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23/03/2010

apprendre à la France que nous avons plus besoin de cultivateurs que de moines.

 

 

 

 

« A Antoine-Jean-Gabriel Le Bault

 

Aux Délices, 23 mars 1763

 

             Vous faites de moi, monsieur, un petit Noé. Grâces à vos bontés je plante des vignes dans ma vieillesse. Si je ne bois pas du vin  qu’elles produiront, ceux qui viendront après moi le boiront à ma santé. Agréez, je vous prie, mes très humbles remerciements.

 

             Je crois que vous avez à présent plus d’une affaire ; vous devez être surchargé ; les jésuites vont surtout vous occuper ; vous ne pourrez guère vous dispenser de leur donner un habit court, et d’en faire des citoyens [le parlement de Dijon mettait des réserves à la dissolution de la Compagnie de Jésus . Le parlement de Paris (7 août 1762) et autres parlements de province avaient prononcé sans réserve la dissolution de cet Ordre et interdit aux membres d’en porter l’habit.]; mais après tout, ils ne font point de marché pour bâtir des palais de dix-sept cent mille livres, comme dom l’Enfant trouvé [jeu de mot sur dom Lenfant, supérieur de Cîteaux qui fait des travaux d’agrandissement]. On lapide aujourd’hui les fils  de Loyola avec les pierres de Port-Royal [cf. lettre du 12 février 1763 à Fyot de La Marche]. Ils ont été persécuteurs, et ils sont persécutés ; ils recueillent ce qu’ils ont semé, rien n’est plus juste. Puisse ce premier pas apprendre  à la France que nous avons plus besoin de cultivateurs que de moines.

 

             Vous me feriez un très grand plaisir, Monsieur, de vouloir bien m’apprendre si on peut compter que les tailleurs bourguignons rogneront, comme ailleurs, les robes des jésuites. Ils ont un petit bien, un domaine rural dans le pays de Gex qui pourrait faire quelque bien au canton, en étant remis dans la circulation,[le 25, V* demande à Balleidier, procureur à Gex « s’il est vrai que les jésuites abandonneront  Ornex , si l’on pourrait acquérir quelque terre de leur domaine ». Des ordonnances des 3 et 5 février 1763 fixaient les attributions du bureau des économats pour la gestion et la vente des biens appartenant aux jésuites.] et en n’étant plus mainmortable. Il se trouverait des voisins qui paieraient la valeur de ce domaine, et on prendrait dès à présent, des mesures pour rassembler la somme nécessaire, que l’on déposerait ensuite, ainsi qu’il serait ordonné par le parlement. Si cette affaire n’est pas encore mûre, j’ose pourtant vous demander ce que vous en prévoyez, et je vous promets le secret.

 

             J’ai l’honneur d’être, avec l’attachement le plus respectueux, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

             Voltaire

 

             Permettez-moi d’en dire autant à Madame Le Bault. »

 

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