Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné
Ce travail a pu augmenter ma maladie, mais il valait mieux mourir que de ne pas se justifier
Note rédigée le 28/4/2011 . Eh ! oui !!
- Allo ! tonton ! pourquoi tu tousses ?
http://www.youtube.com/watch?v=BNOmZPUFU4Q
- J'me sens pas bien portant :
http://www.youtube.com/watch?v=dLAnSPY9hHI
et cette version de Jean Yanne, homme pour qui je garde une affection fidèle :
http://www.youtube.com/watch?v=-vAYzTEA8Zc&feature=re...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
27è fév[rier] 1773
De profundis.
Avec le fièvre tierce, une toux convulsive, la goutte et la strangurie, je ne perdrai pas des moments précieux avec ce polisson de Valade i. Je les emploierai à dire à mon cher ange que je l'aimerai jusqu'au tombeau, dont je suis assez près .
Je lui envoie ma déclaration sur le procès de M. de Morangiès, et ma réponse à cet avocat Lacroix qui fait je ne sais quel Spectateur ii. Je suis devenu, par une singulière fatalité, partie dans cette affaire iii. Je me défends , et je crois me défendre en honnête homme et en homme modéré . Ce travail a pu augmenter ma maladie, mais il valait mieux mourir que de ne pas se justifier .
J'embrasse mes anges mort ou vif .
V. »
i Le libraire qui vend l'édition pirate des Lois de Minos ;
voir lettre du 30 janvier à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/30/j...
et du 1er février à Richelieu : page 147 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f152.image.r...
ii Déclaration de M. de Voltaire sur le procès entre le comte de Morangiès et les Verron, (page 344 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800269/f349.image) publiée avec la Réponse à l'écrit d'un avocat (Falconet) intitulé Preuves démonstratives en fait de justice, (page 350 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800269/f355.image) 1773 .
Sur le procès Morangiès, voir lettre du 30 mai 1772 à Richelieu : page 36 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f41.image.r=...
Jacques-Vincent Delacroix est bien rédacteur du Spectateur français, mais il n'est pas l'auteur des Preuves démonstratives auxquelles répond V*.Voir : http://cths.fr/an/prosopo.php?id=1495
iii V* écrit à Rochefort d'Ally le 3 mars : « C'est vous qui par amitié pour M; le marquis de Morangiès le lieutenant général son père, me pressâtes d'écrire en faveur de son fils . Un avocat nommé Lacroix ... a fait un libelle infâme ... » Page 167 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f172.image.r
Les Preuves démonstratives que V* attribue à Delacroix sont une réponse aux Nouvelles probabilités en fait de justice de V*.
27/02/2011 | Lien permanent
Il y a un casuiste qui a examiné si la Vierge eut du plaisir dans la coopération de l'obombration du Saint Esprit ; il t
« A Frédéric II de Prusse
A Bruxelles [vers le 5 novembre 1742]
Sire,
Je suis bien heureux que le plus sage des rois soit un peu content de ce vaste tableau que je fais des folies des hommes [i]. Votre Majesté a bien raison de dire que le temps où nous vivons a de grands avantages sur ces siècles de ténèbres et de cruauté,
Et qu'il vaut mieux, ô blasphèmes maudits !
Vivre à présent qu'avoir vécu jadis.[ii]
Plût à Dieu que tous les princes eussent pu penser comme mon héros ; il n'y aurait eu ni guerre de religion ni bûchers allumés pour y brûler de pauvres diables qui prétendaient que Dieu est dans un morceau de pain d'une manière différente de celle qu'entend saint Thomas. Il y a un casuiste [iii] qui a examiné si la Vierge eut du plaisir dans la coopération de l'obombration du Saint Esprit ; il tient pour l'affirmative, et en apporte de fort bonnes raisons. On a écrit contre lui de beaux volumes, mais il n'y a eu dans cette dispute ni hommes brûlés ni villes détruites. Si les partisans de Luther, de Zwingle, de Calvin et du pape en avaient usé de même, il n'y aurait eu que du plaisir à vivre avec ces gens là.
Il n'y a plus guère de querelles fanatiques qu'en France. Le janséniste et le moliniste y entretiennent une discorde qui pourrait bien devenir sérieuse, parce qu'on traite ces chimères sérieusement.
