05/06/2012
Vous n'avez pas la santé la plus robuste, je le crois; mais vous avez le plus beau génie et la tête la plus harmonieuse, j'en suis sûr
... Et je partage ce jugement, sans le moindre doute, avec Mam'zelle Wagnière et tous ceux qui savent lire "autrement qu'avec les yeux" .
Chat alors !
... harmonieux aussi !
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« DE M. Le duc de LA VALLIÈRE 1
A Versailles, ce 1er mars 1756.
J'ai reçu, mon cher Voltaire, le sermon 2 que vous m'avez envoyé, et malgré la saine philosophie qui y règne, il m'a inspiré encore plus de respect pour son auteur que pour sa morale. Un autre effet encore qu'il m'a fait, c'est qu'il m'a déterminé à vous demander la plus grande marque d'amitié que vous puissiez me donner. Vous avez près de soixante ans 3, je l'avoue. Vous n'avez pas la santé la plus robuste, je le crois; mais vous avez le plus beau génie et la tête la plus harmonieuse, j'en suis sûr; et en commençant une nouvelle carrière sous le nom d'un jeune homme de quinze ans, dût-il vivre plus que Fontenelle, vous lui fourniriez de quoi se rendre l'homme le plus illustre de son siècle. Je ne crains donc pas de vous demander de m'envoyer des psaumes embellis par vos vers 4; vous seul avez été et êtes digne de les traduire; vous effarerez Rousseau 5, vous inspirerez l'édification, et vous me mettrez à portée de faire le plus grand plaisir à madame *** 6. Ce n'est plus Mérope 7, Lully ni Métastase qu'il nous faut, mais un peu de David . Imitez-le, enrichissez-le. J'admirerai votre ouvrage, et je n'en serai point jaloux, pourvu qu'il me soit réservé, à moi pauvre pécheur, de le surpasser avec ma Betzabée. Je serai content; et vous ajouterez à ma satisfaction en m'accordant ce que je vous demande avec la plus grande instance. Donnez-moi une heure par jour; ne les montrez à personne, et incessamment j'en ferai faire une édition au Louvre, qui fera autant d'honneur à l'auteur que de plaisir au public. Je vous le répète, je suis sûr qu'elle en sera enchantée; et je le serai que ce soit par vous que je puisse lui faire un aussi grand plaisir. Je compte sur votre amitié, vous savez qu'il y a longtemps; ainsi j'attends incessamment les prémices d'un succès certain que je vous prépare. Je ne vous tiens pas quitte pour cela de la Mérope royale ni de la justification de ma chère amie Jeanne 8.
Adieu, mon cher Voltaire, j'attends de vos nouvelles avec la plus grande impatience. Vous êtes sûr de ma sincère amitié; vous pouvez l'être aussi de ma véritable reconnaissance. »
4 La Vallière propose à V* de traduire les psaumes bibliques de David pour la marquise de Pompadour ; voir page 532 : http://books.google.fr/books?id=0TYHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q=valli%C3%A8re&f=false
7 Voltaire avait promis à M. de La Vallière sa tragédie de Mérope mise en opéra par le roi de Prusse.
23:26 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir
... Tout comme cette pomme en devenir qui ne paye pas de mine, velue comme un ours, hérissée comme un Barbidur, dure comme l'âme d'un mafioso .
« A M. BERTRAND 1
Aux Délices, 7 mars 1756.
En arrivant, mon cher et humain philosophe, à mes petites Délices, j'ai été instruit des plaintes injustes que forme ici un libraire. Je conçois que tout libraire doit aspirer à vous imprimer, mais que ceux de votre pays doivent avoir la préférence. Ensuite on vous imprimera partout. J'attends avec la plus grande impatience votre dissertation sur les tremblements de terre 2. Vous connaissez si bien les montagnes que vous devez connaître aussi les cavernes. Vous nous instruirez sur tous les recoins de notre habitation, et principalement sur le grand architecte qui l'a bâtie. Je reviendrai le plus tôt que je pourrai à mon petit ermitage de Monrion, après quoi je compte venir vous apporter à Berne et soumettre à votre jugement et à celui de M. le banneret de Freudenreich mes rêveries dont vous avez voulu voir l'ébauche. Vous verrez que j'aurai profité de vos sages et judicieuses réflexions.
