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28/05/2025

un sel peu commun, de l’harmonie, des idées vraies, une grande connaissance des hommes

... Qui donc en France contemporaine possède ces qualités ? Cherchez, en vain, parmi nos gouvernants, plus à ras des pâquerettes que, au minimum, à hauteur d'homme et, mieux, au-dessus .

 

 

« A Frédéric II , roi de Prusse

9è décembre 1769 à Ferney

Quand Thalestris, que le Nord admira,
Rendit visite à ce vainqueur d’Arbelle 1,
Il lui donna bals, ballets, opéra,
Et fit de plus de jolis vers pour elle.
Tous deux avaient infiniment d’esprit ;
C’était, dit-on, plaisir de les entendre ;
On avouait que Jupiter ne fit
Des Thalestris que du temps d’Alexandre.

Pausanias, dans ses Prussiaques 2, dit qu’Alexandre poussait son amour pour les beaux-arts jusqu’à faire des vers dans la langue des Welches, et qu’il mettait toujours dans ses vers un sel peu commun, de l’harmonie, des idées vraies, une grande connaissance des hommes, et qu’il faisait ces vers avec une facilité incroyable ; que ceux qu’il fit pour Thalestris étaient pleins de grâce et d’harmonie.

Il ajoute que ses talents étonnaient beaucoup les Macédoniens et les Thraces, qui se connaissaient peu en vers grecs, et qu’ils apprenaient par les autres nations combien leur maître avait d’esprit : car, pour eux, ils ne le connaissaient que comme un brave guerrier qui savait gouverner comme se battre.

Il y avait, dit Plutarque, dans ce temps-là un vieux Welche retiré vers les montagnes du Caucase, qui avait été autrefois à la cour d’Alexandre, et qui vivait aussi heureux qu’on pouvait l’être loin du camp du vainqueur d’Arbelles et de Basroc 3. Ce vieux radoteur disait souvent qu’il était très fâché de mourir sans avoir fait encore une fois sa cour au héros de la Macédoine.

Sire,

Je ne doute pas que vous n’ayez dans votre cour des savants qui ont lu Plutarque et Xénophon, dans la bibliothèque de votre nouveau palais 4; ils pourront vous montrer les passages grecs que j’ai l’honneur de vous citer, et Votre Majesté verra que rien n’est plus vrai.

Je donnerais tout le mont Caucase pour voir ce Welche deux jours à la cour d’Alexandre. »

1 Allusion à la visite fameuse que Thalestris, reine des Amazones, rendit à Alexandre « pour avoir de sa graine » comme disent les anciens traducteurs ; c'est à Arbelle, en Assyrie, qu'Alexandre avait vaincu Darius .

2 Dans Les Plaideurs, acte III, scène 3, Racine a dit : Pausanias en ses Corinthiaques.

Voir : https://racine.gueuledebois.net/Plaideurs/Plaideurs_3_3.html

3 Basroc est l’anagramme de Rosbac. Voir lettre du 15 novembre 1757 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/30/il-parait-que-la-tete-tourne-a-plus-d-un-heros-ou-soi-disant.html

4 Le palais de Sans-Souci, à Potsdam.

27/05/2025

Il n’est pas surprenant que messieurs de Tunis soient des brigands ; mais il l’est beaucoup qu’ils osent fouiller les vaisseaux portant pavillon de France

... On n'en est plus là à Tunis (tourisme oblige) mais leurs voisins algériens ont pris la relève, et s'ils ne fouillent pas nos navires, ils emprisonnent des hommes de lettres .

 

 

« A César-Gabriel de Choiseul, duc de Praslin

8è décembre 1769 à Ferney 1

Monseigneur,

Un pauvre Suisse qui vous est toujours très attaché, prend la liberté de vous présenter ce placet pour une affaire qui le regarde en quelque manière, étant créancier d’un des négociants à qui les diamants pris par messieurs de Tunis appartiennent. Je vous supplie de vouloir bien me faire dire, par un de vos secrétaires ou des premiers commis des bureaux de la marine, où en est cette étonnante affaire. Il n’est pas surprenant que messieurs de Tunis soient des brigands ; mais il l’est beaucoup qu’ils osent fouiller les vaisseaux portant pavillon de France. 2

La seule grâce que je vous demande à présent est d’avoir la bonté d’ordonner que je sois informé de l’état des choses. Je vous supplie de permettre que je vous aie encore cette obligation.

