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28/02/2021

Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.

... Merci ami Voltaire de flatter un peu mon égo de Français !

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

[vers le 6 novembre 1765]1

Vous m’avez écrit, madame, une lettre tout animée de l’enthousiasme de l’amitié. Jugez si elle a échauffé mon cœur, qui vous est attaché depuis si longtemps. Je n’ai point voulu vous écrire par la poste ; ce n’est pas que je craigne que ma passion pour vous déplaise à M. Jeannel, je le prendrais volontiers pour mon confident ; mais je ne veux pas qu’il sache à quel point je suis éloigné de mériter tout le bien que vous pensez de moi. Mme la duchesse d’Anville veut bien avoir la bonté de se charger de mon paquet ; vous y trouverez cette Philosophie de l’Histoire de l’abbé Bazin ; je souhaite que vous en soyez aussi contente que l’impératrice Catherine seconde, à qui le neveu de l’abbé Bazin l’a dédiée. Vous remarquerez que cet abbé Bazin, que son neveu croyait mort, ne l’est point du tout ; qu’il est chanoine de Saint-Honoré, et qu’il m’a écrit pour me prier de lui envoyer son ouvrage posthume. Je n’en ai trouvé que deux exemplaires à Genève, l’un relié, l’autre qui ne l’est pas ; ils seront pour vous et pour M. le président Hénault, et l’abbé Bazin n’en aura point.

Si vous voulez vous faire lire cet ouvrage, faites provision, madame, de courage et de patience. Il y a là une fanfaronnade continuelle d’érudition orientale qui pourra vous effrayer et vous ennuyer ; mais votre ami 2, en qualité d’historien, vous rassurera, et peut-être, dans le fond de son cœur, il ne sera choqué ni des recherches par lesquelles toutes nos anciennes histoires sont combattues, ni des conséquences qu’on en peut tirer ; quelque âge qu’on puisse avoir, et à quelque bienséance qu’on soit asservi, on n’aime point à avoir été trompé, et on déteste en secret des préjugés ridicules que les hommes sont convenus de respecter en public. Le plaisir d’en secouer le joug console de l’avoir porté, et il est agréable d’avoir devant les yeux les raisons qui vous désabusent des erreurs où la plupart des hommes sont plongés depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Ils passent leur vie à recevoir de bonne foi des contes de Peau d’Âne, comme on reçoit tous les jours de la monnaie sans en examiner ni le poids ni le titre.

L’abbé Bazin a examiné pour eux, et, tout respectueux qu’il paraît envers les faiseurs de fausse monnaie, il ne laisse pas de décrier leurs espèces.

Vous me parlez de mes passions, madame ; je vous avoue que celle d’examiner une chose aussi importante a été ma passion la plus forte. Plus ma vieillesse et la faiblesse de mon tempérament m’approchent du terme, plus j’ai cru de mon devoir de savoir si tant de gens célèbres, depuis Jérôme et Augustin jusqu’à Pascal, ne pourraient point avoir quelque raison ; j’ai vu clairement qu’ils n’en avaient aucune, et qu’ils n’étaient que des avocats subtils et véhéments de la plus mauvaise de toutes les causes. Vous voyez avec quelle sincérité je vous parle ; l’amitié que vous me témoignez m’enhardit ; je suis bien sûr que vous n’en abuserez pas. Je vous avouerai même que mon amour extrême pour la vérité, et mon horreur pour des esprits impérieux qui ont voulu subjuguer notre raison, sont les principaux liens qui m’attachent à certains hommes, que vous aimeriez si vous les connaissiez. Feu l’abbé Bazin n’aurait point écrit sur ces matières si les maîtres de l’erreur s’étaient contentés de dire :  nous savons bien que nous n’enseignons que des sottises, mais nos fables valent bien les fables des autres peuples ; laissez-nous enchaîner les sots, et rions ensemble ;  alors on pourrait se taire, mais ils ont joint l’arrogance au mensonge ; ils ont voulu dominer sur les esprits, et on se révolte contre cette tyrannie.

