11/10/2024
Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.
... En toute modestie ... Pape François, entendez-le !
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian
A Ferney 8è avril 1769 1
Voici le temps où les Picards vont jouir d’une douce tranquillité dans leurs terres. Je souhaite un bon voyage à la dame et au seigneur d’Hornoy, beaucoup de santé, de plaisirs, et de comédies.
Vous savez que celle de l’élection du vicaire de saint Pierre est presque finie à Rome. Mais ce que vous ne savez pas, c’est que j’ai presque autant de part 2 que le Saint-Esprit à l’élection de Stopani 3. Le colonel du régiment de Deux-Ponts 4, et madame sa femme, avaient absolument voulu me voir. Mme Cramer les amena chez moi il y a environ deux mois; elle força les barrières de ma solitude. Après dîner, pour nous amuser, nous jouâmes le pape aux trois dés ; je tirai pour Stopani, et j’eus rafle 5.
Comme je jouais avec des hérétiques, il était bien juste que je gagnasse.
Quand, d’un saint zèle possédés,
On nous vit jouer aux trois dés
De Simon le bel héritage,
On rafla pour Cavalchini 6,
Pour Corsini 7, pour Negroni 8:
Stopani m’échut en partage,
Et mon dé se trouva béni.
Stopani du monde est le maître,
Mais il n’en jouira pas longtemps,
il a soixante et quatorze ans :
C’est mourir pape, et non pas l’être.
J’aime les clefs du paradis ;
Mais c’est peu de chose à notre âge.
Un vieux pape est, à mon avis,
Fort au-dessous d’un jeune page.
Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.
J’ai eu douze accès de fièvre, je n’ai vu de médecin qu’une seule fois ; j’ai envoyé chercher le saint viatique, et je suis guéri. Je fais des papes et des miracles.
J’enverrai à Hornoy tout ce qui pourra amuser mes chers Picards. Mme Denis doit avoir recommandé une petite affaire à M. d’Hornoy, que j’embrasse tendrement, ainsi que son oncle le Turc. »
1 Minute corrigée par V*.
2 Et non port comme le donne l'édition Besterman .
3 Ce fut Ganganelli qui fut élu, et personne n’y songeait. (Kehl.) — Le cardinal Giovanni Francesco Stopani était né à Milan le 16 septembre [4 novembre ?] 1695 ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Giovanni_Francesco_Stoppani
4 Maximilien-Joseph, duc de Deux-Ponts, mort en 1825, roi de Bavière , et la reine Maria Anna de Saxe ; voir note 3 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome13.djvu/224
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_Ier_(roi_de_Bavi...)
5Sur cette expression que V* emploie à propos de la même affaire, voir lettre du 20 février 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/24/nous-avons-tire-aux-trois-des-la-place-6511712.html
6Cardinal Carlo Alberto Guidobono Cavalchini : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Alberto_Guidoboni_Cavalchini
7 Cardinal Neri Maria Corsini : https://fr.wikipedia.org/wiki/Neri_Maria_Corsini
8 Cardinal Andrea Negroni : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Negroni
Aucun de ces trois cardinaux ne fut élu . C'est Lorenzo Ganganelli qui prit le nom de Clément XIV.
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10/10/2024
donner pour mon compte cinquante francs à une pauvre femme
... On a ici l'un des nombreux exemples de générosité de ce Voltaire que de vieux poncifs présentent comme avare ; un livre de minutie domestique n'a d'ailleurs pas réussi à faire le tour de ses preuves de générosité . Qu'on se le dise une fois pour toutes .
« A Guillaume-Claude de Laleu Secrétaire
du roi, Notaire
rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie
à Paris
Je vous prie, monsieur, quoique vous n'ayez point peut-être d'argent à moi, d'avoir la bonté de donner pour mon compte cinquante francs, à une pauvre femme nommée Marie L’Écuyer, qui vous rendra ce billet . J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
A Ferney ce 7è avril 1769. 1»
1 Original signé. On lit au dos : « Payez pour moi à M. l'abbé du Plaquet, valeur reçue comptant de lui ce 16 avril 1769. / M. L'Ecuyer./ Pour acquit. / Du Plaquet. » Ce Du Plaquet a écrit à V* le 7 mars 1769 pour lui recommander Marie L'Ecuyer qui a été autrefois à son service quand il demeurait chez la marquise du Châtelet, faubourg Saint-honoré à Paris, avant son départ pour la Prusse . Le mari de cette femme est mort en prison, et elle a deux filles à sa charge .
