10/12/2024
Le gouvernement nous doit toute sa protection : c’est un crime de lèse-humanité de gêner nos travaux ... c’est nous qui les payons, et que c’est nous qui les faisons vivre
... Rappel juste de nos paysans à un gouvernement qui a du mal à agir justement pour que ceux qui nous nourrissent ne périssent pas . Je leur suggère de le proclamer sur leurs banderoles plutôt que de brûler des pneus ; le poids des mots ...
Nos ministres n'arrivent pas à la cheville du Patriarche dans la réalisation des actes après avoir parlé ; lui , excellait dans les deux domaines de la parole et de l'action , il n'était pas un bureaucrate obtus . Quelque soit le/la ministre de l'Agriculture à venir, qu'il/elle s'inspire de Voltaire bâtisseur et paysan .
« A Pierre-Samuel Dupont de Nemours etc.
chez monsieur Lacombe Libraire
rue Christine
à Paris 1
A Ferney 7 juin 1769 2
Monsieur,
Vous donnez à M. de Saint-Lambert les éloges 3 qu’il a droit d’attendre d’un vrai citoyen et d’un écrivain tel que vous.
Vous ne ressemblez pas à celui qui fournit des nouvelles de Paris à la gazette suisse et qui en dernier lieu, parmi une foule d’erreurs injurieuses au gouvernement, à la réputation des particuliers, et à l’honneur des lettres, a mandé 4 que le poème français des Saisons est inférieur au poème anglais de Thompson ; s’il m’appartenait de décider, je donnerais sans difficulté la préférence à M. de Saint-Lambert. Il me paraît non seulement plus agréable, mais plus utile . L’Anglais décrit les saisons, et le Français dit ce qu’il faut faire dans chacune d’elles. Ses tableaux m’ont paru plus touchants et plus riants : je compte encore pour beaucoup la difficulté des rimes surmontée. Les vers blancs sont si aisés à faire, qu’à peine ce genre a-t-il du mérite . L’auteur alors, pour se sauver de la médiocrité et de la langueur prosaïque, est obligé d’employer souvent des idées et des expressions gigantesques par lesquelles il croit suppléer à l’harmonie qui lui manque.
Despréaux recommandait, dans le grand siècle des arts, qu’on polît un écrit.
Qui dit, sans s’avilir, les plus petites choses,
Fit des plus secs chardons des œillets et des roses ?
Et sut, même aux discours de la rusticité,
Donner de l’élégance et de la dignité.5
Je pense que M. de Saint-Lambert a pleinement exécuté ce précepte. Peut-on exprimer avec plus de justesse et de noblesse à la fois l’action du laboureur ?
Et le soc, enfoncé dans un terrain docile,
Sous ses robustes mains ouvre un sillon fertile. 6
Voyez comme il peint, auprès de ses brebis et de son chien,
La naïve bergère, assise au coin d’un bois,
Et roulant le fuseau qui tourne sous ses doigts.7
Comme toutes ces peintures, si vraies et si riantes, sont encore relevées par la comparaison des travaux champêtres avec le luxe et l’oisiveté des villes !
Tandis que sous un dais la Mollesse assoupie.
Traîne les longs moments d’une inutile vie 8.
Thompson, que d’ailleurs j’estime beaucoup, a-t-il rien de comparable ?
Je ne sais même s’il est possible qu’un habitant du nord puisse jamais chanter les saisons aussi bien qu’un homme né dans des climats plus heureux. Le sujet manque à un Écossais tel que Thompson ; il n’a pas la même nature à peindre. La vendange chantée par Théocrite, par Virgile, origine joyeuse des premières fêtes et des premiers spectacles, est inconnue aux habitants du cinquante-quatrième degré. Ils cueillent tristement de misérables pommes sans goût et sans saveur, tandis que nous voyons sous nos fenêtres cent filles et cent garçons danser autour des chars qu’ils ont chargés de raisins délicieux : aussi Thompson n’a pas osé toucher à ce sujet, dont M. de Saint-Lambert a fait de si agréables peintures.
Un grand avantage de notre poète philosophe, c’est d’avoir moins parlé aux simples cultivateurs qu’aux seigneurs des terres qui vivent dans leurs domaines, qui peuvent enrichir leurs vassaux, encourager leurs mariages, et être heureux du bonheur d’autrui loin de l’insolente rapacité des oppresseurs : il s’élève contre ces oppresseurs avec une liberté et un courage respectables.