Quel lecteur sensé, par exemple, n’est pas indigné de voir un abbé d’Houteville qui, après avoir fourni vingt ans des filles à Laugeois, fermier général, et étant devenu secrétaire de l’athée cardinal Dubois, dédie un livre sur la religion chrétienne à un cardinal d’Auvergne, auquel on ne devait dédier que des livres imprimés à Sodome ?4

Et quel ouvrage encore que celui de cet abbé d’Houteville ! quelle éloquence fastidieuse ! quelle mauvaise foi ! que de faibles réponses à de fortes objections ! Quel peut avoir été le but de ce prêtre ? Le but de l’abbé Bazin était de détromper les hommes, celui de l’abbé d’Houteville n’était donc que de les abuser.

Je crois que j’ai vu plus de cinq cents personnes de tout état et de tout pays dans ma retraite, et je ne crois pas en avoir vu une demi-douzaine qui ne pensent comme mon abbé Bazin 5. La consolation de la vie est de dire ce qu’on pense. Je vous le dis une bonne fois.

Je vous demande en grâce de brûler ma lettre quand vous l'aurez lue . Il est bon de se remettre devant les yeux ces vérités,mais il est encore mieux de les jeter au feu .6

Ne doutez pas, madame, que je n’aie été fort content de M. le chevalier de Magdonal 7 ; j’ai la vanité de croire que je suis fait pour aimer toutes les personnes qui vous plaisent. Il n’y a point de Français de son âge qu’on pût lui comparer ; mais ce qui vous surprendra, c’est que j’ai vu des Russes de vingt-deux ans qui ont autant de mérite, autant de connaissances, et qui parlent aussi bien notre langue.

Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.

Non-seulement, madame, je suis pénétré d’estime pour M. Crafford, mais je vous supplie de lui dire combien je lui suis attaché. J’ai eu le bonheur de le voir assez longtemps, et je l’aimerai toute ma vie. J’ai encore une bonne raison de l’aimer, c’est qu’il a à peu près la même maladie qui m’a toujours tourmenté . Les conformités plaisent. Voici le temps où je vais en avoir une bien forte avec vous : des fluxions horribles m’ôtent la vue dès que la neige est sur nos montagnes . Ces fluxions ne diminuent qu’au printemps, mais à la fin le printemps perd de son influence, et l’hiver augmente la sienne. Sain ou malade, clairvoyant ou aveugle, j’aurai toujours, madame, un cœur qui sera à vous, soyez-en bien sûre. Je ne regarde la vie que comme un songe ; mais, de toutes les idées flatteuses qui peuvent nous bercer dans ce rêve d’un moment, comptez que l’idée de votre mérite, de votre belle imagination, et de la vérité de votre caractère, est ce qui fait sur moi le plus d’impression. J’aurai pour vous la plus respectueuse amitié jusqu’à l’instant où l’on s’endort véritablement pour n’avoir plus d’idées du tout.

Ne dites point, je vous prie, que je vous aie envoyé aucun imprimé. »

1 Quoique V* ait noté « A Mme du Deffand , mars 1765 » sur la copie, cette date ne peut être retenue ; elle a été écrite près de l'hiver et non fin du printemps . Elle prend place entre la lettre de Mme Du Deffand du 26 octobre ( avec mention de Mac Donald, etc.) et la lettre de V* à celle-ci du 20 novembre 1765 . La date exacte peut être établie par le premier paragraphe de la lettre du 7 novembre 1765 à la marquise de Florian : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/10/correspondance-annee-1765-partie-32.html

et voir : https://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/mortier14112009.pdf

2 Le président Hénault .

3 La Vérité sur la religion chrétienne prouvée par les faits, 1722 ; voir : https://data.bnf.fr/fr/10692411/claude_francois_houtteville/

et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6545451r.texteImage

5 Certains s'étonnent qu'une demi-douzaine de personnes aient eu le courage de soutenir leurs opinions religieuses face aux sarcasmes de V*.

