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21/05/2010

quand on veut corriger un vers vous savez que souvent il en faut réformer une douzaine

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d’Argental

21 mai 1764 aux Délices

Que le nom d’anges vous convient bien ! Et que vous êtes un couple adorable ! Que les libraires sont Welches et qu’il y a encore de Welches dans le monde ! Tout ira bien, mes divins anges grâce à vos bontés. Vous avez raison dans votre lettre du 14 mai d’un bout à l’autre. Je conçois bien qu’il y a quelques Welches affligés, mais il faut aussi vous dire qu’il y avait une page qui raccommodait tout, que cette page ayant été envoyée à l’imprimerie un jour trop tard n’a point été imprimée [à Damilaville, le 7 mai , il disait  avoir fait un carton pour le Discours aux Welches et qu’on (= Cramer) « n’a pas daigné l’imprimer » ; à Cramer, le 18 avril, il fait le reproche que « ses ouvriers » n’ont jamais corrigé une page (page 108)] ; que cet inconvénient m’est arrivé très souvent, et que c’est ce qui redoublait ma colère de Ragotin [personnage du Roman comique de Scarron ] contre les libraires [« tracasserie«  avec Cramer ; cf . lettre du 5 mai].

J’ai eu une longue conversation avec Mlle Catherine Vadé,[suite de la fiction familiale des Vadé, prétendus auteurs des Contes] qui s’est avisée de faire imprimer les fadaises de sa famille. Elle a trouvé dans ses papiers ce petit chiffon [le Supplément du Discours aux Welches ] que je vous présente pour consoler les Welches.

J’ai eu l’honneur aussi de parler aux roués.[corrections au Triumvirat] Il est très vrai qu’il ne faut pas dire si souvent à Auguste qu’il est un poltron, mais quand on veut corriger un vers vous savez que souvent il en faut réformer une douzaine. Voyez si vous êtes content de ce petit changement. En voilà quelques uns depuis la dernière édition ; vous pourriez pour vous épargner la peine de coudre tous ces lambeaux me renvoyer la pièce et je mettrais tout en ordre.

Je corrige tant que je peux avant la représentation afin de n’avoir plus rien à corriger après.


A l’égard des coupures et de ces extraits de tragédie, et de ces sentiments étranglés, tronqués, mutilés que le public, lassé de tout, semble exiger aujourd’hui, ce goût me parait welche. C’est ainsi que dans Mérope on a mutilé au 5ème acte la scène du récit en le faisant faire par un homme ce qui est doublement welche. Il fallait laisser la chose comme elle était il fallait que Mlle Dubois fît le récit qui ne convient qu’à une femme, et qui est ridicule dans la bouche d’un homme. Ces irrégularités serraient le cœur du pauvre Antoine Vadé [le prétendu auteur du Discours et Supplément du Discours aux Welches].

Serez-vous assez adorables pour dire à M. le premier président de Dijon combien nous lui sommes redevables, maman [=Mme Denis] et moi, combien nous lui sommes attachés ? Le ciel se déclare en notre faveur, car M. le Bault qui préside actuellement le parlement de Bourgogne est celui qui nous fournit de bon vin et il n’en fournit point aux curés.[allusion à l’affaire des dîmes que le curé de Ferney veut faire juger par le parlement de Dijon]

Nota. - Ce n’est point un ex-jésuite qui a fait les Roués, [ce que V* avait prévu de dire ; cf. lettre du 1er août 1763] c’est un jeune novice qui demanda son congé dès qu’il sût la banqueroute du père Lavalette et qu’il apprit que nosseigneurs du parlement avaient un malin vouloir contre saint Ignace de Loyola [cf. lettres des 31 mai, 2 novembre 1761, 19 mai, 28 novembre 1762 et 12 février, 23 mars 1763. Banqueroute du père Lavalette à la Martinique en 1760, procès perdu par les Jésuites ; arrêt du 6 août 1761 interdisant aux jésuites d‘enseigner, dissolution de la Compagnie prononcée par certains parlements de province, puis par celui de Paris en août 1762 ; la Compagnie est nationalement dissoute en novembre 1764]. Le public sans doute  protègera ce pauvre diable, mais le bon de l’affaire, c’est qu’elle amusera mes anges ; je crois déjà les voir rire sous cape à la première représentation.

Je ne pourrai me dispenser de mettre incessamment M. de Chauvelin de la confidence. Comme c’est une affaire d’Etat, il sera fidèle. S’il était à Paris il serait un de vos meilleurs conjurés, mais vous n’avez besoin de personne. Je viens de relire la pièce, elle n’est pas fort     attendrissante. Les Welches ne sont pas romains ; cependant il y a je ne sais quel intérêt d’horreur et de tragique qui peut occuper pendant cinq actes.

Je mets le tout sous votre protection. Respect et tendresse.
V.»




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