23/03/2024
il y a certainement un attentat contre les droits des souverains, et cela ira très loin
... La terrible actualité moscovite va ébranler un des plus grands pays et, ce me semble, arriver pour contrer le nouveau mandat présidentiel de Poutine ; la folie destructrice de l'Etat Islamique répondant à la russe , saura-t-on bientôt le motif de ce massacre ?
https://www.tf1info.fr/international/en-direct-russie-une...
« A Jacob Vernes
à Genève
ou à Séligny
4è septembre 1768 1
On dit qu'il n'était pas dans Annecy, mais tout auprès . On dit que la magasinière 2 a beaucoup servi la cause de Dieu, mais l'archimandrite 3 encore davantage . Son zèle exterminateur est d'autant plus grand que l'aventure est arrivée précisément dans le temps de l'apothéose de la sainte mère Chantal 4 , qui certainement sera contre vous, mon cher philosophe, en qualité de sainte . Il faudrait tâcher de prouver l'alibi. Ce serait bien le diable si vous ne trouviez pas à Genève deux témoins vrais ou faux .
Le résident pourrait rendre de bons offices dans cette occasion ; mais j'ai peur qu'il ne soit pas infiniment favorable à une famille de représentants 5 . D'ailleurs, on peut agir auprès des juges criminels d'Annecy . Le seul parti à prendre est de soustraire les preuves . J'ai bien peur qu'on ne fasse servir cette affaire à irriter le roi de Sardaigne . Si la chose est comme on le dit, il y a certainement un attentat contre les droits des souverains, et cela ira très loin . Après tout, monsieur votre frère est très en sûreté . Voilà le point principal .
Ne pourrai-je jamais causer avec vous sur les accidents de cette vie, et sur ce qu'on dit de l'autre ? »
1 Cette lettre est expliquée par une lettre du 21 février 1769 de Du Pan à Mme Freudenreich :
Voir page 196 : https://www.jstor.org/stable/40519096?seq=16
« M. [Pierre] Vernes, le cocufié par le ci-devant professeur [Louis] Necker, envoya l'année dernière à Annecy chez [la princesse de] Beaumont une fille grosse de lui, pour y accoucher . Cela fait, le père de cette fille, qui est un tailleur nommé Verber ou Vèbre, alla chercher sa fille, mais fut bien surpris quand elle lui dit que Mme de Beaumont l'avait convertie à la religion catholique, et qu'elle ne voulait pas revenir à Genève . Ce père avec Vernes et autres prirent le parti d'aller à Annecy pour y enlever cette fille par force . Vernes monta à cheval et les autres en carrosse ; ils prirent la fille et partirent avec elle dans le carrosse ; Vernes qui n'était pas entré dans la ville , attendait dehors pour servir d'escorte ; ils furent poursuivis et atteints par des dragons, qui n'arrêtèrent que la belle et un des ravisseurs, laissant échapper les autres [...] »
2 Mme de Beaumont .
3 Mgr Biord, évêque de Belley .
4 Jeanne-Françoise Frémyot, baronne de Chantal, fondatrice avec saint François de Sales de l'ordre de la Visitation, vient d'être canonisée en 1767 . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_de_Chantal
et : https://www.la-croix.com/Religion/sainte-jeanne-de-chantal
5 Vernes a appartenu au parti des représentants .
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22/03/2024
il aurait lieu d’être mécontent
... Frédéric Miterrand qui vient déjà de quitter un monde qu'il a embelli : https://www.francetvinfo.fr/politique/un-immense-personna...
On va tâcher de le faire ... dans un monde où il reste tant d'imbéciles glorieux
« A Joseph-Augustin-Prosper de La Motte-Geffrard 1
Je suis, monsieur, dans un état si triste, j’éprouve de si longues et de si cruelles maladies, qui sont la suite de ma vieillesse, que je n’ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m’avez honoré 2. C’est une grande grâce sans doute, accordée par un grand roi, de permettre qu’on lui érige une statue.
Je trouve l’inscription de M. le comte de Muy 3 fort bonne et fort convenable. Je crois que si je m’avisais d’en faire une 4, il aurait lieu d’être mécontent. Les inscriptions d’ailleurs réussissent rarement dans notre langue. Permettez-moi de vous conseiller d’employer celle de M. de Muy. Vous savez que le mieux est l’ennemi du bien, et de plus il me serait bien difficile de faire ce mieux. Les bons vers sont des coups de hasard, et à mon âge on n’est pas heureux à ce jeu-là.
