25/10/2024
Nous autres Français, mon cher ami, nous ne sommes pas dignes des billets de banque ni d'aucuns billets publics
... Aussi est-ce par milliers que les amendements pleuvent sur le projet de loi définissant le budget national ; encore une fois les députés font preuve d'inutilité et sont payés pour brasser du vent , RN et LFI tenant la tête , ce qui n'étonne plus personne, ou qui ne devrait plus étonner quand on a suivi un tantinet ces politicards-là :
« A Jean-François-René Tabareau
Nous autres Français, mon cher ami, nous ne sommes pas dignes des billets de banque ni d'aucuns billets publics. Cela est bon pour des Hollandais, des Anglais, des Vénitiens et des Génois ; mais ce qui est remède pour un est poison pour nous . Un poison qui me mine, c'est l'aventure de la caisse d'escompte . J'y ai mis presque tout mon bien libre . Ne savez-vous rien de ce nouvel arrangement de finance ? Les pauvres actionnaires de bonne foi seront-ils ruinés ? La Gazette de Suisse dit que Laborde est exilé dans une de ses terres 1 ; mais je crois qu'il n'y a de banni que l'argent mis par des particuliers à la caisse d'escompte .
Portez-vous bien, santé vaut mieux que richesse . Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.
A Ferney 24 avril 1769.2»
1 Voir lettre du 17 avril 1769 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/19/votre-maniere-est-de-ne-pas-repondre-aux-choses-dont-vous-ne-voulez-pas-qu.html
2 Original ; édition Kehl amalgame la présente lettre avec quatre autres lettres postérieures, ce qui donne une idée de la fidélité des éditeurs . Cayrol rectifie .
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Eh bien ! madame, je suis plus honnête que vous ; vous ne voulez pas me dire avec qui vous soupez, et moi je vous avoue avec qui je déjeune
... Il est avéré que Mme Marine Le Pen fréquente des alliés d'extrême droite et que pour souper avec le diable elle n'utilise pas une cuillère à long manche . A chacun ses engagements, ses vérités et ses mensonges .
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand
24è avril 1769
Eh bien ! madame, je suis plus honnête que vous ; vous ne voulez pas me dire avec qui vous soupez, et moi je vous avoue avec qui je déjeune. Vous voilà bien ébaubis, messieurs les Parisiens ! la bonne compagnie, chez vous, ne déjeune pas, parce qu’elle a trop soupé ; mais moi, je suis dans un pays où les médecins sont Italiens 1, et où ils veulent absolument qu’on mange un croûton à certains jours. Il faut même que les apothicaires donnent des certificats en faveur des estomacs qu’on soupçonne d’être malades.
Le médecin du canton que j’habite est un ignorant de très mauvaise humeur 2, qui s’est imaginé que je faisais très peu de cas de ses ordonnances.
Vous ignorez peut-être, madame, qu’il écrivit contre moi au roi l’année passée, et qu’il m’accusa de vouloir mourir comme Molière, en me moquant de la médecine . Cela même amusa fort le Conseil. Vous ne savez pas sans doute qu’un soi-disant ci-devant jésuite franc-comtois nommé Nonotte, qui est encore plus mauvais médecin, me déféra, il y a quelques mois, à Rezzonico 3, premier médecin de Rome, tandis que l’autre me poursuivait auprès du roi, et que Rezzonico envoya à l’ex-jésuite nommé Nonotte, résidant à Besançon, un bref dans lequel je suis déclaré atteint et convaincu de plus d’une maladie incurable. Il est vrai que ce bref n’est pas tout à fait aussi violent que celui dont on a affublé le duc de Parme ; mais enfin j’y suis menacé de mort subite.
Vous savez que je n’ai pas deux cent mille hommes à mon service, et que je suis quelquefois un peu goguenard. J’ai donc pris le parti de rire de la médecine avec le plus profond respect, et de déjeuner, comme les autres, avec des attestations d’apothicaires.