Sirven, que vous protégiez, a gagné son procès, du moins en grande partie.

J’ai l’honneur d’être, avec la plus vive reconnaissance et un profond respect,

monseigneur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Ce billet a été édité par MM. de Cayrol et François, avec la date du 18 juillet 1769. Nous ne croyons pas cette date exacte. Voyez les lettres a d’Argental des 11 décembre 1769 et 5 janvier 1770. (Georges Avenel.)

Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7730

et https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1770/Lettre_7744

2 Des mentions de service portées sur le manuscrit éclairent quelque peu la suite donnée à cette affaire : « Levant et Barbarie » ; « Neuville » ; « R[épondu] le 25 [décem]bre 1769 » ; « Le 5 f[évrie]r 1770 il a été écrit à M. de Saizieu sur ce sujet » ( Saizieu était consul à Tunis) : « f[aire] copie p[our] M. de Saizieu, le 5 [février] 1770 » ; « Réclamation de diamants confiés au cap[itain]e Celi pillé par un corsaire de Tunis » ; au crayon « M. Le Guay » ; enfin , un autre nom au crayon biffé et illisible . De tels incidents se retrouvèrent couramment jusqu'à l’expédition d'Alger

26/05/2025

qu'il lui donne beaucoup d'argent pour faire une ville d'un village, attendu que nous ne sommes plus dans le temps où on les bâtissait au son de la flûte, et où on les détruisait au son des trompettes

...

 

« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul

8 décembre 1769 1

Madame,

Nous, frères Cucufin et frère Roch de Pediculis, nous présentons à Votre Grandeur, et à la grandeur de monseigneur votre époux notre fervente gratitude, valant juste six cents livres 2. Que le Dieu de miséricorde, vous les rende dans le ciel le plus tard qu'il pourra .

Nous avons excommunié notre frère indigne François Guillemet qui a eu la brutalité de vous écrire qu'il renonçait à Votre Grandeur et qu'il ne voulait plus avoir affaire qu'à des bourgeoises . Frère François est un pauvre homme qui ne connaît pas le monde comme vous ; il est très repentant de sa faute, mais nous ne lèverons notre excommunication que quand Votre Grandeur lui aura pardonné . Il nous a dit en se frappant la poitrine qu'il vous avait envoyé une paire d’heures pour madame votre petite-fille, et qu'il récite des psaumes à votre intention .

Nous adressons tous les vœux ardents au Seigneur pour la prospérité des armes du grand-papa de votre petite-fille contre les hypocrites . Nous prions Dieu qu'il lui donne beaucoup d'argent pour faire une ville d'un village, attendu que nous ne sommes plus dans le temps où on les bâtissait au son de la flûte, et où on les détruisait au son des trompettes .

Que Dieu vous comble de ses grâces, madame, elles ne vaudront pas les trois qui vous suivront partout . Si vous ne savez pas leur nom en grec demandez-le à M. l'abbé Barthélémy .

Notre cordon salue très humblement votre ceinture et nous sommes très dévotement avec une séraphique reconnaissance et avec le plus profond respect,

madame, de Votre Grandeur,

les très humbles, très obéissants, très obligés et très puants serviteurs

Cucufin et frère Roch de Pediculis

capucins dignes. »

1 Copie par Wyart .

2Wyart explique, en tête du manuscrit : « La d[uchesse] de Choiseul avait obtenu une gratification de 600 livres que M. de Voltaire lui demandait pour un couvent de capucin. »

25/05/2025

Je ne puis, ni ne veux l'entretenir à mes dépens toute ma vie, lui et les siens . J'ai des parents pauvres qui doivent avoir la préférence

... Propos trumpiens pour excuser le désengagement matériel U.S. et l'aide financière à Zelensky ? Propos d'un Trump qui a force de fréquenter des milliardaires veut être en tête de liste, lui et les siens ?

 

 

« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont

Avocat au Parlement

rue Pavée-Saint-André-des-Arts

à Paris

8è décembre 1769 à Ferney

Vous voilà je crois revenu à Paris, mon très cher Cicéron, plus d'un malheureux va être bien aise . J'ai presque honte au milieu des affaires dont vous êtes surchargé d'abuser de votre temps, mais vous ne serez pas fâché d'apprendre que les juges de Sirven en première instance ont été au désespoir d'être obligés d'avouer qu'ils s'étaient trompés, de lui ouvrir les prisons, et de lui donner main-levée du peu de bien qui lui reste . Comme la sentence ne dit pas qu'il a été injustement condamné, et que même il faut qu'il paie les frais de la contumace, il plaide actuellement au parlement de Toulouse pour obtenir un jugement plus honnête .

