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21/02/2011

L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère

Rien de neuf sous le soleil, qui doit tenir bon et éclairer ministres et travailleurs -des vrais, eux !- ; les uns pérorent et les autres ont la tête dans le guidon ; vous savez qui !

Ceux qui ne sont pas ministres se reconnaissent , ils ne parlent pas de leurs vacances avec jets privés et frais de séjour payés par les contribuables/corvéables autochtones .

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Un peu de musique discordante pour arroser tout ça :http://www.deezer.com/listen-5469020

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

18 février [1760]

 

L'éloquent Cicéron, Madame, sans lequel aucun Français ne peut penser, commence toujours ses lettres par ces mots : si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi, je me porte bien . J'ai le malheur d'être tout le contraire de Cicéron . Si vous vous portez mal, j'en suis fâché, pour moi , je me porte mal ; heureusement je me suis fait une niche dans laquelle on peut vivre et mourir à sa fantaisie ; c'est une consolation que je n'aurais pas eue à Craon, auprès du révérend père Stanislas, et de Frère Jean des Entommeures de Menoux i. C'est encore une grande consolation de s'être formé une société de gens qui ont une âme ferme et un bon cœur ; la chose est rare , même dans Paris . Cependant, j'imagine que c'est à peu près ce que vous avez trouvé . J'ai l'honneur de vous envoyer quelques rogatons, assez plats ; votre imagination les embellira ; un ouvrage, tel qu'il soit, est toujours assez passable quand il donne l'occasion de penser. Puisque vous avez, Madame, les poésies de ce roi ii qui a pillé tant de vers et tant de villes, lisez donc son Épître au maréchal de Keit sur la mortalité de l'âme ; il n'y a qu'un roi, chez nous autres chrétiens, qui puisse faire une telle épître. Me Joly de Fleury assemblerait les chambres contre tout autre, et on lacérerait l'écrit scandaleux. Mais apparemment qu'on craint encore les aventures de Rosbac, et qu'on ne veut pas fâcher un homme qui a fait tant de peur à nos âmes immortelles . Le singulier de tout ceci, c'est que cet homme qui a perdu la moitié de ses États, et qui défend l'autre par les manœuvres du plus habile général, fait tous les jours encore plus de vers que l'abbé Pellegrin iii; il ferait bien mieux de faire la paix iv; dont il a , je crois, autant besoin que nous . J'aime encore mieux avoir des rentes sur la France que sur la Prusse . Notre destinée est de faire toujours des sottises, et de nous en relever ; nous ne manquons presque jamais une occasion de nous ruiner et de nous faire battre, mais au bout de quelques années, il n'y parait pas . L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère . Nous n'avons pas aujourd'hui de grand génie dans les beaux-arts, à moins que ce ne soit M. Lefranc de Pompignan ou M. l'évêque son frère v, mais nous aurons toujours des commerçants et des agriculteurs . Il n'y a qu'à vivre, et tout ira bien.

 

Je conçois que la vie est prodigieusement ennuyeuse quand elle est uniforme . Vous avez à Paris la consolation de l'histoire du jour, et surtout la société de vos amis. Moi, j'ai ma charrue, et des livres anglais, car j'aime autant les livres de cette nation que j'aime peu leurs personnes . Ces gens-là n'ont pour la plupart du mérite que pour eux-mêmes . Il y en a bien peu qui ressemblent à Bolingbroke ; celui-là valait mieux que ses livres, mais pour les autres Anglais leurs livres valent mieux qu'eux .

 

J'ai l'honneur de vous écrire rarement, Madame, ce n'est pas seulement ma mauvaise santé et ma charrue qui sont en cause. Je suis absorbé dans un compte que je me rends à moi-même par ordre alphabétique, de tout ce que je dois penser sur ce monde-ci et sur l'autre, le tout, pour mon usage, et peut-être après ma mort, pour l'usage des honnêtes gens vi. Je vas dans ma besogne aussi franchement que Montaigne va dans la sienne, et si je m'égare, c'est en marchant d'un pas un peu plus ferme . Si nous étions à Craon, je me flatte que quelques-uns des articles de ce dictionnaire d'idées ne vous déplairaient pas ; car je m'imagine que je pense comme vous sur tous les points que j'examine ; si j'étais homme à venir faire un tour à Paris, ce serait pour venir vous y faire ma cour ; mais je déteste Paris sincèrement, et autant que je vous suis attaché . Songez à votre santé, Madame, elle sera toujours précieuse à ceux qui ont le bonheur de vous voir, et à ceux qui s'en souviennent avec le plus grand regret .