Il est vrai que des vers ne sont que des vers, c'est-à-dire des bagatelles difficiles, dans lesquelles on ne s'exprime pas toujours comme on voudrait. Je vous supplie de ne montrer à personne ces misères. Votre prose me dégoûte un peu de la poésie. Il est honteux à mon âge de songer à des rimes. Je ne dois penser qu'à vivre obscur et tranquille et à mourir avec confiance dans la bonté infinie de notre commun maître, dont vous parlez si noblement. Je vous embrasse bien tendrement.
V.
Je reçois dans ce moment cette brochure sur les tremblements de terre. Je me flatte avec raison que vous nous donnerez des conjectures plus satisfaisantes. Cette dissertation me ramène encore au tout est bien 3.
Je sais que dans nos jours consacrés aux douleurs,
Par la main du plaisir nous essuyons nos pleurs.
Mais le plaisir s'envole et passe comme une ombre;
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes, sont sans nombre,
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir;
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit l'être qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion;
Les sages me trompaient, et Dieu seul a raison 4, etc.
Voilà à peu près comme je voudrais finir, mais il est bien difficile de dire en vers tout ce qu'on voudrait. Ayez la bonté de communiquer cette esquisse à votre respectable ami. Voici de beaux jours, je ne m'en porte pas mieux. Conservez votre santé et aimez-moi.
V. »
2 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lie_Bertrand
et : http://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9moires_historiques_e...
4 Ces vers se retrouvent à la fin de ce poème. Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8me_sur_le_d%C3%A9sastre_de_Lisbonne
17:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
04/06/2012
Les pairs présentent des requêtes, tandis que les Anglais nous présentent leurs canons
... Ils sont à nos port(e)s, tous ne sont pas restés sur la Tamise pour épater Lizzy et ses soixante ans de trône, leur expansionisme ne connait pas de borne, et j'en ai même vu à Gex hier .
La preuve ...
Et ils ont même amené la pluie en sus !
« A M. DE GAUFFECOURT,
A Genève.
A Monrion, 29 février 1756.
Je vous renvoie, mon cher philosophe, la lettre d'un homme qui paraît aussi philosophe que vous, et dont le suffrage m'est bien précieux. J'espère encore vous trouver à Genève. J'y ferai un petit tour légèrement pour vous y embrasser, si ma déplorable santé me le permet. Nous parlerons de la dédicace, et de l'inscription. Vous savez que c'est l'Hôtel de ville qui fait bâtir, et qu'il faut que l'inscription soit non-seulement de son goût, mais encore de son aveu, et en quelque façon de son ordre, il en est de même de la dédicace. Je crois qu'il n'y a à Paris de secousse que dans les esprits. L'affaire d'un vieux conseiller au grand conseil, qui ne voulait pas payer l'argent du jeu, est devenue une source de querelles publiques. Les pairs présentent des requêtes, tandis que les Anglais nous présentent leurs canons et bloquent nos ports: Et hec omnia lento temperas risu 1.
V.
1 Et tout cela est une saison difficile pour rire ;
Horace a dit (livre II, ode XVI, vers 26-27, voir page 197 : http://books.google.fr/books?id=aTlGAAAAYAAJ&pg=PA196...
) Et amara lento temperet risu : Tempère en souriant les peines de la vie .
18:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
Je ne sais s'il y a dans ce tableau beaucoup de traits plus honteux pour l'humanité que de voir deux nations éclairées se couper la gorge, en Europe
... On n'en est pas encore à l'égorgement, mais les mutilations sont déjà à l'ordre du jour et c'est pourquoi, pensant à Volti qui fût un malheureux édenté, je choisis un tableau du Caravage, que Volti n'a sans doute pas vu, mais qui aurait accru sa mélancolie sans aucun doute .
Qui est la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, ...?
Qui arrache ?
Qui souffre ?
Qui est au spectacle ?
« A M. THIERIOT.
A Monrion, 29 février [1756]
Je reçois, mon ancien ami, votre lettre du 21. Vous devez avoir à présent, par Mme de Fontaine, le sermon que prêche le père Liébaut 1, tel que je l'ai fait, et qui est fort différent de celui qu'on débite. Vous êtes mon plus ancien paroissien, et c'est pour vous que la parole de vie 2 est faite. Je n'ai guère à présent le loisir de penser à Mme Jeanne, et je suis trop malade pour rire. Le tableau 3 des sottises du genre humain, depuis Charlemagne jusqu'à nos jours, est ce qui m'occupe, et je trempe mon pinceau dans la palette du Caravage 4 quand je suis mélancolique. Je ne sais s'il y a dans ce tableau beaucoup de traits plus honteux pour l'humanité que de voir deux nations éclairées 5 se couper la gorge, en Europe, pour quelques arpents de glace et de neige dans l'Amérique.