Sérieusement parlant, il y a eu, à cette occasion, des friponneries de la Faculté 4 si singulières que je ne peux vous les mander, pour ne pas perdre de pauvres diables qui, sans m’en rien dire, se sont saintement parjurés pour me rendre service 5. Je suis un vieux malade dans une position très délicate, et il n’y a point de lavement et de pilules que je ne prenne tous les mois 6 pour que la Faculté me laisse vivre et mourir en paix.
N’avez-vous jamais entendu parler d’un nommé Le Bret, trésorier de la marine, que j’ai fort connu, et qui, en voyageant, se faisait donner l’extrême-onction dans tous les cabarets ? J’en ferai autant quand on voudra.
Oui, j’ai déclaré que je déjeunais à la manière de mon pays . Mais si vous étiez turc, m’a-t-on dit, vous déjeuneriez donc à la façon des Turcs ? — Oui, messieurs.
De quoi s’avise mon gendre d’envoyer ces quatre Homélies 7? Elles ne sont faites que pour un certain ordre de gens. Il faut, comme disent les Italiens, donner cibo per tutti 8.
Vous saurez, madame, qu’il y a une trentaine de cuisiniers répandus dans l’Europe qui, depuis quelques années, font des petits pâtés dont tout le monde veut manger 9. On commence à les trouver fort bons, même en Espagne. Le comte d’Aranda en mange beaucoup avec ses amis. On en fait en Allemagne, en Italie même ; et certainement, avant qu’il soit peu, il y aura une nouvelle cuisine.
Je suis bien fâché de n’avoir pas la Princesse printanière 10 dans ma bibliothèque ; mais j’ai l’Oiseau bleu et Robert le Diable 11. Je parie que vous n’avez jamais lu Clélie 12 ni l'Astrée 13 ; on ne les trouve plus à Paris. Clélie est un ouvrage plus curieux qu’on ne pense ; on y trouve les portraits de tous les gens qui faisaient du bruit dans le monde du temps de Mlle Scudéry . Tout Port-Royal y est . Le château de Villars, qui appartient aujourd’hui à M. le duc de Praslin, y est décrit avec la plus grande exactitude.
Mais, à propos de romans, pourquoi, madame, n’avez-vous pas appris l’italien ? Que vous êtes à plaindre de ne pouvoir pas lire, dans sa langue, l’Arioste, si détestablement traduit en français ! Votre imagination était digne de cette lecture ; c’est la plus grande louange que je puisse vous donner, et la plus juste. Soyez très sûre qu’il écrit beaucoup mieux que La Fontaine, et qu’il est cent fois plus peintre qu’Homère, plus varié, plus gai, plus comique, plus intéressant, plus savant dans la connaissance du cœur humain que tous les romanciers ensemble, à commencer par l’Histoire de Joseph et de la Putiphar 14, et à finir par Paméla 15. Je suis tenté toutes les années d’aller à Ferrare, où il a un beau mausolée ; mais, puisque je ne vais point vous voir, madame, je n’irai pas à Ferrare.
Vous me faites un grand plaisir de me dire que votre ami 16 se porte mieux. Mettez-moi aux pieds de votre grand-maman 17 ; mais, si elle n’a pas le bonheur d’être folle de l’Arioste, je suis au désespoir de sa sagesse.
Portez-vous bien, madame ; amusez-vous comme vous pourrez. J’ai encore la fièvre toutes les nuits, et je m’en moque.
Amusez-vous, encore une fois, fût-ce avec les quatre fils d'Aymon . Tout est bon, pourvu qu’on attrape le bout de la journée, qu’on soupe, et qu’on dorme ; le reste est vanité des vanités 18, comme dit l’autre ; mais l’amitié est chose véritable. »
1 C’est-à-dire les prêtres. (Beuchot.)
La suite fait allusion au fait que V* observe le carême ainsi qu'il apparaît par la lettre de Mme Denis qui sera citée dans la lettre du 26 avril .