 

V. »

 

i Le jésuite Menoux, confesseur du roi Stanislas, assimilé ici au personnage de Rabelais .

Père Menoux : Page 153 : http://books.google.fr/books?id=evNRAAAAMAAJ&pg=PA153...

 

ii Sur ces poésies de Frédéric, voir lettre du 26 janvier à Louise-Dorothéa von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/26/j...

 

iii Simon-Joseph Pellegrin a composé entre autres une Apologie de M. de Voltaire adressée à lui-même,critique de La Henriade, (mais que certains, dont V*, attribuèrent à l'abbé Desfontaines ).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Simon-Joseph_Pellegrin

 

iv V* fut un des négociateurs, voir lettres du 30 novembre 1759 à d'Argental et 26 janvier 1760 à la duchesse de Saxe-Gotha (ci-dessus note ii) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/o...

 

v Que V* cite souvent comme étant le collaborateur de Caveirac qui a rédigé une Apologie de la révocation de l' Edit de Nantes.

 

vi Première allusion, dans sa correspondance, au Dictionnaire philosophique depuis le dernier séjour en Prusse où avaient été rédigés les articles : « Abraham », « Baptème », « (population de) l'Amérique » ; cf. lettres à Frédéric des 5 septembre et fin septembre-début octobre 1752 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/05/v...

et page 4 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f8.image.r=....

 

20/02/2011

si vous allez jamais dans le pays du pape, des châtrés et des processions, passez par chez nous

Oui, venez au château de Voltaire à Ferney (01210  Ain - France), dès le 1er avril 2011 , venez visiter le cadre où ont été rédigés des ouvrages essentiels comme le Traité sur la tolérance .

 

 Châtrés, castrés du XXIè siécle : http://www.culturepub.fr/videos/bud-light-les-castres

Il est bien évident à mes yeux qu'il est un transalpin à châtrer d'urgence, un dénommé Sylvio Berlusconi, pour qu'enfin la petite tête ne mène plus la grosse .

Pompe et circonstance :  une organiste que j'aime , en pensant à une autre organiste que j'aime davantage encore, Mam'zelle W*** : http://www.deezer.com/listen-952688

Processions, en costumes plus ou moins folklo, pour la gloire des saints et de l'Eglise universelle (à son avis, qui n'est pas humble ! ), une foi qui me laisse souvent pantois : le saint-père ( Noël ?) a encore de beaux jours devant lui  http://www.youtube.com/watch?v=1fDRzT8ypPM 

"Rome! unique objet de mon ressentiment ! Rome ! que je hais ..." etc. Mais je garde en mémoire cette appréciation "bon comme la romaine" en osant espérer qu'il ne s'agit pas là de salade .

 

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« A Jean Le Rond d'Alembert

des académies de Paris

rue Michel-le-Comte à Paris

 

J'ai besoin de savoir, mon cher et grand philosophe, si frère Berthier de la société de Jésus contribue encore à farcir ses menstrues de Trévoux d'injures et de sottises contre d'honnêtes gens qui ne pensent point à lui i, tandis que douze de ses confrères sont dans les fers à Lisbonne , accusés, et convaincus dit-on, d'avoir encouragé les conjurés au parricide au nom de la Vierge Marie, et de son fils Jésus consubstantiel au père ii.

 

J'ai besoin de savoir ce que c'est qu'un monstre bavard qui a justifié la révocation de l'édit de Nantes et la Saint-Barthélémy iii.

 

Il me faut aussi le nom de l'avocat sans cause qui a griffonné des lettres hollandaises contre le roi de Prusse jusqu'au moment du silence imposé par la bataille de Rosbac, et qui depuis s'est acharné contre la raison iv.