Je vous prie, mon ancien ami, de m'instruire de la demeure de ce petit Patu 6 qui est si aimable. Il m'a écrit une très-jolie lettre; je ne sais où lui adresser ma réponse; dites-moi où il demeure. Je vous embrasse bien tendrement. »
1 Le Poème sur le désastre de Lisbonne. : Voltaire disait que c'était un sermon du père Liébaut ou Liébaud ; voir lettre du 29 janvier 1756 à de Gauffecourt : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/29/a...
3 L'Essai sur l'Histoire générale. Voir : http://www.mediterranee-antique.info/00Pdf/Voltaire/Moeur...
5 La France et l'Angleterre; voyez tome XV, page 336 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411331n/f339.image....
6 Voir lettre du 8 novembre 1755 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/15/j...
17:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
31/05/2012
Eh bien les Anglais valent donc 40 livres pièce?
... May be !
Je ne sais pas comment Volti a estimé la valeur des perfides Anglais , je trouve qu'ils ne valent pas grand chose .
Je n'ai pas fait le calcul pour estimer les roastbeefs à l'unité .
Mais, bon, pour 40 livres j'espère que la bête est tendre, et que, même avec une sauce à la menthe et des haricots baignant dans la graisse , on n'en fera qu'une bouchée lors des jeux prochains .
Pour connaitre leur vraie valeur, je devrais sans doute m'adresser à la Mafia et autres margoulins qui truquent les matchs !
Cependant, les Ecossais, qui ont toute ma sympathie, montrent volontiers leurs pompons, sans sucer les bonbons anglais !
Il y en a au moins un qui ne plombe pas le bas de son kilt comme les jupettes de Liz !
God save qui il voudra !!
« A M. Jean-Robert TRONCHIN, de Lyon
26 février [1756]
Que dites-vous du départ du grand docteur Tronchin? Le docteur m'est venu voir sur la route il ne m'a pas dit où il allait mais je crois l'avoir deviné 1.
Le bruit d'un combat naval 2 a couru dans nos montagnes; mais elles sont trop éloignées de la mer. Il paraît que voilà la guerre de Rome et de Carthage. Les Carthaginois forcèrent les Romains à devenir meilleurs marins qu'eux; mais il y a encore bien loin de Brest à Londres. Le commerce souffrira beaucoup, les deux nations s'épuiseront en Europe pour quelques arpents de neige en Amérique. Il paraît qu'il n'y a qu'une petite décoration de changée à Versailles. Eh bien les Anglais valent donc 40 livres pièce? Des dissensions pour un vieux conseiller du grand conseil 3, des guerres ridicules chez les Algonquins, des billets de confession 4, etc., tout cela fait que je me trouve fort bien à Monrion et aux Délices. »
2 Dès juin 1755, l'Angleterre, avec son premier ministre Newcastle, alors officiellement en temps de paix, lance des opérations navales militaires « préventives », et fin 1755, ce sont près de 300 navires qui sont déjà capturés avec 7500 hommes . La Guerre de 7 ans commencera officiellement après que Louis XV ait réclamé la restitution de ces prises .
4 Ce dont V* se moquait déjà dans sa lettre du 24 octobre 1753 à la comtesse de Lutzelbourg : « On songe à Paris à de misérables billets de confession, et on ne songe ni à la petite vérole, ni à l'autre . »
18:31 | Lien permanent | Commentaires (0)
30/05/2012
de tous ceux qu'on a amusés, en est-il un seul qui daigne vous rendre le même service?
... Je ne sais si toi, Volti , qui est mort il y a tout juste 334 ans, t'amuses en voyant notre monde actuel, mais, bien que je t'aime, je ne veux pas avancer le moment où je pourrais te rendre ce service que tu nous offres encore .
Permets que je reste ton débiteur encore un peu !
A ton esprit éclatant Volti
Et une pensée particulière pour Mam'zelle Wagnière ...
« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.
