17/03/2013
Il vaut mieux se réjouir avec ses amis que de s'exposer à un public toujours dangereux
... Les motifs de contrariété étant trop aisés à trouver et à subir, la foule ne brillant pas toujours par l'intelligence, ni l'indulgence .
« A Marie-Elisabeth de DOMPIERRE de FONTAINE,
à PARIS.
A Lausanne, 10 janvier [1758].
Si vous veniez, ma chère nièce, passer l'hiver à Lausanne, et l'été aux Délices, vous pourriez vous vanter d'être dans les deux plus belles situations de l'Europe, et vous auriez la comédie partout. Nous la jouons à Lausanne, nous la voyons auprès de Genève et si les prédicants en croient M. d'Alembert leur bon ami, ils l'auront bientôt dans leur ville, cela est plus honnête que d'aller s'égorger en Allemagne, comme font tant de gens, parce qu'ils n'ont pas mieux à faire. Si on était sensé, on ne songerait qu'à passer une vie douce.
Je crois votre santé à présent raffermie. Tronchin a commencé, le régime et l'exercice ont achevé l'ouvrage. Vous vous êtes fait un plan de vie agréable vous avez un fils qui fait votre consolation vous avez des amis, vous êtes libre 1, et enfin vous êtes aimable, vous devez être heureuse.
J'ai reçu une lettre de monsieur votre fils, dont je suis très- content. Il me parait s'être formé en peu de temps, voilà ce que c'est que d'avoir une mère qui est de bonne compagnie. Il m'apprend que vous avez chez vous M. de La Bletterie 2, qui veut bien quelquefois encourager ses études, il est trop heureux d'être à portée de recevoir des avis d'un homme de ce mérite. Vous aurez, je crois, ma maigre effigie que vous demandez pour l'Académie et pour vous. Il y a dans Lausanne un peintre de passage, qui peint en pastel presque aussi bien que vous. Quelque répugnance que j'aie à faire crayonner ma vieille mine, il faut bien s'y résoudre, et être complaisant c'est bien l'être que de jouer la comédie à mon âge, et de souffrir qu'on m'envoie de Paris des habits de Zamti et de Narbas 3. C'est une fantaisie de votre sœur elle en a bien d'autres qui deviennent les miennes. Elle fait ajuster la maison de Lausanne comme si elle était située sur le Palais-Royal. Il est vrai que la position en vaut la peine. La pointe du sérail de Constantinople n'a pas une plus belle vue, je ne suis d'ailleurs incommodé que des mouches au milieu de l'hiver. Je voudrais vous tenir dans cette maison délicieuse, je n'en suis point sorti depuis que je suis à Lausanne. Je ne peux me lasser de la vue de vingt lieues de ce beau lac, de cent jardins, des campagnes de la Savoie, et des Alpes qui les couronnent dans le lointain mais il faudrait avoir un estomac, ma chère nièce cela vaut mieux que l'aspect de Constantinople. Si vous savez quelque chose du procès de M. d'Alembert avec les prédicants de Calvin, et de sa prétendue renonciation à l'Encyclopédie, je vous prie de m'en faire part.