Quant à M. Durey, il est malheureux d'une autre façon, c'est par sa faute ; il a fait d'énormes sottises 1 de plus d'une espèce, mais il en est bien puni, et peut-être trop . L'état très étroit où il s'est longtemps trouvé, lui a fait contracter des dettes ; il était mon voisin ; il est frère de Mme de Sauvigny ; j'ai eu pitié de lui ; j'ai payé ses dettes , je l'ai retiré chez moi pendant neuf mois . Pour récompense de ma petite attention, je ne sais quel homme serviable a écrit, ou dit à Mme de Sauvigny et à M. Gerbier que je faisais un mémoire contre Mme de Sauvigny en faveur de son frère . Voici mon mémoire .

Je ne puis, ni ne veux l'entretenir à mes dépens toute ma vie, lui et les siens . J'ai des parents pauvres qui doivent avoir la préférence .

La commission qui liquide ses biens lui donne six mille livres par an . Cet arrangement m' a paru honnête .

Sur ces six mille livres, il est obligé de faire une pension de douze cents livres indispensablement . Reste quatre mille huit cents livres . Il n'a pas un meuble, et il serait bien dur à l'âge de cinquante-trois ou cinquante-quatre ans d'aller passer sa vie dans un cabaret en Suisse . Il est, ce me semble, de l'honneur de sa famille qu'il vive décemment . On pourrait avec deux mille écus une fois payés lui faire avoir le pur nécessaire dans le pays de Neuchâtel où il compte se retirer . J'ai fait ce que j'ai pu pour le rendre sage, et pour que jamais sa famille ne rougisse de lui . C'est à elle à faire quelque chose . M. Gerbier peut très bien engager les créanciers à céder deux mille écus qu'ils reprendront bien aisément sur les revenus . Si le tuteur ou M. de Sauvigny veulent s'engager à faire compter deux mille écus dans trois mois, je me chargerai dès à présent à 2 lui faire meubler un appartement à Neuchâtel où il est naturalisé, et où il est assez aimé . La dame chez laquelle il logeait est une femme très sage et très entendue qui ménagerait sa bourse, et il a besoin d'être en de telles mains .

Voilà mes propositions . Vous pouvez, mon cher ami, à votre loisir, faire lire ma lettre à Mme de Sauvigny ou à M. Gerbier. Vous ferez assurément une très belle action, qui jointe à toutes celles que vous avez déjà faites, vous obtiendront un jour une canonisation en forme chez tous les bons cœurs et chez tous les bons philosophes .

Je ne sais si on fera ce que je demande, mais je sais bien qu'on ne peut pas me désapprouver .

Adieu, mon cher Cicéron . Mme Denis vous fait les plus sincères compliments ; elle ressemble à tous ceux qui vous ont connu, elle vous aime autant qu'elle vous estime .

Mille respects à madame de Beaumont.

V. »

2 On attend de au lieu de à .

24/05/2025

faire payer le restant

... Trump, l'enflé US , continue son ratissage et revient à la charge contre l'Europe : https://www.liberation.fr/international/europe/donald-tru...

Qu'il n'oublie pas que l'Europe n'est pas négligeable .

 

 

« A Gaspard-Henri Schérer, Banquier

à Lyon

Je vous prie, monsieur, d'ajouter à toutes vos bontés pour moi, celle [de] vouloir bien vous faire payer le restant de la lettre de change ci-jointe 1. Je vous serai très obligé .

J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire.

A Ferney 7è décembre 1769.2 »

1 Probablement la lettre de change destinée à Sirven ; voir lettre du 10 décembre 1769 à Audra : https://www.monsieurdevoltaire.com/2015/10/correspondance-annee-1769-partie-38.html

2 Original signé, cachet »Genève » ; ce manuscrit est endossé « [,,,] reçue le 9 déc[em]bre »

23/05/2025

Cet inconcevable fou descend en droite ligne du chien de Diogène : vous lui faites bien de l’honneur de prononcer son nom

... Faute de prononcer le nom du chef du Hamas terroriste qu'on ne connait pas, on peut  (dans la droite ligne macronienne ) mettre Netanyahou au rang des fous sanguinaires . Il rend toute paix impossible, il ne vit que dans la rancoeur , quelque chose en lui est pourri. En continuant à faire mourir hommes femmes et enfants désarmés , par les bombes et par la famine, il va faire passer Poutine pour un doux conquérant . Sans attendre coupons lui les soutiens financiers et militaires , chaque minute est tachée de sang . Insupportable vision . La Shoa n'a donc rien appris à ces salopards d'extrême droite israélienne pour qu'ils massacrent tant ?