Le prince n'a qu'à s'en moquer, et les peuples en riront ; mais les princes qui ont des confesseurs sont rarement des rois philosophes.
J'envoie à Votre Majesté une petite cargaison d'impertinences humaines [iv] qui seront une nouvelle preuve de la grande supériorité du siècle de Frédéric sur les siècles de tant d'empereurs ; mais Sire, toutes ces preuves-là n'approchent point de celles que vous en donnez.
J'ai ouï dire que, tout général que vous êtes d'une armée de cent cinquante mille hommes, Votre Majesté se fait représenter paisiblement des comédies dans son palais. La troupe qui a joué devant elle n'est pas probablement comme ses troupes guerrières ; elle n'est pas , je crois, la première de l'Europe.[v]
Je pense avoir trouvé un jeune homme d'esprit [vi] et de mérite, qui fait fort joliment des vers, et qui sera très capable de servir aux plaisirs de mon héros, de conduire ses comédiens, et d'amuser celui qui peut tenir la balance entre les princes de ce monde. Je compte être dans quinze jours à Paris, et alors j'en donnerai des nouvelles plus positives à Votre Majesté.
J'espère aussi lui envoyer deux ou trois siècles de plus [vii], mais il me faut autant de livres que vous avez de soldats, et ce n'est guère qu'à Paris que je pourrai trouver ces immenses recueils dont je tire quelques gouttes d'élixir.
Je me flatte qu'à présent Votre Majesté jouit de la belle collection du cardinal de Polignac [viii].
Roi très sage, voila donc comme
Vous avez, pour vingt mille écus,
Tout le salon de Marius !
Mais pour ces antiques vertus
Qu'on ne rapporte plus de Rome,
Le don de penser toujours bien,
D'agir en prince, et vivre en homme,
Tout cela ne vous coûte rien.
Je viens de voir les Hanovriens et les Hessois en ordre de bataille, ce sont de belles troupes, mais cela n'approche pas encore de celles de Votre Majesté, et elles n'ont pas mon héros à leur tête. On ne croit pas que cet hiver elles sortent de leur garnison. On disait qu'elles allaient à Dunkerque ; le chemin est un peu scabreux, quoiqu'il paraisse assez beau.
Sire, que Votre Majesté conserve ses bontés à son éternel adorateur ! »
i V* reçut de grands compliments de Frédéric le 13 octobre sur les chapîtres, qu'il avait envoyés, de l'Histoire universelle ( qui deviendra l'Essai sur les Moeurs) : « cette histoire singulière ... réfléchie, impartiale, et chatrée de tous les dé&tails inutiles ... »
ii Défense du Mondain.
iii Thomas Sanchez dans les Disputationum de sancto matrimonii sacramento libri (1598).
iv Nouveaux chapitres de l'Histoire, d'après la réponse de Frédéric du 15 novembre.
v Frédéric partage ce jugement : «... ce sont proprement des danseurs, dont la famille de Cochoi (Marianne et Barbe Cochois) font la comédie. » dira-t-il.
vi La Bruère.
vii V* le 14 novembre écrit au roi qu'il en est à Chrles Quint dans son Essai sur les moeurs.
viii Il l'a achetée à la mort du cardinal en avril 1742 ; elle comprenait une collection de staues et d'antiquités.
05/11/2010 | Lien permanent
je baise mille fois vos beaux tétons et vos belles fesses...Voilà de plaisants discours, ... pour un malade !
"Je ne songe qu'à profiter du peu de temps qui me reste pour travailler et pour vous aimer"
... Belle déclaration d'amour !
Volti connait le démon de midi, -Marie-Louise, pour ne rien vous cacher-, et lui rend hommage sans fard et sans hypocrisie, quoique en toute discrétion aux yeux du monde .
« A Mme Denis
A Strasbourg 3 septembre [1753]
Je reçois, ma chère enfant, votre lettre du 27 août qui m'est probablement renvoyée par M. Gayot. Je vous prie dorénavant de m'écrire sous le couvert de M. Defresnay, directeur général des postes, ou sous le nom de M. Darsin [i]. Les lettres me seront rendues sur-le-champ, soit sous le nom de Darsin soit sous l'enveloppe de M. Defresnay. M. Gayot est à Plombières. Je ne doute pas que vous ne lui ayez écrit pour le remercier de tous ses soins. J'ai toujours votre boîte [ii]. J'attends une occasion. Je suis à la campagne. Je n'ai point osé aller au gouvernement [iii] sans billet. J'attends celui de M. Bernard que vous m'avez promis. Venons à nos affaires. Vous ne me parlez point de votre santé. Elle est donc bonne. C'est là ma première affaire et je ne suis malheureux qu'à moitié.