Avez-vous lu la tragédie d'Iphigénie en Tauride 4 ? L'auteur me l'a envoyée, mais je ne l'ai pas encore reçue. Pour moi, je ne travaille plus que pour notre petit théâtre de Lausanne. Il vaut mieux se réjouir avec ses amis que de s'exposer à un public toujours dangereux. Je suis très-loin de regretter le parterre de Paris; je ne regrette que vous. Mille compliments au grand écuyer de Cyrus 5. Quoi qu'on en dise, on aurait eu grand besoin de nos chars contre la cavalerie de Luc 6. Il voulait mourir il y a trois mois, et à présent le voilà au comble de la gloire. Il ne m'écrit plus, les honneurs changent les mœurs 7. Adieu, ma chère enfant. »
2 Jean-Philippe-René de La Bletterie, né à Rennes en 1696 . Comme un des éditeurs de Kehl voulait enlever cette phrase, Condorcet répondit : « Non, La Bléterie était un homme d'un très grand mérite relativement à l'emploi de donner des leçons au petit d'Hornoy. »
Voltaire ne l'a pas ménagé en 1768 et 1769; voir page 4 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113444/f7.image
; et page 405 , 416, 583, 584, : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113266/f407.image.r=bletterie
, les Poésies mêlées .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe-Ren%C3%A9_de_La_Bl%C3%A9terie
3 Personnages de l'Orphelin de la Chine et de Mérope . Voir lettre du 5 janvier 1758 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/10/nous-laissons-faire-dieu-repondit-mitchenous-laissons-faire.html
4 De Claude Guymond de La Touche .Iphigénie en Tauride, jouée avec un grand succès le 4 juin 1757 . http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Guimond_de_La_Touche
5 Le marquis de Florian à qui V* avait soumis son projet de char de guerre autrefois .Voir lettre du 31 mai 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/03/pour-saisir-ce-projet-il-faut-des-hommes-actifs-ingenieux-qu.html
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Vous êtes prudent ; et je n'ai rien à vous dire . Mais si j'étais leur ami
... Je dirais : interim bibe et ride, buvez et riez !
« A monsieur le professeur Théodore Tronchin
à Genève
A Lausanne 8 janvier [1758]
J'ai vu, mon cher Esculape, votre lettre à Mme Denis 1 . Je ne crois point du tout que M. d'Alembert renonce à l'Encyclopédie . Il se dégoûte quelquefois mais il se rengage aisément . Ce grand ouvrage a besoin de lui . On ne souffrira pas qu'il abandonne . Je serai encore plus surpris qu'il se rétracte sur l'article Genève . Les rétractations 2 étaient bonnes pour saint Augustin mais non pas pour lui . Je connais son caractère . Si on se plaint trop fort il citera un certain catéchisme de votre professeur de théologie 3 où il est dit que la révélation a son unicité et où on ne trouve pas un mot de la sainte , adorable et individuelle trinité . Et quand il soutiendra qu'il n'a point révélé un secret, qu'il a rendu un compte public d'une opinion publique, on sera un peu empêché .
J'ignore jusqu'à quel point vous avez du plaisir dans cette affaire et quel degré de ridicule est jeté sur le col tors 4 d'un tartuffe . Ce ne sont pas là mes affaires . Vous êtes le secrétaire d'un comité des pères de l'église . Vous avez des sifflets à ménager pour eux . Vous êtes prudent ; et je n'ai rien à vous dire .
Mais si j'étais leur ami, si je voulais les servir je leur conseillerais de faire eux-mêmes un article de Lelio Socini 5, pour la lettre L du tome prochain , d'expliquer la trinité bravement et de dire qu'ils la croient et qu'on s'est trompé à l'article Genève . Cela finirait tout en douceur . Il est vrai qu'ils pourraient renier un peu leur foi à ce qu'on dit ., et qu'on ne les croira pas, mais aussi il faut avouer qu'ils sont dans le cas de soutenir hardiment le socinianisme, ou de trahir leur conscience ; cela est douloureux , et je compatis à leur état .
