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03/01/2016

mes terres touchant de tous les côtés au lieu où le crime a été commis ; et les habitants de ce lieu d'une férocité qu'on ne peut trop craindre et trop réprimer

...

 

« A Jean-Philippe Fyot de La Marche

A Ferney trois janvier 1761

Monsieur, permettez qu'au commencement de cette année je vous renouvelle les sentiments de reconnaissance que je dois à vos bontés et à toutes celles dont monsieur votre père m'a honoré si longtemps . Permettez en même temps que j'aie recours à vous, dans un événement qui intéresse toute notre petite province de Gex au nom de laquelle j'ai l'honneur de vous parler .

Le fils d'un bourgeois de Saconnex au pays de Gex a été assassiné par un curé d'un village nommé Moens, et par plusieurs paysans complices de ce curé . Le crime a été commis le 28 décembre, nous sommes au trois janvier ; à peine y a-t-il une faible procédure commencée par la justice de Gex . J'ai vu le fils du sieur de Croze blessé, je l'ai vu dans son lit n'attendant que la mort . Le père , très âgé, et incapable de suivre cette cruelle affaire par son âge et sa douleur, m'a remis un mémoire que j'ai envoyé à monsieur le procureur général 1. Je vous supplie instamment monsieur de vouloir bien vous le faire représenter . Les officiers de la justice de Gex furent très empressés à faire une descente sur les lieux il y a deux ans, au sujet de six noix volées sur mes terres, et d'un coup de sabre très léger donné sur le bras du voleur . Ils entendirent cinquante-deux témoins, ils firent des informations de vie et de mœurs croyant que je payerais tous les frais ( en quoi ils se sont trompés) . Aujourd’hui il s'agit de la sureté publique, d'un assassinat avéré, d'un mourant et de deux blessés, je crois que nous avons besoin de votre autorité pour encourager les officiers de Gex à faire toutes les diligences que mérite un cas si extraordinaire . Nous attendons tout de votre bonté et de votre pouvoir , et en mon particulier monsieur je vous aurai plus d'obligation qu'un autre, mes terres touchant de tous les côtés au lieu où le crime a été commis ; et les habitants de ce lieu d'une férocité qu'on ne peut trop craindre et trop réprimer .

Je suis avec beaucoup de respect

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

 

1 Louis Quarré de Quintin .

 

ils avaient eu tant de coups de bâtons sur la tête que leur cervelle en était ébranlée

... Tant et si bien que la déchéance de nationalité française occupait une place inopportune dans l'esprit de nos dirigeants . Quelques  coups de pieds au cul  pour rééquilibrer seraient peut-être nécessaires ?...

 

« A Louis-Gaspard Fabry

Ferney, 3 janvier [1761]

[Dit que Montigny et Turgot vont presser Trudaine de conclure l'affaire de leur petite province contre Sédillot]

Je ne sais pas trop quand notre nouvel intendant arrivera 1. Mais je regretterai toujours que vous n'ayez pas eu M. Turgot . L'aventure du curé de Moëns est encore plus grave et plus criminelle qu'on ne l'avait dit . Elle a été bien mal entamée par les plaignants, mais ils avaient eu tant de coups de bâtons sur la tête que leur cervelle en était ébranlée [...] »

1 Jean-François Dufour de Villeneuve, qui venait de succéder à Joly de Fleury comme intendant de Bourgogne .

 

ce petit mémoire, qui m’intéresse infiniment

... Face à ma petite mémoire qui flanche indéfiniment .

 

 

« A Gabriel Cramer

[3 janvier 1761]

Je vous prie instamment, mon cher Gabriel, de vouloir bien faire imprimer sur-le-champ ce petit mémoire, qui m’intéresse infiniment. »1

 