6 Paragraphe rayé sur le manuscrit manque sur toutes les éditions ; il est pris sur la copie Wyart .

7 James Mac-Donald, baronnet, mort à Frescati en Italie le 26 juillet 1766, âgé d’environ vingt-quatre ans ; voir lettre du 16 octobre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/14/les-exceptions-rares-n-otent-rien-a-la-force-des-lois-generales.html

27/02/2021

Nous sommes très étonnés d'un côté de lire des productions qui font honneur au genre humain, et de les voir si peu mettre en usage d'un autre

... That's life ! ma pauvre Lucette . L'éternelle exigence d'avoir, par dessus tout,  le beurre, l'argent du beurre et la main de la crémière . Foin des bons sentiments .

 

 

« [Destinataire inconnu] 1

Le château de Ferney 5 novembre 1765

[…] Votre auguste et adorable impératrice m'a fait l'honneur de m'écrire une lettre 2 que Mme de Sévigné ne désavouerait [pas]. Elle a joint à cette lettre des présents bien précieux par la manière dont elle les fait […] .

V. »

1 Manuscrit original passé à la vente Dunand à Paris le 28 mars 1868 .

2 Lettre du 2 septembre 1765 : « Ce 22 d'août [2 septembre nouveau style] 1765 / « Monsieur, puisque Dieu merci le neveu de l'abbé Bazin est trouvé, vous voudrez bien qu'une seconde fois je m'adresse à vous, pour lui faire parvenir dans sa retraite le petit paquet ci-joint, en témoignage de ma reconnaissance pour les douceurs qu'il me dit . Je serais très aise de vous voir tous deux assister à mon carrousel, dussiez-vous vous déguiser en chevaliers inconnus, vous en auriez tout le temps, la pluie continuelle qui tombe depuis plusieurs semaines, m'a obligée à renvoyer cette fête jusqu’au mois de juin de l'année prochaine .

« En bonne foi, monsieur, je fais plus de cas de vos écrits, que de toutes les prouesses d'Alexandre, et vos lettres me font plus de plaisir que les courtoisies de ce prince ne m'en donneraient .

« Voilà encore de ces naïvetés que le Nord produit ; il est vrai que nous n’entendons rien à beaucoup de choses qui nous viennent du Midi . Nous sommes très étonnés d'un côté de lire des productions qui font honneur au genre humain, et de les voir si peu mettre en usage d'un autre .

« Ma devise est une abeille qui, volant de plante en plante, amasse son miel pour le porter dans sa ruche , et l’inscription en est l'Utile . Chez vous les inférieurs instruisent, et il serait facile aux supérieurs d'en faire leurs profits, chez nous c'est tout le contraire, nous n'avons pas tant d'aisance .

« L'attachement du neveu Bazin pour feu ma mère lui donne un nouveau degré de considération chez moi . Je trouve ce jeune homme très aimable et je le prie de me conserver les sentiments qu'il me témoigne, il est très bon et très utile d'avoir de pareilles connaissances . Vous voudrez bien, monsieur, être assuré que vous partagez avec le neveu mon estime et que tout ce que je lui dit est également pour vous aussi . / Catherine .

« P.-S. Des capucins qu'on tolère à Moscou ( car la tolérance est générale dans cet empire, il n'y a que les jésuites qui n'y sont pas soufferts ) s'étant opiniâtrés cet hiver, à ne pas vouloir enterrer un Français qui était mort subitement, sous prétexte qu'il n'avait pas reçu les sacrements, Abraham Chaumeix fit un factum contre eux, pour leur prouver qu'ils devaient enterrer un mort, mais ce factum ni deux réquisitions du gouvernement ne purent porter ces pères à obéir . À la fin on leur fit dire de choisir, ou de passer la frontière, ou d'enterrer ce Français . Ils partirent et j'envoyais d'ici des Augustins plus dociles, qui voyant qu'il n'y avait pas à badiner firent tout ce qu'on voulait . Voilà donc Abraham Chaumeix en Russie qui devient raisonnable, il s'oppose à la persécution . S'il prenait de l'esprit il ferait croire les miracles aux plus incrédules mais tous les miracles du monde n'effaceront pas la tache qu'il a d’avoir empêché l’impression de l'Encyclopédie. »

26/02/2021

Allongez les trop courts, et rognez les trop longs, vous les trouverez tous fort bons

... A quoi pensez-vous , là, tout de suite ? Comme la dame s'adressant au régent ? Vous avez sans doute raison !