2 Biord, évêque d’Annecy. (Beuchot.)
3 Clément XIII.
4 Allusion aux professions de foi dont il a été question . Voir lettre du 15 avril 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/16/6519171si-je-me-suis-trompe-dans-quelques-occasions-j-ai-droit-de-m-adresse.html
5 Ils avaient fabriqué et certifié, chez le curé de Ferney, une profession de foi de Voltaire.
Il faut apparemment croire V* quand il dit que ses amis se sont parjurés en attestant des sentiments religieux qu'il prétend ne pas ressentir . Néanmoins, le texte même de ces attestations est assez ambigu pour qu'on puisse aussi bien attribuer le parjure à V* lui-même.
6 Cela signifie apparemment que V* se confesse chaque mois .
7 Voir lettre de Mme Du Deffand du 15 avril 1769 : « Voulez-vous bien vous charger de mes remerciements pour votre gendre ? … Il m'a envoyé vos quatre Homélies . Je n'ai lu que la moitié de la première, je ne puis plus entendre parler sérieusement sur ce sujet … ». Elle lui annonce en revanche qu'elle relit Les Illustres Françaises de R. Challe et les contes de Mme d'Aulnoy, d'où la suite . Les quatre Homélies publiées en 1767 ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/325
8 De la nourriture pour tous .
9 Cette façon de désigner les adversaires du christianisme fait penser aux procédés du Dictionnaire Philosophique ( Catéchisme du Japonais, etc. )
10 L'histoire de la princesse printanière est racontée par Mme d'Aulnoy ; Mme Du Deffand en a recommandé la lecture à V* .
11 L'histoire de l'oiseau bleu est contée par Perrault ; Robert le Diable est un classique de la littérature de colportage .
12V* a en effet dans sa bibliothèque un exemplaire de Clélie de Mlle de Scudéry .
13D'Honoré d'Urfé . V* ne semble pas en avoir possédé un exemplaire .
14 Genèse, XXXIX : https://www.aelf.org/bible/Gn/39
15 De Richardson . La mention de cet ouvrage à côté de celle de l'Arioste suggère que V* travaille à sa Paméla : Les Lettres d'Amabed. Voir la notice de ce conte :
16 Le président Hénault.
17 Mme de Choiseul.
18 Salomon, Ecclésiaste, i, 2 : https://saintebible.com/ecclesiastes/1-2.htm
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24/10/2024
Il observera que j’emprunte à 6 et que je prête à 4.
... M. le président , est-ce bien ainsi que M. Antoine Armand, ministre des Finances, doit opérer pour réduire la dette de la France ?
« A François-Louis Jeanmaire
A Ferney 22è avril 1769 1
Monseigneur le duc de Virtemberg me doit par billet à ordre au mois de mars passé trente-cinq mille livres, et autant l'année prochaine . Son Altesse Sérénissime propose de me subroger à la créance du sieur Dietrich de Strasbourg, auquelle elle doit 96000£ moyennant que je lui prête ces 96000 £ remboursables en quatre ans, à 24000 £ par an avec les intérêts légitimes . Pour cet effet on veut que je rétrocède les deux billets de 70000 £ et que je fournisse le reste argent comptant .
Quoique à mon âge de soixante et quinze ans ce marché soit peu avantageux, je l'accepte ; et même pour marquer à Son Altesse Sérénissime mon attachement respectueux, je me relâche des cinq pour cent d'intérêts que j'aurais, si cet acte était passé à Genève ou à Montbéliard.
Je me réduis à quatre pour cent, et j'espère que Mgr le duc de Virtemberg sera content de mon procédé .
Voici un compte net du paiement à faire de ces 96000 £ avec l'intérêt au quatre pour cent en quatre années.
Chaque année on paiera vingt-quatre mille livres, et au bout de l’année l’intérêt échu.
La première . Le capital est de 96000 £
A 4 pour cent la 1ère année 3840 £
La seconde année 2880
La troisième 1920
La quatrième 960
Somme totale des intérêts
pendant 4 ans 9600 £ 9600
En ajoutant le capital à ces intérêts légitimes
on forme une somme 105600 £
Je demande que Son Altesse Sérénissime s'engage à me payer ces 105600 £ en quatre ans comme argent prêté, le tout payable en quatre ans par quartiers, en délégations acceptées par ses fermiers régisseurs, sans préjudice de ce qu'il me doit d'ailleurs, et ratifiant ses premiers engagements .