Je sais bien qu’il y a des âmes aussi basses que jalouses qui pourront me reprocher de rendre à M. de Saint-Lambert éloges pour éloges 9, et de faire avec lui trafic d’amour-propre. Je leur déclare que je ne saurais l’en estimer moins, quoiqu’il m’ait loué : je crois me connaître en vers mieux qu’eux ; je suis sûr d’être plus juste qu’eux. Je raie les louanges qu’il a daigné me donner, et je n’en vois que mieux son mérite.
Je regarde son ouvrage comme une réparation d’honneur que le siècle présent fait au grand siècle passé, pour la vogue donnée pendant quelque temps à tant d’écrits barbares, à tant de paradoxes absurdes, à tant de systèmes impertinents, à ces romans politiques, à ces prétendus romans moraux dont la grossièreté, l’insolence et le ridicule étaient la seule morale, et qui seront bientôt oubliés pour jamais.
Permettez-moi, monsieur, de vous parler à présent de la réflexion que vous faites sur les chaumières des laboureurs, sur ces cabanes, sur ces asiles du pauvre 10. Vous condamnez ces expressions dans le poème des Saisons, que vous estimez d’ailleurs autant que moi.
Vous dites, avec très grande raison, qu’une cabane ne peut pas être le logement d’un agriculteur considérable, qu’il faut des écuries commodes, des étables faites avec soin, des granges vastes et solides, des laiteries voûtées et fraîches, etc.
Oui, sans doute, monsieur, et personne n’est entré mieux que vous dans le détail de l’exploitation rurale . Personne n’a mieux fait sentir combien un laboureur doit être cher à l’État. J’ai l’honneur d’être laboureur, et je vous remercie du bien que vous dites de nous ; mais, puisqu’il s’agit ici de fermiers comparez, je vous prie, les hôtels des fermiers-généraux du bail de 1725 avec les logements de nos fermiers de campagne, et vous verrez que les termes de chaumière, de cabane, ne sont que trop convenables . Les logements des plus gros laboureurs en Picardie et dans d’autres provinces ont des toits de chaume.
Rien n’est plus beau, à mon gré, qu’une vaste maison rustique dans laquelle entrent et sortent, par quatre grandes portes cochères, des chariots chargés de toutes les dépouilles de la campagne . Les colonnes de chêne qui soutiennent toute la charpente sont placées à des distances égales sur des socles de roche ; de longues écuries règnent à droite et à gauche. Cinquante vaches proprement tenues occupent un côté avec leurs génisses, les chevaux et les bœufs sont de l’autre ; leur pâture tombe dans leurs crèches du haut de greniers immenses ; les granges où l’on bat les grains sont au milieu ; et vous savez que tous les animaux, logés chacun à leur place dans ce grand édifice, sentent très bien que le fourrage, l’avoine qu’il renferme, leur appartient de droit.
Au midi de ces beaux monuments d’agriculture sont les basses-cours et les bergeries ; au nord sont les pressoirs, les celliers, la fruiterie ; au levant, les logements du régisseur et de trente domestiques ; au couchant s’étendent les grandes prairies pâturées et engraissées par tous ces animaux, compagnons du travail de l’homme.
Les arbres du verger, chargés de fruits à noyaux et à pépins, sont encore une autre richesse. Quatre ou cinq cents ruches sont établies auprès d’un petit ruisseau qui arrose ce verger . Les abeilles donnent au possesseur une récolte considérable de miel et de cire, sans qu’il s’embarrasse de toutes les fables qu’on a débitées sur ce peuple industrieux, sans rechercher très vainement si cette nation vit sous les lois d’une prétendue reine qui se fait faire soixante à quatre-vingt mille enfants par ses sujets.
Il [y] a des allées de mûriers à perte de vue ; les feuilles nourrissent ces vers précieux qui ne sont pas moins utiles que les abeilles.
Une partie de cette vaste enceinte est fermée par un rempart impénétrable d’aubépine proprement taillée, qui réjouit l’odorat et la vue.
La cour et les basses-cours ont d’assez hautes murailles.
Telle doit être une bonne métairie ; il en est quelques-unes dans ce goût vers les frontières que j’habite ; et je vous avouerai même sans vanité que la mienne ressemble en quelque chose à celle que je viens de vous dépeindre ; mais, de bonne foi, y en a-t-il beaucoup de pareilles en France ?
