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14/01/2016

Vous m'allez dire que je deviens bien hardi, et un peu méchant sur mes vieux jours . – Méchant ! Non ; je deviens Minos, je juge les pervers

... (Feu)-Hara Kiri, vifs Charlie hebdo, et Canard enchaîné en sont des exemples, à suivre .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

A Ferney, 14 janvier 1761

Que monsieur et madame écrivent à eux deux des lettres aimables ! Je ne peux pas croire que des anges qui écrivent si bien, aient tort sur ce Droit du seigneur . Cependant les écailles ne sont pas encore tombées de mes yeux 1. Mais pourquoi monsieur d'Argental n'écrit-il pas ? Quoi, pas un mot ! Aurait-il toujours son ophtalmie ? S'il n'est que paresseux je suis consolé . Il a un charmant secrétaire . Tenez, petite fille, voilà comme les dames écrivent à Paris . Voyez que cela est droit ; et ce style qu'en dites vous ? Quand écrirez-vous de même, descendante de Corneille ? Cela donne de l’émulation, elle va vite m'écrire un petit billet dans sa chambre . C'est je vous assure une plaisante éducation .
Je suis à vos pieds, madame, moi et la muse limonadière . Comment, du cercle de mes montagnes pouvoir reconnaître tant de bontés ?2

Voulez-vous vous amuser à lire ce chiffon 3? Voulez-vous le lire à Mlle Clairon ? Il n'y a que vous et M. le duc de Choiseul qui en ayez . Vous m'allez dire que je deviens bien hardi, et un peu méchant sur mes vieux jours . – Méchant ! Non ; je deviens Minos, je juge les pervers .

– Mais prenez garde à vous, il y a des gens qui ne pardonnent point . – Je le sais ; et je suis comme eux . J'ai soixante et sept ans ; je vais à la messe de ma paroisse ; j'édifie mon peuple ; je bâtis une église ; j'y communie, et je m'y ferai enterrer , mort Dieu ! malgré les hypocrites . Je crois en Jésus-Christ consubstantiel à Dieu, en la Vierge Marie , mère de Dieu . Lâches persécuteurs, qu'avez-vous à me dire ? – Mais vous avez fait La Pucelle . – Non, je ne l’ai pas faite ; c'est vous qui en êtes l'auteur ; c'est vous qui avez mis vos oreilles à la monture de Jeanne . Je suis bon chrétien, bon serviteur du roi, bon seigneur de paroisse, bon précepteur de fille ; je fais trembler jésuites et curés ; je fais ce que je veux de ma petite province grande comme la main, excepté quand les fermiers généraux s'en mêlent ; je suis homme à avoir le pape dans ma manche quand je voudrai . Eh bien ! cuistres, qu'avez-vous à dire ?

Voilà mes chers anges ce que je répondrais aux Fantin, aux Grizel, aux Guyon, et au petit singe noir 4. J’aime d'ailleurs les vengeances qui me font pouffer de rire . Et puis, qui est ce singe noir ? C'est peut-être Berthier, c'est peut-être Gauchat, Caveirac . Tous ces gens-là sont également la gloire de la France .

J'ai lu la Théorie de l'impôt . Elle me paraît aussi absurde que ridiculement écrite . Je n'aime point ces amis des hommes qui crient sans cesse aux ennemis de l’État : nous sommes ruinés ; venez il y fait bon .

À vos pieds .

V.

Pour Dieu daignez m'envoyer ( paroles ne puent point ) la feuille de l'infâme 5 contre M. Le Brun . J'avoue que l'ode est bien longue, qu'il y a de terribles impropriétés de style , mais il y a de fort belles strophes, et j'aime M. Le Brun, il m'a fait faire une bonne action 6, dont je suis plus content de jour en jour . »

 

1 Actes des Apôtres, IX, 18 .

2 Mme d'Argental avait donné à la poétesse, de la part de V* une coupe dorée . Le 12 mars 1761, JJ Rousseau écrivait à Mme Bourette : «  Si jamais l'occasion se présente de profiter de votre invitation, j’irai, madame, avec grand plaisir vous rendre visite et prendre du café chez vous ; mais ce ne sera pas , s'il-vous-plait, dans la tasse dorée de M. de Voltaire ; car je ne bois point dans la coupe de cet homme là . »

3 L’Épître à Mlle Clairon ; voir lettre du 11 janvier 1761 à Thieriot :

4 Omer Joly de Fleury .

5 L’Année littéraire, 10 décembre 1760, VIII, 145-164 .

6 L'adoption de Marie-Françoise Corneille .Voir lettre du 5 novembre 1760 à Le Brun : en ligne le 12/12/2008

 

13/01/2016

Reçu donc la Théorie des impôts , théorie obscure, théorie qui me paraît absurde, et toutes ces théories viennent bien mal à propos pour faire accroire aux étrangers que nous sommes sans ressource, et qu'on peut nous outrager et nous attaquer impunément

...