A Monrion, 26 février [1756]
Moi, vous avoir oublié, mon cher ange! Ah! cela est bien impossible! Il y a plus de trois semaines que j'envoyai à Mme de Fontaine le petit ouvrage 1 dont vous me parlez, pour vous être donné sur-le-champ. Si vous avez quelqu'un de la famille à gronder, c'est à Mme de Fontaine qu'il faut vous adresser. Je n'ai point reçu cette lettre où vous me chantiez pouilles; apparemment que vos gens, voyant que vous me grondiez, n'ont pas cru que la lettre fût pour moi. Je reçois très-régulièrement toutes celles qu'on m'écrit par M. Tronchin 2. Ne craignez point, mon cher ange, de m'écrire par cette voie. Il me semble qu'il faudrait faire à présent quelque tragédie maritime; on n'a encore représenté des héros que sur terre je ne vois pas pourquoi la mer a été oubliée. La scène serait sur un vaisseau de cent pièces de canon. Vous m'avouerez que l'unité de lieu y serait exactement observée, à moins que les héros ne se jetassent dans la mer. En vérité, je ne trouve rien de neuf sur la terre, ce sont toujours les mêmes passions, et des aventures qui se ressemblent. Le théâtre est épuisé, et moi aussi et puis, quand on s'est tué à travailler deux ans de suite à l'ouvrage le plus difficile que l'esprit humain puisse entreprendre, quelle en est la récompense? Les comédiens, daignent-ils seulement remercier du présent qu'on leur a fait?3 On amuse la cour deux heures; mais, de tous ceux qu'on a amusés, en est-il un seul qui daigne vous rendre le même service? La parodie nous tourne en ridicule; un Fréron nous déchire; voilà tout le fruit d'un travail qui abrège la vie. C'est à ce coup que vous m'allez bien gronder. Vous auriez tort, mon cher ange; ne voyez-vous pas que si mon sujet était arrangé à ma fantaisie, j'aurais déjà commencé les vers?
Mais quelle est donc la maladie de Mme d'Argental ? que veut donc dire son pied ? Si la comédie ne la guérit point, que pourra Fournier 4? Son état m'afflige sensiblement Quand vous irez à la Comédie, mon cher et respectable ami, faites, je vous prie, pour moi les remerciements les plus tendres à Gengis-kan 5. Il est vrai que je ne pouvais mieux me venger de l'auteur 6 de Mérope, opéra, qu'en vous en envoyant un petit échantillon. Je crois qu'à présent on doit trouver ses vers fort mauvais à Versailles. Je suis toujours attaché à Mme de Pompadour je lui dois de la reconnaissance, et j'espère qu'elle sera longtemps en état de faire du bien. Adieu, mon cher ange; je vous embrasse tendrement. »
4 Ou Fournié, médecin du duc d'Orléans. Médecin nommé dans la lettre du 13 janvier 1754 à d'Argental :
23:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
Vous voyez que dans ce monde on ne dit pas un mot de vrai
... Et pourtant, il est des nouvelles d'une importance si capitale qu'elles ne peuvent être que vraies . Jugez-en : http://lci.tf1.fr/insolite/a-pekin-les-mouches-sont-limit...
Personnellement, je ne suis pas étonné de ce dictat, la mouche chinoise étant comme chacun le sait, perfide et colonisatrice ; travaillant 24h sur 24, 7 jours sur 7, vous voyez sans hésiter sa capacité de nuisance .
Deux par toilette, pas plus, cette règle me rappelle les ordres du défunt et non regretté Grand Timonier, et je l'approuve, car si on est assez laxiste pour dire "en moyenne 2 par toilette", supposons que nous ayons un groupe de 10 toilettes et que ces malignes mouches se réunissent dans un seul WC, nous aurions un attroupement de 20 mouches, ce qui est fort mal vu par les autorités depuis les évènements de Tien An Men . Fera-t-on là aussi appel aux chars ? A quand un édit sur le poids, la taille, le volume maximum de ce que l'on va déposer en ces lieux ? ça ne saurait tarder, le chinois étant essentiellement comptable, ... quand il n'est pas blanchisseur au Far West .
« A M. Pierre PICTET,
Professeur en droit.
[février 1756]
Mille remerciements et mille respects à vos dames. Vous voyez que dans ce monde on ne dit pas un mot de vrai 1. Oui, sans doute, il faut être pyrrhonien,2 et ne songer qu'à vivre doucement. Pour moi, je ne fais que supporter la vie; je souffre continuellement. »
1 Allusion à la prétendue destruction de Philadelphie. Voir la lettre du 12 février à Pictet : .http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/05/25/les-ministres-ont-leurs-raisons-dans-lesquelles-il-ne-m-appa.html
22:04 | Lien permanent | Commentaires (0)