14/10/2023
C'est à vous à savoir quels sont vos ennemis
... N'attendez pas les injonctions des dictateurs , ils sont légions, et tous plus détestables les uns que les autres , y compris cette plaie moderne que sont les influenceurs.ceuses. Je vous souhaite d'avoir encore assez d'esprit pour les reconnaitre et les bannir .
« A Claude-Joseph Dorat, ancien Mousquetaire
du roi, etc.
Barrière Vaugirard
à Paris
1er mars 1768, au château de Ferney 1
J'ai toujours sur le cœur, monsieur, la calomnie qui m'impute mille ouvrages que je ne connais pas, et la mauvaise foi qui se sert de mon nom pour faire courir des épigrammes que je n'ai ni faites ni pu faire. Cette mauvaise foi m'a été extrêmement sensible.
J'appris, il y a quelques mois, qu'on prétendait que j'avais récité une épigramme 2, ou plutôt des vers contre vous, qui me paraissent très injustes, quoique assez bien faits 3. Cette imposture fut confondue, mais je fus très affligé. J'en écrivis à Mme Necker 4, qu'on me dit être votre amie . Je vous en écris aujourd'hui à vous-même, monsieur. Quoique j'aie eu quelques légers sujets de me plaindre de vous 5, je l'ai entièrement oublié, et les excuses que vous avez bien voulu me faire m'ont infiniment plus touché que le petit tort dont j'avais sujet de me plaindre ne m'avait été sensible. Il m'était impossible, après cela, de rien faire qui pût vous déplaire. J'étais d'ailleurs malade et mourant quand cette épigramme parut. Songez au temps où elle fut faite . Pouvais-je alors deviner que vous eussiez une maîtresse à l'Opéra? Était-ce à moi de la faire parler? Je n'ai jamais vu les vers que vous aviez composés pour elle . En un mot, monsieur, je suis trop vrai et j'ai trop de franchise pour n'être pas cru, quand j'ai juré à Mme Necker, sur mon honneur, que je n'avais nulle part à cette tracasserie.
C'est à vous à savoir quels sont vos ennemis. Pour moi, je ne le suis pas . J'ai été très affligé de cette imposture. J'ai des preuves en main qui me justifieraient pleinement mais je ne veux ni compromettre ni accuser personne. Je me bornerai à mon devoir c'est celui de repousser la calomnie.
Voilà, monsieur, ce que la vérité m'oblige à vous écrire, et cette même vérité doit en être crue quand je vous assure de toute l'estime et de tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
Permettez que M. le chevalier de Pezay trouve ici les assurances des sentiments que je lui dois . »
1 Original signé, post scriptum autographe .
2 Voir lettre du 4 mars 1767 à Dorat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/08/12/toutes-ces-sottises-couvertes-par-d-autres-sottises-tombent-6395946.html
3 C'est l'épigramme de La Harpe, qui commence par ce vers « Bon Dieu, que cet auteur est triste en sa gaîté » . Voir : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article7698
4 Voir lettre du 28 décembre 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/07/20/il-faut-que-j-implore-votre-esprit-conciliant-contre-l-espri-6453186.html
5 Voir lettre du 22 décembre 1766 au marquis du Pezay : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/03/27/tous-les-ministres-savent-assez-quelle-est-la-conduite-punis-6373580.html
et du 28 janvier 1767 à Dorat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/05/20/nous-serons-egalement-satisfaits-si-vous-voulez-bien-monsieu-6382857.html
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