2 Allusion aux Rétractations de Saint Augustin : voir : http://fr.scribd.com/doc/57553430/Poujoulat-Raulx-Eds-Oeuvres-completes-de-saint-Augustin-1864-Volume-1
3 Évidemment, encore Vernet ; voir lettre du 29 décembre 1757 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/27/il-serait-necessaire-que-je-le-revisse-afin-que-ne-placasse.html
4 Expression venue de Pantagruel et Gargantua de Rabelais . Voir page 257 et 265 « les cagots à col tors ... » : http://books.google.fr/books?id=HqQGAAAAQAAJ&pg=PA315&lpg=PA315&dq=pantagruel+V+II&source=bl&ots=ogCiufVFD-&sig=ZtU4h9taEwWGU98ixu4IJwtoDdg&hl=fr&sa=X&ei=ptlFUc2PPMK3hQe2-4DABw&ved=0CEMQ6AEwBDgK#v=onepage&q=pantagruel%20V%20II&f=false
5 Lelio Francesco Maria Sozzini, fauteur, ainsi que son neveu Fausto Paolo Sozzini de l'hérésie socinienne, considéré comme le fondateur du mouvement antitrinitaire . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lelio_Sozzini
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16/03/2013
Je me suis borné à faire dans mes lettres en général des vœux pour la paix
... Combien sont capables de passer aux actes ?
« A M. Jean-Robert TRONCHIN,
de LYON
A Lausanne, 8 janvier [1758].
Mon cher correspondant, la prise de Breslau, celle de tant d'officiers et de tant de troupes, le siège de Schweidnitz, celui même d'Olmütz dont on parle, achèvent d'établir dans l'Allemagne l'équilibre que nos armées ont tâché en vain de déranger. La France est bien servie sans le vouloir, et doit remercier le roi de Prusse de l'avoir battue. Pour peu qu'il poursuive le cours de ses victoires, il faudra que l'Autriche soit la première à demander la paix. Je ne serais point étonné que les bras des Russes et des Suédois ne s'engourdissent, et que le roi de Prusse fût plus puissant que jamais.
Toute la Franconie est à présent inondée de troupes, il faut aller manger aujourd'hui ce pays-là, après avoir dévoré les autres. Il est difficile que les lettres m'arrivent de Baireuth comme elles arrivaient. Je me suis borné à faire dans mes lettres en général des vœux pour la paix. Il est plaisant d'avoir des remords de lâcher ce terrible mot. Je l'ai souhaitée à tout le monde. Le prince de Saxe-Hildbourghausen 1 doit-il être si fâché qu'on lui en souhaite sa part? Il rôde autour de Baireuth, c'est un homme de mauvaise humeur, et s'il s'ouvre les lettres, il est tout propre à prendre pour une trahison les souhaits d'un bon Suisse.
Quant à la petite Suissesse huguenote 2 qui s'avise de faire tout en douceur des métis avec un papiste, si on peut la faire accoucher à Lyon chez quelque honnête et charitable dévote, si on peut mettre son enfant aux orphelins, je l'adresserai à la personne que vous aurez la bonté d'indiquer, en qualité de femme, de légitime épouse . Elle pourra gagner quelque chose à son autre métier, qui est celui de couturière. Quant à sa conversion, après ses couches, ce sera l'affaire de quelque jeune chanoine car il n'y a pas moyen de proposer cette bonne œuvre à un cardinal et à un archevêque de l'âge de Son Éminence 3.
Il ne reste à Mme Denis et à moi qu'à vous remercier de toutes vos bontés avec la plus tendre reconnaissance .
V. »
2 Voir lettre du 3 janvier 1758 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/06/il-parait-qu-on-s-est-mis-dans-un-labyrinthe-dont-aucun-fil.html
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15/03/2013
Ce n'est que par des choses nouvelles qu'on peut réveiller l'attention du public
... Un peu de silence peut aussi réveiller l'attention sur soi-même et sur les autres, je crois .
« A Alexis-Jean Le Bret
A Lausanne le 8 janvier [1758]
Je n'ai pas manqué , monsieur, d'écrire à celui des Cramer qui est à Genève 1, conformément à vos intentions ; mais si vous avez envie de tirer quelque parti avantageux d'un ouvrage aussi considérable 2, je vous conseillerais d'en entreprendre l'édition vous-même ; on pourrait vous y aider . Je vous répondrais d'un très grand succès et très utile pour vous si vous pouviez consacrer trois ou quatre mois à la révision du livre . Il s'agirait de retrancher tous les articles purement historiques, vagues et inutiles, de fortifier ceux de philosophie et de dire tout ce que les dictionnaires ordinaires n'ont pas encore dit . Ce n'est que par des choses nouvelles qu'on peut réveiller l'attention du public .