On stipulera qu'on me paiera de cette somme prêtée de 105600 £
La première année 28000 £
La seconde 28000
La troisième 24800
La quatrième 24800
105600 £
Cet arrangement est précis et équitable ; il prévient toute difficulté, il n'est plus besoin de compte à échelle, de stipulation d'intérêt ; tout est plus net et plus noble .
M. Jeanmaire promettra au nom du prince, de me remettre le contrat fait avec le sieur Dietrich, et de me subroger en sa place .
Il m'enverra tous les papiers sans frais .
Pour lui fournir les 96000 £ demandées,
je donne
deux billets du prince 70000 £
Sur Riquewihr, le quartier échu à
la fin de mars 700
Argent prêt à Genève et
emprunté à 6% 96000£
Il observera que j’emprunte à 6 et que je prête à 4 .
Je me flatte que M. Dupont rédigera le tout dans la meilleure forme ; que je serai payé de tout ce qu'on me doit, exactement par quartiers, n'ayant plus que ces effets pour subsister, moi et ma famille, et que Son Altesse Sérénissime me continuera l’honneur de se bontés .
N. B. que les paiements par quartiers des 105600 £ doivent commencer à courir depuis le 1er avril de cette année, et que le premier quartier sera échu le dernier juin prochain .
Je prie M. Jeanmaire de communiquer cet écrit à M. l’avocat Dupont.
Son très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Original signé, le dernier alinéa et la formule autographes . Edition Lettres inédites, 1821, n'en donne qu'une version très abrégée datée du « 23 août 1769 ».
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23/10/2024
voir les ouvrages où il préside
... Pierre-Marie Abadie , que va-t-il décider, que va-t-on lui laisser faire :
Il en connait un rayon
« A François de Caire, Chevalier
de Saint-Louis, ingénieur en chef
à Versoix
Le malade de Ferney fait les plus tendres remerciements à monsieur de Caire . Il voudrait bien venir l'embrasser au premier beau jour, voir les ouvrages où il préside, et se mettre aux pieds de Mme de Caire .
22è avril 1769. »
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Un enthousiasme fanatique et fripon fait seul plus de mal que tous les sages ne peuvent faire du bien : voila le grand malheur . Les fous courent les rues et crient, les sages ferment leurs portes,...et laissent crier les fous
...
Deux Têtes de mule
https://www.librairies-nouvelleaquitaine.com/livre/978207...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
20avril 1769 1
J'ai reçu enfin, mon cher ange, votre lettre du 14 mars par Perrachon . Je voudrais vous écrire un volume, mais je suis toujours assez malade, et ce qui vous surprendra, c'est qu'à peine j'ai un moment de libre dans ma solitude. Vous trouverez dans ce paquet le Cucufin de M. Aveline, L'A.B.C. de M. Huet, et Les Singularités de la nature, d'un académicien de l’institut de Bologne .
Sirven, à qui vous daignez vous intéresser, est à Toulouse, dirigé par un conseiller du parlement et par un docteur de Sorbonne, qui embrassent tous deux sa clause et celle de la philosophie avec autant de chaleur que de prudence . Il faut enfin que l'esprit de tolérance s'établisse. J'aurai du moins contribué à cette bonne œuvre, et c’était l'objet de mon ambition .
Les Guèbres n'ont été faits que dans ce dessein . Je regarde la publicité de cet ouvrage comme la chose la plus importante . Il comporte une préface dans laquelle on déploiera des sentiments honnêtes et des vérités qu'aucun des barbares qui existent encore ne pourra combattre .
Je vous prie instamment de me renvoyer le manuscrit par Marin ou par telle autre voie sûre que vous pourrez aisément trouver .