1 D'après l éditeur Fernand Caussy « Voltaire et ses curés », La Revue de Paris du 15 juillet 1909, le « mémoire » est la Supplique à M. le lieutenant criminel du Pays de Gex relative aux démêlés du curé Ancian et de Croze . Cette supplique, datée « à Saconnex le 3 janvier 1761 » est signée « Ambroise Decroze / Vachat , procureur » . un exemplaire de ce document de quatre pages, conservé par Bestermann, comporte deux additions de la main de Wagnière . La première au dessous de la date, est simplement « pays de Gex » ; la seconde, qui suit la signature est ainsi conçue : « N.B. – Depuis ce mémoire la fille ainée du sieur de Croze ayant été se confesser à un jésuite du pays nommé Fessi, ce jésuite lui refusa l'absolution, et lui dit qu'elle serait privée des sacrements jusqu'à ce qu'elle obtint de son père un désistement en faveur du curé . » Caussy date arbitrairement du 30 décembre 1760, sans préciser la source ; de même plus loin il datera du 2 janvier 1761 la lettre du 11 janvier 1761 à Cramer .

 

02/01/2016

nous ne lui laissons jamais ignorer la signification des mots . Après la lecture, nous parlons de ce qu'elle a lu

... A ceux qui pensent innover en pédagogie devant leurs "apprenants", qu'ils s'inspirent plus simplement du bon sens voltairien , ô maîtres d'école à la tête plus pleine de superflu que bien faite !

 

 

« Marie-Françoise Corneille

et

-Voltaire

à

Ponce-Denis Ecouchard Le Brun

Au château de Ferney, pays de Gex,

2 janvier 1761 1

J'ai trop éprouvé vos bontés, monsieur , pour que je ne vous témoigne pas ma reconnaissance au commencement de l'année, et toutes les années de ma vie . Je vous supplie, monsieur, d'ajouter à toutes vos bontés celle de vouloir bien présenter mes remerciements à M. Titon 2, à Mlle Villegenou 3, à M. Du Molard 4, et à tous ceux qui ont bien voulu s'intéresser à mon sort .

Vous m'avez accoutumé, monsieur, à oser joindre mon nom à celui de Corneille ; mais ce n'est que quand il s'agit de sa petite-fille . Nous espérons beaucoup d'elle , ma nièce et moi . Nous prenons soin de toutes les parties de son éducation, jusqu'à ce qu'il nous arrive un maître digne de l'instruire . Elle apprend l'orthographe ; nous la faisons écrire ; vous voyez qu'elle forme bien ses lettres, et que ses lignes ne sont point en diagonale comme celles de quelques-unes de nos Parisiennes . Elle lit avec nous à des heures réglées ; et nous ne lui laissons jamais ignorer la signification des mots . Après la lecture, nous parlons de ce qu'elle a lu ; et nous lui apprenons ainsi, insensiblement un peu d'histoire . Tout cela se fait gaiement et sans la moindre apparence de leçon . J'espère que l'ombre du grand Corneille ne sera pas mécontente ; vous avez si bien fait parler cette ombre, monsieur, que je vous dois compte de tous ces petits détails . Si Mlle Corneille remercie M. Titon, et tous ceux qui ont pris intérêt à elle, souffrez que je les remercie aussi . J'espère que je leur devrai une des grandes consolations de ma vieillesse , celle d'avoir contribué à l'éducation de la cousine de Chimène 5, de Cornélie 6, et de Camille 7 . Il faut que je vous dise encore qu'elle remplit exactement tous les devoirs de la religion, et que nos curés et nos évêques sont très contents de la manière dont on se gouverne dans mes terres . Les Berthier, les Guyon 8, les Chaumeix en seront peut-être fâchés ; mais je ne peux qu'y faire . Les philosophes servent Dieu et le roi, quoi que ces messieurs en disent . Nous ne sommes , à la vérité, ni jansénistes, ni molinistes, ni frondeurs . Nous nous contentons d'être Français et catholiques tout uniment : cela doit paraître bien horrible à l'auteur des Nouvelles ecclésiastiques 9. Quand à ce malheureux Fréron, dont vous daignez me parler, ce n'est qu'un brigand que la justice a mis au Fort-l'Evêque, et un Marysas qu'Apollon doit écorcher . Je vois assez par vos vers et par votre prose, combien vous devez mépriser tous ces gredins qui sont l'opprobre de la littérature . Je vous estime autant que je les dédaigne . Votre distinction entre le vrai public et le vulgaire est bien d'un homme qui mérite les suffrages du public . Daignez y joindre le mien, et comptez sur la plus sincère estime, j'ose dire sur l'amitié de votre obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 On a suivi ici l'édition 2 malgré une erreur sur la date, 1760 .