Mon cœur est pénétré de tout ce que vous faites. Je n'ai point dans mes tragédies d'héroïne comme vous. Moi, ne vous point aimer ! Mon enfant, je vous adorerai jusqu'au tombeau. Je vous aime tant que je n'irai point dans ce château où il y a un tiers qui vous aime aussi [iv]; je deviens jaloux à mesure que je m'affaiblis, ma chère enfant. Je voudrais être le seul qui eût le bonheur de vous foutre, et je voudrais à présent n'avoir jamais eu que vos faveurs, et n'avoir déchargé qu'avec vous . Je bande en vous écrivant, et je baise mille fois vos beaux tétons et vos belles fesses. Eh! Bien, direz-vous que je ne vous aime pas ! Pagnon [v] serait bien étonné s'il lisait cela. Voilà de plaisants discours, dirait-il pour un malade ! Mais c'est un malade à qui vous rendez la vie par-ci par-là.
Je ne suis pas si content de l'imbécile abbé Godin [vi] que de vous . A qui en veut-il ? pourquoi plutôt dans un endroit que dans un autre ? Le plat homme ! Les deux grelots [vii] de Frémont [viii] me plaisent beaucoup, ils feront d'ailleurs enrager Lemeri et Le Sec [ix].
En attendant voici ce que je vais faire . J'ai achevé à peu près mon histoire de l'empire [x]. Je tâcherai de la faire imprimer à Strasbourg. J'y aurai pour la perfectionner un secours que je n'aurais point ailleurs. M. Sheffling [xi], le meilleur professeur d'histoire, est à Strasbourg. Il est mon ami, il me vient voir tous les jours dans mon ermitage. Il m'aidera. Je suis bien loin de me promener dans l'Alsace et dans la Lorraine. Je ne songe qu'à profiter du peu de temps qui me reste pour travailler et pour vous aimer. Un moment perdu me parait un siècle. Dieu merci je n'ai rendu aucune visite pas même à l'intendant. Il est venu souvent chez moi. Je renvoie mon monde sans façon en qualité de malade. Travailler et penser à vous, voila ma vie. Au nom de notre amitié, ma chère enfant, peignez-moi à tout le monde comme mourant, vous ne mentirez guère, car je ne vis que quand votre idée me ressuscite.
Envoyez-moi, je vous prie la malle aux papiers par le premier roulier à l'adresse de M. Defresnay et ne manquez pas d'y mettre toutes mes lettres. J'ai une besogne en tête que vous m'avez conseillée, qui est nécessaire, et que je veux faire en forme de lettres. Je tâcherai de rendre la chose sage, agréable, plaisante ; et quoique mesurée je vous promets qu'elle couvrira d'opprobre dans la postérité ceux qui vous ont fait traîner par des soldats [xii] et qui prétendent à la gloire parce qu'ils ont été heureux. Je rappellerai dans ces lettres beaucoup de faits qui seront d'ailleurs attestés par les originaux qui sont dans mes papiers [xiii]. Soyez sûre que ce recueil sera un jour plus intéressant que celui de Rousseau [xiv]. Je vous remettrai le tout fidèlement et vous le garderez comme mon testament, après quoi je mourrai content. Pourriez-vous mettre dans le coffre six assiettes et six couverts d'argent , cela peut servir quoique je ne sois pas un homme à tenir table sans vous, comme vous le faites si gaiement. Je ne soupe plus, vous ne dînez plus. Vola la plus grande de mes afflictions.
