30/01/2011
je n'ai jamais jusqu'à présent fait errer ainsi des femmes et des filles .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
envoyé de Parme, etc. en son hôtel, quai d'Orsay à Paris
30è janv[ier] 1773 à F[erney]
C'était Paris, et non pas Lausanne i qu'il fallait craindre mon cher ange. Il y a huit ou dix jours qu'un fripon de libraire nommé Valade débite impunément une édition des Lois de Minos ii.
Il faut avouer que la pièce n'est pas tout entière de moi. On y trouve entre autres une mère et une fille errantes dans tes bras ; et je n'ai jamais jusqu'à présent fait errer ainsi des femmes et des filles .
Les autres vers qu'on iii a substitués aux miens sont aussi mauvais que si je les avais faits moi-même . On a ôté
Respectons plus Minos – aimons plus la justice.
qui n'était pas si mauvais, pour mettre à la place quelque chose d'assez commun , et qui énerve toute la force du dialogue . Je n'ai pas eu le courage de lire le reste. J'écris à M. de Sartines iv, pour le prier de mettre un frein à ces friponneries qui sont trop communes. Vous pourriez très aisément savoir comment Valade est parvenu à s'emparer d'une copie de la pièce, soit de celle qui était entre vos mains v, soit de celle de M. de Thibouville, soit de celle de Lekain.
Voilà un accident dont je ne me consolerai guère . Ceci est la fable de la laitière et du pot au lait. J'avais imaginé qu'on jouerait cette pièce à la cour ; qu'on me saurait gré d'avoir peint le roi de Suède vi, quoique Brizard ne lui ressemble point du tout ; qu'enfin j'aurais la consolation de vous voir vii. Mon pot au lait est renversé . Il faut abandonner Minos à Fréron, et attendre un temps plus favorable.
Un malheur ne vient jamais seul ; j'en essuie de plus d'une façon. C'est la destinée de notre pauvre nature humaine.
La poste qui va partir m'empêche d'écrire à monsieur de Thibouville ; je vous prie de lui communiquer ma lettre .
Bonsoir, mon cher ange, je mourrai donc sans vous revoir !
V. »
i V* avait « craint » le libraire Grasset de Lausanne , frère du Grasset qui travaillait pour Cramer à Genève ; il écrivit à d'Argental le 4 janvier « le Grasset de Genève a probablement envoyé à son frère à Lausanne ... » Voir Page 130 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f135.image.p...
ii « Valade la débite publiquement sous les titre Les Lois de Minos ou Astérie, tragédie en cinq actes par M. de Voltaire, à Genève et se trouve à Paris chez Valade rue saint Jacques » écrira V* à Cramer.
iii « On » = MM. D'Argental et de Thibouville sans doute ; cf. lettre à Richelieu du 1er février : « Vous me faisiez beaucoup d'honneur de joindre vos vers aux miens ; mais en vérité vous deviez m'en avertir . L'art des vers est plus difficile qu'on ne pense. » Page 147 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800416/f152.image.p...
iv De Sartines lieutenant général de police ; dans sa lettre du 1er février à d'Argental : « ... il est certain que M. de Sartines aurait puni le vol de Valade et confisqué sa marchandise, si on lui avait dit un mot. Je lui ai écrit ... »
v Dans sa lettre du 1er février à d'Argental : « L'imprimé est certainement d'après le manuscrit qui était chez vous . J'en juge par ce vers : « tout pouvoir a son terme » Vous avez voulu absolument terme au lieu de borne... »
vi Voir la lettre à d'Alembert du 13 novembre 1772 pour le sens des Lois de Minos : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/12/j...
vii Voir par exemple la lettre à Richelieu du 1er février au sujet de ce voyage envisagé à Paris pour la représentation.
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