Je n'ai point reçu les réflexions que vous m'aviez promises , mais j'en ai fait . Je ferai porter sur le manuscrit les additions et les changements qui m'ont paru nécessaires . Il y avait trois mois que je n'avais relu cet ouvrage ; mes autres occupations me l'avaient entièrement fait perdre de vue . Il m'a intéressé ; je ne puis m'imaginer qu'il soit mal reçu . Le temps le plus favorable pour les spectacles est précisément celui qu'il faut prendre pour le faire représenter . Les acteurs sont mauvais, d'accord ; mais pourvu qu'il soit joué seulement cinq ou six fois, et que les gens pensants, qui gouvernent à la longue les autres, en soient contents, cela suffit . Il ne s'agit que d'avoir un droit acquis de faire subsister cette pièce au théâtre pour l'édification du genre humain. Elle est assurément moins hardie que Le Tartuffe, et elle embrasse des objets plus essentiels .
S'il y avait de la difficulté, pourrait-on trouver quelqu'un qui s'adressât à Mme d'Egmont, qui l'intéressât en faveur du jeune homme auteur de cette pièce, qui l'engageât à la faire jouer d'autorité par un ordre exprès de M. de Richelieu ? Ce pas est délicat et dangereux ; aussi je ne vous le propose que comme une idée dont je me défie beaucoup, et que je soumets entièrement à votre prudence .
J'avoue que j'ai une violente passion de faire jouer cette pièce cette année, parce que toutes les apparences sont que je ne verrai pas l'année 1770 . Je m'affaiblis tous les jours ; j'ai eu douze accès de fièvre assez violents : j'en ai encore des ressentiments toutes les nuits ; plus d'appétit, plus de force : mon petit rôlet va finir .
C'est une belle chose que l'immortalité de l'âme . J'aime assez le capitaine suisse qui, avant une bataille, faisait ses prières derrière un buisson, et qui disait : « Mon Dieu, s'il y en a un, ayez pitié de mon âme si j'en ai une. »
Les hommes prononcent toujours des mots sans les entendre . Tout ce que nous savons, c'est que nous voyons avec nos yeux, que nous digérons avec notre estomac, que nous pensons par notre tête, et que nous sentons par tout notre corps . Mais il n'y a point d'être particulier qui s'appelle la vue, point d'être qui s'appelle la digestion, point d'être qui s'appelle la sensation, point d'être qui s'appelle âme . Daignez relire le chapitre sur l'âme dans L'A.B.C.
Toutefois il est fort bon de faire accroire aux hommes qu'ils ont une âme immortelle, et qu’il y a un Dieu vengeur qui punira mes paysans s'ils me volent mon blé et mon vin 2, qui fera rouer là-bas ou là-haut les juges des Calas, et brûler ceux d'Abbeville . Le grand point est d’empêcher les prêtres d'abuser de cette doctrine pour nous tyranniser en s’engraissant de notre substance . Tous les honnêtes gens doivent s'entendre et se liguer ensemble pour que la religion fasse le moins de mal qu'il est possible . Il est bien honteux pour un état policé qu'on ait contenu les officiers sans pouvoir jamais contenir le prêtres . Le temps approche où on les mettra dans l'impossibilité de nuire ; alors la vie sera un peu tolérable .
L’Imposture sacerdotale 3 est un recueil de quelques pensées anglaises et un tableau de quelques abominations des papes . Michel Rey a imprimé à Amsterdam trente volumes beaucoup plus philosophiques . L'Examen de Milord Bolingbroke 4 est beaucoup plus profond, plus méthodique et plus fort . C'est l'histoire suivie et démontrée des dix-sept cents ans d'impostures . Le Militaire philosophe 5 , adressé au père Malebranche, est plus abstrait ; mais c'est une logique à laquelle il n'y a rien à répliquer . Les livres philosophiques sont actuellement sans nombre ; tout cela fait du bien sans doute ; mais un cordelier véhément qui prêche, qui confesse, et qui fait des enfants à ses dévotes, a plus de crédit sur le peuple que cent mille volumes bien écrits n'en ont sur les sots qui osent croire n'être pas peuple .
