25/12/2023
Relisez ensuite votre ouvrage à tête reposée
... Est-il possible qu'un pratiquant des réseaux sociaux soit doté à la fois d'une tête reposée et de capacité à se relire ?
Statistiquement, je l'estime à un pour dix millions , tant pis si je me trompe .
Chat-J'ai-pété peut-il nous le dire ? Non : "Je ne dispose pas de données précises sur la proportion de personnes qui se relisent sur les réseaux sociaux. Cependant, il est toujours recommandé de se relire avant de publier du contenu en ligne pour éviter les fautes d'orthographe ou les erreurs de frappe. Cela contribue à une meilleure communication et à une image plus professionnelle." Pas mieux . Humain :1 - Ia :0 .
« A Michel-Paul-Guy de Chabanon, de
l'Académie des belles-lettres,
rue du Doyenné saint-Louis du Louvre
à Paris
22è avril 1768 1
Votre lettre, mon cher ami, me donne mille remords. Consultez quelqu'un qui soit bien au fait de l'art des vers et de l'art tragique . Ne lisez point votre pièce dans un cercle , personne n'y dit jamais son avis . C'est de toutes les séductions la plus dangereuse . Donnez votre pièce à lire à quelque ami éclairé et sévère . Relisez ensuite votre ouvrage à tête reposée . Prenez une tragédie de Racine d'une main , et Eudoxie de l'autre . Dites-vous à vous même : Racine se serait-il permis ces vers ? aurait-il étranglé ces sentiments ? aurait-il laissé ce principal caractère indécis ? n'aurait-il pas donné à cet ambassadeur des vues plus développées ? n'aurait-il pas donné à Maxime un caractère plus ferme et plus noble ? n'aurait-il pas mis dans sa pièce de plus grands mouvements ? ne l’aurait-il pas enrichie d'une foule de vers qui restent sans effort dans la mémoire du lecteur ? Songez, mon cher ami, que c'est pour les lecteurs que vous travaillez . Un succès au théâtre n'est rien pour l’Académie française ; il n'y a jamais eu d'aussi grand succès que celui du Siège de Calais . Cet ouvrage ne fera certainement pas de son auteur un académicien 2.
Pardonnez encore une fois à ma tendre amitié . Ne m'en croyez pas, et jugez par vous-même .
Le Pandorien 3 m'avait promis de m'envoyer un mémoire pour son bon homme de père, je le désirais avec ardeur, je l'attends encore ; faites-l'en ressouvenir, je vous en prie .
Ma santé est bien mauvaise, mais je fais contre mauvaise fortune bon cœur . Comptez qu'on ne peut vous être attaché plus sincèrement que je le suis pour le peu de temps qui me reste à vivre . »
1 Original, cachet « de Lyon ». La lettre figure parmi les copies faites en vue de l'édition de Kehl mais n'a pourtant pas été imprimée.
2 En fait Buirette de Belloy entra à l'Académie française : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/pierre-la....
3 Le musicien La Borde, auteur de Pandore, déjà cité .
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je me trouve seul de ma bande contre deux cent cinquante consciences timorées
... Petit bilan d'actualité du président Macron ( à quelque unités près ) qui, comme son sapin élyséen, a les boules . Joyeux Noël ... à tous les autres, si possible .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
22 Avril 1768
Mon divin ange, mes raisons pour avoir changé ma table ouverte contre la sainte table pourront ennuyer un excommunié comme vous ; mais je me crois dans la nécessité de vous les dire. Premièrement, c’est un devoir que j’ai rempli avec madame Denis une fois ou deux1, si je m’en souviens bien.
Secondement, il n’en est pas d’un pauvre agriculteur comme de vous autre seigneurs parisiens, qui en êtes quittes pour vous aller promener aux Tuileries à midi. Il faut que je rende le pain bénit en personne dans ma paroisse ; je me trouve seul de ma bande contre deux cent cinquante consciences timorées ; et, quand il n’en coûte qu’une cérémonie prescrite par les lois pour les édifier, il ne faut pas s’en faire deux cent cinquante ennemis 2.
3°/ Je me trouve entre deux évêques qui sont du XIVè siècle et il faut hurler avec ces sacrés loups.
4°/ Il faut être bien avec son curé, fût-il un imbécile ou un fripon, et il n’y a aucune précaution que je ne doive prendre, après la lettre de l’avocat Caze 3.