 

 

« A Nicols-Claude Thieriot

et à

Etienne-Noël Damilaville

Reçu donc la Théorie des impôts 1, théorie obscure, théorie qui me paraît absurde, et toutes ces théories viennent bien mal à propos pour faire accroire aux étrangers que nous sommes sans ressource, et qu'on peut nous outrager et nous attaquer impunément . Voilà de plaisants citoyens, et de plaisants amis des hommes ! Qu'ils viennent comme moi sur la frontière, ils changeront bien d'avis . Ils verront combien il est nécessaire de faire respecter le roi et l’État . Par ma foi on voit les choses tout de travers à Paris . Je ne vous envoie point encore l’Épître à Mlle Clairon et La Capilotade, parce que je veux que vous m'écriviez auparavant . Je vous prie mon cher ami, vous , ou monsieur Damilaville musarum amantem 2, d'avoir la charité d'envoyer au Mercure, aux Petites Affiches, à toutes les petites feuilles, l'avertissement ci-joint 3; il est nécessaire .

Si j'écris courtes lettres, c'est que j'ai longues affaires et monsieur Damilaville verra par le factum imprimé ci-joint 4, que j'ai plus d'une nature d'affaires ; je vous embrasse tous deux Cultores AEqui et Recti 5.

N.b. que l'ami Thieriot est supplié de faire un mémoire de tous les petits déboursés dans l'occasion .

N.b. que le saint abbé Grisel n' a point volé Mme d'Egmont, mais bien M. de Tourni ; gardez-vous d'induire les commentateurs en erreur .

13è janvier 1761. »

 

1 Voir lettre du 11 janvier 1761 à Thieriot :

2 L'amant des muses .

3 Il s'agit d'une plainte, datée du 12 janvier 1761, contre la publication par Le Brun d'Ode et lettres, sous une rubrique genevoise ; elle parut dasn le Mercure de France de février 1761, I, 3, 145-146 .

4 Voir lettre du 3 janvier 1761 à Cramer : mis en ligne 3/1/16

5 Fauteurs du juste et du bien .

 

Messieurs de la poste retiennent tous les livres reliés . On ne sait plus comment faire . Tout commerce périt

...

 

 

« A Octavie Belot

cloître Saint-Thomas du Louvre

à Paris

[janvier 1761 ?]1

V. est honteux de faire coûter des ports de lettres à madame B. V. lui a envoyé un Pierre . Messieurs de la poste retiennent tous les livres reliés . On ne sait plus comment faire . Tout commerce périt . V. serait fort aise que madame B. se partageât entre le Perche et les Alpes mais le Perche est voisin et les Alpes sont bien loin ; et le mont Jura est un rude seigneur avec ses neiges . Si madame B. voit le philosophe très aimable H.2 , elle est suppliée de lui dire que son frère V. est son plus zélé partisan, plein de la plus tendre estime pour lui . Il avait envoyé au philosophe H. et au philosophe Spartacus 3 un Pierre . Tout est arrêté par la poste . V. gémit de loin sur Jérusalem . »

1 Manuscrit olographe daté simplement de 1761 par l'éditeur ; Moland précise « 3-4 janvier » qui est possible bien que trop précis .

2 Helvétius .

3 Saurin .

 

On paye les rentes ; on éteint quelques dettes . Il y a de l'ordre malgré toutes nos énormes sottises .

... Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, bon an, mal an, les actionnaires s'en tirent correctement, les chômeurs sont à la ramasse, et avec ça on continue à se gargariser de paroles lénifiantes . Bast !