Comptez que ni ma vieillesse, ni mes maux, ne diminuent rien de l’estime respectueuse avec laquelle j’ai l’honneur d’être,monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
3 septembre 1768 au château de Ferney.»
1 Voir : https://man8rove.com/fr/profile/afwahotjl-joseph-augustin-geffrard
et : https://excerpts.numilog.com/books/9782868782595.pdf
et : https://www.e-enlightenment.com/person/lamotjosep001050/
2 Edition Lucher . Le copiste du manuscrit y a porté la mention suivante : « Cette lettre en réponse à celle par laquelle M. de La Motte demandait à M. de Voltaire une inscription pour la statue pédestre que feu M. le bailli d'Auten, gouverneur de l'île de Ré, érigea dans cette île au feu roi. » Lucher reproduit cette note mais en imprimant bailli d'Aular au lieu de bailli d'Auten . En fait, ce personnage qui commanda l'île de Ré de 1759 à 1771, s'appelait Henri de Suarès d'Aulan.
4 La Motte. Geffrard avait demandé à Voltaire une inscription pour la statue pédestre que le bailli d’Aulan, gouverneur de l’île de Ré, avait érigée à Louis XV dans cette île. (Beuchot.)
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Vous m’avez fait sans doute trop d’honneur
... dit Aya Nakamura au dadja président , avant de mettre les chansons d'Edith Piaf à son répertoire . Personnellement, comme elle se plait à le répéter , avec sa voix trafiquée (autotune ridicule ) à la mode que je déteste : "sinon laisse tomber !", je ne saurais trop le lui conseiller , j'ai "tema sa degaine " et je ne la kiffe pas du tout . Elle sait chanter ce qui plait aux gamins.ines, qu'elle continue, sans plus .
https://www.youtube.com/watch?v=l66nmVcy110&ab_channe...
« A Marie-Aurore de Saxe, comtesse de Horn
2 septembre 1768 au château de Ferney
Madame,
J’irai bientôt rejoindre le héros votre père, et je lui apprendrai avec indignation l’état où est sa fille. J’ai eu l’honneur de vivre beaucoup avec lui ; il daignait avoir de la bonté pour moi. C’est un des malheurs qui m’accablent dans ma vieillesse, de voir que la fille du héros de la France n’est pas heureuse en France. Si j’étais à votre place, j’irais me présenter à Mme la duchesse de Choiseul. Mon nom me ferait ouvrir les portes à deux battants, et Mme la duchesse de Choiseul, dont l’âme est juste, noble et bienfaisante, ne laisserait pas passer une telle occasion de faire du bien. C’est le meilleur conseil que je puisse vous donner, et je suis sûr du succès quand vous parlerez. Vous m’avez fait sans doute trop d’honneur, madame, quand vous avez pensé qu’un vieillard moribond, persécuté et retiré du monde, serait assez heureux pour servir la fille de M. le maréchal de Saxe 1. Mais vous m’avez rendu justice en ne doutant pas du vif intérêt que je dois prendre à la fille d’un si grand homme.
J’ai l’honneur d’être avec respect,
madame,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire,
gentilhomme ordinaire
de la chambre du roi. »
1 Voir lettre de la comtesse à V*, du 24 août 1768 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1768/Lettre_7319
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21/03/2024
Je ne vois partout que des extravagances, des systèmes de Cyrano de Bergerac dans un style obscur ou ampoulé... je suis toujours de mon avis
...
« A Jean Le Rond d'Alembert
2 de septembre [1768]
Comment donc ! il y avait de très beaux vers dans la pièce de La Harpe ; le sujet même en était très intéressant pour les philosophes ; longue et monotone , d’accord ; mais celle du couronné est-elle polytone 1? En un mot, il nous faut des philosophes ; tachez donc que ce M. de Langeac le soit 2.