5°/ Soyez très sûr que, si je vois passer une procession de capucins, j’irai au-devant d’elle chapeau bas, pendant la plus forte ondée.
6°/ M. Hennin, résident à Genève, a trouvé un aumônier tout établi ; il le garde par faiblesse. Ce prêtre est un des plus détestables et des plus insolents coquins qui soient dans la canaille à tonsure. Il se fait l’espion de l’évêque d’Orléans, de l’évêque d’Annecy, et de l’évêque de Saint-Claude. Le résident n’ayant pas le courage de le chasser, il faut que j’aie le courage de le faire taire.
7°/ Puisque l’on s’obstine à m’imputer les ouvrages de Saint-Hyacinthe, de l’ex-capucin Maubert, de l’ex-mathurin Laurent, et du sieur Robinet, tous gens qui ne communient pas, je veux communier ; et si j’étais dans Abbeville je communierais tous les quinze jours.
8°/ On ne peut me reprocher d’hypocrisie, puisque je n’ai aucune prétention.
9°/ Je vous demande en grâce de brûler mes raisons après les avoir approuvées ou condamnées. J’aime beaucoup mieux être brûlé par vous qu’au pied du grand escalier.
Je rends de très sincères actions de grâces à la nature, et au médecin qui l’a secondée, d’avoir enfin rendu la santé à madame d’Argental.
Je vous amuserai probablement, par la première poste, de la Guerre de Genève, imprimée à Besançon . C’est un ouvrage, à mon gré, très honnête et qui ne peut déplaire dans le monde qu’à deux ou trois mille personnes ; encore sont-elles obligées de rire.
Je suis hibou, je l’avoue, mais je ne laisse pas de m’égayer quelquefois dans mon trou ; ce qui diminue les maux dont je suis accablé . C’est une recette excellente.
Je suis comme votre ville de Paris : je n’ai plus de théâtre. Je donne à mon curé les aubes des prêtres de Sémiramis ; il faut faire une fin. Je me suis retiré sans pension du roi, dans ma soixante-quinzième année. Je ne compte pas égaler les jours de Moncrif ; mais si j’ai les moyens de plaire 4 à mes deux anges, je me croirai pour le moins aussi heureux que lui. Je me mets à l’ombre de vos ailes, avec une vivacité de sentiments qui n’est pas d’un vieillard.
V.»
1 A Colmar, et en 1761 à Ferney. (Georges Avenel.)
Le 29 juin, à Richelieu : « Mme Denis doit se souvenir qu'elle a communié avec moi à Ferney (en 1761 sans doute ; il le lui rappellera le 27 avril), et qu'elle m'a vu communier à Colmar (en 1754) » .Voir lettre page 131 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f136.image
2 Mot important ; voir lettre précédente du 20 avril à Larcher : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/12/23/les-parisiens-jouissent-d-une-heureuse-oisivete-puisqu-ils-d-6477070.html
3 On ne connaît pas la lettre répondant à cette désignation . Une certaine Mme Caze, nièce de Joseph-Marie Terray, vint à Ferney en 1772 . Mais il s'agit plutôt d'une mauvaise lecture pour Cassen, nom sous lequel V* publia sa Relation de la mort du chevalier de La Barre . Du reste, quelques mots sont grattés sur la copie entre la lettre et de l'avocat .
4 Moncrif est auteur d’Essais sur les moyens de plaire. (Georges Avenel.)Voir : https://books.google.fr/books?id=ZLmz3XtsqbwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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24/12/2023
les Parisiens jouissent d’une heureuse oisiveté, puisqu’ils daignent s’amuser de ce qui se passe sur les frontières
... Tout le monde râle contre la vie chère, Parisiens-têtes-de-chiens y compris, et on vient de battre un record de bouchons sur les routes de départ en vacances, en particulier vers nos montagnes -frontières enneigées . Comprenne qui peut ! Le père Fouettard peut remiser son fouet, ils sont incorrigibles .
Pour mémoire : https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/un-trafic-tr%C...