Peut-on en dire autant des discours télévisés de nos ministres ? J'en doute, mais compte tenu de l'esprit de contradiction français, c'est possible . Non ?

Citation 20 Ans Anniversaire Humour

 

 

 

« A Jean-Benjamin de Laborde

4è novembre 1765 à Ferney 1

Savez-vous, monsieur, combien votre lettre me fait d’honneur et de plaisir ? Voici donc le temps où les morts ressuscitent. On vient de rendre la vie à je ne sais quelle Adélaïde, enterrée depuis plus de trente ans ; vous voulez en faire autant à Pandore ; il ne me manque plus que de me rajeunir : mais M. Tronchin ne fera pas ce miracle, et vous viendrez à bout du vôtre. Pandore n’est pas un bon ouvrage, mais il peut produire un beau spectacle, et une musique variée : il est plein de duos, de trios, et de chœurs . C’est d’ailleurs un opéra philosophique qui devrait être joué devant Bayle et Diderot ; il s’agit de l’origine du mal moral et du mal physique. Jupiter y joue d’ailleurs un assez indigne rôle ; il ne lui manque que deux tonneaux. Un assez médiocre musicien, nommé Royer, avait fait presque toute la musique de cette pièce bizarre 2, lorsqu’il s’avisa de mourir. Vous ne ressusciterez pas ce Royer, vous êtes plutôt homme à l’enterrer.

J’avoue, monsieur, qu’on commence à se lasser du récitatif de Lully, parce qu’on se lasse de tout, parce qu’on sait par cœur cette belle déclamation notée, parce qu’il y a peu d’acteurs qui sachent y mettre de l’âme ; mais cela n’empêche pas que cette déclamation ne soit le ton de la nature et la plus belle expression de notre langue. Ces récits m’ont toujours paru fort supérieurs à la psalmodie italienne ; et je suis comme le sénateur Pococurante 3, qui ne pouvait souffrir un châtré faisant, d’un air gauche, le rôle de César ou de Caton. L’opéra italien ne vit que d’ariettes et de fredons ; c’est le mérite des Romains d’aujourd’hui , la grand-messe et les opéras font leur gloire. Ils ont des faiseurs de doubles croches, au lieu de Cicérons et de Virgiles , leurs voix charmantes ravissent tout un auditoire en a, en e, en i, et en o.

Je suis persuadé, monsieur, qu’en unissant ensemble le mérite français et le mérite italien, autant que le génie de la langue le comporte, et en ne vous bornant pas au vain plaisir de la difficulté surmontée, vous pourrez faire un excellent ouvrage sur un très médiocre canevas. Il y a heureusement peu de récitatif dans les quatre premiers actes ; il paraît même se prêter aisément à être mesuré et coupé par des ariettes.

Au reste, si vous voulez vous amuser à mettre le péché originel en musique 4, vous sentez bien, monsieur, que vous serez le maître d’arranger le jardin d’Éden tout comme il vous plaira ; coupez, taillez mes bosquets à votre fantaisie, ne vous gênez sur rien. Je ne sais plus quelle dame de la cour, en écrivant en vers au duc d’Orléans régent, mit à la fin de sa lettre : « Allongez les trop courts, et rognez les trop longs, vous les trouverez tous fort bons. »

Vous écourterez donc, monsieur, tout ce qui vous plaira ; vous disposerez de tout. Le poète d’opéra doit être très humblement soumis au musicien ; vous n’aurez qu’à me donner vos ordres, et je les exécuterai comme je pourrai. Il est vrai que je suis vieux et malade, mais je ferai des efforts pour vous plaire, et pour vous mettre bien à votre aise.

Vous me faites un grand plaisir de me dire que vous aimez M. Thomas ; un homme de votre mérite doit sentir le sien. Il a une bien belle imagination guidée par la philosophie ; il pense fortement, il écrit de même. S’il ne voyageait pas actuellement avec Pierre-le-Grand 5, je le prierais d’animer Pandore de ce feu de Prométhée dont il a une si bonne provision ; mais la vôtre vous suffira . Le peu que j’en avais n’est plus que cendres -- soufflez dessus, et vous en ferez peut-être sortir encore quelques étincelles. Si j’avais autant de génie que j’ai de reconnaissance de vos bontés, je ressemblerais à l’auteur d’Armide 6 ou à celui de Castor et Pollux 7.