Je suis, mon cher ami, aussi malingre que Damilaville, et j’ai d’ailleurs trente ans plus que lui. Il est vrai que j’ai voulu tromper mes douleurs par un travail un peu forcé, et je n’en suis pas mieux. Est-il vrai que notre doyen d’Olivet a essuyé une apoplexie 3? je m’y intéresse. L’abbé d’Olivet est un bon homme, et je l’ai toujours aimé. D’ailleurs il a été mon préfet dans le temps qu’il y avait des jésuites. Savez-vous que j’ai vu passer le Père Le Tellier et le Père Bourdaloue 4, moi qui vous parle ?
Vous me demandez de ces rogatons imprimés à Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, et débités à Genève chez Chirol ; mais comment, s’il vous plaît, voulez-vous que je les envoie ? par quelle adresse sûre, sous quelle enveloppe privilégiée ? Qui veut la fin donne les moyens, et vous n’avez aucun moyen. Je me servais quelquefois de M. Damilaville, et encore fallait-il bien des détours ; mais il n’a plus son bureau ; le commerce philosophique est interrompu. Si vous voulez être servi, dites-moi donc comment il faut que je vous serve ?
J’écrivis, il y a quelques jours, une lettre 5 à Damilaville, qui était autant pour vous que pour lui. J’exprimais ma juste douleur de voir que le traducteur de Lucrèce 6 adopte encore la prétendue création d’anguilles avec du blé ergoté et du jus de mouton 7. Il est bien plaisant que cette chimère d’un jésuite irlandais, nommé Needham 8, puisse encore séduire quelques physiciens. Notre nation est trop ridicule. Buffon s’est décrédité à jamais avec ses molécules organiques, fondées sur la prétendue expérience d’un malheureux jésuite. Je ne vois partout que des extravagances, des systèmes de Cyrano de Bergerac dans un style obscur ou ampoulé. En vérité, il n’y a que vous qui ayez le sens commun. Je relisais hier La Destruction des Jésuites ; je suis toujours de mon avis : je ne connais point d’ouvrage où il y ait plus d’esprit et de raison.
À propos, quand je vous dis que j’ai écrit à frère Damilaville, j’ignore s’il a reçu ma lettre, car elle était sous l’enveloppe du bureau où il ne travaille plus. Informez-vous-en, je vous prie ; dites-lui combien je l’aime, et combien je souffre de ses maux. Il doit être content, et vous aussi, du mépris où l’inf… est tombée chez tous les honnêtes gens de l’Europe. C’était tout ce qu’on voulait et tout ce qui était nécessaire. On n’a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes ; c’est le partage des apôtres 9. Il est vrai qu’il y a des gens qui ont risqué le martyre comme eux ; mais Dieu en a eu pitié. Aimez-moi, car je vous aime, mon très cher philosophe, et je vous rends assurément toute la justice qui vous est due. »
1 Ce paragraphe – et notamment l'emploi du néologisme polyton, qui répond à un monotone de d'Alembert – ne peut se comprendre que si on connaît le passage de la lettre de d'Alembert auquel répond V* . Voir : lettre : « A Paris ce 26 août [1768]
« Vous m'avez entièrement oublié, mon cher et ancien ami ; vous n'avez fait aucune réponse à deux ou trois de mes lettres qu'en m'envoyant des vers qui m'ont fait beaucoup de plaisir, mais qui ne me dédommagerons pas de votre prose . Je vous sais très occupé, et je respecte vos moments . Comme je crois que vous vous intéressez toujours à M. de La Harpe, je dois vous dire qu'il n'a pas été aussi heureux cette année que les précédentes ; le prix de l'Académie lui a échappé . Sa pièce est bien écrite, mais elle a paru bien froide et bien monotone, ce sont plutôt de bons que de beaux vers, quoiqu’il y en ait quelques uns de ce dernier genre . Ce n'est pas que la pièce à laquelle on a donné le prix soit meilleure que la sienne, ce n'est pas même qu'elle soit bonne ; aussi mon avis était-il de ne la point couronner, non plus que les autres, et de remettre le prix à l'année prochaine . Je ne doute point que M. de La Harpe ne l'eut obtenu , avec un peu plus de chaleur et surtout une centaine de vers retranchés . Vous savez déjà sans doute que le prix a été donné à l'abbé Langeac, fils de la célèbre madame de Sabbatin . On dit du bien de ce jeune homme, mais ce n’est encore qu'un écolier, et même assez faible .