Vous savez bien que le nombre des pauvres laboureurs et des métayers, qui ne connaissent que la petite culture, surpasse des deux tiers au moins le nombre des laboureurs riches que la grande culture occupe.
J’ai dans mon voisinage des camarades qui fatiguent un terrain ingrat avec quatre bœufs, et qui n’ont que deux vaches : il y en a dans toutes les provinces qui ne sont pas plus riches. Soyez très sûr que leurs maisons et leurs granges sont de véritables chaumières où habite la pauvreté : il est impossible qu’au bout de l’année ils aient de quoi réparer leurs misérables asiles ; car, après avoir payé tous les impôts, il faut qu’ils donnent encore à leurs curés la dîme du produit clair et net de leurs champs ; et ce qui est appelé dîme très improprement est réellement le quart de ce que la culture a coûté à ces infortunés.
Cependant, quand un paysan trouve un seigneur qui le met en état d’avoir quatre bœufs et deux vaches, il croit avoir fait une grande fortune : en effet il a de quoi vivre, et rien au-delà ; c’est beaucoup pour lui et pour sa famille ; et cette famille connaît encore la joie ; elle chante dans les beaux jours et dans les temps de récolte.
Ne sachons donc pas mauvais gré, monsieur, à l’aimable auteur des Saisons d’avoir parlé des chaumières de mes camarades les laboureurs. Il est certain qu’ils seraient tous plus à leur aise, si les seigneurs habitaient leurs terres neuf mois de l’année, comme en Angleterre ; non-seulement alors les possesseurs des grands domaines feraient quelquefois du bien par générosité à ceux qui souffrent, mais ils en feraient toujours par nécessité à ceux qu’ils feraient travailler. Quiconque emploie utilement les bras des hommes rend service à la patrie.
Je sais bien qu’il y a plus de deux cent mille âmes à Paris qui s’embarrassent fort peu de nos travaux champêtres. De jeunes dames, soupant avec leurs amants au sortir de l’Opéra-Comique, ne s’informent guère si la culture de la terre est en honneur ; et beaucoup de bourgeois qui se croient de bonnes têtes dans leur quartier pensent que tout va bien dans l’univers, pourvu que les rentes sur l’Hôtel-de-Ville soient payées . Ils ne songent pas que c’est nous qui les payons, et que c’est nous qui les faisons vivre.
Le gouvernement nous doit toute sa protection : c’est un crime de lèse-humanité de gêner nos travaux, c’est est un de nous condamner encore, dans certains temps de l’année 11, à une honteuse et funeste oisiveté deux ou trois jours de suite . On nous oblige de refuser, après midi, à la terre, les soins qu’elle nous demande, après que nous avons rendu le matin nos hommages au ciel ; on encourage nos manœuvres à perdre leur raison et leur santé dans un cabaret, au lieu de mériter leur subsistance par un travail utile. Cet horrible abus a été réformé en partie ; mais il ne l’a pas été assez . Eh ! qui peut réformer tout ?
Est quadam prodire tenus, si non datur ultra.12
Je n’en dirai pas davantage, monsieur, sur des sujets que vous et vos associés avez si bien approfondis pour l’avantage du genre humain.
J'ai l'honneur d'être. »
1 Une seconde adresse a été ajoutée d'une autre main : Rue Saint-Jacques / vis-à-vis les dames de la Visitation.
2 Original, date olographe, intitulé par V* « Lettre à l'auteur des Éphémérides du citoyen, sur le poème des Saisons » ; édition « Lettre de M. de Voltaire à l'auteur des Éphémérides du citoyen sur le poème des Saisons », Mercure de France, juillet 1769, II, 135-144.
Cette lettre était manifestement destinée à être imprimée dans les Éphémérides du citoyen, et non dans le Mercure . Mais ainsi qu'on le sait par une tardive réponse de Dupont de Nemours du 1er septembre, V* a envoyé sa lettre à Dupont de Nemours par l'intermédiaire de Lacombe qui était chargé de diffuser les Éphémérides . Celui-ci qui était en même temps directeur du Mercure détourné la publication au profit de ce dernier journal .
