Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/11/2024

Tout le monde est content à Paris ; il y a longtemps que cela n'était arrivé

... Si longtemps que l'on peut en venir à douter que le présent réjouisse vraiment les Parisiens, ou alors peut-être exceptionnellement seulement les Parisiennes en préparant la fumeuse/fameuse purée Mousline ? De nos jours, il faut savoir se contenter de petits riens .

maxresdefault.jpg

https://www.adforum.com/agency/17296/creative-work/346850...

 

 

 

« A Gabriel Cramer

Avril-mai 1769

Monsieur Cramer est prié de vouloir bien faire envoyer la feuille qui finit l'Histoire du Parlement 1 . Il ne s'agit que d'ajouter cinq ou six lignes , sur la sagesse et la clémence du roi, qui rétablit cette compagnie utile,laquelle a été quelquefois dangereuse .

Monsieur Cramer s'est-il souvenu d’une estampe qui doit représenter un guerrier assassinant à coups de poignard un autre guerrier désarmé, étendu à ses pieds, et deux ou trois hommes accourant inutilement avec indignation, horreur et pitié ? etc.

Tout le monde est content à Paris ; il y a longtemps que cela n'était arrivé . »

1 Un passage apportant ce complément fut en effet ajouté et devient le paragraphe final de l'Histoire du parlement de Paris . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_du_parlement/%C3%89dition_Garnier/Chapitre_68#cite_note-p110-1

02/11/2024

Cette petite méprise est corrigée dans les éditions nouvelles auxquelles on travaille actuellement

... Petit survol des travaux parlementaires où l'on peut constater que nos impôts paient des petites têtes d'où sortent des amendements en foule, allant des irrecevables aux discutés, des discutés aux rejetés, des rejetés aux stupides, des stupides aux inutiles . Pour preuve : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements?dos...

 

 

« Au Journal encyclopédique

L'auteur s'est servi d'un terme très impropre en disant que le comte régnant de la Lippe Schombourg n'avait point encore commandé de troupes, lorsqu'il se signala en 1762 dans la défense du Portugal 1. Il est vrai que sa campagne du Portugal n'en serait que plus glorieuse ; mais il fallait dire qu'il n'avait point encore été général d'armée . Cette petite méprise est corrigée dans les éditions nouvelles auxquelles on travaille actuellement .

A Ferney le 30 avril 1769.2 »

1 Précis du Siècle de Louis XV, chap. XXXV, où la correction sera effectivement appportée ; voir p. 371-372 : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_35

2 Ed. « Eclaircissement sur un passage de la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV et du Précis du siècle de Louis XVC, t. 1, p. 200 », Journal encyclopédique du 15 juin 1769, IV, iii, 466 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1523018j/f138.item

Voir aussi page 122 du Journal encyclopédique du 1er avril 1769 « Une erreur historique à réparer » : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15230085/f128.item

01/11/2024

Le fond de la nation est fou et absurde ; et, sans une vingtaine de grands hommes, je la regarderais comme la plus indigne des nations

... Je vise les USA, bien sûr .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

[30 avril 1769] 1

Voici, mon divin ange, ma réponse à Lekain et aux idées du tripot, dont quelques-unes sont bonnes, et d’autres très mauvaises. La vie est courte. J’attends avec impatience le manuscrit que je vous ai demandé.

Béni soit cependant le duc de Parme, béni soit le comte d’Aranda, béni soit le comte de Carvalho, qui a fait incarcérer l’évêque de Coïmbre, lequel évêque avait fourré mon nom, assez mal à propos, dans un mandement séditieux, s’en prenant à moi de ce que les yeux de l’Europe commençaient à s’ouvrir. Son mandement a été brûlé par monsieur le bourreau de Lisbonne ; mais à Paris la grand-chambre a fait brûler le poème de la Loi naturelle 2, l’ouvrage le plus patriotique et le plus véritablement pieux qu’ait notre poésie française. Cette bêtise barbare est digne de ceux qui ont voulu proscrire l’inoculation. Les Welches seront longtemps welches. Le fond de la nation est fou et absurde ; et, sans une vingtaine de grands hommes, je la regarderais comme la plus indigne 3 des nations.