J’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, [...] »

 

1 Minute corrigée par V* . Dans la marge du haut de la quatrième page, V* a noté , sans doute en vue d'un remaniement ces indications, qui n'apparaissent que dans cette minute : « Question sur le récitatif de Pandore / 1er couplet / Peut-on répéter deux fois je vous appelle en vain ? On ne s'est pas encore avisé de ces répétitions . Il me semble qu'elles feraient un bon effet ./ Avant ce vers Oiseaux, tendres oiseaux, etc., ne peut-on pas faire entendre une symphonie imitative ? / Ne faut-il pas un grand temps entre les deux derniers vers ? / Ces répétitions, ces symphonies, ces repos ne rompent-ils pas heureusement l'uniformité du récitatif ? »

Laborde, premier valet de chambre du roi, a écrit à V* le 26 octobre 1765 pour lui demander la permission de mettre Pandore en musique .

Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Benjamin_de_La_Borde

et https://journals.openedition.org/anabases/4706#ftn4

et page 15 https://sup.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/public/files/product-preview/revue_voltaire_14-extrait.pdf

4 Avec Pandore .

25/02/2021

Les vrais sauvages sont les ennemis des beaux-arts et de la philosophie ...La calomnie mérite bien le nom d’infâme que nous lui avons donné

... Ecrasons l'infâme !

Je ne suis pas un héros .... - Ampélosophisme

http://ampelosophisme.over-blog.com/2018/03/je-ne-suis-pa...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

4è novembre 1765

Mon cher frère, je ne suis pas étonné que les petits-maîtres de Paris choquent un peu le bon sens d’un philosophe tel que vous. Vous n’aviez pas besoin de Ferney pour détester les faux airs, la légèreté, la vanité, le mauvais goût. Votre Platon est sans doute revenu avec vous, et vous vous consolerez ensemble de l’importunité des gens frivoles. Le petit nombre des élus sera toujours celui des penseurs.

Je suis trop vieux, et je ne me porte pas assez bien pour aller faire un tour chez les Shavanois 1; mais je les respecte et je les aime. Je connaissais déjà la belle harangue de ce peuple vraiment policé aux Anglais de la Nouvelle-Angleterre, qui se disent policés. J’ai déjà même écrit 2 quelque chose à ce sujet qui m’a paru en valoir la peine. Les vrais sauvages sont les ennemis des beaux-arts et de la philosophie ; les vrais sauvages sont ceux qui veulent établir deux puissances ; les vrais sauvages sont les calomniateurs des gens de lettres. La calomnie mérite bien le nom d’infâme que nous lui avons donné . Avouez que vous l’avez trouvée bien infâme quand vous avez été témoin de ma vie philosophique et retirée, quand vous avez vu mon église, que je tiens pour aussi jolie, aussi bien recrépie, et aussi bien desservie que celle de Pompignan. Son frère, l’évêque du Puy, m’appelle impie, et voudrait me faire brûler, parce que j’ai trouvé les psaumes de Pompignan mauvais ; cela n’est pas juste, mais la vertu sera toujours persécutée.

Je crois que vous allez donner une nouvelle chaleur à la souscription en faveur des Calas. Les belles actions sont votre véritable emploi. Celui que la fortune vous a donné n’était pas fait pour votre belle âme.

J’ai pris la liberté de supplier l’électeur palatin d’ordonner à son ministre à Paris de souscrire pour plusieurs exemplaires 3 . Je vous supplie de vous informer si ses ordres sont exécutés. Il doit y avoir pour environ mille écus de souscriptions à Genève. J’en ai pour ma part quarante-neuf qui ont payé, et cinq qui n’ont pas payé. Vous pourrez faire prendre l’argent chez M. Delaleu quand il vous plaira.