 

 

« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

à l'île Jard

à Strasbourg

Au château de Ferney pays de Gex

par Genève 13è janvier 1761

Pardon madame, pardon, j'ai eu des jésuites à chasser d'un bien qu'ils avaient usurpé sur des gentilshommes de mon voisinage . J'ai eu un curé à faire condamner . Ces bonnes œuvres ont pris mon temps . Je commence à espérer beaucoup de la France sur terre, car sur mer je l'abandonne . On paye les rentes ; on éteint quelques dettes . Il y a de l'ordre malgré toutes nos énormes sottises . J'ai peine à croire qu'on ôte le commandement à M. le maréchal de Broglie . Il me semble qu'il s'est très bien conduit en conservant Goettingue .

Avez-vous madame, M. le comte de Lutzelbourg auprès de vous ? Comment vous trouvez-vous du vent du nord ? C'est je crois votre seul ennemi . Songez madame que l'hiver de la vie qui est si dur , si désagréable pour tant de personnes, et auquel même il est si rare d'arriver est pour vous une saison qui a encore des fleurs . Vous avez la santé du corps et de l'esprit . Il est vrai que vous écrivez comme un chat . Mais dans vos plus beaux jours vous n'eûtes jamais une plus belle main . Voyez-vous quelquefois M. de Lucé ? seriez-vous assez bonne madame, pour me rappeler à son 1 souvenir ?

Madame la marquise est donc impitoyable ? ou vous ? Je n'aurai donc pas copie de son portrait ?

Vivez heureuse et longtemps mad[ame] , nous vous souhaitons ma nièce et moi ces deux petites bagatelles de tout notre cœur .

V. »

 

1 V* a d'abord écrit votre .

 

12/01/2016

on sera bien aise d'apprendre à Genève, ce que c'est qu'un curé de France .

... Espèce en voie de disparition , tant de ce côté-ci de la frontière, qu'au-delà .

 

 

« A Gabriel Cramer

à Genève

[vers le 12 janvier 1761]

Monsieur Cramer est prié instamment de renvoyer l'original de la requête, signé de Croze, laquelle il a eu la bonté d'imprimer ; on sera bien aise d'apprendre à Genève, ce que c'est qu'un curé de France .

Le nommé Ancian, curé et assassin de village, a l'insolence d'intenter à de Croze un procès criminel en réparation d'honneur, et traite sa requête au lieutenant-criminel, de libelle diffamatoire ; il le somme de déclarer dans trois jours si ce libelle diffamatoire est de lui (de Croze ) ou de quelque autre ; tout cela est assez plaisant, pour un curé ajourné personnellement, dont les complices sont décrétés de prise de corps .

Le bon de l'affaire, c'est qu'en cas que de Croze soit assez imbécile pour désavouer sa requête et sa propre signature, il désavoue par cela seul toute sa procédure, et se soumet à payer tous les frais ; il ne sait pas la conséquence de ses fausses démarches ; il est absolument nécessaire que le géant 1 aille lui-même lui mettre un peu de cœur au ventre ; et il faut qu'il aille dans cette affaire à pas de géant .

Gabriel, Philibert, et tout le vieux testament sont trop bons huguenots, pour négliger cette affaire . Il me semble que c'est la cause du genre humain . Voilà ( par parenthèse ) comment toutes les affaires se sont traitées jusqu'à présent dans le pays de Gex .

Je supplie monsieur Gabriel de vouloir bien m'envoyer toutes les feuilles de Tancrède, avec le carton du 2è acte, et ce qui est imprimé de l'épître en postface à mon signore Albergati Capacelli, senatore di Bologna . »

1 François-Pierre Pictet .

 

d'autant plus dangereux qu'il cite toujours avec une fidélité scrupuleuse , et qu'il détruit l'ancien par le nouveau , et le nouveau par l'ancien

... Ce qui fait que bon nombre de nos chefaillons de partis n'ont pas de dangerosité réelle tant ils sont approximatifs dans leurs critiques des bords opposés . L'à-peu-près règne au pays des politiciens  à l'égal de propos de comptoir chez Dudule .

 

 

« A Anne-Robert-Jacques Turgot

Au château de Ferney pays de Gex

12 janvier 1761

Je n'ai rien de plus pressé monsieur que de vous parler de vous . Soyez très sûr que quand j'ai fait votre sauce 1 à M. D.. , ce n'était qu'en réponse à l'éloge très discret qu'il m'avait fait de vous . Que votre pudeur ne soit point alarmée . Nous chérissons vos faveurs, mais nous ne nous en vantons pas .