Je tremble beaucoup pour le mari d’une très aimable femme que Mme Du Deffand appelle sa grand-maman 4, et que Mme Denis alla voir en revenant à Paris. J’ai peur qu’il n’y ait des changements qui vous seraient désagréables, et dont je serais extrêmement affligé. Cependant il faut s’attendre à tout, et être bien sûr de tout regarder avec des yeux philosophiques.

J’espère que mes anges seront toujours aussi heureux qu’ils méritent de l’être.

M. du Tillot 5 n’est-il pas toujours premier ministre de Parme ? mais n’a-t-il pas un autre nom et un autre titre ? »

1 Copie Beaumarchais-Kehl, datée « 1er mai 1769» ; l'éd. Kehl date du début de mai . La date est titrée de la première ligne qui se rapporte à la lettre du 30 avril à Lekain, et convient sans doute .

3 Ces deux mots sont biffés sur la copie Beaumarchais et remplacés par dernière , qu'imprimeront toutes les éditions .

4 Mme de Choiseul.

 

 

31/10/2024

On peut faire des applications malignes, mais il me semble qu’elles seraient bien forcées

... Bruno Retailleau dixit , avec approbation du RN pour une loi sur l'immigration ? et réticences possibles de la Constitution : https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/immigration-bruno-retailleau-devoile-son-projet-de-loi_6869015.html

images.jpg

 

 

 

« A Henri-Louis Lekain

30è avril 1769

On avait prévenu, il y a quinze jours, mon cher ami, le résultat que vous m’avez envoyé. Le jeune homme dont il est question donne de grandes espérances : car, ayant fait cet ouvrage avec une rapidité qui m’étonne, et n’ayant pas mis plus de douze jours à le 1 composer, il s’est fait la loi de l’oublier pendant quatre ou cinq mois, et de le retoucher ensuite de sang-froid avec autant de soin qu’il y avait mis d’abord de vivacité. Des raisons essentielles l’obligent à garder l’incognito. Je pense que plus il sera inconnu, plus il pourra vous être utile ; que la pièce 2 d’ailleurs me paraît sage, d’une morale très pure, et remplie de maximes qui doivent plaire à tous les honnêtes gens.

On peut faire des applications malignes, mais il me semble qu’elles seraient bien forcées. Le Tartuffe et Mahomet sont certainement susceptibles d’allusions plus dangereuses ; cependant on les représente souvent sans que personne en murmure.

L’intérêt que je prends au jeune auteur, et mon amour pour la tolérance, qui est en effet le sujet de la pièce, me font désirer passionnément que cette tragédie paraisse embellie par vos rares talents.

Si on s’obstinait à reconnaître l’Inquisition dans le tribunal des prêtres païens, je n’y vois ni aucun mal ni aucun danger. L’Inquisition a toujours été abhorrée en France. On vient de couper les griffes de ce monstre en Espagne et en Portugal. Le duc de Parme a donné à tous les souverains l’exemple de la détruire. Si les mauvais prêtres sont peints dans la pièce avec les traits qui leur conviennent, l’éloge des bons prêtres se trouve en plusieurs endroits.

Enfin le jugement de l’empereur, qui termine l’ouvrage, paraît dicté pour le bonheur du genre humain.

J’ai prié M. d’Argental 3, de la part de l’auteur, de me renvoyer votre manuscrit, sur lequel on porterait incontinent soixante ou quatre-vingts vers nouveaux qui me semblent fortifier cet ouvrage, augmenter l’intérêt, et rendre encore plus pure la saine morale qu’il renferme. Je renverrais le manuscrit sur-le-champ ; il n’y aurait pas un moment de perdu.

Je crois que, dans les circonstances présentes, il conviendrait que la pièce fût jouée sans délai, fût-ce dans le cœur de l’été. L’auteur ne demande point un grand nombre de représentations . Il ne veut point de rétribution ; il ne souhaite que le suffrage des connaisseurs et des gens de bien. Quand la pièce aura passé une fois à la police, elle restera à vos camarades, et la singularité du sujet pourra attirer toujours un grand concours.

