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08/01/2016

Il est dur d'être pestiféré dans un château qu'on vient de bâtir .

...

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

Au château de Ferney pays de Gex

9 janvier 1761 1

Mon cher ange aidez-moi à venger la patrie de l'insolence anglicane 2. Un de mes amis, ami intime, a broché ce mémoire 3. Je m'intéresse à la gloire de Pierre Corneille plus que jamais, depuis que j'ai chez moi sa petite fille . Voyez si la douce réponse aux Anglais plait à Mme Scaliger . En ce cas elle pourrait être imprimée par Prault petit-fils sous vos auspices . Sinon vous auriez la bonté de me la renvoyer, car je n'ai que ce seul exemplaire . J'attends aussi ce Droit du seigneur que vous n'aimez point, et que j'ai le malheur d'aimer . Vous m'abandonnez du haut de votre ciel ô mes anges . Dites-moi donc ce que vous avez fait de Tancrède ; et de grâce un petit mot d'Oreste après quoi vous daignerez m'apprendre si nous aurons la guerre ou la paix .

À propos de guerre permettez que je vous parle de peste . Nous sommes menacés de la peste dans notre petit pays de Gex . J'ai pris la liberté de présenter requête contre elle à M. de Courteilles . Je vous supplie d'appuyer mes très humbles représentations . Il s'agit d'un marais plein de serpents qu’apparemment Fréron, Abraham Chaumeix, Guyon, Gauchat et les auteurs du Journal chrétien ont envoyés .

Mais que deviennent les yeux de monsieur d'Argental ? Je suis plus inquiet d'eux que de ma peste .

Est-il vrai qu'on a joué à Versailles Femme qui a raison et que le reine a été de l'avis de Fréron ?

Avez-vous lu l'ouvrage évangélique adressé à mon ami Guyon sur l'Ancien et le Nouveau Testament 4? Cela est poivré . C'est un petit livre excellent . Est-il vrai que le théologien de l'Encyclopédie Morellet, ou mords-les, en soit l'auteur ? Quel qu’il soit son livre est brûlé et béni .

Comment suis-je avec M. le duc de Choiseul ? Quand revient le vainqueur de Mahom 5?

Ayez pitié de moi vous dis-je auprès de M. de Courteilles . Il est dur d'être pestiféré dans un château qu'on vient de bâtir .

À l'ombre de vos ailes .

V.

Je versifie pour Clairon . »

 

1 Le post-scriptum supprimé dans l'édition Kehl manque dans les éditions suivantes .

2 Anglican est utilisé pour anglais ; voir lettre du 14 octobre 1758 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/19/vos-huit-tonneaux-sont-devenus-d-assez-bon-vinaigre-c-est-un-5225750.html

3 L'Appel aux nations .

4 Voir lettre du 8 décembre 1760 à Thieriot : ...

5 Richelieu, vainqueur à Port Mahon ; V* écrit le mot Mahon pour faire un jeu de mot avec l'ancien nom de Mahomet .

 

07/01/2016

Je vous remercie de l'intérêt que vous prenez à la chose

... Vous tous qui suivez Voltaire par mes mises en ligne parfois laborieuses et toujours perfectibles . Je me sens parfois le caro Gabriele à qui Volti souffle gentiment , mais fermement,  "gare les fautes de typographie" .

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 7 janvier 1761]

Caro Gabriele ; je crois que faire son Dieu est trop comique, en un cas si grave . Il faut mettre , il eut l'audace le lendemain de célébrer la messe et de tenir son Dieu entre ses mains meurtrières 1. Je vous remercie de l'intérêt que vous prenez à la chose . Je fais poursuivre l'affaire avec la vivacité qu'elle mérite . J'ai un peu plus de crédit chez moi qu'à Genève .

Il y a beaucoup à craindre pour la vie du jeune Croze . On a peur d'un dépôt dans la tête . Il serait affreux qu'il mourût, et que le curé de Moens eût la liberté de chanter pour lui une messe de requiem .

Voici pour Tancrède . Jeanne sera bientôt à vous . Gare les fautes de typographie .

V. »

 

1 La correction demandée par V* apparaît dans la requête signée par Croze (Moland XXIV, 163 ) . Ces corrections d'auteur expliquent pourquoi la requête, datée du 3 janvier pour être « imprimée sur le champ » ne le fut qu'une semaine plus tard, ou davantage .