 

Et quel est le malheureux qui a engagé le parlement de Paris à se faire géomètre, mécanicien, métaphysicien, médecin , théologien, etc., pour juger 30 volumes in-folio de l'Encyclopédie v?

 

Vous qui savez tant de belles et bonnes choses, ne pourriez-vous point savoir aussi quelque chose des odieuses bêtises sur lesquelles je voudrais être instruit ?

 

J'avoue que j'aimerais bien mieux savoir à quoi vous vous occupez, et quelles vérités vous voulez apprendre aux hommes qui ne le méritent pas, dans un temps où la vérité est persécutée par les fripons et par les sots .

 

Vous n'avez pas daigné revoir nos sociniens de Genève, mais si vous allez jamais dans le pays du pape, des châtrés et des processions, passez par chez nous . Vous verrez que les prédicants de Genève respectent les tours de Ferney, les fossés de Tournay, et même les jardins des Délices .

 

Dites-moi si Jean-Jacques est devenu tout à fait fou . Dites-moi si Diderot ne l'est pas d'avoir voulu continuer l'Encyclopédie en France, et moi j'avouerai que vous êtes très sage de vous être tiré de ce bourbier .

 

Mon Dieu ! que de bavarderies sur la population, sur le commerce, etc ! Eh jeans-f[outre], parlez moins de population et peuplez !

 

Que dites-vous du roi de Prusse qui m'envoie deux cents vers de Breslau vi, pendant qu'il assemble près de de deux cent mille hommes ?

 

Que dites-vous d'Helvétius et de l'honneur qu'on lui a fait vii? Mais que dites-vous de moi qui vous ennuie et qui vous aime ?

 

A Tournay par Genève 19 février [1759] »

 

i Le 12 novembre 1758, Thieriot lui a fait savoir que dans un article publié dans les Mémoires de Trévoux d'octobre 1758,on demandait aux autorités d'arrêter la campagne antireligieuse, notamment à propos de l'ouvrage De l'Esprit de Helvétius .

ii Voir lettre aux Cramer du 10 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/08/i...

iii M. l'abbé Jean Novi de Caveirac, auteur d'une Apologie de Louis XIV ... sur la révocation de l'Édit de Nantes pour servir de réponse à la Lettre d'un patriote sur la tolérance civile des protestants de France, avec une dissertation sur la journée de la St Barthélémi, 1758.

http://www.archive.org/stream/apologiedelouis01cavegoog#p...

http://books.google.fr/books?id=55YoAAAAYAAJ&pg=PA531...

Antoine Court, pasteur : Lettre d'un patriote ...,1756 : http://books.google.be/books?id=uSBBAAAAcAAJ&printsec...

http://www.museeprotestant.org/Pages/Notices.php?scatid=1...

iv Jacob-Nicolas Moreau, avocat, éditeur de l'Observateur hollandais, auteur du Nouveau Mémoire pour servir à l'histoire des cacouacs, 1757 .

Voir lettre du 8 janvier 1758 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/08/j...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacob-Nicolas_Moreau

v Le 23 juin, V* fera une rétrospective à Palissot . Abraham Chaumeix a fait un mémoire contre l'Encyclopédie et l'a remis à Omer Joly de Fleury qui a prononcé un réquisitoire devant le parlement .

Voir pages 429-432 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f434.image.r...

vi L'Épître à ma sœur de Bayreuth, envoyée de Breslau avec une lettre datée du 23 janvier 1759, suite au décès le 14 octobre 1758 de la margravine Sophie-Frédérique, sœur ainée de Frédéric. Page 208 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f213.image.r...

Accusant réception de celle-ci, V* écrit : « Il y a longtemps que je dis que vous êtes l'homme le plus extraordinaire qui ait jamais été . Avoir l'Europe sur les bras et faire des vers que Votre Majesté m'envoie est assurément une chose unique. »

Voir aussi la demande de Frédéric du 6 novembre 1758 : pour « lui élever un monument à son honneur. » : page 184 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f189.image.r...

Ce que fit V*, et il lui adressa ces vers ,en décembre, page 189 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f194.image.r...

