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30/09/2020

Voilà tout ce que je sais de cette petite affaire, qui ne mérite pas de dérober un moment aux occupations d’un ministre

... Même un ex- ministre d'ailleurs ! https://www.lepoint.fr/politique/deputes-lrem-aurore-berg...

Bien . Circulons, il n'y a plus rien d'intéressant à voir !

 

 

« A César-Gabriel de Choiseul, duc de Praslin

Il y a deux mois, ou environ, qu’on envoya de Paris aux frères Cramer à Genève un manuscrit contenant la justification de la Gazette littéraire. On leur assura qu’ils feraient plaisir à monseigneur le duc de Praslin d’imprimer cet ouvrage, et on leur recommanda de lui envoyer les premiers exemplaires.

MM. Cramer me firent lire le manuscrit. Je le trouvai aussi spirituel que raisonnable, et je fus surpris qu’on ne l’imprimât  point à Paris. On me pria de presser l’imprimeur, et on m’écrivit plusieurs lettres. En conséquence je crus qu’on avait commencé par pressentir les volontés de monseigneur le duc de Praslin.

M. de Montpéroux s’est rencontré aujourd’hui chez moi avec M. Cramer l’aîné, qui n’a pas manqué d’envoyer deux exemplaires, comme on le lui avait recommandé.

Nous avons jugé que la lettre de monseigneur le Duc à M. de Montpéroux 1 avait précédé la réception de ces deux exemplaires . 

Nous avons présumé aussi que les auteurs de la justification de la Gazette littéraire n’avaient pas consulté le protecteur de cette Gazette, et n’avaient pas eu son agrément.

Sans approfondir les raisons de supprimer ce petit livre, M. Cramer s’est engagé à le supprimer, uniquement pour montrer sa déférence aux désirs de monseigneur le duc de Praslin ; et il m’a même promis, en présence de M. de Montpéroux, d’envoyer le manuscrit, ou du moins les feuilles qu’il pourra retrouver. Voilà l’état des choses.

S’il est vrai (ce qu’on m’a mandé) que le détracteur qui avait écrit contre MM. d'Arnaud et Suard leur ait demandé pardon, et que la paix soit faite, je conçois qu’il ne faut pas faire d’hostilités. Si on a pris seulement des alarmes sur ce que cet écrit s’imprimait à Genève, ces alarmes peuvent être apaisées par la lecture de l’ouvrage, qui est certainement d’un homme supérieur, et digne d’être protégé par monseigneur le duc de Praslin.

Voilà tout ce que je sais de cette petite affaire, qui ne mérite pas de dérober un moment aux occupations d’un ministre, et que je suppose entièrement finie.

Je supplie monseigneur le duc de Praslin de vouloir bien agréer mon attachement et mon respect.

V.

A Genève 30 mai [1765]2 »

2 En marge de l'original, V* a noté : « Mémoire pour Mgr le duc de Praslin en main propre. »

29/09/2020

Je voudrais n’avoir jamais rien écrit.

... Et moi, je suis heureux de pouvoir lire ceci , sans lassitude !

 

« A Etienne-Noël Damilaville

A Genève, 30è mai 1765 1

Le malade réformé à la suite de Tronchin envoie aux malades de Paris les réponses de l’oracle d’Epidaure. Mais je vous répéterai toujours, mon cher ami, qu’une sœur du pot 2 fait plus de bien à un malade qu’elle soigne, qu’Esculape n’en peut faire en dictant ses ordonnances de cent lieues. D’ailleurs M. Tronchin n’a pas un moment dont il puisse disposer, et ne peut donner au nombre prodigieux de consultations dont on l’accable toute l’attention qu’il voudrait. Je vous exhorte, mon cher ami, à ne pas négliger de faire voir votre mal de gorge à quelqu’un en qui vous aurez confiance.