« A Jean-Chrysostome Larcher, comte de La Touraille, Premier gentilhomme de la
chambre de S.A.S. Le prince de
Condé
à l'hôtel de Conti
à Paris
Au château de Ferney 20 Avril 1768 1
Je vois, monsieur, que les Parisiens jouissent d’une heureuse oisiveté, puisqu’ils daignent s’amuser de ce qui se passe sur les frontières de la Suisse, au pied des Alpes et du mont Jura. Je ne conçois pas comment la chose la plus simple, la plus ordinaire, et que je fais tous les ans, a pu causer la moindre surprise. Je suis persuadé que vous en faites autant dans vos terres, quand vous y êtes. Il n’y a personne qui ne doive cet exemple à sa paroisse ; et si quelquefois dans Paris le mouvement des affaires, ou d’autres considérations, obligent à différer ces cérémonies prescrites, nous n’avons point à la campagne de pareilles excuses. Je ne suis qu’un agriculteur, et je n’ai nul prétexte de m’écarter des règles auxquelles ils sont tous assujettis. L’innocence de leur vie champêtre serait justement effrayée, si je n’agissais pas et si je ne pensais pas comme eux 2. Nos déserts, qui devraient nous dérober au public de Paris, ne nous ont jamais dérobés à nos devoirs. Nous avons fait à Dieu dans nos hameaux, les mêmes prières pour la santé de la reine que dans la capitale, avec moins d’éclat sans doute, mais non pas avec moins de zèle. Dieu a écouté nos prières comme les vôtres, et nous avons appris, avec autant de joie que vous, le retour d’une santé si précieuse.
Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien me mettre aux pieds de monseigneur le prince de Condé, et de me conserver les bontés dont vous honorez votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 L'édition de Kehl supprime le second paragraphe , biffé sur la copie Beaumarchais.
2 Il y a quelque chose de vrai dans ce qu'écrit V* . On sait l'importance qu'il attache à la religion en tant que frein pour le « peuple ». Seigneur du village, il doit donner à ses vassaux l'exemple du respect envers le Dieu « rémunérateur et vengeur » . Voir aussi la lettre du 21 avril 1768 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-16.html
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23/12/2023
il ne faut pas qu'un archevêque fasse d'un mandement un libelle diffamatoire
... Entendez-vous M. Jean-Pierre Kutwa, archevêque d'Abidjan ? Vous semblez vous croire au-dessus du pape , debout sur les freins, ce n'est pas très fraternel pour vos frères et soeurs homosexuels et divorcés ; ce n'est pas bien d'entretenir la défiance comme le fait un gouvernement qui n'ose pas même citer le terme "d'homosexuels" : https://information.tv5monde.com/afrique/benediction-des-...
Voir par ailleurs ce qu'en dit le cardinal Fernandez : http://www.belgicatho.be/archive/2023/12/23/selon-le-cardinal-fernandez-la-benediction-des-couples-de-me-6476990.html
Beau temps pour les coupeurs de cheveux en quatre !
Pas encore de gaypride dans la crêche !
« A Charles Bordes
20è avril 1768
On envoie une Guerre au cher correspondant . L'archevêque d'Auch 1 ne sera pas content, mais aussi il ne faut pas qu'un archevêque fasse d'un mandement un libelle diffamatoire 2. S'il y a quelque nouvelle le correspondant est supplié d'en faire part . »
1 Jean-François de Chatillard de Montillet-Grenaud : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_de_Monti... . V* fait allusion à lui de façon ironique dans les notes et dans l'épilogue de la Guerre civile de Genève dont il envoie un exemplaire à Bordes ; voir pages 61 et suiv. : https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=Gy8HAAAAQAAJ&q=chatillard#v=onepage&q=montillet&f=false
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Il est un peu triste que mes désirs soient si vifs, et qu'il soit si difficile de les satisfaire . Je ne suis pas le seul, à ce que j'ai ouï dire, qui soit dans ce cas là
...Alors chantons "Surtout, Petit papa Noël, n'oublie pas mon petit soulier ... et fait chauffer la carte bleue ! "
« A George Keate, Esq
Nandos Coffeehouse
London
Un jeune Anglais, monsieur, qui paraît avoir beaucoup d'esprit , vient de me parler avec tant d'éloges des discours d’un dissenter nommé Bourn 1 qu'il m'a donné une très grande envie de les mettre dans ma bibliothèque . Ces discours sont imprimés chez Nurs 2 . Mais je vous avoue que j'ai un désir beaucoup plus violent de lire le poème sur Ferney . Pourriez-vous avoir la bonté de m'adresser cet ouvrage avec celui de Bourn qui sans doute ne le vaut pas ? Il n'y aurait qu'à envoyer le paquet en Hollande, avec ordre de me le faire tenir par les chariots de poste . Il est un peu triste que mes désirs soient si vifs, et qu'il soit si difficile de les satisfaire . Je ne suis pas le seul, à ce que j'ai ouï dire, qui soit dans ce cas là .