05 Paresh (Inde).jpg

https://www.france24.com/fr/culture/20250509-l-actu-en-de...

 

 

« A Joseph-Michel-Antoine Servan 1

A Ferney 6è décembre 1769

Monsieur,

La lettre dont vous m’honorez me ranime. Je suis bien malade, et presque mourant ; mais portez-vous bien et vivez. Soyez très sûr que, malgré votre modestie, le monde a besoin de vous. M. l’abbé de Ravel m’a dit que votre santé était très faible ; je vous conjure d’en avoir grand soin, et surtout de votre poitrine.

Il est très vrai que j’ai souvent sur ma cheminée et sous mes yeux le peu d’écrits publics qu’on a de vous ; mais je vous ai donné mon cœur . Je m’intéresse à votre vie encore plus, s’il est possible, qu’à votre gloire . Qu’il y ait trois ou quatre hommes comme vous en France, et la France en vaudra mieux.

Vous ai-je jamais dit combien de larmes interrompirent la lecture que je faisais à douze ou quinze personnes de ce discours 2 dans lequel vous vengiez les droits de l’humanité contre un lâche qui s’était fait catholique, apostolique, romain, pour trahir sa femme et la réduire à l’aumône ? On m’a dit que tout l’auditoire avait éclaté en sanglots comme nous. M. d’Aguesseau, dont on a imprimé dix volumes 3, n’a jamais fait répandre une larme. Je ne veux pas vous en dire davantage ; mais je ne suis point ébloui des noms.

Je me flatte que vous n’avez pas oublié votre beau projet sur la jurisprudence. Peut-être l’article des « Mœurs » 4, dont vous voulez bien me parler, entre-t-il dans cet ouvrage. Permettez-moi de vous confier qu’une très petite société de gens, qui ont du moins le mérite de penser comme vous, travaille à un supplément de l’Encyclopédie 5, dont on va bientôt imprimer le premier volume. Si vous étiez assez bon pour envoyer ce que vous avez daigné écrire sur les Spectacles qui peuvent contribuer aux bonnes mœurs, ce serait un morceau bien précieux, dont nous ferions usage à l’article « Dramatique » ; et cela vaudrait mieux que la Conversation de l’intendant des menus avec l’abbé Grisel 6.

Il est bien plaisant, monsieur, que Jean-Jacques ait écrit contre les spectacles en faisant une mauvaise comédie, et contre les romans en faisant un mauvais roman. Mais qu’attendre d’un polisson qui dit, dans je ne sais quel Émile, que M. le dauphin pourrait faire un bon mariage en épousant la fille du bourreau 7? Cet inconcevable fou descend en droite ligne du chien de Diogène : vous lui faites bien de l’honneur de prononcer son nom.

Si vous poussiez la générosité jusqu’à nous envoyer ce qui regarde les spectacles, vous pouvez être sûr du plus profond secret. Vous n’auriez qu’à faire adresser le paquet à M. Vasselier, premier commis des bureaux des postes à Lyon. Je ne mérite pas cette bonté de votre part ; mais accordez-la au public, et agréez l’extrême vénération et l’attachement très respectueux du pauvre vieillard des montagnes.

V. »

2 Discours dans la cause d’une femme protestante, 1767, in-12 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5612702k.texteImage

Servan en avait envoyé un exemplaire à V* deux ans auparavant ; voir lettre du 13 janvier 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/08/12/il-a-parle-avec-courage-contre-la-finance-la-pretraille-et-l-6456433.html

3 Effectivement V* possède les dix volumes d'Oeuvres de M. le chancelier d'Aguesseau, 1763-1765. Ses plaidoiries étaient célèbres .

5 Il s’agit des Questions sur l’Encyclopédie, dont le premier volume parut en 1770, et qui ont été refondues dans le Dictionnaire philosophique.