Il paraît dans vos cantons bien des feuilles volantes qu'il est presque impossible d'avoir ici . Je vous avais prié il y a longtemps de me procurer ce qui paraîtrait, et dont mes amis et moi sommes fort avides comme de raison ; mais vous être trop occupé pour songer à ces minuties . Adieu, mon cher maître, portez vous bien et n'oubliez pas tout à fait vos anciens amis . Notre pauvre Damilaville est dans un triste état . Je crains bien qu'il ne soit sans remède . »
2La pièce de vers présentée par La Harpe était intitulée Le Philosophe ou Sur les Avantages de la philosophie. Le prix fut adjugé à la Lettre d’un Fils parvenu à son Père laboureur, par l’abbé L'Espinasse de Langeac.
Voir : https://data.bnf.fr/en/13010434/egide_de_lespinasse_langeac/en.pdf
3 D'Olivet doit en effet mourir quelque temps après , le 8 octobre 1768 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Thoulier_d%27Olivet
4 Michel Le Telleir est mort le 2 septembre 1719 , et Louis Bourdaloue le 13 mai 1704 . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Le_Tellier_(j%C3%A9s...)
et https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Bourdaloue
V* a pu en effet les rencontrer à Louis Le Grand ou ailleurs .
5 Cette lettre à Damilaville est perdue .
6 Lagrange (mort en 1775, à trente-sept ans). Voyez sa note sur le vers 719 du second chant de Lucrèce : page 361 : https://books.google.fr/books?id=1_ISJ9At6mYC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q=anguilles&f=false
7 Voir lettre du 26 août 1768 à Villevielle : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/03/16/gonfle-d-un-amour-propre-feroce-persecuteur-et-calomniateur-6489821.html
8 Sur Needham, voir lettre du 27 mars 1757 à Moncrif : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1757/Lettre_3343
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/167
9 Résurgence de l'opposition chère à V* entre les apôtres qui convertissent le peuple, et les « frères' qui qui convertissent le sprinces e tles classes dirigeantes.
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20/03/2024
liberté de présenter quelques fruits de son jardin
... Liberté surveillée : https://www.legalstart.fr/fiches-pratiques/commerces-alim...
Le patriarche n'en avait sans doute pas tant dans ses douze "tribus d'Israël" : https://visite.chateau-ferney-voltaire.fr/Les-parcours/La...
« A François de Caire
Ingénieur en chef etc.
à Saint-Loup 1
Le pauvre malade de Ferney prend la liberté de présenter quelques fruits de son jardin à monsieur et madame de Caire, et deux bouteilles de vin de Tokay ; il ne les envoie que parce qu'il n'est pas en état de les venir présenter lui-même . Il leur présente son respect .
1er septembre 1768 à Ferney. »
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Répéter ce que les autres ont dit, c’est ne savoir que dire ...Quoi qu’il en soit, ogn'uno faccia secondo il suo cervello
...
« A Etienne-Michel Bouret 1
31 auguste 1768
Monsieur,
M. Marmontel, votre ami et le mien, vous a dit sans doute, ou vous dira combien notre langue répugne au style lapidaire, à cause de ses verbes auxiliaires et de ses articles. Il vous dira qu’une épigraphe en vers est encore plus difficile, et que de cent il n’y en a pas une de passable, excepté celles qui sont en style burlesque : tant le génie de la nation est tourné à la plaisanterie .
Il est triste d’emprunter deux vers d’un ancien auteur latin pour Louis XV. Répéter ce que les autres ont dit, c’est ne savoir que dire . De plus, le roi viendra chez vous : il verra votre statue 2, et n’entendra pas l’inscription. Si quelque savant duc et pair lui dit que cela signifie qu’on souhaite qu’il vive longtemps, on avouera que la pensée n’en est ni neuve ni fine. Il y a bien pis . Si j’ai la hardiesse de vous faire une inscription en vers pour la statue du roi, il faut rencontrer votre goût, il faut rencontrer celui de vos amis ; et vous savez que la première idée qui vient à tout convive, soit à table, soit en digérant, c’est de trouver détestable tout ce qu’on nous présente, à moins que ce ne soit d’excellent vin de Tokai. Les choses se passaient ainsi de mon temps, et je doute que les Français se soient corrigés. Je ne vous enverrai donc point de vers pour le roi. Le temps des vers est passé chez la nation, et surtout chez moi. Tout ce que je vous dirai, c’est que si j’étais encore officier de la chambre du roi, si j’avais posé sa statue de marbre sur un beau piédestal, s’il venait voir sa statue, il verrait au bas ces quatre petits vers-ci, qui ne valent rien, mais qui exprimeraient que c’est un de ses domestiques 3 qui a érigé cette statue, qu’on aime beaucoup celui qu’elle représente, et qu’on craint de choquer son indifférente modestie :
Qu’il est doux de servir ce maître,
Et qu’il est juste de l’aimer !