Be kind to your old friend 3.
Voltaire. »
1 Samuel Bourn, A Series of discourses, 1760, 1768 .Voir : https://archive.org/details/bim_eighteenth-century_a-series-of-discourses-b_bourn-samuel_1768_2/mode/2up
Le mot dissenter désigne les protestants non conformistes qui n'adhèrent pas à la doctrine et aux pratiques de l'église anglicane . À noter que V* retint le nom de Bourn pour titrer son Homélie du docteur Bourn : https://fr.wikisource.org/wiki/Hom%C3%A9lie_du_pasteur_Bourn/%C3%89dition_Garnier
2 Mauvaise orthographe de Nourse . Voir : https://data.bnf.fr/fr/15520207/jean_nourse/
et : https://classiques-garnier.com/la-lettre-clandestine-2016-n-24-varia-john-jean-nourse.html
3 Soyez bon pour votre vieil ami .
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22/12/2023
On est aisément abandonné par ceux qui nous ont mis eux-mêmes dans le péril
... Notre gouvernement en est un exemple parlant , on ne manque ni de ministres mis en examen ni de démissionnaires .
« A Marie-Louise Denis
chez M. d'Hornoy, Conseiller au
Parlement
rue d'Anjou au Marais
à Paris
19è avril 1768 à Ferney
On ne peut pas toujours écrire de sa main ; je vous écris ma chère nièce par celle de Wagnière qui est le confident de mes pensées, et le témoin de mes actions . Votre lettre du 15 avril me rassure sur celle du 24 mars qui m’avait attristé et inquiété . Vous ne vouliez, disiez-vous, voir M. le duc de … 1 que quand vous seriez satisfaite , vous ne l'étiez donc pas . Cela est clair comme le jour, et cela est assurément aussi triste qu’inintelligible . Mais la bonté de votre cœur a réparé ce qui est échappé à votre plume . Je ne demande point du tout que vous fassiez cette visite ; je n'exige autre chose sinon que vous meniez une vie douce et heureuse ; je me garderai bien de faire le marché de M. de Cideville ; il n'a songé qu'à lui, et je songe à vous .
Le mémoire que je vous ai envoyé sur mes affaires m'a paru indispensable, car je ne sais point du tout en quel état je suis avec M. de Laleu qui n'écrit jamais .
On m'a mandé de Paris qu'on trouvait étrange que j'eusse fait à Ferney ce que tous les habitants y font dans les jours prescrits 2, et ce que j'y avais déjà fait lorsque mon âge était moins avancé . Je laisse dire le monde . Je crois avoir répondu sur cet article aux plaisants en termes mesurés qui ne peuvent me compromettre . La conduite que je tiens était indispensable ; elle peut d'ailleurs fermer la bouche à la calomnie qui est beaucoup plus forte que vous ne pensez . On est aisément abandonné par ceux qui nous ont mis eux-mêmes dans le péril, il faut à la fin un bouclier à l'abri duquel on puisse finir avec tranquillité ses tristes jours . Je ne les coulerai pas dans l'amertume si vous me conservez cette amitié qui en a fait le charme . Vos lettres seront ma consolation ; vous pardonnerez à ma sensibilité toute la douleur où j’ai été plongé, et que la solitude ne dissipe pas .
Chennevières me mande qu'il vous a envoyé une Princesse ; ce sont des amusements qui ont occupé un moment mon loisir, et que j'oublie ensuite pour jamais ; ce qui nourrit le cœur est la seule chose qui reste . Ce cœur est à vous jusqu'au dernier moment de ma vie .
Fay arrive et va hériter . Il dit que M. Dupuits viendra bientôt . J'embrasse Mme Dupuits dont vous ne me parlez jamais .