Je vous avoue que j'ai été bien affligé que vous ayez envoyé à Francfort la révocation de votre procuration [xv]. Elle est arrivée précisément dans le temps qu'on allait rendre l'argent. Votre résiliation a tout gâté. On s'est prévalu de l'apparence de notre mésintelligence. C'est cent louis de perdu à la suite de beaucoup d'autres. Vous vous êtes trop pressée de croire vos pauvres Parisiens qui croient connaître l'Allemagne. C'est moi qui la connais. J'ai eu plusieurs conférences tête à tête avec l'Électeur palatin. Je vous réponds que j'étais mieux à Mayence, à Manheim, à Gotha que partout ailleurs. Je vous dirais d'autres choses qui vous émerveilleraient, mais je ne veux songer à présent qu'à vous, à mon histoire de l'empire, à ces lettres, et Dieu sait si après je ne ferai pas une tragédie. J'ai un sujet admirable [xvi], et le diable me bat. Laissez-moi faire et que je vive.
Ce fou de Maupertuis n'a donc pas imprimé l'apologie de ses géants et de l'art d'exalter son âme ?[xvii] Ce fou devient un sot . L'amour-propre et l'eau-de-vie l'ont abruti. Adieu, aimez-moi pour que je vive, mais parlez toujours de moi comme d'un mourant . Ce coquin de Cernin [xviii] écrivait à sa sœur : Il fait le malade à Francfort, et sa nièce fait semblant de le secourir en l'épuisant. Je vous recommande Du Billon [xix] dans vos moments de loisir.
Je crois qu'il est de la plus grande importance que vous fassiez envoyer au roi de Prusse par milord Maréchal la lettre où je traite comme il faut l'impertinent auteur de la satire contre le roi de Prusse [xx]. Voici des vers qu'on m'envoie [xxi], ils méritent d'être connus. Adieu ma chère enfant.
V.
Ne dîtes à personne que je vais faire imprimer une histoire d'Allemagne. »
i Darsin ou d'Arcin, encore un des pseudonymes de V*.
ii Sa tabatière.
iii A la résidence du gouverneur ; il avait demandé à Mme Denis le 17 août de « parler à Bernard (= Pierre-Joseph Bernard, dit Gentil-Bernard), et de voir si M. le maréchal de Coigny voudrait permettre qu'(il) loge(ât) à Strasbourg dans son hôtel »
iv Chez Cideville, en Normandie ; le 22, lettre explicite : « Vous renoncez donc à la Normandie. Votre état (=grossesse) l'exige et les sentiments de Cideville l'auraient exigé. »
Par contre, le 11 novembre à Cideville : « On dit que votre campagne est charmante, mais vous en faites le plus grand agrément. Je ne me console pas de n'y pouvoir aller. »
v Pseudonyme de Franz Varrentrapp, imprimeur à Francfort ? Ou Paignon, parent de Mme Denis ?
vi Est-ce Louis XV, comme il le désignait dans d'autres lettres.
vii Terme utilisé par V* pour désigner des distinctions .
viii D'Argenson.
ix Frédéric et Maupertuis.
x Annales de l'Empire.
xi Johann Daniel Schoepflin.
xii A Francfort ; cf. lettres du 20 juin et 8 juillet 1753.
xiii Il s'agit de réécrire les lettres adressées de Prusse à sa nièce et en faire un recueil vengeur à publier après sa mort (comme prévu aussi pour ses Mémoires) ; il reviendra à plusieurs reprises sur ce projet, réclamant à chaque fois les papiers qu'elle hésite à envoyer. Cf. lettre du 20 décembre.
xiv Jean-Baptiste Rousseau : Lettres sur différents sujets ; cf. lettre à Mme Denis du 12 août 1749.
xv 25 juillet.
xvi L'Orphelin de la Chine ; il lui reprochera d'avoir « parlé des Chinois » le 18 septembre.
xvii Dans la Diatribe du Docteur Akakia : Maupertuis a « imaginé de connaître la nature de l'âme par le moyen de l'opium et en disséquant des têtes de géants ... » ; « avec de l'opium et des rêves, il modifie l'âme » ; « il espère qu'un peu plus de chaleur et d'exaltation dans l'imagination pourra servir à montrer l'avenir... »
xviii Frédéric, qui écrivait en réalité à sa sœur Wilhelmine le 7 juillet : « J'ai vu la lettre de Voltaire et de la Denis ... Vous ne sauriez croire ... jusqu'à quel point ces gens jouent la comédie ; toutes ces convulsions, ces maladies, ces désespoirs, tout cela n'est qu'un jeu... »
xix Est-ce encore Frédéric comme dans d'autres lettres ?
xx V* attribue cette satire à La Beaumelle : Idée de la personne, de la manière de vivre et de la Cour du Roi de Prusse, juin 1752 ; elle vient d'être publiée suivie de deux textes authentiques de V* qui craint donc qu'on ne croie « que tout est de lui » (lettre du 27 août 1753), d'où urgence à fustiger l'auteur de la satire et faire transmettre ce mot à Frédéric.
xxi Vers envoyés par Sébastien Dupont à V* en août 1753.