Mais gardons-nous de le nommer ;
Lui seul s'y pourrait méconnaître !
Je sais bien que les beaux-esprits ne trouveraient pas ces vers assez pompeux ; et en effet je ne les ferais pas graver dans une place publique, mais je les trouverais très convenables dans ma maison. Ils le seraient pour moi, ils le seraient pour l’objet de mon quatrain : cela me suffirait ; et les critiques auraient beau dire, mon quatrain subsisterait ; mais ce que je ferais dans mon petit salon de vingt-quatre pieds, vous ne le ferez pas dans votre salon de cent pieds.
Mes vers trop familiers seront vus de travers,
Et pour les grands salons il faut de plus grands vers.
Quoi qu’il en soit, ogn'uno faccia secondo il suo cervello 4.
Je vous réponds que si jamais le roi passe par ma chaumière, et s’il trouve sa statue, il n’y lira pas d’autres vers au bas. J’aurais pu lui donner, comme un autre, de l’héroïque, et du plus grand roi du monde, et de la terre et de l’onde par le nez ; mais Dieu m’en préserve, et lui aussi !
Mais, si j’étais à votre place, voici comme je m’y prendrais : je collerais du papier sur mon piédestal, et j’y mettrais, le jour de l’arrivée du roi :
Juste, simple, modeste, au-dessus des grandeurs,
Au-dessus de l’éloge, il ne veut que nos cœurs.
Qui fit ces vers dictés par la reconnaissance ?
Est-ce Bouret ? Non, c’est la France.
Le roi aurait le plaisir de la surprise. Enfin, si j’étais Louis XV, je serais plus content de ce quatrain que de l’autre.
Mais, je vous le répète, il y a des courtisans qui ne sont jamais contents de rien.
Le résultat de tout ceci, monsieur, c’est que vous n’aurez point de vers de moi pour votre statue ; mais je vous aime de tout mon cœur, et cela vaut mieux que des vers. Je vous supplie de dire à M. de La Borde combien je lui suis attaché, et combien mon cœur est plein de ses bontés. Si j’avais son portrait, il aurait une statue dans mon petit salon.
Avec tous les talents le destin l’a fait naître ;
Il fait tous les plaisirs de la société :
Il est né pour la liberté,
Mais il aime bien mieux son maître.
J’ai l’honneur d’être, etc. »
1 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne-Michel_Bouret#Woelmont_de_Brumagne1930
Voir page 303 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome23.djvu/313
et page 343 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome28.djvu/353
2 Ayant eu l'honneur de recevoir Louis XV dans sa demeure de La Croix Fontaine, près de Fontainebleau, Bouret a obtiendra la permission d'ériger sa statue .
Voir page 452 et suiv. : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Ch%C3%A2teau_Bouret
3 Voltaire emploie de nouveau cette expression, au sens ancien de « personne attachée au service de quelqu'un », comme Jean-Jacques Rousseau ; voir page 531 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome36.djvu/534#cite_ref-3