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il faut louer la liberté de penser. Cette liberté est un service rendu au genre humain
... Au passage, petite pensée pour Florent Pagny : https://www.youtube.com/watch?v=6w5vWHqU3uM&ab_channel=FlorentPagnyVEVO
Observation, bon sens, recherche de la pacification et non de con-vaincre ou exclure, c'est bien ce que veut le Patriarche .
Et puisque Voltaire fait référence à l'Académie Française, on peut faire un petit tour en compagnie de Claudine Tiercelin, philosophe : https://www.youtube.com/watch?v=OoJOMTsdllA&ab_channe...
P.-S. Vous avez tenu jusqu'au bout ? C'est bien , c'est le temps d'un film courant . On peut sauter les 13 premières minutes .
« A Bernard-Joseph Saurin, de
l'Académie française, etc.
à Paris
À Ferney, 5è avril 1769
Je vous remercie très sincèrement, mon cher confrère, de votre Spartacus 1; il était bon, et il est devenu meilleur. Les oreilles d’âne de Martin Fréron doivent lui allonger d’un demi-pied. Je ne vous dirai pas fadement que cette pièce fasse fondre en larmes ; mais je vous dirai qu’elle intéresse quiconque pense, et qu’à chaque page le lecteur est obligé de dire : « Voilà un esprit supérieur. » J’aime mieux cent vers de cette pièce que tout ce qu’on a fait depuis Jean Racine. Tout ce que j’ai vu depuis soixante ans est boursouflé, ou plat, ou romanesque. Je ne vois point dans votre pièce ce charlatanisme de théâtre qui en impose aux sots, et qui fait crier miracle au parterre welche : Neque, te ut miretur turba, labores.2
Le rôle de Spartacus me paraît, en général, supérieur au Sertorius de Corneille.
Vous m’avez piqué : j’ai relu l’Esprit des lois ; je suis entièrement de l’avis de Mme du Deffand, ce n'est que de l'esprit sur les lois 3. J'aime mieux l’instruction donnée par l’impératrice de Russie pour la rédaction de son code . Cela est net, précis, il n’y a point de contradictions ni de fausses citations. Si Montesquieu n’avait pas aiguisé son livre d’épigrammes contre le pouvoir despotique, les prêtres, et les financiers, il était perdu ; mais les épigrammes ne conviennent guère à un objet aussi sérieux. Toutefois, je loue beaucoup son livre, parce qu’il faut louer la liberté de penser. Cette liberté est un service rendu au genre humain.
J’ai été sur le point de mourir il y a quelques jours. J’ai rempli, à mon dixième accès de lièvre, tous les devoirs d’un officier de la chambre du Roi Très Chrétien, et d’un citoyen qui doit mourir dans la religion de sa patrie. J’ai pris acte formel de ces deux points par-devant notaire, et j’enverrai l’acte à notre cher secrétaire, pour le déposer dans les archives de l’Académie, afin que la prêtraille ne s’avise pas, après ma mort, de manquer de respect au corps dont j’ai l’honneur d’être 4. Je vous prie d’en raisonner avec M. d’Alembert. Vous savez que pour avoir une place en Angleterre, quelle qu’elle puisse être, fût-ce celle de roi, il faut être de la religion du pays, telle qu’elle est établie par acte du Parlement. Que tout le monde pense ainsi, et tout ira bien ; et, à fin de compte, il n’y aura plus de sots que parmi la canaille, qui ne doit jamais être comptée.
Je vous embrasse très philosophiquement et très tendrement.
V. »
1 Saurin a envoyé cette pièce à V* dont une nouvelle édition vient de paraître : https://books.google.fr/books?id=NldbAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
2 Horace., lib. I, Satires , X, v. 74 : https://www.loebclassics.com/view/horace-satires/1926/pb_LCL194.121.xml
3 Les mots ce n'est que de l'esprit sur le sois manquent dans la copie Beaumarchais et toutes les éditions.
Voir aussi lettre du 28 décembre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/07/06/tout-ce-que-peuvent-faire-les-adeptes-c-est-de-s-aider-un-pe-6505853.html
4 On retrouve ici le souci de V* pour que son corps soit enterré en terre chrétienne . Le mot corps est même à prendre ici avec un double sens .
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09/10/2024
quitter son ermitage for his long home
... Six pieds sous terre, voilà qui est souhaitable quand on pense à Poutine qui profite en douce de continuer à tuer en Ukraine pendant que les yeux de monde sont tournés vers le Moyen-Orient ; n'oublions pas ce sinistre dictateur dans nos prières le vouant au gémonies , au plus tôt .
https://voxeurop.eu/fr/guerre-poutine-ukraine-remporte-eu...