2 Everard Titon du Tillet .

3 Mlle Villegenou est une nièce de Titon du Tillet .

4 Charles Du Molard-Bert ; voir lettre du 15 janvier 1761 à celui-ci .

5 Personnage du Cid .

6 Personnage de Pompée .

7 Personnage d'Horace .

8 Suivi , dans l'édition 1, par les Gauchat .

9 Nouvelles ecclésiastiques ou Mémoires pour servir à l'histoire de la constitution Unigenitus, hebdomadaire janséniste connu aussi sous le nom de Gazette ecclésiastique (1728-1803 ), était alors dirigé, et le fut longtemps par Louis Guidi .

 

il faut hardiment chasser aux bêtes puantes

... Et ne pas seulement se boucher le nez,  les yeux, les oreilles en attendant que d'autres s'en chargent .

 

 

« A Claude-Adrien Helvetius

A Ferney pays de Gex 2 janvier 1761

Je salue les frères en 1761 au nom de Dieu et de la raison, et je leur dis , Mes frères, odi profanum vulgus et arceo 1. Je ne songe qu'aux frères, aux initiés . Vous êtes de bonne compagnie, donc c'est à vous à gouverner le public, le vrai public devant qui toutes les petites brochures, tous les petits journaux des faux chrétiens disparaissent et devant qui la raison reste . Vous m'écrivîtes mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps que j'avais passé le Rubicon . Depuis ce temps là je suis devant Rome . Vous aurez peut-être ouï dire à quelques frères, que j'ai des jésuites tout auprès de ma terre de Ferney, qu'ils avaient usurpé le bien de six pauvres gentilshommes, de six frères, tous officiers dans le régiment des Deux-ponts, que les jésuites pendant la minorité de ces enfants ( il y en a [un] 2 qui n'a que douze ans, et qui sert depuis trois 3) avaient obtenu des lettres patentes pour acquérir à vil prix le domaine de ces orphelins, que je les ai forcés à renoncer à leur usurpation, et qu'ils m'ont apporté leur désistement . Voilà une bonne victoire de philosophes . Je sais bien que frère Croust cabalera, que frère Berthier m'appellera athée, mais je vous répète qu'il ne faut pas plus craindre ces renards que les loups de jansénistes , et qu'il faut hardiment chasser aux bêtes puantes . Ils ont beau hurler que nous ne sommes pas chrétiens ; je leur prouverai bientôt que nous sommes meilleurs chrétiens qu'eux . Je veux les battre avec leurs propres armes, mutemus clipeos 4. Laissez moi faire . Je leur montrerai ma foi par mes œuvres 5 avant qu'il soit peu . Vivez heureux mon cher philosophe dans le sein de la philosophie, de l'abondance, et de l'amitié . Soyons hardiment bons serviteurs de Dieu et du roi et foulons aux pieds les fanatiques et les hypocrites .

Dites moi je vous prie s'il est vrai que ce cher Fréron soit sorti de son fort . On l'avait mis là pour qu'il n'eût pas la douleur de voir encore cette malheureuse Écossaise, mais on se méprit dans l'ordre : on mit Fort-l'Evêque au lieu de Bicêtre . On fera probablement un errata à la première occasion . Mes respects à madame Helvétius .

Je le répète il y a des choses admirables dans l'héroïde du disciple de Socrate 6. Rendez-vous pas cet ouvrage ? Il est de l'un de nos frères . Je lui dis Kairo 7.

V. »

1 Je hais la foule profane et je la tiens à l'écart ; Horace, Odes , III, 1, 1 .

2 Un oublié par V*.

3 Phrase ajoutée en marge, et omise par l'éditon de Kehl et suivantes .

4 Echangeons nos boucliers , Virgile, Enéide, II, 389 .

5 Allusion à l'Épître de Jacques , II, 18 .

6 Héroïde douteusement attribuée à Marmontel . Voir lettre du 12 décembre 1760 à Helvétius : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/12/je-suis-un-peu-maitre-chez-moi.html

7 Le grec de V* est chancelant ; il faut lire caire = réjouis toi .

 

 

01/01/2016

J'y perds quelque chose mais si cela donne la paix je me console .