03/09/2010 | Lien permanent
il a joint des traits qui ne sont pas d’une bonne âme... Intimement persuadé qu’on doit lui élever une statue
... Cet Eric Zemmour est bel et bien un malfaisant avéré quand bien même il fait appel de sa récente condamnation , il a un mauvais fond , et menteur, ne se rend pas même compte de ses incohérences .
Il y a quelque chose de pourri chez cet homme là .
« A David Hume 1
J’ai lu, monsieur, les pièces 2 du procès que vous avez eu à soutenir par devant le public contre votre ancien protégé 3. J’avoue que la grande âme de Jean-Jacques a mis au jour la noirceur avec laquelle vous l’avez comblé de bienfaits ; et c’est en vain qu’on a dit que c’est le procès de l’ingratitude contre la bienfaisance.
Je me trouve impliqué dans cette affaire. Le sieur Rousseau m’accuse de lui avoir écrit en Angleterre une lettre 4 dans laquelle je me moque de lui. Il a accusé M. d’Alembert du même crime.
Quand nous serions coupables au fond de notre cœur, M. d’Alembert et moi, de cette énormité, je vous jure que je ne le suis point de lui avoir écrit. Il y a sept ans que je n’ai eu cet honneur. Je ne connais point la lettre dont il parle ; et je vous jure que si j’avais fait quelque mauvaise plaisanterie sur M. Jean-Jacques Rousseau, je ne la désavouerais pas.
Il m’a fait l’honneur de me mettre au nombre de ses ennemis et de ses persécuteurs 5. Intimement persuadé qu’on doit lui élever une statue, comme il le dit dans la lettre polie et décente de Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, à Christophe de Beaumont, archevêque de Paris 6, il pense que la moitié de l’univers est occupée à dresser cette statue sur son piédestal, et l’autre moitié à la renverser.
Non seulement il m’a cru iconoclaste, mais il s’est imaginé que j’avais conspiré contre lui avec le conseil de Genève, pour faire décréter sa propre personne de prise de corps, et ensuite avec le conseil de Berne pour le faire chasser de la Suisse 7.
Il a persuadé ces belles choses aux protecteurs qu’il avait alors à Paris, et il m’a fait passer dans leur esprit pour un homme qui persécutait en lui la sagesse et la modestie. Voici, monsieur, comment je l’ai persécuté.
Quand je sus qu’il avait beaucoup d’ennemis à Paris, qu’il aimait comme moi la retraite, et que je présumai qu’il pouvait rendre quelques services à la philosophie, je lui fis proposer, par M. Marc Chapuis, citoyen de Genève, dès l’an 1759, une maison de campagne appelée l’Ermitage, que je venais d’acheter.
Il fut si touché de mes offres, qu’il m’écrivit ces propres mots :
« Monsieur, je ne vous aime point ; vous corrompez ma république en donnant des spectacles dans votre château de Tournay, etc.8 »
Cette lettre, de la part d’un homme qui venait de donner à Paris un grave opéra 9 et une comédie 10, n’était cependant pas datée des Petites-Maisons. Je n’y fis point de réponse, comme vous le croyez bien, et je priai M. Tronchin, le médecin, de vouloir bien lui envoyer une ordonnance pour cette maladie. M. Tronchin me répondit que, puisqu’il ne pouvait pas me guérir de la manie de faire encore des pièces de théâtre à mon âge, il désespérait de guérir Jean-Jacques. Nous restâmes l’un et l’autre fort malades, chacun de notre côté.