« A Henri Rieu
Vendredi au soir 5 avril [1769]
L'ermite de Ferney, mon cher corsaire, a eu douze accès de fièvre consécutifs et a été sur le point de quitter son ermitage for his long home 1. Il a même bravement passé par toutes les cérémonies de sa chère Église papiste, à la barbe des huguenots .
Dès qu'il aura repris un peu de force, il sera charmé de voir le philosophe danois-polonais 2 dont son cher corsaire lui parle . »
1 Pour sa durable demeure ; Allusion à l'Ecclésiaste, XII, 5 : https://saintebible.com/ecclesiastes/12-5.htm
2 Élie Salomon François Reverdil, qui vient de trouver V* pour obtenir une modification de son attitude hostile à la Pologne . Voir Emmanuel Rostworowski : « Une négociation des agents du roi de Pologne auprès de Voltaire en 1769. », Revue d'histoire littéraire de Janvier-février 1969 ; voir bibliographie : https://books.openedition.org/editionscnrs/34702?lang=fr
Voir : https://lumieres.unil.ch/fiches/bio/86/
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/681-elie-reverdil
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08/10/2024
Je déteste le fatras et le petit
... Aussi ne supportè-je ni un Mélenchon ni un Ciotti qui sont maîtres dans la petitesse d'esprit et le souk de leurs projets .
« A Jean-François de Saint-Lambert
De F[erney] ce 4 avril 1769 1
De la coquetterie ! Non, pardieu ! mon cher confrère ou mon cher successeur ; ma franchise suissesse n’a ni rouge ni mouches. Quand je vous dis que votre ouvrage 2 est le meilleur qu’on ait fait depuis cinquante ans, je vous dis vrai. Quelques personnes vous reprochent un peu trop de flots d’azur, quelques répétitions, quelques longueurs, et souhaiteraient, dans les premiers chants, des épisodes plus frappants. Je ne peux ici entrer dans aucun détail, parce que votre ouvrage court tout Genève, et qu’on ne le rend point ; mais soyez très certain que c’est le seul de notre siècle qui passera à la postérité, parce que le fond en est utile, parce que tout y est vrai, parce qu’il brille presque partout d’une poésie charmante, parce qu’il y a une imagination toujours renaissante dans l’expression. Je déteste le fatras et le petit, et tout ce que je vois ailleurs est petit et fatras.
Qui diable vous a donné la Canonisation de saint Cucufin 3 ? Il faut que ce soit quelque capucin. On pourra bientôt me canoniser aussi, car, depuis un mois, je ne vis que de jaunes d’œufs comme saint Cucufin. J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai reçu bravement le viatique, en dépit de l’envie. Cela s'est passé avec une décence charmante 4 . J’ai déclaré expressément que je mourais dans la religion du Roi Très Chrétien mon maître 5 et de la France ma patrie, as it is established by act of parliament 6. Cela est fier et honnête 7.
Ma maladie m’a empêché d’écrire à M. Grimm, mais je ne l’en aime pas moins, lui et ma philosophe Mme d’Épinay. Je vous ai la plus sensible et la plus tendre obligation de vouloir bien engager M. le prince de Beauvau 8 à daigner 9 solliciter de toutes ses forces en faveur des Sirven. Votre cœur aurait été bien ému si vous aviez vu cette déplorable famille, père, mère, filles, enfants : la mère rendant les derniers soupirs en me venant voir, les filles dans les convulsions du désespoir, le père en cheveux blancs, baigné de larmes. Et qui a-t-on persécuté ainsi ? la plus pure innocence et la probité la plus respectable. La destinée m’a envoyé cette famille ; il y a six ans que je travaille pour elle. Enfin la lumière est parvenue dans les têtes de quelques jeunes conseillers de Toulouse, qui ont juré de faire amende honorable. Cuistres fanatiques de Paris, misérables convulsionnaires, singes changés en tigres, assassins du che. d. L. B. 10, apprenez que la philosophie est bonne à quelque chose !
Je vous conjure, mon cher successeur, de presser la bonne volonté de M. le prince de Beauvau. Voici le moment d’agir. Sirven, condamné à mort, est actuellement devant ses juges, ses filles sont auprès de moi ; je les ferai partir, si ses juges veulent les interroger. Je me recommande à vos bontés et à celles de M. le prince de Beauvau.