Si je ne fais pas cet été un voyage en Allemagne, je vous offre un petit logement dans mon ermitage des Délices auprès de Genève . Vous n'y manquerez pas de livres et je vous seconderai dans ce travail . Vous jouirez d'un loisir qui vous mettra en état de rendre votre entreprise utile au public et à vous, etc. »
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14/03/2013
nous sommes ensevelis dans les neiges mais aussi nous avons une belle verdure neuf mois de l'année
... Répètent in petto les habitants des 29 départements exceptionnellement ennneigés !
Ce qui me rappelle une affirmation équivalente lors de mon arrivée dans une ville minière :" Vous allez voir comme les alentours sont agréables !"
Oui, voyons le bon côté .
« A Claude-François Passerat de La Chapelle 1
A Lausanne 6 janvier [1758]
Vous jouissez du printemps, monsieur, et nous sommes ensevelis dans les neiges mais aussi nous avons une belle verdure neuf mois de l'année et , tout est compensé . Je ne troquerais pas ma maison de Lausanne contre le château de Minorque ni même mon lac contre votre Méditerranée . Vous faites aussi très bien de ne pas changer votre sort contre celui de M. de La Virotte 2 qui va, je crois, revenir d'Allemagne avec le vainqueur de Mahon . Je serai bien content quand je vous verrai revenir de vos iles Baléares dans nos Alpes et quand je pourrai vous renouveler dans mes petites Délices les sentiments avec lesquels je serai toute ma vie, monsieur, votre etc.
Le Suisse »
1 Chirurgien des armées du roy ; http://gw2.geneanet.org/jesuisgrolee?lang=fr;p=claude+francois;n=passerat+de+la+chapelle
Botaniste-herboriste : http://books.google.fr/books?id=evg8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Il a écrit un livre : Réflexions générales sur l'ile de Minorque : http://books.google.fr/books/about/R%C3%A9flexion_g%C3%A9n%C3%A9rales_sur_l_isle_Minorq.html?id=TTWCQwAACAAJ&redir_esc=y
2 Médecin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Anne_La_Virotte
V* le connaissait depuis son séjour en Prusse : voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance---annee-1753---partie-2-112221941.html
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des libelles diffamatoires qui devraient servir à allumer les bûchers de leurs sodomites prêtres, si on n'avait pas autant d'indulgence qu'ils ont de fureur
... Fumée blanche ou noire ?
Quand Voltaire fâché, lui pas modérer ses paroles ! et c'est tant mieux ; il nous éclaire , même crûment sur les faits et gestes de lamentables prétendus prêtres aux moeurs coupables . Et ça dure depuis des siècles .
Que François , pape, sache ne pas couvrir ces fraudes et malveillances de membres du clergé , ce serait une remise à plat qui vaudrait mieux que les excuses envers Galilée . Plus difficile certe, mais nécessaire , la justice divine étant une faible consolation pour les victimes, la justice des tribunaux humains reste nécessaire .
Bon, je ne veux pas casser l'ambiance, il fera pour le mieux et j'attends la rencontre des deux François , sous la protection [?] de François-Marie . Il me serait agréable que "François" n'évoque pas qu'un pape ou un président dans la pensée de mes contemporains .
« A Denis Diderot
[vers le 5 janvier 1758]
Est-il bien vrai monsieur que tandis que vous rendez service au genre humain et que vous l'éclairez, ceux qui se croient nés pour l'aveugler aient la permission de faire un libelle périodique 1 contre vous et contre ceux qui pensent comme vous ? Quoi ! on permet aux Garasse 2 d'insulter les Varron et les Pline !