M. le comte de La Tour du Pin m’écrivit sur-le-champ une lettre digne d’un brave militaire. Il m’ordonna de ne point rendre l’homme en question, sous quelque prétexte que ce pût être 4. Voilà comme il en faudrait user avec les persécuteurs de l’abominable espèce que vous connaissez.

On dit que Ce qui plaît aux Dames 5 a eu un grand succès à Fontainebleau. Il ne m’appartient pas, à mon âge, de me rengorger d’avoir fourni le canevas des divertissements de la cour ; mais je suis fort aise qu’elle se réjouisse, cela me prouve évidemment que monsieur le Dauphin n’est point en danger comme on le dit. J’ai peur qu’à la Saint-Martin le parlement et le clergé ne donnent leurs opéras-comiques, dont la musique sera probablement fort aigre ; mais la sagesse du roi a déjà calmé tant de querelles de ce genre que j’espère qu’il dissipera cet orage.

On m’a mandé qu’il paraissait un mandement d’un évêque grec 6 ; je ne sais si c’est une plaisanterie ou une vérité. Il me semble que les Grecs ne sont plus à la mode. Cela était bon du temps de M. et de Mme Dacier. Je fais plus de cas des confitures sèches que vous m’avez promis de m’envoyer par la diligence de Lyon ; je crois que les meilleures se trouvent chez Fréret 7, rue des Lombards. Pardon des petites libertés que je prends avec vous, mais vous savez que les dévots aiment les sucreries.

Je peux donc espérer que j’aurai, au mois de janvier, le gros ballot qu’on m’a promis 8, il me fera passer un hiver bien agréable ; mais cet hiver ne vaudra pourtant pas le mois d’été que vous m’avez donné. Il me semble qu’avec cette pacotille je pourrai avoir de quoi vivre sans recourir aux autres marchands, qui ne débitent que des drogues assez inutiles. Je sais fort bien aussi qu’il y a des drogues dans le gros magasin que j’attends, et que tout n’est pas des bons faiseurs ; mais le bon l’emportera tellement sur le mauvais qu’il faudra bien que les plus difficiles soient contents.

Tronchin m’a demandé aujourd’hui des nouvelles de votre gorge ; je me flatte que vous m’en apprendrez de bonnes. Ma santé est toujours bien faible, et les pluies dont nous sommes inondés ne la fortifient pas.

Adieu, mon vertueux ami ; soutenez la vertu, confondez la calomnie, et écrasez cette infâme. »

1 Savanais est le nom générique donné à l’époque aux Indiens vivant dans la région des Grands Lacs .

2 Dans la Philosophie de l'histoire, chapitre VII « Des sauvages » : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8618430t/f45.item

5 La Fée Urgèle , pièce de Favart et Voisenon .

7 A savoir les « manuscrits de Fréret », Lettre de Trasybule à Leucippe, voir lettre du 16 octobre 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/13/y-a-t-il-rien-de-plus-tyrannique-par-exemple-que-d-oter-la-l-6297342.html

8 Les derniers volumes parus de l'Encyclopédie, tome VIII et suivants qui parviendront à Ferney en février 1766 .

24/02/2021

Je ne peux m’imaginer que monsieur le Dauphin soit en danger, puisqu’on donne continuellement des fêtes

... Le prince consort Philip d'Edimbourg qui veut souffler sa nonante-neuvième bougie d'anniversaire , est dit dans un état inquiétant/récupérable, si les petits cochons microbes ne le mangent pas . Pas de Covid sous l'uniforme , ni de grippe aviaire ! Les médecins le disent hospitalisé pour "quelques jours" : voilà le genre de phrase qui me ferait frémir, elle sous-tend qu'il ne vous reste que quelques jours à vivre . Nous verrons , -et on peut le lui souhaiter-, s'il est plus vaillant que le Dauphin de France en 1765 . God save the  queen's husband !

https://www.francetvinfo.fr/monde/royaume-uni/royaume-uni-le-prince-philip-epoux-d-elizabeth-ii-est-hospitalise-pour-une-infection_4308211.html

L'hospitalisation du prince Philip est due à une infection | La Presse

Je vous jure, Majesté, ce n'est pas une MST !