Un enthousiasme fanatique et fripon fait seul plus de mal que tous les sages ne peuvent faire du bien : voila le grand malheur . Les fous courent les rues et crient, les sages ferment leurs portes, soupent tranquillement avec leurs amis, et laissent crier les fous . Je souhaiterais aux sages un peu plus de chaleur .
Au reste vous voyez bien, mon cher ange, par la quantité prodigieuse de livres contre la prêtraille dont l'Europe est inondée, combien il est injuste de m'attribuer des ouvrages dont plus de la moitié est traduite de l'anglais .
L'indiscrétion de plusieurs gens de lettres de Paris, qui, sans croire me nuire, m'ont attribué des ouvrages qui me nuisent, ont eu l'imprudence la plus fatale . Ce sont de très mauvais conspirateurs : non seulement ils découvrent leur complices, mais ils en supposent d'imaginaires . Ils fournissent à leurs ennemis des armes contre leurs amis . L'auteur du Catéchumène 6 , par exemple, auteur que je connais très bien, a fait courir son ouvrage sous mon nom . Je vous avoue franchement que je ne veux être le martyr de personne . J'ai toujours respecté la religion de mon pays dans tous mes écrits . Je désavoue hautement tous ceux qu'on m'attribue, et j'aimerais mieux communier tous les huit jours dans ma paroisse que de ne pas mourir en paix .
Dites bien à Mme d'Argental, mon cher ange, combien je suis affligé que vous ne me parliez point d'elle dans vos lettres . Mais si sa santé est bonne, je vous pardonne .
Vous savez que je n'ai point vu Molé ; il serait venu inutilement, j’étais alors à la mort .
Adieu,mon très cher ange, portez-vous bien . Faites prospérer la tragédie de La Tolérance 7 , et tolérez le plus vieux de vos amis, qui vous chérira jusqu'à son dernier moment .
Vous pouvez m'écrire par Marin . Les lettres contresignées Chancelier ne sont jamais ouvertes .
Permettez que je vous parle un petit moment d'affaires temporelles . Croyez-vous qu'on rembourse les actions des particuliers sur la caisse d'escompte ? J'y ai mis la plus grande partie du bien libre qui me restait . J'ai donné tout le reste . Je serais très embarrassé . La finance serait-elle aussi dangereuse que la prêtraille ?
V.»
1 Édition Moland d'après un texte « communiqué par M. Stapfer. »
2 On ne peut donner formule plus concrète de la pensée religieuse de V* à cette époque .
3 Sur L'Imposture sacerdotale, voir lettre du 8 février 1768 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/09/16/m-6461722s-il-y-a-des-cas-ou-le-fond-doit-faire-taire-la-forme-c-est-assure.html
4 Sur L 'Examen de milord Bolingbroke, voir lettre du 30 septembre 1767 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/05/07/m-6441944.html
5 Sur Le Militaire philosophe, voir lettre du 18 novembre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/14/il-fait-une-tres-grande-impression-dans-tous-les-pays-ou-l-o-6447589.html
6 Bordes ; voir lettre du 1er mars 1768 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/10/11/je-ne-veux-pas-payer-pour-lui-6465393.html
7 Les Guèbres .
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22/10/2024
Il a fallu passer par les cérémonies ordinaires. Vous savez que je ne les crains pas, quoique je ne les aime point du tout ; mais il faut remplir ses devoirs de citoyen
... C'est ce qui mène nos ministres et sénateurs et députés, en gros tous les élus, à se montrer partout où il se passe quelque chose et aussi où il ne se passe rien d'autre que le dérangement apporté par leur présence, donner l'impression d'être utile à quelque chose, à l'écoute de quelqu'un, même à contrecoeur, puis rentrer chez eux satisfaits de leur activité .