3 Un compte-rendu considérable des Saisons a été publié dans les Éphémérides, t. III, 133-158, IV, 87-134 et V, 169-189 , en 1769
4 Dans les Nouvelles de divers endroits, 22 avril 1769 .
5 Boileau, L'Art poétique, IV, 49-52
6 Les Saisons, I, 121-122 ; il faut lire facile au lieu de fertile .
7 Ibid. I, 147-148 .
8 Ibid. 118-118 .
9 Au livre IV des Saisons, sous prétexte de chanter les charmes de l'hiver, Saint-Lambert fait l'éloge de V* auteur tragique :
Que j'ai versé de pleurs sur la mort de Zaïre,
Mais ces pleurs étaient doux, le plaisir d'admirer,
Autant que la pitié, me forçait de pleurer
Ô spectacles divins, écoles respectables [...]
10 Les Saisons, II, 81 .
11 Dans quelques éditions, on lit ici en note : « Voltaire avait écrit dès 1761 à Clément XIII, afin que le pontife lui permît, par une bulle spéciale, de cultiver la terre les jours de fête sans être damné. » (G.Avenel.)
V* développa ce thème dans la Requête à tous les magistrats du royaume, 1770 . voir aussi lettre du 27 juillet 1769 à Christin : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7611
12 Horace, Épîtres, I, i, 32 . Trad. : C'est quelque chose de s'avancer jusqu'à un certain point, même si on ne peut aller au delà.
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09/12/2024
Je vais vous apprendre une autre nouvelle que je reçois dans le moment de M. le cardinal
... François Bustillo et je vous en fais part : "Cassez vos tirelires, le show papal nécessite votre effort financier, et rassurez-vous c'est moins cher que celui de Katy Perry, alléluia !" [Pour la rime, mon père ajoutait "les choux sont gras !"] Attendons-nous à une hausse du prix du brocciu et des figatelli .
D'un François franciscain pour un François jésuite :
« A François de Caire,
Chevalier de Saint-Louis, Ingénieur en
chef, etc.
à Versoix.
En vous remerciant, monsieur, d'avoir si bien justifié ma prophétie . Je fis mon compliment le 24 mai à M. le duc de Choiseul de la prise de Corte ; de sorte que ma nouvelle est arrivée à Versailles longtemps avant M. de Beauharel . Je suis bien fâché que Mme la duchesse ne se soit pas trouvée à Versailles à l'arrivée du gendre de M. le comte de Vaux . Elle était à Chanteloup .
Je vais vous apprendre une autre nouvelle que je reçois dans le moment de M. le cardinal de Bernis ; c'est le roi qui a nommé le pape, c'est lui qui lui a donné un secrétaire d’État, c'est lui qui a nommé les principales charges de la nouvelle cour romaine . M. le cardinal de Bernis reste dans le pays où il a tout fait .
Mille tendres respects à vous, monsieur,et à Mme de Caire .
V.
Mardi au soir 6è juin 1769 à Ferney. »
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Et les chiens, s’engraisseront De ce sang, qu’ils lécheront
... Avenir redoutable de la Syrie où l'on chasse la peste pour y faire régner le choléra . Je trouve insensé les messages d'encouragement et même de félicitations à ces rebelles qui sont il est vrai préférables que le dictateur meurtrier Bachar al-Assad ; il est vrai aussi que chasser un pourri parait toujours le meilleur acte, mais gouverner pacifiquement me parait hors de portée à ces hommes en armes qui rêvent de vengeance , des islamistes durs . J'aimerais me tromper .
Cours Bachar, cours ! tu dois payer, tu vas payer !
« A Louise-Florence -Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay
Je ne puis dire autre chose à ma philosophe que ce que j’écris à mon philosophe d’Alembert. Je voudrais que tous ceux qui pensent pussent faire un peuple à part, et n’eussent jamais rien de commun avec la canaille idiote, fanatique, persécutante, fourbe, atroce, ennemie du genre humain.
Je suis bien malade, madame, et d’une faiblesse extrême. Un homme tel que M. le comte de Schomberg sera ma consolation . Je n’ai pas tous les jours de pareilles aubaines. Loin de gêner un pauvre malade, il lui fera oublier tous ses maux.
Puisque les lettres au prophète de Bohême 1 sont exactement rendues à ma philosophe, on ne manquera pas d’adresser quelques paquets à M. de Fontaine.
Mille tendres respects.
Et les chiens, s’engraisseront
De ce sang, qu’ils lécheront 2.
4è juin 1769.»