 

 

« A Henri-Louis Lekain  Comédien

ordinaire du roi

près de la Comédie Française

à Paris

J’ai reçu, mon cher ami, votre lettre du 24 Octobre, et vous devez avoir reçu à présent, par M. d’Argental, tout ce que j’ai pu faire pour votre bretonne Adélaïde. Je ne l’ai pas actuellement sous les yeux . Les maçons et les charpentiers se sont emparés de ma maison, et mes vers m’ennuient.

Je vous prie de me mander si vous êtes actuellement bien employé à Fontainebleau, si Mlle Clairon y a paru, et si elle y paraîtra, si on a joué Gertrude 1, et Ce qui plaît aux Dames 2.

Je ne peux m’imaginer que monsieur le Dauphin soit en danger, puisqu’on donne continuellement des fêtes. Sa santé peut être altérée, mais ne doit point donner d’alarmes. Mandez-moi, je vous prie, s’il assiste au spectacle, et s’il a vu votre Adélaïde ; je dis la vôtre, car c’est vous seul qui l’avez ressuscitée.

Adieu, je vous embrasse, et je vous prie de me dire des nouvelles, si vous avez le temps d’écrire.

V.

1er novembre 1765 à Ferney.



Comme on allait porter ma lettre à Genève, j’ai retrouvé quelques lambeaux de cette Adélaïde, que j’ai si longtemps négligée.

1°/ Je suppose qu’on a rayé dans votre copie ces quatre vers du 3è acte :

Mais bientôt abusant de ma reconnaissance,

Et de ses vœux hardis écoutant l’espérance,

Il regarda mes jours, ma liberté, ma foi,

Comme un bien de conquête, et qui n’est plus à moi 3.

Ces quatre vers sont bons à être oubliés.

2°/ Je trouve, dans ce même troisième acte, à la dernière scène, ces vers dans un couplet de Coucy :

Faites au bien public servir votre disgrâce.

Eh bien ! rapprochez-les, unissez-vous à moi , etc.4

Ce dernier vers n'a pas de sens . Il faut que le copiste se soit trompé ; il doit y avoir,

Rapprochez les partis, unissez-vous à moi . 

Je suppose qu’à la scène 5è et dernière du quatrième acte, vous tombez dans un fauteuil lorsque Coucy dit :

Il ne se connaît plus, il succombe à sa rage 5. 

Voilà, mon cher ami, tout ce que je puis vous dire sur une pièce qui ne méritait pas l’honneur que vous lui avez fait. 

Nous avons des pluies continuelles ; si la saison n’est pas plus belle à Fontainebleau, vos fêtes doivent être assez tristes.

 2è novembre [1765] »



2 Inspirés par le conte de Voltaire, Favart et Voisenon ont écrit une comédie : La Fée Urgèle ou Ce qui plait aux dames, jouée à Fontainebleau le 26 octobre 1765, puis au Théâtre-Italien le 3 décembre 1765 . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90674186.image

et https://fr.wikipedia.org/wiki/La_F%C3%A9e_Urg%C3%A8le

3Vers d'Adélaïde du Guesclin, ac. III, sc. 2, supprimés par la suite .

4 Ibid. ac. III, sc. 5 .

5 Cette indication scénique fut maintenue à l'ac. IV, sc. 5 de cette même pièce .

23/02/2021

dans les campagnes ce ne sont pas toujours les plus vertueux et les plus sensés qui prédominent . Il y a quelques magistrats que l'esprit de parti a rendu ridiculement ennemis de la France

... Des noms ! des noms !

 

 

«  Au prince Dmitri Mikhailovitch Golitsin

[vers le 1er novembre 1765]1

Monsieur,

J'ai trop d'obligations à Sa Majesté impériale, je lui suis trop respectueusement attaché pour ne pas l'avoir servie autant qu'il a dépendu de moi dans le dessein qu'elle a eu de faire venir dans son empire quelques femmes de Genève et du pays de Vaud pour enseigner la langue française à de jeunes filles de qualité à Moscou et à Petersbourg . C'est d'ailleurs un si grand honneur pour notre langue que j'aurais secondé cette entreprise quand même la reconnaissance ne m'en aurait pas imposé le devoir .