 

06/01/2016

Mais quand chacun tire à soi on n'attrape rien . Voilà mon avis . Vous pouvez en faire part à François si vous le trouvez bon

... No comment ! Qui de plus actuel que Voltaire ?

 

« A Jean-Robert Tronchin

Au château de Ferney 6 janvier 1761 1

Mon cher correspondant, bénis soient les vents du midi qui ont repoussé la flotte britannique . Maudits soient les gens qui laissent prendre Ponticheri . Mais que fait-on de nos annuités , de nos billets de loterie, de nos tontines ?

Oserais-je vous importuner d'un petit résumé que je fais dans ma tête ? J'ai tort de ne pas tenir un registre de ce que je prends chez vous, et de ce que je vous envoie . Mais vous êtes le seul avec lequel j'en use ainsi , puisque vous avez la bonté d'être mon registre . Je compte que j’avais chez vous indépendamment des malheureux effets royaux environ 145 000 livres tournois à la Saint-Jean Baptiste 1760, et qu'en comptant les 15 000 livres que vous prêtez à M. de Chapeaurouge, et que je défalque dès à présent ; en compensant vos envois et les dépenses dont vous avez daigné vous charger, par les petits rafraîchissements que je vous ai envoyés, s'il vous reste ès mains 200 000 livres pour votre serviteur, c'est tout le bout du monde . Je vous supplie de me dire si je me trompe de beaucoup . Cela m'est important , parce qu'il faut être sage , parce que je bâtis une église et que Mme Denis et la cousine de Chimène veulent un théâtre, parce que mes fardeaux se multiplient et que mes forces diminuent .

Voulez-vous bien donner cours à l'incluse ?2

On s'y est bien mal pris pour faire votre frère François syndic . On devait savoir que le noir Du Pan 3 partagerait les voix ; donc il ne fallait pas encore partager les voix opposées et se mettre à trois ou quatre contre lui . Il fallait que les compétiteurs cédassent à François qui combattant seul aurait réuni la majorité en sa faveur ; et François et la tronchinerie auraient à la première occasion donné tout leur parti à ceux qui cette fois lui auraient donné le leur . Mais quand chacun tire à soi on n'attrape rien . Voilà mon avis . Vous pouvez en faire part à François si vous le trouvez bon . C'était ainsi qu'on en usait dans l'ancienne Rome qui ressemble à Genève comme deux gouttes d'eau . Oncle, nièce, Chimène, tout vous aime, tout vous embrasse .

V. »

 

1 L'édition Tronchin est limitée à un fragment .

2 Cette phrase ajoutée en fin de page est en fait un post scriptum .

3 Barthélémy Du Pan a été élu syndic pour l'année 1761 .

 

05/01/2016

Il recommande quatre arbitres

... Qui donc ? Sarko ?

 

« A [destinataire inconnu]

Ferney , 5 janvier 17611

[A prêté 15 000 livres à MM. de Crassy, sans intérêt, afin de leur permettre de rentrer en possession de leur maison de famille , mais il ne désire pas acheter la propriété . Il n'estime pas juste que Chapeaurouge la vende aux propriétaires pour un prix plus élevé qu’aux jésuites . Il recommande quatre arbitres .] »

1 Le manuscrit fut acheté par Pearlman le 29 juillet 1930 chez Sotheby .

 

04/01/2016

Unissez-vous à moi contre les crimes des prêtres

... Oseraient peut-être dire un jour tous les grands prêtres, muphtis, popes, khans, papes et tutti quanti s'ils avaient encore un peu d'amour de la vérité, eux qui vivent de la crédulité populaire . 

 

« A Gabriel Cramer

[4 janvier 1761] 1

Nos prêtres sont fort au-dessus des vôtres, mon cher Gabriel, ils assassinent . La cause du pauvre de Croze qui est mourant l'a emporté sur Tancrède et sur Jeanne . Imprimez je vous prie sans délai la requête du père de ce jeune homme assassiné par son curé . Elle servira du moins à confondre la justice de Gex, si elle ne venge pas ce meurtre . Je vous demande en grâce de ne pas perdre un moment . Le saint jour du dimanche doit être employé à dresser une requête contre ceux qui ont commis un assassinat le dimanche . Unissez-vous à moi contre les crimes des prêtres .