 

vii De l'Esprit, livre d'Helvétius a été interdit le 23 janvier en même temps que l'Encyclopédie, et condamné à être brûlé le 6 février en me^me temps que le Poème sur la loi naturelle de V* .

http://pedagogie.ac-toulouse.fr/philosophie/textes/helvet...

http://www.voltaire-integral.com/Html/09/11_Loi_naturelle...

 

 

 

 

 

19/02/2011

Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d'avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme

Commençons par une évidence : Y'a qu'des honnêt' gens dans l'gouvernement : http://www.deezer.com/listen-6610416

Et continuons par une autre évidence : Les gens honnêtes vivent en France !

http://www.deezer.com/listen-7970414

Il est alors évident que je fais un excès de mauvaise foi , si jamais je dis le contraire . Et pourtant !

 

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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine

 

A Montriond 19 février [1757]

 

Qu'est-ce que c'est donc ma chère nièce, qu'une petite secte de la canaille, nommée la secte des margouillistes i, nom qu'on devrait donner à toutes les sectes ? On dit que ces misérables fanatiques nés des convulsionnaires, et petits-fils des jansénistes, ceux qui ont mis non pas le couteau mais le canif à la main de ce monstre insensé de Damiens ii, que ce sont eux qui envoient du poison au dauphin dans une lettre, et qui affichent des placards ; le tout pour la plus grande gloire de Dieu . Les honnêtes gens, par parenthèse, devraient me remercier d'avoir tant crié toute ma vie contre le fanatisme ; mais les cours sont quelquefois ingrates .

 

Vous savez les coquetteries que me fait le roi de Prusse, et que la czarine m'appelle à Pétersbourg iii. Vous savez aussi qu'aucune cour ne me tente plus, et que je dois préférer la solidité de mon bonheur dans ma retraite à toutes les illusions . Si j'en voulais sortir, ce ne serait que pour vous . Ma santé exige de la solitude : je m'affaiblis tous les jours .

 

J'ai fait un effort pour jouer Lusignan ; votre sœur a été admirable dans Zaïre ; nous avions un très beau et très bon Orosmane, un Nerestan excellent, un joli théâtre, une assemblée qui fondait en larmes : et c'est en Suisse que tout cela se trouve, tandis que vous avez à Paris des margouillistes . Je vous ai bien regrettée ; mais c'est ce qui m'arrive tous les jours .

 

Ayez grand soin de votre malheureuse santé ; conservez-vous, aimez-moi . Mille tendres compliments à fils, à frère, à secrétaire . Adieu, ma très chère nièce . Votre sœur ne vous écrit point aujourd'hui ; elle apprend un rôle . Nous ne vous parlons que de plaisir : instruisez-nous des sottises de Paris . »

 

i Terme de mépris forgé par Voltaire pour désigner la queue des jansénistes.

ii Voir lettre à Thieriot du 13 janvier 1757 quand V* apprend la nouvelle : page 413 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f417.image.r...

Robert-François Damiens : http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Fran%C3%A7ois_Damiens

iii Rappel de la lettre de Dresde, de Frédéric, du 19 janvier et de l'invitation de Catherine II « pour écrire l'histoire de Pierre Ier .

Voir lettres du 4-5 février à Tronchin Jean-Robert http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/04/o...

et du 8 février à la margravine de Bayreuth :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/08/o...

 

 

18/02/2011

L'optimisme est désespérant . C'est une philosophie cruelle sous un nom consolant

 Le désir de consolation est impossible à rassasier !

 http://www.deezer.com/listen-705964

 

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« A Élie Bertrand i

pasteur de l'Eglise française à Berne.

A Montriond 18 février [1756]

 

J'avais, mon cher philosophe, un cruel redoublement de colique quand j'ai reçu votre lettre . Ma consolation est donc que je n'aurai pas la colique dans l'autre monde ? Vraiment, je l'espère bien ; et j'en dis un petit mot dans mon sermon ii. La question ne roule pas sur cet objet d'espérance . Elle tombe uniquement sur cet axiome, ou plutôt cette plaisanterie : tout est bien à présent, tout est comme il devait être, et le bonheur général présent résulte des maux présents de chaque être iii. Or en vérité cela est aussi ridicule que ce beau mot de Posidonius iv, qui disait à la goutte : tu ne me feras pas avouer que tu sois un mal .

