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16/06/2011

La superstition fanatique ... on la traite comme une vieille p... qu'on adorait quand elle était jeune et à qui on donne des coups de pied au cul dans sa vieillesse

 

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« A Jean Le Rond d'Alembert

 

19 de juin [1767]

Mon cher et grand philosophe, un brave officier , nommé M. le comte de Wargemont 1, vient à notre secours ; car nous avons des prosélytes dans tous les états . Il vous fait parvenir trois exemplaires d'une très jolie Lettre à un conseiller au Parlement 2. J'en ai eu six ; Mme Denis, M. de Chabanon et M. de La Harpe ont pris chacun le leur ; en voila trois pour vous . Cela vient bien tard ; le mérite de l'à-propos est perdu, mais le mérite du fond subsistera toujours . C'est bien dommage que l'auteur n'écrive pas plus souvent et ne conseille pas tous les conseillers du roi . L’inquisition redouble ; il est beaucoup plus aisé de faire parvenir une brochure à Moscou qu'à Paris . La lumière s'étend partout, et on l'éteint en France où elle venait de naître . Il semble que la vérité soit comme ces héros de l'Antiquité que des marâtres voulaient étouffer dans leur berceau et qui allaient écraser des monstres loin de leur patrie .

La sixième édition du Dictionnaire philosophique parait en Hollande 3, tête levée . Les dissidents de Pologne ont fait imprimer le petit panégyrique de Catherine, ou plutôt de la tolérance 4; c'est une édition magnifique . La superstition fanatique est bafouée de tous côtés . Le roi de Prusse dit qu'on la traite comme une vieille p... qu'on adorait quand elle était jeune et à qui on donne des coups de pied au cul dans sa vieillesse 5.

Voici quelques échantillons qui vous prouveront que le roi de Prusse n'a pas tort .

Je reçois dans le moment Les Trente Sept Vérités opposées aux trente-sept impiétés de Bélisaire, par un bachelier ubiquiste 6, cela me parait salé .

J'espère qu'il viendra un temps où on sèmera du sel sur les ruines du tripot où s'assemble la sacrée faculté 7.

Je sais bien que les gens du monde ne liront point le Supplément à la Philosophie de l'histoire 8; mais il y a beaucoup d'érudition dans ce petit livre, et les savants le liront . L'auteur se joint à l'évêque hérétique Warburton contre l'abbé Bazin 9. Son neveu est obligé en conscience de prendre la défense de son oncle 10; c'est un nommé Larcher qui a composé cette savante rapsodie sous les yeux du syndic de la Sorbonne, Ribalier, principal du collège Mazarin 11. Je connais le neveu de l'abbé Bazin ; il est goguenard comme son oncle, il prend le sieur Larcher pour son prétexte, et il fait des excursions partout . Il n'est pas assez sot pour se défendre, il sait qu'il faut toujours établir le siège de la guerre dans le pays ennemi .

Ne vous ai-je pas mandé que le roi de Prusse avait donné une enseigne au camarade du chevalier de La Barre, condamné par Messieurs, dans le XVIIIè siècle, à être brûlé vif pour avoir chanté deux chansons de corps de garde et pour n'avoir pas salué des capucins ?12

 

Est-il vrai que Diderot a fait un roman intitulé L’Homme sauvage ?13

Si cet homme sauvage est sot, pédant et barbare, nous connaissons l'original 14.

Tout ce qui est chez nous vous fait les plus tendres compliments ; nous ne sommes, en vérité, ni sauvages ni barbares . »


1 François-Gabriel Le Fournier, chevalier de Wargemont, commandant du régiment de Soubise, en visite chez V* le 25 mai ; originaire d’Abbeville, il avait parlé du procès de La Barre .

2 D’Alembert publia une Lettre à M***, conseiller au parlement de ***, pour servir de supplément à l'ouvrage qui ... a pour titre Sur la destruction des jésuites en France par un auteur désintéressé, 1767, et une Seconde Lettre à M*** ... sur l'édit du roi d'Espagne pour l'expulsion des jésuites,datée du 15 juillet 1767 . elles étaient imprimées à Genève par Cramer . Les derniers jésuites avaient été expulsés d'Espagne le 2 avril ; puis l'ordre fut aboli par une ordonnance . Il s'agit ici , sans doute , de la Seconde Lettre qui sort de presse.

3 Le 17 juillet, V* précise au prince de Ligne ; « Ce livre est imprimé par Marc-Michel Rey . Cette nouvelle édition commence, je crois par l'article « Abbé » et finit par « transsubstantiation » »

4 Peut être l'Expression des droits des dissidents joints à ceux des puissances intéressées de les maintenir, de Catherine qui publia aussi les Instructions adressées par Sa Majesté l'impératrice ... à la commission établie pour travailler à ... un nouveau code de lois (voir lettre du 3 mars 1767 à Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/03/06/l...)

Ou alors il s'agit plutôt de la Lettre sur les panégyriques par Irénée Aléthès, où V* célèbre la tolérance de Catherine, et dont Vorontsov voulait faire passer des exemplaires en Pologne le 3 juin .

5 Dans sa lettre du 25 novembre 1765, mais le texte qui nous est parvenu ne comporte que les « coups de pied au cul ».

6 De Anne-Robert-Jacques Turgot ; cet ouvrage constitue la quatrième partie des Pièces relatives à Bélisaire .

7 La Sorbonne , qui a condamné Bélisaire .

8 Supplément à la Philosophie de l'histoire de feu M. l'abbé Bazin, 1767, de Pierre-Henri Larcher .

9 C'est-à-dire contre V* .

10 Dans La défense de mon oncle .

11 En réalité Larcher n'appartenait pas au collège Mazarin .

12 Il s'agit de d'Etallonde, qui a pris le nom de Morival ; V* l'a recommandé à Frédéric II (voir lettre à Frédéric du 5 avril 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/04/04/o...)

Sur les chansons, voir lettre du 14 juillet 1766 à Damilaville : page 20 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800389/f25.image.r=...

lettre du 28 juillet 1766 à Florian : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/07/28/v...

13 Il n'est pas de Diderot . Il s'agit de L’Homme sauvage, histoire traduite par M.(louis -Sébastien) Mercier, 1767, de J.-G.-B. Pfeil .

14 J.-J. Rousseau ; ce que comprendra d'Alembert qui répondra : « Le roman de l'homme sauvage n'est pas de Diderot, mais d'un nommé Mercier ... Je ne sais si l'homme sauvage et hargneux est à Wesel, mais je suis bien sûr que quelque part qu'il soit il n'y restera pas. »

 

 

 

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