7 Allusion renouvelée à l'ouvrage de J.-J. Rousseau, au chapitre V : https://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89mile,_ou_De_l%E2%80%99%C3%A9ducation/%C3%89dition_1852/Livre_V

22/05/2025

On pourrait même, dans ce programme, donner quelque échantillon, comme par exemple l’article Femme , afin d’amorcer vos chalands

... Les publicitaires n'ont rien inventé lorsqu'ils utilisent l'image de la Femme pour idéaliser et vendre tout produit de consommation, le Patriarche savait déjà que la Femme est attirante , même si c'est seulement pour racoler des lecteurs d'encyclopédies et textes philosophiques . Que les féministes n'en prennent pas ombrage .

Sa formule de politesse prouve qu'il est loin d'être insensible au charme féminin, c'est adorable de candeur .

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Femme et savante, grand amour de Voltaire, ne l'oublions pas

 

 

« A Charles-Joseph Panckoucke

6 de décembre [1769] 1

Vous savez, monsieur, que je vous regarde comme un homme de lettres 2 et comme mon ami ; c’est à ces titres que je vous écris.

On a besoin sans doute d’un supplément à l’Encyclopédie ; on me l’a proposé ; j’y ai travaillé avec ardeur ; j’ai fait servir tous les articles que j’avais déjà insérés dans le grand dictionnaire ; je les ai étendus et fortifiés autant qu’il était en moi ; j’ai actuellement plus de cent articles de prêts 3. Je les crois sages ; mais s’ils paraissent un peu hardis, sans être téméraires, on pourrait trouver des censeurs qui feraient de mauvaises difficultés, et qui ôteraient tout le piquant pour y mettre l’insipide. Je vous réponds bien que tous ceux qui sont a la tête de la librairie ne mettront aucun obstacle à l’introduction de cet ouvrage en France ; et je vous réponds d’ailleurs qu’il sera vendu dans l’Europe, parce que, tout sage qu’il est, il pourra amuser les oisifs de Moscou aussi bien que les oisifs de Berlin. Puisque vous avez été assez hardi pour vous charger de mes sottises in-quarto 4, il faut que cette sottise-ci soit de la même parure.

Il ne serait pas mal, à mon avis, de faire un petit programme par lequel on avertirait Paris, Moscou, Madrid, Lisbonne et Quimper-Corentin, qu’une société de gens de lettres, tous Parisiens et point Suisses, va, pour prévenir les jaloux, donner un supplément à l’Encyclopédie. On pourrait même, dans ce programme, donner quelque échantillon, comme par exemple l’article Femme 5, afin d’amorcer vos chalands.

Au reste, je pense qu’il faut se presser, parce qu’il se pourrait bien faire qu’étant âgé de soixante-seize ans je fusse placé incessamment dans un cimetière, à côté de mon ivrogne de curé 6, qui prétendait m’enterrer, et qui a été tout étonné que je l’enterrasse.

Encore un mot, monsieur ; avant que vous vous fussiez lancé dans les grandes entreprises, vous aviez, ce semble, ouvert une souscription pour les malsemaines de Martin Fréron. Je me suis aperçu, à mon article Critique 7, que je dois dévouer à l’horreur de la postérité les gueux qui, pour de l’argent, ont voulu décrier l’Encyclopédie et tous les bons ouvrages de ce siècle, et que c’est une chose aussi amusante qu’utile de rassembler les principales impertinences de tous ces polissons. Envoyez-moi tout ce que vous avez, jusqu’à ce jour, des imbéciles méchancetés de Martin, afin que je le fasse pendre avec les cordes qu’il a filées.

Je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie, et je vous prie de vouloir bien faire mes compliments à madame votre femme, dont j’ai toujours l’idée dans la tête depuis que je l’ai vue a Ferney. »

2 Sur la réputation de Panckoucke, voir Georges B. Watts « Charles-Joseph Panckoucke, l'Atlas de la librairie française », Studies on Voltaire, 1969 , et Suzanne Tucoo-Chala, « La diffusion des Lumières dans la seconde moitié du XVIIIè siècle » : CH.-J. Panckoucke, un libraire éclairé », Dix-huitième siècle, 1974.

4 L’édition in-4° avait été commencée par Cramer. Les Questions sur l’Encyclopédie en forment les tomes XXI à XXIV, et sont de 1774.

6 Pierre Gros (dont on peut voir dans la chapelle du château de Ferney le bénitier qu'il a donné) , qui a été remplacé par Pierre Hugonet .