Je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie ; mais c’est avec la plus profonde estime et la plus sincère amitié.
V. »
1 Original, initiale et corrections autographes ; édition de Kehl qui pratique des coupures à la suite de la copie Beaumarchais qui porte en note : « A M. de La Harpe probablement. », corrigé en « A M. de Saint-Lambert probablement.'
2 Le poème des Quatre Saisons.
3 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/427
4 Phrase supprimée dans édition de Kehl .
5 Ces deux mots sont supprimés dans l'édition de Kehl .
6 Telle qu'elle est établie par acte du Parlement ; allusion aux sommations que V* a adressées au curé Gros, d'après les ordonnances parlementaires édictées à l'occasion de l'affaire des billets de confession ; voir Candide, chap. XXII : https://fr.wikisource.org/wiki/Candide,_ou_l%E2%80%99Opti... .
7 Voltaire étant malade, dans le temps de Pâques, fit avertir le curé de Ferney de lui apporter le viatique. Le curé répondit qu’il ne le pouvait qu’après que Voltaire aurait rétracté les mauvais ouvrages qu’il avait faits.
8 Le nom est supprimé dans la copie Beaumarchais et les éditions .
9 V* a corrigé de vouloir bien , dicté d'abord .
10 Assassins du chevalier de La Barre ; V* a ajouté ces mots au-dessus de la ligne .
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07/10/2024
Mon cher ami, je ne saurais mieux faire
... ni mieux dire ! " : tel est le résumé du message d'Emmanuel Macron à Netanyahou :
« A Sébastien Dupont
A Ferney 4 avril 1769
Mon cher ami, je ne saurais mieux faire que de vous envoyer la copie de la lettre que j’écris à M Jeanmaire 1; elle vous mettra au fait de tout. Vous me parlerez en ami et en homme vertueux, tel que vous êtes.
J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai passé par toutes les cérémonies qu’un officier de la chambre du roi, un membre de l’Académie française, et un seigneur de paroisse, doivent faire. Je n’ai que peu de temps à vivre ; je ne dois rien faire que ma famille puisse reprocher à ma mémoire. Je serai bien fâché de mourir sans vous avoir embrassé.
Voltaire. »
1 On n'a pas de lettre du 4 avril à Jeanmaire . Mais peut-être ne s'agit-il ici que de la minute de la lettre du 22 avril 1789 qui n'aurait été envoyée que plus tard après certaines rectifications .
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ce mot d'inutile convient beaucoup à tout ce qui se fait dans ce monde
... Inutile que j'y rajoute un commentaire; il n'est qu'à voir le monde des réseaux sociaux, --pour se limiter à ce qui est le plus pratiqué,-- pour constater que le Patriarche a bien raison .
« A Marie-Louise Denis
3è avril 1769
Vous avez dû recevoir,ma chère nièce, trois pièces de vers inutiles, et quatre médailles plus inutiles encore ; car ce mot d'inutile convient beaucoup à tout ce qui se fait dans ce monde .
Je compte parmi ces inutilités mon remerciement à M. de Saint-Lambert que vous ne connaissiez pas, et La Canonisation de saint Cucufin 1 qui m'est enfin venue de Hollande, et que je vous ai envoyée par M. de La Borde, premier valet de chambre du roi . À l'égard des quatre médaillons en argent, ils doivent vous être parvenus par M. Jeannel .
Vous m'avez parlé souvent d'une lettre instructive que vous me destiniez, et que vous deviez me faire tenir par un voyageur, mais je ne sais qui est ce voyageur, et je n'ai pas reçu cette lettre . Il faut apparemment qu'il ne soit point encore parti .
Vous ignorez sans doute que dans la foule épouvantable des sottises qu'on imprime tous les jours à Paris avec approbation et privilège du roi, la veuve Duchesne au Temple du goût, rue Saint-Jacques a donné La France littéraire en deux volumes . C'est un livre qui peut être de bibliothèque, parce que c'est une notice de toutes les académies du royaume, de tous les auteurs vivants, par ordre alphabétique, et de tous leurs ouvrages ; mon article est très long . Il a été probablement rédigé par Fréron ou par quelque homme de cette tempe . On m'y fait auteur du Catéchumène 2, un des billets les plus criminels qu'on ait jamais composés, et dont vous et moi connaissons l'écrivain . On m'y impute un détestable livre de Hollande intitulé Tableau philosophique du genre humain 3 , et quantité d'autres brochures infâmes.