V. »
1 Le duc de Choiseul ; voir lettre du 6 avril 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/12/04/on-l-obligerait-a-se-defaire-de-sa-charge-si-cette-infamie-etait-publique.html
2 Les fameuses pâques de V* qui ont inspiré à La Harpe le commentaire suivant dans une lettre à un correspondant non identifié le 14 avril 1768 : « Tout Paris a su la scène édifiante qui s'est passée dans l’église de Ferney . On en parle bien diversement . Quant à moi qui connais l'homme, je n'en suis point du tout étonné . Tout est permis pour la bonne cause ; mais les gens rigides ne pensent pas de même ici, et l'on traite cette action de fausseté inutile . »
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Elle étonne l'Europe et ses sujets la bénissent
... Marine Le Pen bien entendu !
Devant elle, le grand lèche-bottes Bardella , fort de son score aux sondages .
Leurs inepties ont encore le vent en poupe, les Français sont spécialement doués pour rejouer Trafalgar , un Napoléon n'a pas suffi pour nos experts en naufrages ; la devise est de plus en plus fluctuat et cito fluit .
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
Au château de Ferney par Genève 19è avril 1768 1
J'ai toujours eu l'honneur, madame, de vous répondre très exactement quand vous m'avez fait celui de m’écrire de l'abominable château que vous habitiez . Vous voilà maintenant à Hambourg où vous ne resterez peut-être pas longtemps . Quand vous voudrez habiter un château où il y a des portes et des fenêtres comme dans celui du baron de Tonder Thentronck j'en ai un à votre service où vous serez la maîtresse absolue, et tant que je vivrai il sera à votre service . J'ai couru comme vous le monde, et je me suis enfin bien trouvé de m'être fixé . Vous ne trouveriez nulle part une plus belle vue, ni des promenades plus agréables, ni plus de liberté ; et vous auriez de la société quand vous en voudriez . Mais je crains bien que vous ne regardiez mon château comme un château en Espagne .
Vous avez une héroïne par-delà Hambourg en tirant droit vers le nord qui pourrait bien avoir la préférence sur moi . Elle étonne l'Europe et ses sujets la bénissent . Mais peut-être êtes-vous dégoûtée des impératrices .
Quand vous n'aurez rien à faire, souvenez-vous d'un ancien ami qui vous sera attaché avec le plus tendre respect jusqu'au dernier moment de sa vie . Je vous promets que quand je mourrai ( ce qui arrivera bientôt ) je vous donnerai la préférence sur tous les curés et sur tous les prédicants du voisinage .
N. B. – Je vous avertis, madame, que le château de Ferney est pendant l’été un des plus beaux de la nature . Je vous défie d'avoir sur l'Elbe une aussi jolie maison.
Agréez encore une fois mon respect et mes regrets .
V.»
1 Cette lettre de V* répond à une lettre très mélancolique de la comtesse, laquelle avait appris par un correspondant que V* s'était séparé de Mme Denis . Voici sa lettre :
« Hambourg le 28 mars 1768
Après plus de trois années d'oubli et de silence, à peine peut-être vous rappelez-vous de mon nom . Je fais encore une tentative, monsieur, pour essayer de réveiller chez vous cette bienveillance, cette amitié si chère, si flatteuse pour moi, qui avait résisté aux vicissitudes du temps ; au tourbillon des cours ; à l'absence ; au peu que je pouvais mériter ; et qui tout à coup a paru s'éteindre et s'anéantir, par un effet si triste pour moi, dont la cause m'est toujours restée inconnue.
Dussiez-vous vous impatienter contre une importunité que le sentiment seul a pu vous attirer ; dussiez-vous le garder encore ce silence qui m'afflige, qui me désole, il ne s'agit point de vanité ici, il s'agit d'amitié, d'estime, de vénération, enfin de tout ce que le cœur peut ressentir de plus intéressant . L'ami , le bienfaiteur de l'humanité serait-il insensible à la sincérité d'une des personnes du monde qui l'a de toute sa vie le plus sincèrement admiré ? dont l'hommage ne saurait lui être suspect d'aucun des faux jours qui déshonorent ceux que la fraude, la légèreté, l'intérêt, ou quelque autre mauvais motif peut arracher ? Je vais m'émanciper à vous parler un moment de moi, de ma présente situation comme si vous daigniez encore vous y intéresser . Vous verrez que c'est le cœur seul qui me fait parler ; et peut-être serez-vous touché du sentiment qui m'anime , peut-être aurai-je la douceur de vous retrouver le même pour moi .