Nos amis, qui ont fait ce charmant ouvrage de la justification de la Gazette littéraire 3, doivent être très affligés qu’il ne paraisse pas. Mais tout doit céder aux désirs de M. le duc de Praslin . Cette Gazette littéraire est dans son département ; c’est lui qui la protège, c’est à lui à décider de ce qui doit être publié et de ce qui doit être supprimé. Gabriel, à qui on avait envoyé le manuscrit, veut bien sacrifier son édition ; il lui en coûtera son argent ; un libraire de Hollande ne serait pas si honnête. J’ignore si l’ouvrage était connu de M. le duc de Praslin. Il se peut que vos amis ne l’aient pas consulté, et qu’ils se soient reposés sur l’envie de lui plaire ; en ce cas, il n’est tenu à rien, et ne doit aucun dédommagement . D’ailleurs la quantité de livres écrits librement est si grande dans l’oisiveté de la paix, que je conçois bien que tout ce qui vient de l’étranger est suspect. Les lettres de ce fou de d’Éon 4, de cet autre fou de Vergy  5; L’Espion chinois 6, la vie de madame de Pompadour 7, les récriminations de la société de Jésus, inondent l’Europe. Toutes les fois qu’il paraît un nouveau livre, je tremble. Il a beau être détestable, je crains toujours qu’on ne me l’impute. Je voudrais n’avoir jamais rien écrit. C’est une barbarie de m’avoir attribué ce Dictionnaire philosophique, dont plus de quatre auteurs sont assez connus. Il n’y a point d’homme de lettres et de goût qui ne sente la différence des styles.

Pour le fatras chaldéen et syriaque de l’abbé Bazin, je m’y perds . Il n’y a que des calomniateurs bien maladroits qui puissent dire au roi que j’ai fait un tel ouvrage. Je ne crois pas qu’il y ait un bénédictin en France qui soit capable d’en être l’auteur. Je suis bien las d’être en butte aux discours des hommes. Dans quelle solitude faut-il donc s’ensevelir ? Adieu, mon cher ami ; plaignez et aimez votre ami.

Voltaire. »

1 L'édition de Kehl suivie des autres supprime les mots ce fou de [d’Éon] et cet autre fou de [Vergy].

2 Une sœur de charité .

6 Par Goudar, attribué au chevalier d’Éon . Voir lettre de janvier-février 1765 à Rieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/04/20/ne-vous-affligez-pas-pour-la-prevarication-impudente-d-un-miserable-librair.html

7 Sur les prétendus Mémoires de Mme de Pompadour ; Beuchot dit que V* se réfère aux Mémoires de Mme de Pompadour , mais ceux-ci ne furent publiés qu'en 1766 à Liège.

28/09/2020

je préfère votre bonheur à mon plaisir

... En toute franchise, oserais-je toujours dire de même ? Non , s'il faut parler vrai . Ce serait tellement plus simple s'il n'y avait à faire ce choix , et qu'à coup sûr on soit comme on dit maintenant "gagnant-gagnant" . Ami Voltaire tu mets la barre assez haut .

 

 

« A Carlo Goldoni

A Genève, 29 Mai 1765.1

Je n’ai reçu, monsieur, le paquet et la lettre dont vous m’avez honoré que depuis deux jours, à mon retour des bains de Suisse, où j’avais été obligé d’aller pour ma très mauvaise santé et pour des fluxions sur les yeux, que je dois au voisinage des  Alpes. Vous vous doutez bien que je fais tous mes efforts pour recouvrer la vue, quand j’ai vos ouvrages à lire. Je sens bien que je serai privé de la consolation de vous posséder dans ma retraite suisse ; mais je préfère votre bonheur à mon plaisir. Vous voilà attaché à une grande princesse 2 qui sentira tout votre mérite. Il est connu partout, mais il sera récompensé en France. Le théâtre aura fait votre réputation et vos mœurs aimables contribueront à faire votre fortune.

Comptez, monsieur, sur les sentiments qui m’attacheront à vous tant que je vivrai. Je sais trop combien votre personne est digne de vos ouvrages, pour ne pas vous aimer tendrement. 

V.»

1 La lettre de Goldoni n'est pas connue .

2 Goldoni est nommé maître d'italien de madame Adélaïde et des autres filles de Louis XV.

27/09/2020

j’avertis toujours qu'il est rare de guérir ses malades à cent lieues, et qu'une sœur de la charité fait plus de bien de près qu’Esculape de loin

... Les "Hirondelles" comme disait affectueusement le Dr Plauchu à l'Hôtel-Dieu à Lyon à propos de ces religieuses infirmières et aide-soignantes .

Voir : https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1994_num_1994_1_1...