Quelques ministres de Genève ont eu la rage en dernier lieu, de vouloir justifier l'assassinat juridique de Servet 3. Le magistrat leur a imposé silence, les plus sages ministres ont rougi pour leur confrères bafoués ; et il sera permis à je ne sais quels pédants jésuites d'insulter leurs maîtres !
N'êtes-vous pas tenté de déclarer que vous suspendrez l'Encyclopédie jusqu'à ce qu'on vous ait fait justice ? Les Guignard 4 ont été pendus et les nouveaux Garasse devraient être mis au pilori . Mandez-moi je vous prie les noms de ces malheureux . Je les traiterai selon leur mérite dans la nouvelle édition qui se prépare de l'Histoire générale . Que je vous plains de ne pas faire l'Encyclopédie dans un pays libre ! Faut-il que ce dictionnaire cent fois plus utile que celui de Bayle soit gêné par la superstition qu'il devrait anéantir ; qu'on ménage encore des coquins qui ne ménagent rien ; que les ennemis de la raison, les persécuteurs des philosophes, les assassins de nos rois osent encore parler dans un siècle tel que le nôtre !
On dit que ces monstres veulent faire les plaisants et qu'ils prétendent venger la religion qu'on n'attaque point, par des libelles diffamatoires qui devraient servir à allumer les bûchers de leurs sodomites prêtres, si on n'avait pas autant d'indulgence qu'ils ont de fureur .
Votre admirateur et votre partisan jusqu'au tombeau
Le Suisse libre. »
1 La Religion vengée ; voir lettre à Thieriot du 5 janvier 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/13/ils-me-donnent-quelquefois-des-articles-peu-interessants-a-f.html
2 Le père François Garasse, prédicateur et pamphlétaire religieux (1585-1631) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Garasse
3 Voir lettre du 24 décembre 1757 à Élie Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/24/malheur-a-quiconque-est-encore-calviniste-ou-papiste.html
4 Le jésuite Jean Guignard avait été, dit-on, l'instigateur de la tentative de régicide de Jean Châtel contre Henri IV , d'où la colère de V* . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Ch%C3%A2tel et : http://www.liberation.fr/metro/0101129891-c-est-arrive-un-7-janvier-complot-jesuite-jean-guignard-mene-au-supplice
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13/03/2013
Ils me donnent quelquefois des articles peu intéressants à faire; mais tout m'est bon, et je me tiens trop heureux et trop honoré de mettre quelques cailloux à ce magnifique édifice
... Also sprach Voltaire ! Modeste maçon de l'Encyclopédie .
Je vous donne parfois (souvent ? ! ) des commentaires à jeter au fond de l'eau directement, quelques fois bons à faire des ricochets, avec la même fin quand même .
Ne retenez que les paroles de Voltaire et vous ferez une part de mon bonheur .
« A M. Nicolas-Claude THIERIOT.
Lausanne, 5 janvier [1758].
Le cacouac 1 de Lausanne vous souhaite santé et prospérité. Je ne sais pas comment les supérieurs des jésuites, qui d'ordinaire réparent par la prudence la folie qu'ils ont faite de s'enrôler à quinze ans, peuvent souffrir de telles impertinences dans leurs bas officiers. Ils se font des ennemis irréconciliables; ils se rendent l'horreur et le mépris de tous les honnêtes gens. Voilà de plaisants marauds, de croire soutenir la religion par des libelles diffamatoires, et de mériter le pilori en prêchant les bonnes mœurs Les prédicants de Genève seront plus sages, et je crois qu'ils se garderont bien de s'exposer au ridicule en attaquant l'Encyclopédie.