« A Jean-François de La Harpe
Nostræ spes altéra scenæ 1,
Je suis très fâché que vous enterriez votre génie dans une traduction de Suétone 2, auteur, à mon gré, assez aride, et anecdotier très suspect. J’espère que vous ne direz pas dans vos remarques que vous renoncez à faire des vers, ainsi que l’a dit notre ami La Bletterie. Il est plaisant que La Bletterie s’imagine avoir fait des vers.
Voici un petit paquet pour votre Mercure 3. S’il me tombe quelque rogaton sous la main, je vous en ferai part, mais j’aimerais bien mieux que le Mercure eût à parler d’une nouvelle tragédie de votre façon : nous avons besoin de beaux vers beaucoup plus que de Suétone.
J’ai eu douze accès de fièvre. J’ai été sur le point de mourir, et je disais : « Le théâtre français est mort de son côté, si M. de La Harpe n’y met la main. » Il a fallu passer par les cérémonies ordinaires. Vous savez que je ne les crains pas, quoique je ne les aime point du tout ; mais il faut remplir ses devoirs de citoyen . Ceux de l’amitié me sont bien plus chers.
17è avril 1769. »
1 Nouvel espoir de notre scène. Virgile a dit, Ænéide XII, 168 : Spes altéra Romæ = un autre espoir de Rome .
2 Il s'agit de l'ouvrage intitulé Les douze Césars. Traduit du latin de Suétone, avec des notes et des réflexions, par M. de La Harpe, 1770
3 Le Mercure de mai 1769 contient, page 40, la lettre de Voltaire à de Belloy, du 31 mars 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/07/07/voila-un-genre-nouveau-dont-vous-serez-le-pere-on-en-avait-besoin-et-je-sui.html , la lettre du 21 juillet 1762 à Isaac Pinto : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/06/11/la-superstition-est-le-plus-abominable-fleau-de-la-terre-5953012.html
et, page 83, une partie de l’Êpître à Saint-Lambert : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome10.djvu/415
Voir la lettre de Dupuits à Marin citée dans la lettre du 27 mars 1769 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/09/26/le-public-est-d-opinion-qu-il-eut-du-faire-tout-le-contraire-6516273.html
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21/10/2024
Les charlatans de toute espèce me sont également odieux
... Des truands aux politiques, tous ont le verbe haut, leur but commun est de s'enrichir à nos dépens, et ça marche . De ces sales individus, les politiques sont les plus impardonnables . Benêts que nous sommes, croyant à la petite souris et au père Noël . Est-ce si difficile de les éliminer ?
« A Jacques Lacombe
Votre Mercure, monsieur, doit avoir un grand débit, ou les Welches sont bien dégoûtés. Je ne sais comment vous faites, M. de La Harpe et vous, pour donner tous les mois des choses instructives et amusantes . Je viens de retrouver la copie d'une lettre que j'écrivis il y a près d'un an à M. Walpol 1. J'imagine qu'elle pourra trouver place dans votre journal .
Je ne conçois pas comment vous n'avez point reçu le Siècle de Louis XIV qui était dans le même paquet que celui de M. de La Harpe . On en fait actuellement des éditions plus correctes . Celle de Genève fourmillait de fautes absurdes .
On m'attribue toujours dans le catalogue de vos livres je ne sais quelle Lettre au docteur Pansophe 2 . Je vous prie instamment de faire rayer cette annonce . Je serais très fâché d'être l'auteur de cette plaisanterie quatre fois trop longue ; et si je l'avais faite je ne la désavouerais pas . On sait assez quel est mon mépris pour Jean-Jacques. Les charlatans de toute espèce me sont également odieux . Comptez, je vous prie, par une raison contraire, sur l'estime et l'amitié de votre très humble et très obéissant serviteur
V.
17è avril 1769 à Ferney. »
1 Lettre du 15 juillet 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/02/23/those-gracious-kings-are-all-a-pack-of-rogues.html
2 A Letter to Mr. Jean-Jacques Rousseau, 1766 , plus connue sous le titre Lettre au docteur J.-J. Pansophe, publiée en avril 1766 ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Voltaire_%C3%A0_Jean-Jacques_Pansophe
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