Les dernières lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire, il y a près de trois ans du vieux château de Jever, et auxquelles je n'ai eu aucune réponse vous ont dit que j'y passais des jours assez doux, à cause du voisinage de ma bonne vieille mère ; mais du reste assez triste par le mauvais air, et le manque total de la moindre société .
Nos santés respectives s'en sont cruellement ressenties . Ma mère pouvait encore s’aérer et se refaire quelquefois, à son château ; mais j'ai si bien avalé les exhalaisons de ces marais croupissants que je suis presque aux abois . J'avais trois nièces charmantes qui faisaient la douceur de ma vie . Deux ont été placées à des cours, où elles ne sont point heureuses ; et la troisième, la plus aimable, est morte entre mes bras de la petite vérole . Les veilles, la douleur m'ont mises à deux doigts de la mort . J'ai eu deux ou trois maladies mortelles . Je ne me suis plus traînée pendant toute une année qu'à l'aide d'un bâton .
Enfin tant de peines, et d'autres inconvénients ; ce château quasi insoutenable en hiver, et qu'il ne dépendait pas de moi de faire réparer, m'a obligée de choisir un autre séjour l'année passée . Je verrai […] ma bonne mère à Brême, un couple de mois, et je passe le reste du temps à Hambourg . J'y ai une parente, des liaisons et assez de liberté . Ma santé ruinée me prive presque de tout . Je suis plus souvent au lit qu'ailleurs . Enfin je ne crois pas que je la ferai longue, ni que j'attendrai comme ma mère les quatre-vingt-onze ans, qu'elle porte plus lestement que moi mes cinquante . Me laisserez-vous mourir, monsieur, sans me donner encore une seule marque d’amitié ? Une ligne qui me dise que vous rendez justice à l'extrême attachement qui n'a jamais varié, jamais diminué pour vous, depuis que vous-même, avant de me connaître, m'aviez appris à essayer au moins de penser ?
Oui, monsieur, je ne sais si je souffrirai encore longtemps les maux physiques, et les dégoûts moraux de la vie, mais je sais bien que ce que j'ambitionne le plus , c'est d'obtenir encore un sentiment de bonté, un retour de souvenir de votre part .
Ce n'est point votre célébrité, l’orgueil de recevoir des lettres de l'homme du siècle qui me donne ce désir si vif . J'ai connu il y a trente ans peut-être cette vanité . Elle est morte en moi, comme la plupart des passions . L'attendrissement que m'inspire le bienfaiteur du genre humain, celui qui a passé sa glorieuse et utile vie à détruire les préjugés, qui seul m'a enseigné à les connaître, à m'en défier, qui m'a fait aimer la justice, la vérité et la vertu ; le grand homme à qui les Calas, les Sirven ont dû leur salut, celui qui mérite l'hommage, l'éternelle gratitude des protestants, de l'innocence opprimée le noble ennemi des erreurs, le bienfaiteur de tous mes contemporains et le mien, cet attendrissement si juste et si tendre que lui seul peut inspirer à de tels titres, voilà monsieur le mouvement qui me guide . On m'a dit l'autre jour que vous étiez malade², que vous aviez des chagrins ; mon cœur s'est senti déchiré , j'ai cru sentir tout cela moi-même pour vous . Eh bon Dieu qui est-ce donc qui doive aspirer au bonheur , si le ciel peut permettre qu'il manque quelque chose au vôtre ? Votre respectable vieillesse est l'objet qui doit intéresser tout le genre humain . C'est le père de l'humanité qu’elle doit honorer en vous . Chaque être pensant vous doit tout . Que la terre entière l'oublie, je ne l'oublierai jamais . Dédaignez, négligez-moi, si vous le pouvez, si vous le voulez . Refusez-moi l'unique consolation que je vous demande . Ce sera un tort, un tort unique que vous aurez, il m'affligera extrêmement ; mais il ne me paraîtra à moi-même qu'un point , qu'un atome, qui disparaîtra dans l’immensité de vos bienfaits, et qui ne m’ôtera rien de cet attachement, de cette vénération intime, qui vous appartient et que je compte d’emporter au tombeau, et peut-être au-delà, si vous me fâchez . Ah monsieur, que quelques lignes me feraient plaisir ; et voudriez-vous contre moi seule vous refuser au charme de faire des heureux ?
Comtesse de Bentinck née d'Altenburg.
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