L’aventure de saint Grizel 2 intéresse beaucoup un de nos frères . Il y avait un digne homme qui nichait ce Grizel avec le bienheureux Fantin 3, saint Gauchat, saint Chaumé 4, le docteur Guyon, e tutti quanti . J'ai vu cet ouvrage instructif . Mais j'ai trouvé erreur dans les notes . Elles disent que les 50 mille livres avaient été volées pour l'amour de Dieu à Mme d'Egmont et suivant votre leçon c'est un intendant qui les a fournies . Je ne croyais pas que les intendants fussent si sots . Mais l'aventure d'Origène me fait tomber des nues . Un intendant châtré !5 Cela est incroyable . Comment le maréchal de Richelieu souffre-t-il cela dans son gouvernement ? C'est Dieu qui tolère Baal . Je n'ose vous supplier monsieur de daigner me donner des instructions sur ces divines aventures . Mais vous pouvez communiquer vos lumières à M. Da … et j'aurai par là le double esprit d’Élisée .

J'ai lu un livre abominable intitulé Lettre à l'auteur de l'Oracle . Ce livre est d'autant plus dangereux qu'il cite toujours avec une fidélité scrupuleuse , et qu'il détruit l'ancien par le nouveau , et le nouveau par l'ancien avec des armes si terribles qu'on ne peut lui répondre que par un autodafé . Je voudrais bien connaître un si méchant homme pour avoir de lui l'opinion qu'il mérite, et pour le fuir, si jamais je le rencontre .

Je vous demande pardon monsieur de ne vous avoir point parlé de la petite fille du grand Corneille . Je n'étais pas encore sûr qu'on me laissât ce dépôt et je devais craindre que quelque grande dame ne fît ce qu'on m'a laissé faire, mais pour vous montrer que je ne suis point du tout modeste, je me vante à vous, d'avoir chassé les jésuites d'un domaine qu'ils avaient usurpé à ma porte sur six gentilshommes qui ont à peine de quoi servir le roi, et d'avoir fait rendre à des orphelins le bien que les saints leur ravissaient . Je me vante de faire envoyer incessamment aux galères un Grizel de nos cantons . Pardonnez à mon excès d'amour-propre .

Je vous supplie monsieur de me conserver vos bontés auprès de M. de Montigny-Trudaine . Il y a du malentendu dans cette affaire comme dans bien d'autres . Le conseil renvoie aux intendants, et les intendants au conseil, et cependant une province est pillée . Mais conservez-moi surtout vos bontés auprès de celui qui a fait le voyage du Suisse 6. C'est assurément un homme supérieur, et jamais la raison ne fut plus aimable . Je suis homme à le lui dire en face, s'il se fâche .

Mme Denis se souviendra de vous toute sa vie et moi je serai toute la mienne rempli pour vous du respect le plus vrai, et le plus tendre .

V.

On a donné certainement vos livres à Tournes .»

 

1 Faire sa sauce à quelqu'un est une expression chère aux burlesques, qui signifie réprimander ; on en trouve un exemple dans L’Iliade travestie de Marivaux, 1716 .

2 Joseph Grisel .

3 Un des personnages préféré comme cible par V* ; voir lettre du 12 juillet 1760 à Palissot :

et la Lettre sur les panégyriques écrite sous le nom de d'Irénée Aléthés :

4 Chaumeix .

5 Qui passe pour s'être châtré lui-même .

6 Tourny .

 

nos curés assassinent, et donnent des billets de garantie pour l'autre monde à leurs complices

... Doux Jésus ! qu'apprends-je ? Heureusement ils ne font pas couler le sang directement, mais c'est limite chez certains fanatiques intégristes qui excitent des gogos béats contre tout ce qui sort de leurs ridicules certitudes .

 

« A David-Louis-Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches

A Ferney 12 janvier [1761]

Voici monsieur les tragédies que nous jouons dans le pays de Gex 1. Les cagots de Genève nient la divinité de Jésus-Christ, mais nos curés assassinent, et donnent des billets de garantie pour l'autre monde à leurs complices , ce qui est prouvé depuis l'impression du mémoire ci-joint . Apparemment que notre curé ne croit pas les peines éternelles . Je prends à cœur cette petite affaire qui s'est passée aux confins de mes petits ermitages . La justice de Dieu est lente, celle de Gex est pis . Je n'ai pas un moment à moi . Mme Denis vous renouvelle son tendre attachement , j'y joins mes respects pour votre famille et pour vos amis .

Vraiment Tancrède n'est pas prêt . »

1 La « petite affaire » est celle de Croze bastonné par le curé Ancian et complices .