Constantinople, infirmière de la Croix rouge et Soeurs de la charité au  museum anglais transformé en

 

« A Etienne-Noël Damilaville

28è mai 1765

M. Tronchin a le paquet de mon frère, et on lui fera parvenir la réponse dès qu’on l’aura reçue. Mais j’avertis toujours qu'il est rare de guérir ses malades à cent lieues, et qu'une sœur de la charité fait plus de bien de près qu’Esculape de loin 1.

J’ai su qu’on avait encore envoyé un second paquet par M. Gaudet, et probablement ce paquet n’est point parvenu à sa destination . On écrivit 2 depuis une lettre instructive sur l’état des choses, et on se servit de la même voie. Cette lettre partit le 21 ou le 22 du mois. Il serait très triste qu’on l’eût ouverte. On a écrit le 27, par M. Héron, premier commis des bureaux du Conseil, et la lettre a été mise à la poste de Lyon 3.

Je pense qu’il est nécessaire que vous m’écriviez à Genève une lettre signée de vous. Vous y direz que vos occupations vous permettent peu de vous occuper de littérature. Que vous faites, à la vérité, venir quelquefois des livres de Hollande pour un de vos amis, et que vous avez à peine le temps d’y jeter un coup d’œil. Vous pourrez me dire que vous avez parcouru la Philosophie de l’Histoire, et que vous être bien étonné qu’on m’attribue un livre rempli de citations chaldéennes, syriaques, et égyptiennes. Vous pourrez me plaindre, d’ailleurs, d’être en butte à la calomnie depuis cinquante années . Vous me rassurerez en me disant combien le roi est équitable. Si ce canevas vous paraît raisonnable, vous le broderez . Puisqu’on est curieux, vous satisferez la curiosité.

Vous pourrez adresser vos autres lettres sous l’enveloppe de M. Camp, banquier à Lyon, comme je vous l’ai déjà mandé 4.

Je ne vous dis pas combien il est douloureux de recourir à ces expédients. Nous voilà comme un amant et une maîtresse dont les lettres sont interceptées par les jaloux. Aimons-nous en davantage , et écr. l’inf. »

1 V* , tout anticlérical qu'il est, sait reconnaître la valeur des services des sœurs de la charité .

4 Dans la lettre du 27 mai 1765 ci-dessus .

26/09/2020

c'est le pays de Candide, c'est le pays des gros moutons rouges

... Où voulez-vous que ce soit ? En Chine bien sûr !

Grosse Peluche Mouton Originale Mopp Toddel Beasts

 

« A Etienne-Noël Damilaville

A Rolle, pays de Vaud,

près de Genève, 28è mai 1765

J'achevais, mon cher ami, de prendre les eaux en Suisse, où j'ai encore acheté un petit domaine, lorsque je reçus votre paquet pour M. Tronchin . Je le lui envoyai sur-le-champ ; je vous en donnai avis par un petit billet écrit à la hâte, et que j'ai mis dans une lettre à M. d'Argental . Je vois que votre mal de gorge est opiniâtre . Je vous répéterai ici que les grands médecins ne guérissent pas de loin, et qu'ils ont bien de la peine à guérir de près . En vérité les maladies ne se traitent guère par lettres . Dès que j'aurai la réponse de l'oracle de Genève je vous la ferai parvenir .

Sirven prend le parti d'aller lui-même à Toulouse chercher l'arrêt et les pièces dont M. de Beaumont a besoin pour consommer son entreprise généreuse . Il dit qu'il fera agir ses amis et qu'il saura se mettre à l'abri de tout . Ce pauvre homme et sa famille me fendent le cœur . Ils sont beaucoup plus malheureux que ne le sont aujourd'hui les Calas . Qu'il est beau, mon ami, de faire du bien, et que M. de Beaumont va augmenter sa gloire ! Pour moi, je n'ai à augmenter que ma patience . Je paie un peu chèrement l'intérêt de ma petite réputation ; car Dieu merci, il n'y a presque pas de mois qu'on ne fasse courir quelque ouvrage sous mon nom . Vers et prose, on m'attribue tout . Quelque libraire de Hollande a-t-il l'impertinence de m'attribuer un mauvais livre, aussitôt je reçois vingt lettres de Paris et de Versailles, et on veut que j'envoie sur-le-champ ce bel ouvrage que je ne connais pas . Enfin, on va jusqu'à m'imputer je ne sais quelle Philosophie de l'histoire , ouvrage de quelque rabbin, ou tout au moins d'un savant en us et en es . On parle au roi, et on lui dit que je suis très savant dans les langues orientales . J'ai beau protester que je ne sais pas un mot de l’ancien chaldéen, on ne m'en croit pas sur parole ; et si je suis aveugle, on dit que j'ai perdu les yeux à déchiffrer les livres des anciens brahmanes, et même que je suis prêt à faire une secte de Guèbres 1. Il faut me résoudre à être vexé jusqu'au dernier moment .