 

Les hommes de tous les temps et de toutes les religions ont si vivement senti le malheur de la nature humaine qu'ils ont tous dit que l'œuvre de Dieu avait été altérée . Égyptiens, Grecs, Perses, Romains, tous ont imaginé quelque chose d'approchant de la chute du premier homme . Il faut avouer que l'ouvrage de Pope détruit cette vérité, et que mon petit discours y ramène . Car si tout est bien, si tout a été comme il devait être, il n'y a donc point de nature déchue . Mais au contraire , s'il y a du mal dans le monde, ce mal indique la corruption passée et la réparation à venir . Voilà la conséquence toute naturelle . Vous me direz que je ne tire pas cette conséquence, que je laisse le lecteur dans la tristesse et dans le doute . Eh ! bien , il n'y a qu'à ajouter le mot d'espérer v à celui d'adorer et de mettre :

 

mortels il faut souffrir

Se soumettre, adorer, espérer et mourir .

 

Mais le fond de l'ouvrage reste malheureusement d'une vérité incontestable . Le mal est sur la terre . Et c'est se moquer de moi que de dire que mille infortunés composent le bonheur . Oui, il y a du mal, et peu d'hommes voudraient recommencer leur carrière, peut-être pas un sur cent mille . Et quand on me dit que cela ne pouvait être autrement, on outrage la raison et mes douleurs . Un ouvrier qui a de mauvais matériaux et de mauvais instruments est bien reçu à dire : je n'ai pu faire autrement . Mais mon pauvre Pope, mon pauvre bossu, que j'ai connu, que j'ai aimé, qui t'a dit que Dieu ne pouvait te former sans bosse ? Tu te moques de l'histoire de la pomme . Elle est encore (humainement parlant, et faisant toujours abstraction du sacré), elle est plus raisonnable que l'optimisme de Leibnits, elle rend raison pourquoi tu es bossu, malade , et un peu malin .

 

On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain . L'optimisme est désespérant . C'est une philosophie cruelle sous un nom consolant . Hélas ! Si tout est bien quand tout est dans la souffrance, nous pourrions donc passer encore dans mille mondes, où l'on souffrira , et où tout sera bien . On ira de malheurs en malheurs, pour être mieux . Et si tout est bien, comment les leibnitsiens admettront-ils un mieux ? Ce mieux n'est-il pas une preuve que tout n'est pas bien ? Eh ! qui ne sait que Leibnits n'attendait pas ce mieux ? Entre nous, mon cher Monsieur, et Leibnits, et Shaftsburi, et Bolingbroke, et Pope n'ont songé qu'à avoir de l'esprit . Pour moi, je souffre et je le dis ; et je vous dis avec la même vérité que j'ai grande envie d'aller à Berne vous remercier de vos bontés et de celles de M. de Freydenreik . Vous savez toutes les nouvelles, tout est bien en France, Mme de Pompadour est dévote, et a pris un jésuite pour confesseur vi. »

 

ii Son Poème sur le désastre de Lisbonne : http://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sa...

iii Essai sur l'homme, Pope, fin de la première épitre : page 45: http://books.google.be/books?id=aesFAAAAQAAJ&printsec...

iv Posidonius, philosophe stoïcien du premier siècle avant J.-C., établi à Rhodes . Pompée voulut entendre ses leçons, en revenant de Syrie ; Posidonius souffrant d'un accès de goutte aurait dit à plusieurs reprises : « Tu perds ton temps, douleur ; si importune que tu sois, tu ne me feras jamais avouer que tu sois un mal . » . Cette anecdote est rapportée par Cicéron et Pompée se plaisait à la raconter .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Posidonios

V* va publier dans les Mélanges de ses Œuvres complètes de 1756 des Dialogues entre Lucrèce et Posidonius .