En 1762, le conseil de Genève entreprit sa cure, et donna une espèce d’ordre de s’assurer de lui pour le mettre dans les remèdes. Jean-Jacques, décrété à Paris et à Genève, convaincu qu’un corps ne peut être en deux lieux à la fois, s’enfuit dans un troisième. Il conclut, avec sa prudence ordinaire, que j’étais son ennemi mortel, puisque je n’avais pas répondu à sa lettre obligeante. Il supposa qu’une partie du conseil genevois était venue dîner chez moi pour conjurer sa perte, et que la minute de son arrêt avait été écrite sur ma table, à la fin du repas. Il persuada une chose si vraisemblable à quelques-uns de ses concitoyens. Cette accusation devint si sérieuse, que je fus obligé enfin d’écrire au conseil de Genève une lettre très forte 11, dans laquelle je lui dis que, s’il y avait un seul homme dans ce corps qui m’eût jamais parlé du moindre dessein contre le sieur Rousseau, je consentais qu’on le regardât comme un scélérat, et moi aussi, et que je détestais trop les persécuteurs pour l’être.
Le conseil me répondit 12, par un secrétaire d’État, que je n’avais jamais eu, ni dû avoir, ni pu avoir la moindre part, ni directement ni indirectement, à la condamnation du sieur Jean-Jacques.
Les deux lettres sont dans les archives du conseil de Genève .
Cependant M. Rousseau, retiré dans les délicieuses vallées de Moutier-Travers, ou Môtiers-Travers, au comté de Neuchâtel, n’ayant pas eu, depuis un grand nombre d’années, le plaisir de communier sous les deux espèces, demanda instamment au prédicant de Môtiers-Travers, homme d’un esprit fin et délicat, la consolation d’être admis à la sainte table ; il lui dit 13 que son intention était, 1° de combattre l’Église romaine ; 2° de s’élever contre l’ouvrage infernal de l’Esprit, qui établit évidemment le matérialisme ; 3° de foudroyer les nouveaux philosophes vains et présomptueux. Il écrivit et signa cette déclaration, et elle est encore entre les mains de M. de Montmolin prédicant de Motiers-Travers et de Boveresse.
Dès qu’il eut communié, il se sentit le cœur dilaté, il s’attendrit jusqu’aux larmes. Il le dit au moins dans sa lettre 14 du 8 août 1765.
Il se brouilla bientôt avec le prédicant et les prêchés de Môtiers-Travers et de Boveresse. Les petits garçons et les petites filles lui jetèrent des pierres ; il s’enfuit sur les terres de Berne ; et, ne voulant plus être lapidé, il supplia Messieurs de Berne de vouloir bien avoir la bonté de le faire enfermer le reste de ses jours dans quelqu’un de leurs châteaux, ou tel autre lieu de leur État qu’il leur semblerait bon de choisir. Sa lettre 15 est du 20 octobre 1765.
Depuis madame la comtesse de Pimbêche, à qui l’on conseillait de se faire lier 16, je ne crois pas qu’il soit venu dans l’esprit de personne de faire une pareille requête. Messieurs de Berne aimèrent mieux le chasser que de se charger de son logement.
Le judicieux Jean-Jacques ne manqua pas de conclure que c’était moi qui le privais de la douce consolation d’être dans une prison perpétuelle, et que même j’avais tant de crédit chez les prêtres, que je le faisais excommunier par les chrétiens de Motiers-Travers et de Boveresse.
Ne pensez pas que je plaisante, monsieur. Il écrit, dans une lettre du 24 de juin 1765 17 : Être excommunié de la façon de M. de V. m’amusera fort aussi. Et, dans sa lettre du 23 de mars, il dit : M. de V. doit avoir écrit à Paris qu’il se fait fort de faire chasser Rousseau de sa nouvelle patrie 18.
Le bon de l’affaire est qu’il a réussi à faire croire, pendant quelque temps, cette folie à quelques personnes ; et la vérité est que, si, au lieu de la prison qu’il demandait à Messieurs de Berne, il avait voulu se réfugier dans la maison de campagne que je lui avais offerte, je lui aurais donné cet asile, où j’aurais eu soin qu’il eût de bons bouillons avec des potions rafraîchissantes, bien persuadé qu’un homme dans son état mérite beaucoup plus de compassion que de colère.
Il est vrai qu’à la sagesse toujours conséquente de sa conduite et de ses écrits il a joint des traits qui ne sont pas d’une bonne âme. J’ignore si vous savez qu’il a écrit des Lettres de la Montagne. Il se rend, dans la cinquième lettre, formellement délateur contre moi : cela n’est pas bien. Un homme qui a communié sous les deux espèces, un sage à qui l’on doit élever des statues, semble dégrader un peu son caractère par une telle manœuvre ; il hasarde son salut et sa réputation.