1 Friedrich Melchior Grimm ; voir : https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb119059298
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/362-frederic-grimm
2 C’est le refrain que chante David dans Saul, acte IV. scène v ; https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome5.djvu/613
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08/12/2024
J’ai agi en citoyen,... et je braverai les scélérats persécuteurs jusqu’à mon dernier moment
... Réponse du président à tous ceux -type libres penseurs, LFI - qui lui reprochent de n'être pas assez laïc alors qu'il vient de faire plus pour la France et les relations internationales en un seul jour à l'Elysée et Notre-Dame, qu'eux en des années .
le sort de la guerre est en jeu
« A Jean Le Rond d'Alembert
4 de juin [1769] 1
Mon très cher philosophe, je crois connaître beaucoup M. de Schomberg, quoique je ne l’aie jamais vu ; je sais que c’est un homme de tous les pays, qui aime la vérité, et qui la dit hardiment. S’il passe dans mes déserts, il faut qu’il regarde ma maison comme la sienne, il en sera le maître ; j’aurai l’honneur de le voir dans les moments de liberté que mes souffrances continuelles pourront me donner. C’est ainsi qu’en usaient avec moi les philosophes espagnols duc de Villa-Hermosa et comte de Mora 2. Un être véritablement pensant me console de ma vieillesse, de mes maladies, des fripons et des sots. Vous n’avez pu recevoir encore, par M. de Rochefort, un paquet que je lui donnai pour vous, il y a environ trois semaines ; il contient un petit livre 3 d’un jeune homme nommé La Bastide, et dans ce livre étrange il y a une plus étrange lettre 4 que vous adresse un citoyen de Genève. L’auteur vous y prie de vouloir bien établir le déisme sur les ruines de la superstition. Il s’imagine qu’un citoyen de Paris, quand il est supérieur par son esprit à sa nation, peut changer sa nation. Il ne sait pas qu’un capucin prêchant à Saint-Roch a plus de crédit sur le peuple que tous les gens de bon sens n’en auront jamais. Il ne sait pas que les philosophes ne sont faits que pour être persécutés par les cuistres et par les sous-tyrans.
Le marquis d’Argence de Dirac, et non pas le prétendu marquis d’Argens Boyer, n’a pas trop bien fait d’imprimer la lettre à M. le comte de Périgord 5 ; mais il faut que vous sachiez que Patouillet est l’archevêque d’Auch. Son archevêché vaut cinquante mille écus de rente, et par conséquent lui donne un très grand crédit dans la province, tout imbécile qu’il est. Il avait donné un mandement scandaleux 6 quand son voisin, le marquis d’Argence, écrivit cette lettre. Ce fut Patouillet qui aida à faire contre moi ce mandement, qui fut brûlé par le parlement de Bordeaux et par celui de Toulouse, ainsi qu’une lettre du grand Pompignan, évêque du Puy. Vous ne savez pas, vous autres Parisiens, combien de cuistres en mitre, en robe, en bonnet carré, se sont ligués dans les provinces contre le sens commun. Ce Nonnotte, dont le nom seul est un ridicule, est un prédicateur fanatique, un monstre capable de tout. Il écrivit lettre sur lettre au pape Rezzonico contre moi, et en obtint un bref que j’ai entre les mains. L’évêque d’Annecy, soi-disant prince de Genève, cousin germain du maçon qui bâtit actuellement ma grange, a voulu non-seulement me damner dans l’autre monde, mais me perdre dans celui-ci. Il m’a calomnié auprès du roi ; il a conjuré Sa Majesté très chrétienne de me chasser de la terre que je défriche ; il a employé contre moi sa truelle, sa croix, sa crosse, sa plume, et tout l’excès de son absurde méchanceté. C’est le calomniateur le plus bête qui soit dans l’Église de Dieu. Je n’ai pu le chasser d’Annecy comme les Genevois ont chassé ses prédécesseurs de Genève, parce que je n’ai pas douze mille hommes à mon service. Je n’ai pu combattre l’excès de son insolence et de sa bêtise qu’avec les armes défensives dont je me suis servi. Je n’ai fait 7 que ce qui m’a été conseillé par deux avocats, et par un magistrat très accrédité du parlement de Dijon, dans le ressort duquel je suis. En un mot, on ne me traitera pas comme le chevalier de La Barre. J’ai agi en citoyen, en sujet du roi, qui doit être de la religion de son prince, et je braverai les scélérats persécuteurs jusqu’à mon dernier moment.