J’ai mandé, autant qu’il m’en souvient, à M. et à Mme d’Argental tout ce que je vous écris. Je m’en rapporte entièrement à eux. Ils honorent l’ouvrage de leur approbation ; ils peuvent le favoriser, non-seulement par eux-mêmes, mais par leurs amis. On attend tout de leur bonté, de leur zèle, et de leur prudence.

Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher grand acteur, et je vous prie de seconder, de tout votre pouvoir, les bons offices de mes respectables amis 4

V.»

1 le et non la , de l'éd. Besterman .

2 La tragédie des Guèbres.

4   Dans quelques éditions, on trouve ici la première des Lettres à l’abbé Foucher, que nous [ Édition Garnier ]avons placées dans les Mélanges, page 431 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/439

30/10/2024

j’espère que vous serez content de ma politesse

... et des marchés juteux que l'on vient de signer ." dit Emmanuel Macron président de la République au commandeur des croyants Mohammed VI . A suivre ...

 

 

 

« A Paul Foucher 1

Monsieur,

Je suis un homme de lettres, et je n’ai jamais rien publié ; ainsi je suis aussi obscur que beaucoup de mes confrères qui ont écrit. Je suis à la campagne depuis quelques années, auprès d’un bon vieillard qui, en son temps, ne laissa pas d’écrire beaucoup, et qui cependant est fort connu. J’ai eu l’honneur de vivre familièrement avec le neveu de feu l’abbé Bazin qui répondit si poliment et si plaisamment 2 à M. Larcher, ce superbe ennemi de l’abbé Bazin. Permettez que j’aie aussi l’honneur de vous répondre. Je n’entends rien à la raillerie ; mais j’espère que vous serez content de ma politesse.

On m’a mandé, monsieur, que vous aviez bien maltraité le bon vieillard auprès de qui je cultive les lettres ; on dit que c’est dans le vingt-septième volume des Mémoires de l’Académie des belles-lettres, p. 331. Je n’ai point ce livre ; c’est à vous à voir, monsieur, si les paroles qu’on m’a rapportées sont les vôtres . Les voici .

« M. de Voltaire, par une méprise assez singulière, transforme en homme le titre du livre intitulé le Sadder. Zoroastre, dit-il, dans les écrits conservés par le Sadder, feint que Dieu lui fit voir l’enfer et les peines réservées aux méchants, etc. Je parierais bien que M. de Voltaire n’a jamais lu le Sadderetc.3 »

Permettez, monsieur, que je défende, devant vous et devant l’Académie des belles-lettres, la cause d’un homme hors de combat, qui ne peut se défendre lui-même. J’ai consulté le livre que vous citez, et que vous censurez. Le titre n’est pas Histoire universelle, comme vous le dites, mais Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nationsL’endroit que vous citez, et sur lequel vous offrez de parier, est à la page 63 de la nouvelle édition de 1761, tome Ier 4. Voici les propres paroles : « C’est dans ces dogmes qu’on trouve, ainsi que dans l’Inde, l’immortalité de l’âme et une autre vie heureuse ou malheureuse. C’est là qu’on voit expressément un enfer. Zoroastre, dans les écrits que le Sadder a rédigés 5, dit que Dieu lui fit voir cet enfer, et les peines réservées aux méchants », etc. 

Vous voyez bien, monsieur, que l’auteur n’a point dit, Zoroastre, dans les écrits conservés par Sadder. Vous concevez bien que le Sadder ne peut pas être un homme, mais un écrit. C’est ainsi qu’on dit, les choses annoncées par l’Ancien Testament, et prouvées par le Nouveau ; la destruction de Troie négligée par Homère, et connue par l’Enéide ; l’Iliade d’Homère abrégée par la traduction de La Mothe ; les Fables d’Esope embellies par les Fables de La Fontaine.

