11/05/2010
quand on m’en parle je nie, et on ne me croit pas.
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
A Ferney 8è mai 1772
J’ai quelque soupçon que mon héros me boude, et me met en pénitence. Trop de gens me parlent des Lois de Minos ; et Monseigneur le premier gentilhomme de la chambre [les premiers gentilshommes de la chambre étaient chargés à tour de rôle de la Comédie française], monsieur notre doyen [Richelieu, doyen de l’Académie française] peut dire : On ne m’a point confié ce code de Minos, on s’est adressé à d’autres qu’à moi [Richelieu se vexe des rapports de V* avec les d‘Argental ; V*, le 9, après leur avoir reproché d’avoir dit qu’il est l’auteur : « … un certain doyen sera piqué de n’avoir pas été dans la confidence. Il trouvera la pièce scandaleuse… Voyez quel remède vous pouvez apporter à ce mal… Pour moi je n’y sais d’autre emplâtre que de me confier au doyen. Après quoi il me faudra dans l’occasion me confier aussi au chancelier ; car vous frémiriez si je vous disais ce qui est arrivé « . Le 25 mai, à Richelieu, V* dira n’avoir pas eu « la plus légère correspondance avec M. le duc de Duras… » et « certifiera que M. d’Argental a ignoré très longtemps cette baliverne des Lois de Minos » et « qu’il y a trois ans qu’il n’a écrit à Thiriot »] .
Voici le fait.
Un jeune homme [« le jeune avocat du Roncel », prétendu auteur] et un vieillard passent ensemble quelques semaines à Ferney. Le jeune candidat veut faire une tragédie. Le vieillard lui dit : « Voici comme je m’y prendrais. » La pièce étant brochée : «Tenez, mon ami, vous n’êtes pas riche, faites votre profit de ce rogaton ; vous allez à Lyon, vendez-la à un libraire ; car je ne crois pas qu’elle réussît au théâtre. D’ailleurs nous n’avons plus d’acteurs. » Mon homme la donne à un libraire de Lyon [Rosset]. Le libraire l’adresse au magistrat de la Librairie. Ce magistrat est le procureur général. Ce procureur général voyant qu’il s’agit de Lois, envoie vite la pièce à M. le chancelier qui la retient, et on n’en entend plus parler. Je ne dis mot. Je ne m’en avoue point l’auteur. Je me retire discrètement. Pendant ce temps-là un autre jeune homme que je ne connais point [« le jeune homme » de Thibouville cf. lettre du 19 janvier aux d’Argental] va lire la pièce aux comédiens de Paris. Ceux-ci qui ne s’y connaissent guère la trouvent fort bonne ; ils la reçoivent avec acclamation [V* le dit aussi à Vasselier le 30 mars ; elle ne sera pas jouée à la Comédie française]. Ils la lisent ensuite à M. le duc de Duras et à M. de Chauvelin. Ces messieurs croient deviner que la pièce est de moi [le 9, V* reprochera aux d‘Argental de l‘avoir « calomnié en le faisant passer pour l‘auteur « ]. Ils le disent, et je me tais ; et quand on m’en parle je nie, et on ne me croit pas.
Voilà donc, mon héros, à quel point nous en sommes. [Cinna]
Je suppose que vous êtes toujours à Paris dans votre palais, et non dans votre grenier de Versailles. Je suppose encore que vos occupations vous permettent de lire une mauvaise pièce ; que vous daignerez vous amuser un moment des radoteries de la Crète et des miennes. En ce cas, vous n’avez qu’à donner vos ordres. Dites-moi comment il faut s’y prendre pour vous envoyer un gros paquet, et dans quel temps il faut s’y prendre ; car Monseigneur le Maréchal a plus d’une affaire, et une plate pièce de théâtre est mal reçue quand elle se présente à propos, et à plus forte raison quand elle vient mal à propos.
Pour moi c’est bien mal à propos que j’achève ma vie loin de celui à qui j’aurais voulu en consacrer tous les moments, et dont la gloire et les bontés me seront chères jusqu’à mon dernier soupir.
V. »
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