Je vous ai demandé, mon cher ami, mon cher philosophe, si vous travailliez en effet à la nouvelle Encyclopédie 8. Les éditeurs de Paris ont paru craindre un rival dans un apostat italien nommé Felice 9. C’est un polisson plus imposteur encore qu’apostat, qui demeure dans un cloaque du pays de Vaud. Ce fripon, qui a été prêtre autrefois, et qui en était digne, qui ne sait ni le français ni l’italien, prétend qu’il a quatre mille souscriptions, et il n’en a pas une seule ; il veut tromper Panckoucke. J’ai peur que la librairie ne soit devenue un brigandage ; pour la philosophie, elle n’est qu’une esclave. Vous êtes né avec le génie le plus mâle et le plus ferme : mais vous n’êtes libre qu’avec vos amis, quand les portes sont fermées.
Nous avons heureusement un chancelier 10 plein d’esprit, de raison et d’indulgence : c’est un trésor que Dieu nous a envoyé dans nos malheurs. Il faudrait qu’il s’en rapportât à M. Marin pour les affaires de la librairie : il peut rendre beaucoup de services à la littérature. Il faudrait que Marin fût un jour de l’Académie, et qu’il succédât à quelque cuistre à rabat pour purifier la place.
Je vous renvoie à la lettre que M. de Rochefort doit vous rendre, pour que [vous] soyez instruit des petites friponneries ecclésiastiques qui sont en usage depuis plus de dix-sept cents ans 11.
Adieu, mon cher philosophe ; je secoue la fange dont je suis entouré, et je me lave dans les eaux d’Hippocrène pour vous embrasser avec des mains pures. »
1 Ed. Kehl incomplète de la référence à Biord et du paragraphe relatif à Marin l’ennemi de Beaumarchais . On a suivi le texte de l'édition Renouard.
2 Sur Villa-Hermosa et sur José Pignatelli y Gonzaga marquis de Mora, voir lettre du 15 avril 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/16/6519171si-je-me-suis-trompe-dans-quelques-occasions-j-ai-droit-de-m-adresse.html
3 Peut-être les Réflexions importantes et apologiques sur le nouveau commentaire du discours de M. l'abbé Fleury, qui parurent effectivement sous le nom de Pierre Chiniac de La Bastide en 1766 . Voir : https://data.bnf.fr/fr/see_all_activities/12145112/page1
4 Sur cette lettre de Mallet, voir lettre à d'Alembert du 24 mai 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/11/29/on-dit-que-nous-aurons-bientot-des-choses-tres-curieuses-qui-6525103.html
5 Il est déjà question de cette lettre de d’Argence à M. le comte de Périgord dans celle à d’Argence lui-même, du 8 décembre 1766 ; voir https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome44.djvu/536
6Sur ce mandement de l'évêque d'Auch voir lettre du 2 avril 1764 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/05/06/chacun-donne-sur-les-oreilles-de-son-voisin-qui-le-lui-rend-du-plus-grand-c.html
Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/479
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/164
7 Il parle de sa communion.
8 V* a fait cette demande dans la lettre du 24 mai 1769 à d’Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/11/29/on-dit-que-nous-aurons-bientot-des-choses-tres-curieuses-qui-6525103.html
9 Fortunato Bartholomeo de Felice, né à Rome le 24 août 1723, est mort le 7 février 1789. Son Encyclopédie d'Yverdon est en cinquante-huit volumes in-4°, savoir, quarante-deux volumes publiés de 1770 à 1775 ; six volumes de supplément, de 1775 et 1776 ; dix volumes de planches, de 1775 à 1780. Sur les rivalités des deux éditeurs, voir les Nouvelles de divers endroits du 12 avril 1769 (supplément), 19 avril, 14 mai (supplément,t), 12 juillet 1769.