Aussi la première chose qu’ont faite MM. les médiateurs de France, de Zurich, et de Berne, a été de déclarer solennellement les Lettres de la Montagne un libelle calomnieux 19. Il n’y a plus moyen que j’offre une maison à Jean-Jacques, depuis qu’il a été affiché calomniateur au coin des rues.
Mais, en faisant le métier de délateur et d’homme un peu brouillé avec la vérité, il faut avouer qu’il a toujours conservé son caractère de modestie.
Il me fit l’honneur de m’écrire 20, avant que la médiation arrivât à Genève, ces propres mots :
« Monsieur, si vous avez dit que je n’ai pas été secrétaire d’ambassade à Venise, vous avez menti ; et si je n’ai pas été secrétaire d’ambassade, et si je n’en ai pas eu les honneurs, c’est moi qui ai menti. »
J’ignorais que M. Jean-Jacques eût été secrétaire d’ambassade ; je n’en avais jamais dit un seul mot parce que je n’en avais jamais entendu parler.
Je montrais cette agréable lettre à un homme véridique, fort au fait des affaires étrangères, curieux et exact ; ces gens-là sont dangereux pour ceux qui citent au hasard . Il déterra les lettres originales, écrites de la main de Jean-Jacques, du 9 et du 13 d’auguste 1743 21, à M. du Theil, premier commis des affaires étrangères, alors son protecteur. On y voit ces propres paroles :
« J’ai été deux ans le domestique de M. le comte de Montaigu (ambassadeur à Venise)… J’ai mangé son pain … : il m’a chassé honteusement de sa maison… ; il m’a menacé de me faire jeter par la fenêtre… ; et, de pis, si je restais plus longtemps dans Venise…, etc. »
Voilà un secrétaire d’ambassade assez peu respecté, et la fierté d’une grande âme peu ménagée. Je lui conseille de faire graver au bas de sa statue les paroles de l’ambassadeur au secrétaire d’ambassade.
Vous voyez, monsieur, que ce pauvre homme n’a jamais pu se maintenir sous aucun maître, ni se conserver aucun ami, attendu qu’il est contre la dignité de son être d’avoir un maître, et que l’amitié est une faiblesse dont un sage doit repousser les atteintes.
Vous dites qu’il fait l’histoire de sa vie ; elle a été trop utile au monde, et remplie de trop grands événements, pour qu’il ne rende pas à la postérité le service de la publier. Son goût pour la vérité ne lui permettra pas de déguiser la moindre de ces anecdotes, pour servir à l’éducation des princes qui voudront être menuisiers comme Émile.
A dire vrai, monsieur, toutes ces petites misères ne méritent pas qu’on s’en occupe deux minutes ; tout cela tombe bientôt dans un éternel oubli. On ne s’en soucie pas plus que des baisers âcres de la Nouvelle Héloïse 22, et de son faux germe, et de son doux ami, et des lettres de Vernet 23 à un lord qu’il n’a jamais vu. Les folies de Jean-Jacques et son ridicule orgueil, ne feront nul tort à la véritable philosophie, et les hommes respectables qui la cultivent en France, en Angleterre, et en Allemagne, n’en seront pas moins estimés.
Il y a des sottises et des querelles dans toutes les conditions de la vie. Quelques ex-jésuites 24 ont fourni à des évêques des libelles diffamatoires sous le nom de Mandements ; les parlements les ont fait brûler ; cela s’est oublié au bout de quinze jours. Tout passe rapidement, comme les figures grotesques de la lanterne magique.
L’archevêque de Novogorod, à la tête d’un synode, a condamné l’évêque de Rostou à être dégradé et enfermé le reste de sa vie dans un couvent, pour avoir soutenu qu’il y a deux puissances, la sacerdotale et la royale. L’impératrice a fait grâce du couvent à l’évêque de Rostou. A peine cet événement a-t-il été connu en Allemagne et dans le reste de l’Europe.
Les détails des guerres les plus sanglantes périssent avec les soldats qui en ont été les victimes. Les critiques mêmes des pièces de théâtre nouvelles, et surtout leurs éloges, sont ensevelis le lendemain dans le néant avec elles, et avec les feuilles périodiques qui en parlent. Il n’y a que les dragées du sieur Keyser 25 qui se soient un peu soutenues.