M. le comte de Shouvalow a déjà rendu compte à Votre Excellence de toute cette affaire, et de la manière dont le Petit Conseil de Genève a fait sortir de la ville M. le comte de Bulau 2, chargé des ordres de l'impératrice .

Je peux assurer à Votre Excellence que jamais il n'a été défendu à aucun Genevois ni à aucune Genevoise d'aller s'établir où bon leur semble . Ce droit naturel est une partie essentielle des droits de cette petite nation dont le gouvernement est démocratique . Il est vrai qu'il ne prétend pas qu'on fasse des recrues chez elle, et M. le duc de Choiseul même a eu la bonté de souffrir que les capitaines genevois au service de la France ne fissent point de recrues à Genève quoiqu’il fût très en droit de l'exiger .

Mais il y a une grande différence entre battre la caisse pour enrôler des soldats et accepter les conditions que demandent des femmes maîtresses d'elles-mêmes pour aller enseigner la jeunesse . Le Petit Conseil de Genève semble je l'avoue ne s'être conduit ni avec raison ni avec justice ni avec le profond respect que doivent des bourgeois de Genève à votre auguste impératrice . Mais Votre Excellence sait bien que dans les campagnes ce ne sont pas toujours les plus vertueux et les plus sensés qui prédominent . Il y a quelques magistrats que l'esprit de parti a rendu ridiculement ennemis de la France et de la Russie et qui faisaient des feux de joie à leurs maisons de campagne lorsque nos armes avaient été malheureuses dans le cours de la dernière guerre . Ce sont ces conseillers de ville qui ont forcé les autres à faire à M. de Bullau l'affront intolérable dont M. le comte de Shouvalow se plaint si justement .

Je ne me mêle en aucune manière des continuelles tracasseries qui divisent cette petite ville et sans avoir la moindre discussion avec personne je me suis borné dans cet éclat à témoigner à M. le comte de Shouvalow et à d'autres mon respect, ma reconnaissance et mon attachement pour S. M. l'impératrice . Ces sentiments gravés dans mon cœur seront toujours la règle de ma conduite . C'est ce que j'ai écrit en dernier lieu à un ami de M. le duc de Praslin, et c'est une protestation que je renouvelle entre vos mains . Les bontés que vous avez eues pour moi m'y autorisent.

J'ai l'honneur d'être avec respect

monsieur

de Votre Excellence

le. »

1 L'édition de Kehl suite aux hésitations de la copie Beaumarchais, date de « fin octobre 1765 » . Cette lettre a été écrite après réception d'une lettre de Schouvalov datée du 28 octobre 1765 . Une lettre de Golitsin, dont on conserve la trace, datée du 7 novembre 1765 constitue sans doute la réponse à la présente, d’où la date proposée .

Voir page 369, note 4 : https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1990_num_22_1_1769

22/02/2021

Le bruit public est qu'il a été taillé en pièces par le peuple, et que le ministre a échappé ; c'est bien dommage

... Emmanuel Macron à la casse, Frédérique Vidal indemne ? Ou l'inverse ? On a vraiment trop de temps à perdre que de décortiquer les dires de nos ministres, même leurs vérités sont discutées, niées, il faut avouer qu'elles sont bien mal brêlées : https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/22/emman...

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« A Gabriel Cramer

à Genève

[octobre-novembre 1765]

Monsieur Caro est supplié de vouloir bien se souvenir de Trasibule .

On attend la feuille d'Adélaïde .

S'il peut savoir le nom de mon Italien il me sauvera de l'impolitesse de ne point faire réponse . »

 

 

 

« A Gabriel Cramer

[octobre-novembre 1765]

Je ne sais aucun détail sur le bataillon de la garde wallonne . Le bruit public est qu'il a été taillé en pièces par le peuple, et que le ministre a échappé ; c'est bien dommage .

Si vous n'avez point trouvé de faute dans Adélaïde je vois que vous savez mieux l'orthographe que l'enfant .

Adieu mon cher Caro, je suis bien malingre . »