V. »

1 La lettre a été écrite apparemment un dimanche vers cette époque, et en outre le mémorandum est daté du 3 janvier .

 

Soyez gai vous dis-je ; et vous vous porterez à merveilles

...

 

« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville, ancien

conseiller au parlement de Rouen

rue Saint-Pierre

près du rempart

à Paris

Au château de Ferney, pays de Gex

4 janvier 1761 1

Vous vous êtes blessé avec vos armes, mon cher et ancien ami . Il n'y a qu'à ne vous plus battre ; et vous serez guéri . Dissipation, régime, et sagesse, voilà vos remèdes . Je vous proposerais Tronchin, si je me flattais que vous daignassiez venir dans nos petits royaumes . Mais vous préfèrerez les bords de la Seine au beau bassin de nos Alpes . Je m'intéresse beaucoup teretibus suris 2 de notre grand abbé . Vous êtes de jeunes gens en comparaison du vieillard des Alpes . Il ne tient qu'à vous de vous porter mieux que moi : je suis né faible, j'ai vécu languissant ; j'acquiers dans mes retraites de la force et même un peu d'imagination . On ne meurt point ici . Nous avons une femme d'esprit de cent trois ans 3 que j'aurais mariée à Fontenelle s'il n’était pas mort jeune . Nous avons aussi l'héritière du nom de Corneille, et ses 17 ans . Vous savez qu'elle a l'esprit très naturel, et que c'est pour cela que Fontenelle l’avait déshéritée . Vous savez toutes mes marches . Il est vrai que j'ai fait rendre le bien que les jésuites avaient usurpé sur six frères tous au service du roi . Mais apprenez que je ne m'en tiens pas là . Je suis occupé à présent à procurer à un prêtre un emploi dans les galères . Si je peux faire pendre un prédicant huguenot, sublimi feriam sidera vertice 4. Je suis comme le musicien de Dufresnay, en chantant son opéra 5, il fait le tout en badinant . Mais je vous aime sérieusement . Autant en fait Mme Denis . Soyez gai vous dis-je ; et vous vous porterez à merveilles .

Je vous embrasse ex toto corde .

V. »

1 Cette lettre répond à une lettre du 27 décembre 1761 .

2 Aux jambes faites au tour ; d'après Horace, Odes, II, 4, 21 . Cideville écrivait : « […] je me plains [de ma santé] , et l'abbé du Resnel n'est pas encore si bien traité, il végète, il ne se soutient plus sur ses jambes […]. »

3 Mme Lullin ; voir lettre du 9 février 1759 à Louise-Suzanne Gallatin : déjà mise en ligne

4 Je frapperai les astres du sommet de ma tête ; Horace, Odes, I, 1, 36 .

5 On disait que Charles de La Rivière Dufresnay composait ses opéras en les chantant à un ami musicien .

 

je souffre très patiemment qu'on me persécute, mais je ne souffre pas qu'on me rende ridicule

... Ecce homo !

 

 

« A François de Chennevières

De Ferney 4 janvier [1761] 1

Je suis honteux, je me mettrais dans un trou de souris, mon cher correspondant . Je ne réponds qu'en vile prose et qu'en courant à vos aimables vers . Voilà comme sont faits les maçons et les laboureurs , et j'ai l'honneur de l'être . Voulez-vous bien pourtant me mander s'il est vrai qu'on ait joué à Versailles cette Femme qui a raison et qu'on m'impute, et qui est détestablement imprimée ? Le tiers de cet ouvrage est à peine de ma façon : je souffre très patiemment qu'on me persécute, mais je ne souffre pas qu'on me rende ridicule .

J'ai envoyé à M. Sénac un mémoire qui semble concerner son ministère , il s’agit d'un marais qui mît la peste dans mon petit pays . M. Sénac ne se soucie pas qu'on meure entre le mont Jura et les Alpes . Il ne me répond pas .

Je vous embrasse mon cher correspondant. »

1 L'édition Cayrol date la lettre de 1763 ; Moland a eu raison de la dater de 1761 .