Si je laissais subsister ce monument d'impostures je paraîtrais l'avoir approuvé, je m'avouerais moi-même coupable, et je donnerais aux fanatiques les armes les plus terribles contre moi . J'étais dans mon onzième accès de fièvre entre la vie et la mort lorsque la veuve Duchesne m'envoya ces deux volumes, n'y entendant point finesse, et ne sachant même ce dont il s'agit . C'est ainsi qu'en usent la plupart de vos libraires de Paris qui commandent un livre à des barbouilleurs mercenaires, et qui font travailler leurs nègres à leurs manufactures ; c'est le plus grand avilissement de l'esprit humain .
Les sieurs Christin, Wagnière et Bigex s'amusèrent à lire quelques articles de ce livre, et étant indignés des impostures dont il était plein, ils écrivirent la lettre la plus forte à la veuve Duchesne, et lui envoyèrent un article tel qu'il doit être imprimé 4. Mais cette précaution sera inutile si vous n’engagez pas M. d'Hornoy à passer sur-le-champ chez la veuve Duchesne, et à exiger incontinent l'impression du carton dont on lui a envoyé le modèle .
Les belles-lettres de France sont dans le plus grand opprobre, mais les libraires respectent une robe, et réellement vous me rendrez un très grand service .
D’ailleurs, il est un peu de l’intérêt de la famille que le pauvre oncle ne soit pas éternellement vilipendé .
Les enfants me sont venus voir plusieurs fois pendant ma maladie, Joly y est venu une seule fois par amitié, et je me suis tiré d'affaire tout seul .
J'ai vu d'Hermenches qui retournait en Corse, et qui en est aussi mécontent que du Siège de Calais . Et de quoi n'est-on pas mécontent ? Je ne connais guère que le poème des Quatre Saisons qui ait mérité le suffrage des connaisseurs . Voilà la seule chose à mon gré, qui nous sauve de la décadence générale . Il y a sans doute beaucoup d'esprit à Paris, mais cela est répandu comme de la petite monnaie, et il n'y a pas une seule grande fortune . Je suis persuadé que vous avez choisi une société parmi ceux qui sont les plus riches .
J'écris une longue lettre à Mme Du Deffand, sa grand-maman n'y est pas oubliée . Vous pourrez lui en demander communication quand vous la verrez .
Je ne vous parle point du procès que nous fait Choudens, nous nous défendrons de notre mieux .
Comme j'allais fermer ma lettre, je reçois la vôtre du 26 mars 5 . Vous m'apprenez que c'est Perrachon par qui vous me mandez des choses que j’ignore . Vraiment, vous avez choisi un plaisant commissionnaire . Il ne reviendra probablement pas dans le pays, il craint d'y retrouver Dupuits . Si votre lettre contient des choses secrètes, j'en suis très affligé . Tâchez de me mettre au fait avec vos précautions ordinaires .
Si la caisse d'escompte fait banqueroute 6, je perds le seul effet dont je pouvais disposer .
Ce que vous me mandez de votre aversion pour Paris dérange toutes mes idées . Il serait nécessaire que je vécusse encore un peu pour arranger mes affaires ; mais je ne dois pas compter sur une longue vie .
Voici le billet que vous me demandez pour M. de Laleu 7 . Je vous embrasse avec le peu de forces qui me restent, et très tendrement .
N'oubliez pas, je vous prie, d'engager d'Hornoy à passer chez la veuve Duchesne . »
1 Voir lettre du 21 décembre 1768 à Mme Du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/20/je-deteste-les-poules-mouillees-et-les-ames-faibles.html
On a ici la première référence à cette pièce sous forme imprimée .
2 Sur Le Catéchumène, voir lettre du 1er mars 1768 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/10/11/je-ne-veux-pas-payer-pour-lui-6465393.html
3 Le Tableau philosophique de l'esprit humain, 1767, n'est pas de V*, mais de Charles Bordes . La fin de la phrase (et quantités d'autres brochures infâmes ) permet à V* de rejeter du même coup la responsabilité des autres ouvrages qui , eux , sont incontestablement de lui .
4 Effectivement, cette lettre (certainement inspirée et approuvée par le maître V* ) et écrite par Wagnière en son nom et au nom de Christin et Bigex, datée du 29 mars est passée à la vente Capelle le 6 juin 1849 . On n'en connaît qu'un résumé .
5 Cette lettre de Mme Denis à laquelle répond V* à partir d'ici est conservée .
6 Cette caisse d'escompte, dont parle Mme Denis, et à laquelle présidait Laborde, fut supprimée le 21 mars avec effet du 1er avril .
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