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14/02/2025

Venons maintenant aux bagatelles

... Saint Valentin oblige !

 

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« A Marie-Louise Denis

7è auguste 1769 [de Ferney] 1

Je reçois , ma chère amie, votre lettre du 30 juillet, j'y réponds sur le champ, et c'est pour vous dire que tout ce que vous me demandez est fait depuis longtemps . J'ai écrit de tous cotés pour faire réussir les désirs de M. de La Borde . J'ai supplié d'un côté M. le maréchal de Richelieu et de l'autre M. d'Argental . J'ai joint à mes prières les plus fortes raisons que j'ai pu alléguer . C'est à M. de La Borde à faire le reste . S'il n'avait pas eu le malheur de faire représenter à Fontainebleau son opéra de Thétis et de Pélée 2, on aurait meilleure opinion de sa musique, mais il a révolté tous les gens de goût, et l'on craint que sa Pandore ne ressemble à sa Thétis . Il s'agit de détruire le préjugé ; ce n'est pas une petite affaire de prose, en musique, en vers, en quelque genre que ce puisse être . Ce que j'ai entendu de Pandore m'a paru très agréable ; mais on ne donnera pas des fêtes à Madame la dauphine sur la foi de mes deux oreilles . Si on faisait bien on en croirait les vôtres . Je crois même que vous ne feriez pas mal d'écrire à M. le maréchal de Richelieu, il se mêle de cette affaire autant que M. le duc d'Aumont, et vous savez comment il peut s'y prendre 3. Cela entretient toujours commerce, et il aimerait mieux que vous lui parlassiez de musique que d'argent .

À l’égard des douze années que doit la succession de Mme la princesse de Guise, c'est un opéra qui commence à me paraître plus difficile à jouer que celui de La Borde . Je vous en parlerai une autre fois . Tout ce que je puis vous dire à présent, c'est qu'il est bien étrange qu'on ne sache pas quel est le régisseur . Ne pourriez-vous pas le demander à l'abbé Blet, et vous donner même la peine d'aller chez lui ? Je suis dans un cas non moins embarrassant avec le trésorier de Montbéliard, mais je vous réponds que je m'en tirerai, dussé-je moi-même faire le voyage . Croyez-moi, voyez votre régisseur, et sachez à quoi vous en tenir . On pourrait s'arranger avec lui à l'amiable ; c'est peut-être le premier pas qu'il fallait faire, supposé que ce régisseur demeure à Paris comme je le pense.

Venons maintenant aux bagatelles . Oui, sans doute, j'avais des copies de toutes les lettres moitié prose moitié vers, et il est bien clair que j'avais une copie de la lettre à M. le président De Brosses, car certainement ce n'est pas lui qui l'a donnée . Cette lettre roule uniquement sur un procès très inique dont le président fut obligé de se désister . Il fallait bien que j'eusse une minute de ma lettre ; elle était sur mon bureau avec d'autres papiers lorsqu'on la prit ; et Dupuits vit même qu'on emportait une assez grosse liasse, et il m'en avertit . Mais je vous répète encore que non seulement je n’accuserai personne, mais que je démentirai hautement quiconque accuserait le jeune homme en question, et le perdrait à jamais, ou du moins risquerait de le perdre par le moindre soupçon . Je veux même n'en point avoir, et fermer les yeux sur tout cela . Vous voyez que ma façon de penser s'accorde entièrement avec la vôtre .

On a prévenu encore vos désirs sur deux chapitres dont vous me parlez ; tout est rectifié dans trois éditions nouvelles qui sont, dit-on, achevées au moment que je vous écris . Les gens qui se mêlent de cette petite affaire prétendent qu'on sera content .

On a fait plusieurs éditions du Siècle de Louis XV . On en a envoyé une à M. de La Sourdière pour être présentée à sa cousine, et on a mis des étiquettes aux pages où il est question des choses les plus flatteuses pour les personnes intéressées . C'est une démarche dont qui que ce soit ne peut savoir mauvais gré, et qui peut faire un très bon effet .

J'ai entendu parler comme vous d'une brochure traduite de l'anglais, intitulée La Paix perpétuelle 4. Il paraît tous les huit jours quelque ouvrage dans ce goût en Hollande . On en a imprimé un catalogue que j'ai vu ; il se monte à cent soixante et dix, et il est encore très incomplet . Il n'y a guère actuellement de jeunes gens un peu instruits qui ne veuillent essayer sa 5 plume sur ces matières . Damilaville, Boulanger, celui qui a écrit sous le nom de Fréret, ont fait une infinité de disciples . Pour moi je ne crois pas qu'étant parvenu à ma soixante-seizième année, on me mette au rang de ces jeunes gens . Quand je me suis amusé à écrire au lieu de jouer au wisk 6 et au piquet, je n'ai écrit que pour la gloire de ma patrie . J'ai célébré Henri IV, Louis XIV, Louis XV . J'ai fait quelques pièces de théâtre qui ont eu en leur temps un peu de succès . Les ouvrages qu'on m'impute ne peuvent rien dérober à l'honnêteté qui règne dans les ouvrages que j’ai faits . Je sais bien que tant que je respirerai je serai calomnié . Comme je suis à peu près en pays étranger les Frérons ne manquent pas de m'attribuer tout ce qui est imprimé en Hollande, en Angleterre, en Suisse ; mais j'espère que les gens de bien ne me sacrifieront pas aux Frérons .

Pour juger des injustices qu'on me fait, souvenez-vous du Catéchumène 7 ; tout le monde me l'a imputé ; vous en connaissez l'auteur ; il a fait plusieurs petits enfants dont il m'a fait passer pour le père . Le procédé n'est pas légitime ; cependant je me tais . Vous m'avouerez que j'ai du moins la vertu de la patience .

Cette patience est bien exercée par les maux dont je souffre . J'ai souvent des avertissements qui me disent que je n'ai plus longtemps à vivre . Soyez bien sûre que je mourrai en vous aimant . »

1 Original . Date complétée par Mme Denis, dont la « lettre du 30 juillet » est connue . Mme Denis y évoque le vol des manuscrits de V* ; elle se demande comment on a pu voler à V* ses lettres , à moins qu'il ne garde les doubles de celles qu'il écrit . Elle ajoute une remarque importante : « A l'égard de celles que vous m'écriviez à Berlin, cela est tout simple » Cette question sera discutée dans l'Appendice.

2 La Borde avait adapté, en vue d'une représentation à Fontainebleau le 10 octobre 1765 la musique de Colasse pour cet opéra dont les paroles sont de Fontenelle  . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6437919c.texteBrut

3 Depuis , il se mêle de cette affaire, phrase ajoutée en marge du manuscrit .

4 Cette brochure De la paix perpétuelle a été publiée par V* sous le nom de « docteur Goodheart » : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k856010t.texteImag

5 Sic.

6 Le whist, ancêtre du bridge .

7 Sur ce Catéchumène que V* cite toujours lorsqu'il veut donner l'exemple d'un ouvrage qu'on lui attribue à tort, voir la lettre du 1er mars 1768 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/10/11/je-ne-veux-pas-payer-pour-lui-6465393.html

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