Vous voulez parier, monsieur, que ce pauvre bon homme, que vous traitez un peu durement, n’a jamais lu le Sadder. Je lui ai montré aujourd’hui la petite correction que vous lui faites, et votre offre de lui gagner son argent. « Hélas ! m’a-t-il dit, qu’il se garde bien de parier, il perdrait à coup sûr. Je me souviens avoir lu autrefois dans le Sadder, porte 32è : « Si quelque homme docte veut lire le livre de Vesta, il faut qu’il en apprenne les propres paroles, afin qu’il puisse citer juste. » C’est un excellent conseil que Le Sadder donne aux critiques.

« Le même Sadderporte 46, dit (autant qu’il m’en souvient) : « Il ne faut pas reprendre injustement et tromper les lecteurs  . C’est le péché d’Hamimal . Quand vous avez été coupable de ce péché, il faut faire excuse à votre adversaire ; car, si votre adversaire n’est pas content de vous, sachez que vous ne pourrez jamais passer, après votre mort, sur le pont aigu. Allez donc trouver votre adversaire que vous avez contristé mal à propos ; dites-lui : J’ai tort, je m’en repens ; sans quoi ; il n’y a point de salut pour vous. »

« Il faut encore, m’a dit ce bon vieillard, que M. l’abbé Foucher ait la bonté de lire les portes 57 et 58 ; il y verra que Dieu ordonne qu’on dise toujours la vérité. Je ne doute pas que M. l’abbé Foucher n’aime beaucoup la vérité. Il a bien dû concevoir qu’il est impossible que le Sadder signifie un homme, et non pas un livre. Les Italiens sont le seul peuple de la terre chez qui on accorde l’article le aux auteurs : Le Dante, le Pulci, le Boyardo, l’Arioste, le Tasse ; mais on n’a jamais dit chez les Latins, le Virgile, ni chez les Grecs, l’Homère 6; ni chez les Asiatiques, l’Esope ; ni chez les Indiens, le Brama ; ni chez les Persans, le Zoroastre ; ni chez les Chinois, le Confutzé. Il était donc impossible que Le Sadder signifiât un homme et non pas un livre. Il est donc nécessaire et décent que cette petite bévue de M. l’abbé Foucher soit corrigée, et qu’il ne tombe plus dans le péché d’Hamimal.

« Quant au pari qu’il veut faire. Il est vrai que Roquebrune, dans Le Romain comique, offre toujours de parier cent pistoles 7. Il est vrai que Montagne dit : « Il faut parier, afin que votre valet puisse vous dire au bout de l’année : Monsieur, vous avez perdu cent écus en vingt fois pour avoir été ignorant et opiniâtre. » Je ne crois point M. l’abbé Foucher ignorant, au contraire, on m’a dit qu’il était très savant. Je ne crois point non plus qu’il soit opiniâtre, et je ne veux lui gagner ni cent pistoles ni cent écus. »

Voilà, monsieur, mot pour mot, tout ce que m’a dit l’homme plus que septuagénaire, et fort près d’être octogénaire, que vous avez voulu contrister au mépris des lois du Sadder. Il n’est nullement fâché de votre méprise ; il vous aime beaucoup : j’en use de même, et c’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

30è Avril 1769 à Ferney.8»

1 Membre de l’Académie des belles-lettres. Cette lettre fut imprimée dans le Mercure. (G.Avenel.)

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Foucher_(%C3%A9rudit)

et : https://obtic.huma-num.fr/elicom/voltaire/doc.jsp?id=1769-04-30_49394

3 Citation de Fouché [Paul Foucher], « Les Ecrits de Zoroastre », Histoire de l'Académie royale aux inscription et belles-lettres, 1761, XXVII, 331.

5 En 1765, on lisait : « Zoroastre dans les écrits conservés par Sadder. » En 1761, Voltaire mit : « Dans les écrits abrégés dans le Sadder. » (Georges Avenel.)

Quoi qu'en dise V*, il est difficile d'admettre qu'un ouvrage puisse être dit avoir «  rédigé » des écrits .

6 On voit ici que les connaissances de V* en grec sont très superficielles, puisque , précisément, l'article s'emploie couramment en grec devant les noms de personnes .