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/10_Lucrece_Posid...

v Ce mot ne figurera pas dans l'édition car les deux vers ne concluront pas le poème ; ils sont suivis d'une anecdote et le dernier vers est : « Mais il pouvait encore ajouter l'espérance. »

vi Sacy ; voir page 101 et suiv. : http://books.google.be/books?id=q_c_AAAAcAAJ&pg=PA101...

En mars-avril, le duc de La Vallière demandera à V* de traduire pour elle des psaumes en vers français . Il écrira le Précis de l'Ecclésiaste et le Précis du cantique des cantiques, qui ne seront publiés qu'en 1759 .

http://www.voltaire-integral.com/Html/09/20_Ecclesiaste.h...

http://www.voltaire-integral.com/Html/09/21_Cantique.html

 

 Amour consolation :

 http://www.deezer.com/listen-3516093

http://www.deezer.com/listen-4597735

Inconsolable besoin de consolation :

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Tout doux , tendrement , en couple :  Le monde comme un bébé : http://www.deezer.com/listen-585603

 

 

 

 

17/02/2011

le plaisir de la lire est un peu gâté par les souffrances horribles qui me tourmentent

La pudeur de cet homme doit être soulignée ; un plaisir "un peu gâté" par des souffrances horribles !

Il souffrait véritablement le martyre ! et là, il ne s'agit plus de se moquer de lui ,qui , si souvent ,fit état de sa mauvaise santé dans sa correspondance . On ne souligne pas assez le courage physique de cet homme ; il n'était pas un pur esprit, il en a bavé, et a maté ce corps qui le tourmentait , jusqu'à l'extrême . Modèle de volonté , Voltaire .

Volti, j'étais toujours ému, chaque jour , à chaque visite, en voyant une menue gravure te représentant "malade", au mur du salon de réception de ton château de Ferney, et j'avais à coeur de la faire remarquer aux visiteurs .

Esprit brillant, facile, pour certains critiques superficiel (moins qu'eux, en tout cas ! ), dans une enveloppe de chair que peu d'entre nous oseraient prendre .

N'oubliez pas ce Voltaire si humain .

 

 

« A Philippe-Antoine de Claris, marquis de Florian

 

A Paris 16è fév[rier] 1778

 

Je reçois votre lettre, mon cher ami, et le plaisir de la lire est un peu gâté par les souffrances horribles qui me tourmentent . Elles sont un peu l'effet de la fatigue et du tourbillon bruyant où je me trouve 1. Je puis malheureusement en accuser aussi mon grand âge et ma faiblesse . Je vis comme je vivais à Ferney . Mme Denis qui se porte mieux que jamais, fait les honneurs 2; et je me couche à peu près avec le soleil . Je quitterai ce chaos brillant le plus tôt que je pourrai, pour venir auprès de M. et Mme de Florian dans le séjour de la paix 3.

 

V. »

 

1 Ce jour, Mme du Deffand écrit : «  L'affluence a été grande (chez le marquis de Villette qui loge V*) ; l'Académie a fait une députation ... Les Comédiens ont été en corps le visiter ... Tous les acteurs iront chez lui ces jours-ci faire répétition (d'Irène) » . Le 12, elle écrivait qu'il avait vu la veille plus de trois cents personnes.

Cf. lettre 648 page 637 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2063894.r=.langFR.swf

lettre 649 page 638 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2063894/f644.image....

Le médecin Tronchin écrira le 19 février qu'on le « trucide à force d'adorations » Les témoignages abondent sur les cortèges enthousiastes qui se forment dès qu'il sort . Les journaux relatent tous ses faits et gestes.

 

2 A Rieu, Mme Denis écrit le 11 avril : « J'ai commencé en arrivant par être obligée de recevoir toute la cour et toute la ville . Cela commençait à neuf heures du matin et ne finissait qu'à dix heures du soir . Mon oncle entrait plusieurs fois dans la journée dans le salon et se retirait de temps en temps dans sa chambre . » Ceci contraste fort avec son affirmation : « je me couche à peu près avec le soleil » .