Mandez-moi, je vous prie, si M. d’Alembert a la pension de M. Clairault . Je verrai Cramer quand je serai à Genève . Je ne sais si c'est lui qui a imprimé le petit ouvrage en faveur de M. l'abbé Arnaud 2. Cet écrit m'a paru un chef-d’œuvre en son genre ; mais j'ai pensé qu'il ne devait réussir qu'à Paris auprès de ceux qui prennent intérêt à ces disputes littéraires . Puisque la paix est faite, Cramer en sera pour ses frais, aussi bien que pour ceux de la nouvelle édition qu'il a faite de Corneille, et qu'il n'aura pas la permission de débiter dans Paris, à cause du privilège des libraires .

Je vous sais toujours de bon gré de cultiver les lettres au milieu de vos occupations de finance . On dit dans les pays étrangers que les finances du royaume vont fort bien ; mais on n'en dit pas autant de votre littérature .

Il a couru des bruits fort ridicules sur M. le duc de Choiseul 3; je crois qu'il s'en moque ; il sait bien qu'il faut laisser parler, non ponebat enim rumores ante salutem 4.

Je fais toujours des vœux pour le succès de sa colonie , car enfin c'est le pays de Candide, c'est le pays des gros moutons rouges ; et je passerai pour un hâbleur si la colonie ne réussit pas . Il y a d'ailleurs quelques-uns de mes bons amis les Suisses qui sont partis pour la Cayenne, c'est encore un nouveau motif pour moi de m'y intéresser .

Adieu , mon cher ami, je suis trop bavard pour un malade . »

1 Y a-t-il ici une première amorce de l'idée qui aboutira à la composition des Guèbres en 1769 ?

2 Voir la lettre du 2 avril 1765 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/07/13/nous-ne-laisserons-pas-d-etre-assez-embarrasses-cet-ete-fern-6251377.html

Voir aussi une lettre de Choiseul à Montpéroux du 9 mai 1765 : « J'ai déjà prescrit à M. le lieutenant général de la police de faire arrêter un ballot de ces brochures qui doit avoir été expédié pour Paris, et je souhaiterais fort que vous reçussiez ma lettre assez à temps pour faire supprimer le reste des exemplaires qui n’auraient peut-être pas encore été débités dans Genève ... » ; réponse de Montpéroux le 27 mai 1765 : « Les Observations, etc., ont été effectivement imprimées chez le sieur Cramer où on n'a trouvé que six exemplaires qui ont été saisis[...] . On n'a pas trouvé le manuscrit . Je n'ai pu jeter sur cet ouvrage qu'un coup d’œil, mais je n'y ai pas reconnu le style de M. de Voltaire . »

4 Il ne mettait pas les rumeurs avant le souci de son salut ; Ennius, Annales, XII, ii, 371 .

25/09/2020

la lettre est à son adresse, et je suis bien sûr qu'elle n’arrivera pas sans avoir été ouverte

... Sur papier ou sur le Net, même sort pour tout ce qui est écrit . Big brother et dirty hacker , même but .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

27è mai 1765 à Genève 1

J'ai écrit à mon cher frère aujourd'hui, la lettre est à son adresse, et je suis bien sûr qu'elle n’arrivera pas sans avoir été ouverte . Il y a dans le paquet une lettre à M. d'Alembert pour les curieux, mais je suis très en peine de savoir si un petit paquet de Hollande adressé il y a quinze jours à M. Gaudet est arrivé à bon port, et si une lettre sous l'enveloppe dudit M. Gaudet, dans laquelle on s'expliquait avec confiance, a été reçue . J'attends, non sans inquiétude, que mon frère m'éclaircisse de tout cela, et qu'il m'écrive par la voie de Lyon . Je l'embrasse avec la plus grande tendresse . Écr l'inf .