7 Scarron, Le Roman comique, I, xvi : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6216939s.texteBrut

8 Copie par Wagnière ; édition « Copie de la lettre à M. l'abbé Foucher [etc.] », Mercure de France de juin 1769, p. 151-156 . Sur la copie on lit une signature ( peut-être De Bure ) biffée ; mais les lettres suivantes à Foucher seront signées de Bigex, et de même celle-ci dans toutes les éditions . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre...

29/10/2024

rien ne serait en effet plus plat et plus grossier que de dire en face à un homme : En dusses-tu crever

... Et pourtant ce serait justifié face à une foule de chefs d'Etats de Poutine à Ali Khamenei en passant par un Trump et cette flopée de tyranneaux de toutes obédiences qui terrorisent leurs peuples au nom d'un dieu, d'un prophète, mais surtout de leurs intérêts : puissiez-vous crever, et vite !

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

J’ai peur que mon ancien ami ne connaisse pas le tripot auquel il a affaire. Je ne crois pas qu’il y ait aucun de ces animaux-là à qui Dieu ait daigné donner le goût et le sens commun . Ils aiment d’ailleurs passionnément leur intérêt, et ne l’entendent point du tout. Il n’y en a point qui n’ait la rage de vouloir mettre du sien dans les choses qu’on lui confie. Ils ne jugent jamais de l’ensemble que par la partie qui les regarde, et dans laquelle ils croient pouvoir réussir.

De plus, le détestable goût d’un petit siècle qui a succédé à un grand siècle égare encore leur pauvre jugement. Le vieux vin de Falerne et de Cécube 1 ne se boit plus ; il faut la lie du vin plat de La Chaussée 2.

À propos de plat, rien ne serait en effet plus plat et plus grossier que de dire en face à un homme : En dusses-tu crever 3 ; mais le dire à un mort me paraît fort plaisant.

L’épître de M. de Rulhière est pleine d’esprit, de vérité, de gaieté, et de vers charmants ; elle mérite d’être parfaite. Je lui écris ce que j’en pense 4.

Je vous embrasse.

V.

28è avril 1769. 5»

1 Le vin de Cécube, en Campanie, est célébré par Horace dans ses Satires, II, vii, 15 : « Le connaisseur qui sait par quel art on allie / Le sorrente au cécube encore sur sa lie, ...»

Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Satires_(Horace,_Raoul)/Texte_entier#SATIRE_VII._2

3 Dans son Épître à Boileau ,vers 125 : https://www.whitman.edu/VSA/poems/Boileau.epitre.html

Voltaire dit :

En dusses-tu crever, j’embrasserai Quinault.

5 Original ; les trois derniers mots et l’initiale autographes ; édition Kehl.

pour comble de honte, il se croit obligé de s’allier avec les Turcs

... Poutine est fier d'attirer Erdogan;  entre dictateurs faux jetons l'entente est cordiale, le plus pourri des deux est difficile à distinguer ; au fond la trouille les mène : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/22/l...

 

 

« A Gabriel-Henri Gaillard

À Ferney, 28è avril 1769

Je vous assure, monsieur, qu’un vaisseau arrive plus vite de Moka à Marseille que votre Siècle de François Ier 1 n’est arrivé de Paris à Ferney. Mon gendre Dupuits l’avait laissé à Paris ; je ne l’ai eu que depuis huit jours. Grand merci de m’avoir fait passer une semaine si agréable. Vous m’avez instruit et vous m’avez amusé : ce sont deux grands services que vous m’avez rendus.