J'attends avec impatience la tragédie 2 de l'homme à talent qui a eu le bon esprit de quitter les jésuites, et le courage de donner à vos dames une belle pièce sans amour. J'espère qu'il n'en sera pas de cette pièce comme de tant d'autres, qui ont paru avec éclat pour être plongées ensuite dans un éternel oubli. Il y a en effet, mon cher et ancien ami, de beaux articles dans le septième tome de l'Encyclopédie; mais ce ne sont pas les miens. Ce ne sont pas non plus les déclamations vagues et plates qui se trouvent là en trop grand nombre, mais les articles vraiment utiles concernant les sciences et les arts. Ce sera un ouvrage immortel, et si les entrepreneurs avaient mieux choisi leurs ouvriers, ce serait un ouvrage parfait. Ils me donnent quelquefois des articles peu intéressants à faire; mais tout m'est bon, et je me tiens trop heureux et trop honoré de mettre quelques cailloux à ce magnifique édifice. Je ne suis pourtant pas sans occupations dans ma douce retraite j'y passerai tout l'hiver. On n'a point une plus belle vue à Constantinople, et on n'y est pas si bien logé. J'irai ensuite revoir mes tulipes aux Délices. J'attends toujours le gros tonneau d'archives 3 qu'on m'emballe de Pétersbourg; mais il ne partira qu'après le dégel des Russes. c'est-à-dire au mois de mai. En attendant, j'ajoute à l'Histoire générale les chapitres de la religion mahométane, des possessions françaises et anglaises en Amérique, des anthropophages, des jésuites du Paraguai, des duels, des tournois, du commerce, du concile de Trente, et bien d'autres. C'est à M. de Richelieu et au roi de Prusse à terminer cette histoire. Je ne sais à présent où est mon disciple. Il disait, il y a quelque temps, à Mitchell, le ministre d'Angleterre, à propos de la cacata 4 de la flotte d'Albion « Eh bien que faites-vous à présent ? » « Sire, nous laissons faire Dieu. » « Ah je ne savais pas qu'il fût votre allié. » « Sire, c'est le seul à qui nous ne payons pas de subsides. » « C'est aussi le seul qui ne vous assiste pas. » Voilà une plaisante conversation.
Vale, scribe, et ama. »
1 Ce nom désigne les philosophes. J.-N. Moreau, mort en 1803, avait publié Nouveau Mémoire pour servir à l'Histoire des Cacouacs, 1757, petit in-8°. Le Catéchisme et Décisions des cas de conscience, à l'usage des Cacouacs, etc., publié en 1758, est d'un abbé de Saint-Cyr. (Beuchot.)
Dans sa lettre du 27 décembre 1757 Thieriot écrit à V* : « … les jésuites vont publier un écrit périodique intitulé La Religion vengée dans lequel ils combattent Milord Bolingbroke, M. de Montesquieu, M. de Buffon, d'Alembert, Diderot, Rousseau et l'essai sur l'Histoire universelle . Ils font précéder ce grand ouvrage d'une satire allégorique assez ingénieuse et assez piquante dans laquelle ils vous appellent des Kakouacs d'après la mot grec kakos, méchant, et tâchent de vous rendre aussi odieux qu'il leur est possible . Vous recevrez vraisemblablement un petit recueil d'injures presque en même temps que ma lettre . »
L'affaire avait commencé par une attaque dans le Mercure de France d'octobre 1757 contre les philosophes plus ou moins assimilés aux petits-maîtres esprits forts, où le mot cacouac s'appliquait à un monstre ayant sous la langue une poche de poison distillé à chaque mot et faisant le mal pour le plaisir .
2 Iphigénie en Tauride, par Claude Guymond de La Touche dont la reprise du 12 décembre 1757 était annoncée par la lettre du 27 de Thieriot .http://books.google.fr/books?id=pTZMAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
3 Pour mener à bien l'Histoire de l'empire de Russie sous le règne de Pierre le Grand ; voir lettres : du 1er octobre 1757 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/12/31/il-se-perdit-dans-ce-temps-la-un-paquet-du-courrier-les-aman.html
du 26 octobre 1757 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html
du 14 novembre 1757 à Shouvalov : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html
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