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10/08/2010

je sais qu'il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près qui a le malheur d'être dévot

 Je ne sais si le remaniement ministérie annoncé (changement d'herbage rejouit les veaux !) correspondra à ce diagnostic voltairien . Je crains plutôt qu'il ne soit constitué que de dévots, dévots au Dieu-président bien entendu .

 http://www.deezer.com/listen-3036017

Ce lien est juste là pour "Devot", ne cherchez pas plus loin , je ne comprends pas assez l'allemand pour être au clair sur le texte, mais un peu de hard rock de temps en temps, ça décolle la pulpe .

Et puis pour une lettre à un teuton, c'est raccord ...

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse


 

[Vers le 10 août 1775]


 

Lekain dans vos jours de repos

Vous donne une volupté pure [i]

On le prendrait pour un héros,

Vous les aimez, même en peinture.

C'est ainsi qu'Achille enchanta

Les beaux jours de votre jeune âge.

Marc-Aurèle enfin l'emporta.

Chacun se plait dans son image.


 

Le plus beau des spectacles, Sire, est de voir un grand homme, entouré de sa famille [ii], quitter un moment tous les embarras du trône pour entendre des vers, et en faire le moment d'après de meilleurs que les nôtres. C'est ce qui arrive souvent et ce qui n'arrive point à Versailles . Il me paraît que vous jugez très bien l'Allemagne, et cette foule de mots qui entrent dans une phrase, et cette multitude de syllabes qui entrent dans un mot, et ce goût qui n'est pas plus formé que la langue. Les Allemands sont à l'aurore ; ils seraient en plein jour si vous aviez daigné faire des vers tudesques.


 

C'est une chose assez singulière que Lekain et Mlle Clairon [iii] soient tous deux à la fois auprès de la maison de Brandebourg. Mais tandis que le talent de réciter du français vient obtenir votre indulgence à Sans-Souci, Gluck vient nous enseigner la musique à Paris . Nos Orphées viennent d'Allemagne si vos Roscius vous viennent de France . Mais la philosophie d'où vient-elle ? De Potsdam, Sire, où vous l'avez logée et d'où vous l'avez envoyée dans la plus grande partie de l'Europe.


 

 Je ne sais pas encore si notre roi marchera sur vos traces, mais je sais qu'il a pris pour ses ministres des philosophes, à un seul près qui a le malheur d'être dévot.[iv]


 

 Nous perdons le goût, mais nous acquérons la pensée. Il y a surtout un monsieur Turgot qui serait digne de parler avec Votre Majesté . Les prêtres sont au désespoir. Voilà le commencement d'une grande révolution. Cependant on n'ose pas encore se déclarer ouvertement, on mine en secret le vieux palais de l'imposture fondé depuis 1775 années. Si on l'avait assiégé dans les formes, on aurait cassé hardiment l'infâme arrêt qui ordonna l'assassinat du chevalier de La Barre et de Morival. On en rougit, on en est indigné, mais on s'en tient là, on n'a pas eu le courage de condamner ces exécrables juges à la peine du talion. On s'est contenté d'offrir une grâce dont nous n'avons point voulu. Il n'y a que vous de vraiment grand. Je remercie Votre Majesté avec des larmes d'attendrissement et de joie.[v] J'ai demandé à Votre Majesté ses derniers ordres ; et je les attends pour renvoyer à ses pieds ce Morival dont j'espère qu'elle sera très contente.[vi]


 

Daignez conserver vos bontés pour ce vieillard qui ne se porte pas si bien que Lekain le dit. »[vii]

 

 

i Lekain a quitté Paris le 13 mai et va jouer « les rôles d'Oedipe, de Mahomet et d'Orosmane. » écrit Frédéric le 24 juillet, qui ajoute : « L'année passée, j'ai entendu Aufresne ; peut-être lui faudrait-il un peu du feu que l'autre a de trop … cependant je n'ai pu retenir mes larmes ni dans Œdipe, ni dans Zaïre. »

ii Le 24 juillet, Frédéric : « Il y a eu beaucoup de spectateurs à ces représentations : ma sœur Amélie, la princesse Ferdinand, la landgrave de Hesse, et la princesse de Wurtemberg, votre voisine, qui est venue ici de Montbéliard pour entendre Lekain. »


 

iii Qui est alors la maitresse d'Auguste-Christian-Frédéric, margrave d'Anspach, puis de Bayreuth ; cf. lettre du 22 septembre 1773 à Frédéric où V* la dit « la philosophe de monsieur le Margrave »


 

iv Le « dévot » : Louis-Nicolas-Victor de Félix, comte de Muy.


 

v Morival d'Etallonde bénéficiera des bontés de V* et de Frédéric cf. lettres du 7 et 29 juillet à d'Alembert, et celle du 7 juillet à Frédéric.

vi V*, le 29 juillet « suppliait (Sa) Majesté de daigner lui mander » s'il devait « renvoyer Morival à Vesel ou l'adresser à Potsdam ».


 

vii Frédéric, le 24 juillet : « j'ai été bien aise d'apprendre de (Lekain) que vous vous promeniez dans votre jardin, que votre santé est assez bonne, et que vous avez plus de gaieté encore dans votre conversation que dans vos ouvrages ... »

Commentaires

de l'érudition,bravo!

Écrit par : lizette | 10/08/2010

C'est un tel plaisir de cotoyer Volti que l'érudition de ce maître (ce qu'il refuserait d'être) est facile et agréable à acquérir.

Je vous souhaite de le fréquenter assidûment, vous ne le regretterez pas .

Écrit par : james | 11/08/2010

Les commentaires sont fermés.