; et page 33. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/43
4 Que chacun fasse à sa tête.
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19/03/2024
Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander Les Droits des hommes et les Usurpations des papes
... Ouvrage tout à fait recommandable .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
31 auguste 1768
Mon cher ange, j’ai montré votre lettre du 23 août ou d’auguste, au possédé 1. Il vous prie encore de lui renvoyer sa facétie, et donne sa parole de démoniaque qu’il vous renverra la bonne copie au même instant qu’il recevra la mauvaise. Son diable l’a fait raboter sans relâche depuis qu’il fit partir son croquis ; mais il jure, comme un possédé qu’il est, qu’il ne fera jamais paraître l’empereur deux fois ; qu’il s’en donnera bien de garde ; que cela gâterait tout ; que l’empereur n’est en aucune manière deus in machina, puisqu’il est annoncé dès la première scène du premier acte, et qu’il est attendu pendant toute la pièce de scène en scène, comme juge du différend entre le commandant du château et les moines de l’abbaye. S’il paraissait deux fois, la première serait non-seulement inutile, mais rendrait la seconde froide et impraticable. C’est uniquement parce qu’on ne connaît point le caractère de l’empereur qu’il doit faire un très grand effet lorsqu’il vient porter à la fin un jugement tel que n’en a jamais porté Salomon. Le bon de l’affaire, c’est que c’est un jardinier qui fait tout ; et cela prouve évidemment qu’il faut cultiver son jardin, comme dit Candide.
Comme cette facétie ne ressemble à rien, Dieu merci, mon possédé croit qu’il faut de la naïveté, que vous appelez familiarité ; et il croit que cette naïveté est quelquefois horriblement tragique.
Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans cette pièce du remue-ménage comme dans l’Écossaise. Je suis persuadé que cela vous aura amusés, vous et Mme d’Argental, pendant une heure. Il est doux de donner du plaisir, à cent lieues de chez soi, à ceux à qui on est attaché.
Je ne répondrais pas que la police ne fît quelques petites allusions qui pourraient empêcher la pièce d’être jouée ; mais, après tout, que pourra-t-on soupçonner ? que l’auteur a joué l’Inquisition sous le nom des prêtres de Pluton ? En ce cas, c’est rendre service au genre humain ; c’est faire un compliment au roi d’Espagne, et surtout au comte d’Aranda ; c’est l’histoire du jour avec toute la bienséance imaginable, et tout le respect possible pour la religion.
Voyez, mon divin ange, ce que votre amitié prudente et active peut faire pour ces pauvres Guèbres ; mais je n’ai point abandonné les Scythes : ils ne sont pas si piquants que les Guèbres, d’accord ; mais, de par tous les diables, ils valent leur prix. La loi porte qu’ils soient rejoués, puisque les histrions firent beaucoup d’argent à la dernière représentation. Les comédiens sont bien insolents et bien mauvais, je l’avoue ; mais il faut obéir à la loi. J’ignore quel est le premier gentilhomme de la loi cette année 2 ; mais, en un mot, j’aime les Scythes. J’ai envie de finir par les Corses ; je suis très fâché qu’on en ait tué cent cinquante d’entrée de jeu ; mais M. de Chauvelin m’a promis que cela n’arriverait plus 3.
Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander Les Droits des hommes et les Usurpations des papes ; c’est, dit-on, un ouvrage traduit de l’italien 4, dont un envoyé de Parme doit être très friand.
Une chose dont je suis bien plus friand, mon cher ange, c’est de vous embrasser avant que je meure. Je suis, à la vérité, un peu sourd et aveugle ; mais cela n’y fait rien. Je recommence à voir et à entendre au printemps ; et j’ai grande envie, si je suis en vie au mois de mai, de venir présenter un bouquet à Mme d’Argental. Je devais aller cet automne chez l’électeur palatin ; mais je me suis trouvé trop faible pour le voyage. Je me sentirai bien plus fort quand il s’agira de venir vous voir. Il est vrai que je n’y voudrais aucune cérémonie. Nous en raisonnerons quand nous aurons fait les affaires des Scythes et des Guèbres. Vous êtes charmant de désirer de me revoir ; j’en suis pénétré, et mon culte de dulie en augmente. Je trouve plaisant qu’on ait imaginé que j’irais voir ma Catau, moi âgé de septante-quatre ! Non, je ne veux voir que vous.
V. »
1 Voir lettre du 14 août 1768 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/08/14/il-y-a-un-empereur-un-jardinier-un-colonel-un-lieutenant-d-i.html
2 C’est depuis 1741 André-Hercule de Rosset , duc de Fleury .
3 Bernard-Louis Chauvelin est arrivé le 25 août en Corse pour prendre le commandement des troupes et achever la pacification de l'île . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Corse
4 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/201
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