Je n’aime guère François Ier, mais j’aime fort votre style, vos recherches, et surtout votre esprit de tolérance. Vous avez beau dire et beau faire, Charles-Quint n’a jamais brûlé de luthériens à petit feu ; on ne les a pas guindés au haut d’une perche en sa présence, pour les descendre à plusieurs reprises dans le bûcher, et pour leur faire savourer pendant cinq ou six heures les délices du martyre. Charles-Quint n’a jamais dit que, si son fils ne croyait pas la transsubstantiation, il ne manquerait pas de le faire brûler, pour l’édification de son peuple. Je ne vois guère dans François Ier que des actions ou injustes, ou honteuses, ou folles. Rien n’est plus injuste que le procès intenté au connétable 2, qui s’en vengea si bien, et que le supplice de Semblançay 3, qui ne fut vengé par personne. L’atrocité et la bêtise d’accuser un pauvre chimiste italien d’avoir empoisonné le dauphin son maître, à l’instigation de Charles-Quint, doit couvrir François Ier d’une honte éternelle. Il ne sera jamais honorable d’avoir envoyé ses deux enfants en Espagne, pour avoir le loisir de violer sa parole en France.

Quelques pensions données et mal payées à des pédants du Collège royal ne compensent point tant d’actions odieuses . Toutes ses guerres en Italie sont conduites avec démence. Point d’argent, point de plan de campagne ; son royaume est toujours exposé à la destruction ; et, pour comble de honte, il se croit obligé de s’allier avec les Turcs, dans le temps que Charles-Quint délivre dix-huit mille captifs chrétiens des mains de ces mêmes Turcs. En un mot, vous me paraissez meilleur historien que l’amant de la Pisseleu 4 ne me paraît un grand roi. Ce n’est pas que je sois enthousiasmé de son prédécesseur Louis XII, encore moins de Charles VIII. J’ai la consolation d’abhorrer Louis XI, de ne faire nul cas de Charles VII. Il est triste que la nation n’ait pas mis Charles VI aux Petites-Maisons. Charles V du moins était assez adroit ; mais il y a un intervalle immense entre lui et un grand homme. Enfin, depuis saint Louis jusqu’à Henri IV, je ne vois rien ; aussi les recueils de l’histoire de France ennuient-ils toutes les nations, ainsi que moi . David Hume a eu un très grand avantage sur l’abbé Velly 5 et consorts, c’est qu’il a écrit l’histoire des Anglais, et qu’en France on n’a jamais écrit l’histoire des Français. Il n’y a point de gros laboureur en Angleterre qui n’ait la grande charte chez lui, et qui ne connaisse très bien la constitution de l’État. Pour notre histoire, elle est composée de tracasseries de cour, de grandes batailles perdues, de petits combats gagnés, et de lettres de cachet. Sans cinq ou six assassinats célèbres, et surtout sans la Saint-Barthélémy, il n’y aurait rien de si insipide. Remarquez encore, s’il vous plaît, que nous sommes venus les derniers en tout ; que nous n’avons jamais rien inventé ; et qu’enfin, à dire la vérité, nous n’existons aux yeux de l’Europe que dans le siècle de Louis XIV. J’en suis fâché, mais la chose est ainsi. Convenez-en de bonne foi, comme je conviens que vous faites honneur au siècle de Louis XV, et que vous êtes savant, exact, sage, et éloquent. Croyez que mon estime pour vous est égale à mon mépris pour la plupart des choses ; c’était à vous à faire le Siècle de Louis XIV. Une édition nouvelle de ce Siècle unique paraîtra bientôt. J’ai eu soin de corriger les bévues de l’imprimeur et les miennes ; mais, comme je ne revois point les épreuves, il y aura toujours quelques fautes . Je me donne actuellement du bon temps, attendu que j’ai été à la mort il y a quinze jours. Comptez que je vous estimerai, que je vous aimerai jusqu’à ce que j’aille embrasser Quinault et le Tasse, à la barbe de Nicolas Boileau. »

2 Le connétable Charles III, duc de Bourbon : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_III_de_Bourbon

3 Jacques de Beaune, baron de Semblançay . François Ier ne fut en rien responsable de sa mort . C'est la reine mère, Louise de Savoie qui, pendant l'absence du roi, lui fit faire son procès pour péculat et le fit pendre . Il fut réhabilité, et son fils rétabli dans tous ses biens . Marot écrit sur sa mort une pièce que V* considère comme le « chef d’œuvre de l'épigramme sérieuse ; »

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_de_Beaune

et : https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1895_num_56_1_447822

4 Anne de Pisseleu a été la favorite de François Ier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_de_Pisseleu