... Est-il quelque va-en-guerre qui soit capable d'un tel altruisme actuellement ? ça se saurait !... Guerre religieuse, guerre de conquête, guerre de clans politiques, chasse au pouvoir , on n'a que l'embarras du choix, surtout l'embarras d'ailleurs .

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen duchesse de Saxe-Gotha

[vers le 1er janvier 1761]

Madame, il faut donc que l'année 1761 recommence avec la guerre ! Il faut donc que toutes vos vertus, ou toute la conciliation de votre esprit ne puissent détourner ce fléau de votre voisinage et même de vos États ! Voilà donc les choses à peu près comme elles étaient dans le commencement de ces funestes troubles ! Il y a longtemps , madame, que je n'ai pris la liberté de mêler ma douleur à celle que Votre Altesse Sérénissime ressent de tant de désastres . Les larmes qu'elle verse sur les malheurs de l'Allemagne sont d'autant plus belles, que les désolations qui vous environnent ne vont point jusqu'à vous . Une princesse ne souffre guère personnellement : mais une âme comme la vôtre souffre des peines d'autrui . J'ignore si l'interruption du commerce attachée au fléau de la guerre n'a point empêché le petit paquet qui contenait l’Histoire de Pierre Ier de parvenir jusqu'à Votre Altesse Sérénissime .

Il faut au moins que je l'amuse d'une petite aventure de nos climats pacifiques . J'ai quelques terres dans le pays de Gex aux portes de Genève . Les jésuites en ont aussi, ce sont mes voisins . Non contents du royaume du ciel dont ils sont sûrs, ils avaient usurpé un domaine très considérable sur six pauvres gentilshommes, tous frères , tous mineurs, tous servant dans le régiment des Deux-Ponts . J'ai pris le parti de ces messieurs . Il fallait quelque argent . Je l'ai donné . Calvin ne me le rendra pas, mais enfin j'ai arraché le bien des mains des jésuites et je l'ai fait rendre aux propriétaires . Voilà madame ma bataille de Lissa 1. Je sais bien que saint Ignace ne me pardonnera pas . Mais n'est-il pas vrai que je trouverai grâce à vos yeux, madame ? Il n'y a point de saint dont j'ambitionne la protection comme la vôtre . Je suis sûr que la grande maîtresse des cœurs rira de me voir vainqueur des jésuites . Elle aimera les guerres qui finissent par rendre à chacun ce qui lui appartient . On dit Pontichéri au pouvoir des Anglais . J'y perds quelque chose mais si cela donne la paix je me console .

Je me mets aux pieds de Votre Altesse Sérénissime et de toute votre auguste famille avec le plus tendre respect .

Le Suisse V. »

 

1 Lissa avait été fondée par des Moraves chassés de Bohème au XVIè siècle ; en outre V* pensait à une autre ville nommée Lissa (= Leuthen ) champ de bataille qui avait vu la victoire de Frédéric II (voir lettre du 20 décembre 1757 à d'Argental : … ). Dans l'espoir de prendre ses quartiers d'hiver en Silésie, le prince Charles et Daun avaient marché sur Leuthen, mais Frédéric II s'attendant à ce mouvement manœuvra si bien que le 5 décembre 1757 il infligea une sévère défaite aux Autrichiens (19 décembre) , leur tuant ou leur prenant prisonniers 55000 hommes sur un total de 90 000 alors qu'il n'avait que 40 000 hommes .

 

J'embrasse tendrement toute la famille

... Sans oublier Mam'zelle Wagnière ! Car si je ne le fais pas qui le fera ?

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 1er janvier 1761]

Je suis enchanté que madame Cramer se porte mieux et très fâché qu'elle ait quitté les Délices .

Je ne sais plus où j'en suis . Je crains d'être bientôt incapable de tout travail .

Si vous croyez avoir de quoi faire un volume commencez donc Tancrède . Mais avez-vous l'édition de Paris ? De quoi composerez-vous votre volume ?

J'embrasse tendrement toute la famille .

V. »