J'adresse ce billet à M. Héron . »

1 Le post scriptum est pris de la copie de Darmstadt .

24/09/2020

je dois rester dans ce trou ou aller dans un autre, parce que tous les trous sont égaux pour un homme qui pense. Celui qu’on habite pour quelques minutes est si voisin de celui qu’on habitera pour toujours, que ce n’est pas la peine de se gêner

... N'y voyez aucune allusion grivoise, bande de malotrous ! Pensez sans vous méprendre !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

27 mai 1765 1

Il y a au fond de la Suisse, mes chers anges, des eaux assez bonnes pour les vieillards cacochymes qui ont besoin de mettre du baume et de la tranquillité dans leur sang. Je crois que je vais prendre ces eaux 2, et que je pars incessamment pour avoir de ce baume : car il faut mourir à son aise. Il me semble que c’est une ordonnance du médecin que je suppose être dans la demi-feuille dont Mme de Florian m’a parlé ; il n’y a qu’une chose dont je suis un peu en doute, c’est si cette demi-feuille ou demi-page parle de maladies mortelles. Vous sentez combien il est triste que les consultations d’un pauvre malade soient exposées aux regards de ceux qui ne sont pas de la Faculté, et qu’il est très-bon de changer d’air. Je soupçonne qu’on a joué le même tour à frère Damilaville, qui a grand mal à la gorge, et qui a besoin de régime. Je lui conseille, pour son mal, de prendre, comme moi, de la racine de patience .

Je me trompe peut-être, mais j’imagine qu’on peut, avec quelque sûreté, écrire pour ses affaires sous l’enveloppe de M. de Chauvelin l’intendant, en faisant partir le paquet de Lyon, le dessus écrit d’une main étrangère, et la lettre cachetée d’une tête 3.

Je présume encore que vous pouvez avoir la bonté de m’écrire à Lyon, sous le couvert de M. Camp, banquier, contre-signé Chauvelin. Je ne crois pas non plus compromettre l’intérêt que vous voulez bien prendre à ma situation violente, en insérant ici un petit mot pour frère Damila 4, que je vous supplie de lui faire rendre. Je dois un petit mot à Lekain . Agréez-vous que je le mette aussi dans ce paquet ?5

Dès qu’il partira quelqu’un pour Paris, je ne manquerai pas de le charger de quelques Bazin de Hollande arrivés depuis peu. Je ne sais plus comment le monde est fait. L’ouvrage de feu l’abbé me paraît rempli du plus profond respect pour la religion. Les jansénistes sont comme les provinciaux, ils croient toujours qu’on veut se moquer d’eux ; ou plutôt ils ressemblent aux tyrans, qui supposent continuellement des conspirations contre leur pouvoir. Mes chers et divins anges, j’ai défriché un coin de terre sauvage, je l’ai embelli, j’ai rendu ses grossiers habitants assez heureux ; je quitterai tout le fruit de mes peines comme on sort d’une hôtellerie, sitôt que je pourrai vivre dans cet asile sans inquiétude. Mandez-moi, je vous prie, si je dois rester dans ce trou ou aller dans un autre, parce que tous les trous sont égaux pour un homme qui pense. Celui qu’on habite pour quelques minutes est si voisin de celui qu’on habitera pour toujours, que ce n’est pas la peine de se gêner.

Toute ma famille rassemblée baise très-humblement les ailes de mes anges. Le patriarche pourrait bien aller de Sichem en Égypte, quoiqu’il n’ait point de femme à présenter à des pharaons. »

1 A la suite de la copie Beaumarchais on a placé cette lettre au 29, le second chiffre étant peu lisible . Le 27 rendu presque illisible par les surcharges de Wagnière est plus vraisemblable car la lettre est antérieure au voyage à Rolle . V* y était le 28, mais plus le 29 .

2 V* se rendit à Genève le 21 ou le 22 ; de retour à Ferney le 25 et de nouveau à Genève le 27 et le 29 . entretemps il séjourna à Rolle, moins pour prendre les eaux que pour poster quelques lettres .

3 L'un des cachets de V* porte une tête de Socrate .

5 Lettre du même jour à Lekain :