10 Le chancelier Maupéou, nommé le 16 septembre 1768, sur la démission de son père. Voir note 1 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome16.djvu/117
11 V* a sans doute joint le Cri des Nations ; voir lettre du 24 mai 1769 à d’Alembert, et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/573
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07/12/2024
Leur affaire va bien, il n'y a que des longueurs à craindre
... La Gauche espère tenir le bon bout, bien que Macron soit loin de chanter "Plus j'en vois , plus je l'aime !" : https://information.tv5monde.com/international/valse-de-consultations-lelysee-le-ps-souvre-mais-veut-un-premier-ministre-de-gauche
« A Jean-François de Saint-Lambert
A Ferney 2è juin 1769 1
J'ai été réellement à la mort, j'ai été vexé par un évêque . Ces deux petites tracasseries m'ont empêché d'écrire à mon Tibulle, et encore ne sais-je si Tibulle aurait fait le poème des Saisons . Plus je le relis, plus je suis enchanté . Plus j'en bois, cousin, plus je l'aime 2 . Je suis indigné que l'on vous compare Thompson . Ah mon Dieu quelle différence ! […] pénétré de tout ce que vous avez bien voulu faire en faveur des Sirven . Leur affaire va bien, il n'y a que des longueurs à craindre . J'espère pourtant que je vivrai assez pour voir la fin de cette affaire .
Recevez mes très tendres remerciements . Il me semble que je devrais bien en faire aussi à M. le prince de Beauvau de ce qu'il a […] votre […]. »
1 Original (comte Foy, Champagne ) ; seule la moitié supérieure d'une feuille a survécu .
2 Allusion à une chanson du temps : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5503121n/f523
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Le Calice est fort joli
... Mais pas que ..." : paroles de président en mal d'idées claires et originales ? Excusable car distrait par la nomination d'un premier ministre sans doute, et la contrainte de jouer les béni-oui-oui avec ses invités qu'on ne sera pas fâché de voir repartir au plus tôt .
Simple et de bon goût
« A Charles-Frédéric-Gabriel Christin
L'ermite de Ferney qui est bien fâché de ne pas dire ses prières avec son cher petit philosophe, lui envoie la médaille qu'il veut bien mettre dans son cabinet .
Voici un petit mémoire 1 sur lequel on demande l'avis du très équitable philosophe .
Le Calice est fort joli . On demande à Rosset deux flambeaux dans le même goût .
J'embrasse mon cher jurisconsulte de tout mon cœur.
V.
A Ferney 2è juin 1769. »
1 Probablement la Lettre à l'évêque d'Annecy (vers le 15 juin 1769 ) et voir lettre à d'Alembert du 4 juin 1769 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/08/correspondance-avec-d-alembert-partie-53.html
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06/12/2024
j’irai y faire un petit tour
... Non, M. Trump, vous n'êtes pas bienvenu à Notre Dame, vos images pieuses sont les dollars "In God we trust" et votre foi hypocrite est intéressée . Il est quelques autres invités dont la Sainte Vierge aura du mal à pardonner les péchés . Le pape a soigneusement éludé l'invitation pour ne pas se mêler à quelques infréquentables chefs d'Etats ; il est moins compromettant de faire une messe en Corse .
« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence
Brigadier des armées
du roi, etc.
à Angoulême
J’ai reçu, monsieur, les truffes 1 que vous avez eu la bonté de m’envoyer : vous ne sauriez croire combien je suis sensible à cette marque d’amitié ; elles sont très bonnes et très bien choisies. Je vous demande en grâce, mon cher marquis, de n’en envoyer à Paris que lorsque j’irai y faire un petit tour pour un mal dangereux dont je suis attaqué.
Je vous ai écrit quelquefois par Mme de Modant ; il y a deux paquets assez gros qu’elle n’a pas probablement voulu recevoir, et qui ont été renvoyés à Lyon, d’où ils étaient partis.
C’est bien pis encore quand il faut que les paquets passent par Paris. Je comptais vous envoyer des étoffes ; mais je ne sais plus comment m’y prendre. Tout ce que je sais, c’est que je vous aimerai jusqu’à la fin de ma vie.
2 juin 1769 à F. 2»
1 Ces « truffes » sont apparemment une lettre de d'Argence à Gabriel-Marie de Talleyrand, comte de Périgord datée du 15 novembre 1766 publiée sans lieu ni date [1769 ?] sous le titre Lettre de M. le marquis d'A*** , à M***, et dont on conserve aussi une copie ; D'Argence y attaque vivement les « Zoile chrétiens » et fait un grand éloge de V*. Voir lettre du 4 juin 1769 à d'Alembert : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/08/correspondance-avec-d-alembert-partie-53.html
2 Original ; cachet « de Lyon » ; éd. Cayrol . La lettre est d'une écriture déguisée ; le cachet dont elle est scellée n'est pas celui de V* . D'Argence a porté sur le manuscrit : « Lettre à retrancher ». Voir note 1 .
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