D'Argental écrivit à Decroix, le 14 : « Sa maison qui est celle de M. de Villette, ne désemplit pas. Il reçoit tout le monde avec cette grâce, ce charme que vous lui connaissez, et il a l'art de cacher l'importunité que cela doit lui causer. »

V* continue toutefois à travailler : le 12, par exemple « depuis cinq heures du matin déshabille » le quatrième acte d'Irène pour « habiller » le cinquième (lettre de V* à d'Argental).

3 Mme du Deffand écrit ce même jour : « Il prétend s'en retourner ce carême ». Le marquis et son épouse habitent Le Bijou, maison construite par V* pour eux ; de nos jours, elle a disparu suite à un incendie .

16/02/2011

le chapitre de la tolérance, c'est le catéchisme des rois ; c'est la liberté de penser soutenue avec autant de courage que d'adresse

 

 

 

« A Jean-François Marmontel

 

16 février [1767]

 

Bélisaire i arrive ; nous nous jetons dessus, maman ii et moi, comme des gourmands . Nous tombons sur le chapitre quinzième iii; c'est le chapitre de la tolérance, c'est le catéchisme des rois ; c'est la liberté de penser soutenue avec autant de courage que d'adresse ; rien n'est plus sage, rien n'est plus hardi . Je me hâte de vous dire combien vous nous avez fait de plaisir. Nous nous attendons bien que tout le reste sera de la même force , car vous ne pouvez penser qu'avec votre esprit, et écrire que de votre style . Je vous en dirai davantage quand j'aurai tout lu .

Je vous demande votre indulgence pour la tragédie des Scythes. Elle est d'un jeune homme iv qui ne devait pas faire de pièce de théâtre à son âge ; mais comme il essuyait une sorte de petite persécution , il a cru devoir imiter Alcibiade , qui fit couper la queue à son chien pour détourner les caquets.

Grand merci encore une fois , de votre beau chapître ; vous venez de rendre service au genre humain . Dieu vous préserve des regards malins !

Je vous quitte pour entendre la lecture du reste . Bonsoir, mon très cher confrère . »

 

i Roman publié en 1767 et censuré par la Sorbonne à cause du chapitre XV où on prône la tolérance religieuse, et condamné en 1768 par l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont .

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Marmontel

ii Surnom affectueux pour Mme Denis .

iv V*, bien sûr !  « Les Scythes sont un ouvrage médiocre », écrira-t-il le 5 avril à Frédéric II.

http://www.voltaire-integral.com/Html/06/04SCYTHE.htm

 

15/02/2011

Je tremble toujours pour la Tolérance, quoi qu'on die, quoi qu'on die

La Tolérance au sens noble du terme n'a pas lieu d'être galvaudée . C'est ce qu'ont compris les femmes italiennes qui ont grondé leur colère contre cet abruti/crétin/m'as-tu-vu/bling-bling de Berlusco(n)n(er)i(e) . Je manque de mots pour dire ma détestation de cet individu .

Donc jours de colère : Dies irae : de Verdi, pour rester en accord avec le sol des révoltées :

http://www.youtube.com/watch?v=pW1Uc-grcMs

 

 

 

 

« A Gabriel Cramer

 

[février-mars 1764]

 

Voici copie . Que Dieu répande ses bénédictions sur ce petit recueil de Guillaume Vadé, et de Jérôme Carré 1. Ce sont mes deux bons amis ; Monsieur Gabriel et moi nous leur servons de père . Tout Paris donne la préférence aux Trois manières de Jérôme sur la Reine Berthe 2 de Guillaume . Pour moi, je ne décide point, je ne veux point faire de jaloux .

 

Je tremble toujours pour la Tolérance, quoi qu'on die, quoi qu'on die 3; et je conseille à Mr Gabriel de glisser Jérôme et Guillaume dans Pierre 4. »

 

 

1 Contes de Guillaume Vadé, recueil de contes mis sous le nom de Guillaume Vadé ou de Jérôme Carré .

http://www.voltaire-integral.com/Html/10/01_Vade.html...

http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-le-blanc-...

3 Rappel des Femmes savantes .

4 Envoyer les Contes dans un paquet contenant l'Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand.

http://www.voltaire-integral.com/Html/00Table/16russie.htm

http://books.google.fr/books?id=4i8HAAAAQAAJ&printsec...