ; si importune que tu sois, tu ne me feras jamais avouer que tu sois un mal . » . Cette anecdote est rapportée par Cicéron et Pompée se plaisait à la raconter .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Posidonios

V* va publier dans les Mélanges de ses Œuvres complètes de 1756 des Dialogues entre Lucrèce et Posidonius .

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/10_Lucrece_Posid...

v Ce mot ne figurera pas dans l'édition car les deux vers ne concluront pas le poème ; ils sont suivis d'une anecdote et le dernier vers est : « Mais il pouvait encore ajouter l'espérance. »

vi Sacy ; voir page 101 et suiv. : http://books.google.be/books?id=q_c_AAAAcAAJ&pg=PA101...

En mars-avril, le duc de La Vallière demandera à V* de traduire pour elle des psaumes en vers français . Il écrira le Précis de l'Ecclésiaste et le Précis du cantique des cantiques, qui ne seront publiés qu'en 1759 .

http://www.voltaire-integral.com/Html/09/20_Ecclesiaste.h...

http://www.voltaire-integral.com/Html/09/21_Cantique.html

 

 Amour consolation :

 http://www.deezer.com/listen-3516093

http://www.deezer.com/listen-4597735

Inconsolable besoin de consolation :

http://www.deezer.com/listen-2053782

Tout doux , tendrement , en couple :  Le monde comme un bébé : http://www.deezer.com/listen-585603

 

 

 

 

Les commentaires sont fermés.