27/08/2009
Ils se sont dit : Vivons heureux
What's new Pussy Cat ?
http://www.youtube.com/watch?v=VBdSqk78nHw
Et maintenant quoi de neuf au château de Volti ? Son nouvel administrateur nommé le 24 août 2009, M. François-Xavier Verger, en charge de Cluny et Ferney à la fois (par mesure d'économie, un administrateur pour deux ou trois monuments nationaux est la règle maintenant pour le CMN; reste à en juger la pertinence ).
L'hypothèse :Volti, se retourner dans sa tombe ? Non, le connaissant, il doit plutôt se marrer !
Jésus, ton tombeau est plus vide que celui du patriarche à Ferney, tu me pardonneras de trouver que celui-ci fut un de tes meilleurs ouvriers . Il avait compris le message; l'appliquait et n'avait plus besoin de messager .
Messager - mensonger (comme traduction - trahison), j'ai parfois de singulières associations d'idées... Il faut que je sorte, la cocotte commence à siffler !...
« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul,
et à Etienne –François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul
Madame, après avoir embelli votre royaume de Chanteloup par vos bienfaits, vous venez encore, M. le duc de Choiseul et vous, d’étendre vos grâces sur notre hameau de Ferney.
Peut-être apprendrez-vous tous deux avec quelque satisfaction que nos émigrants ont donné pour la saint Louis une petite fête qui a consisté en un très bon souper de cent couverts, avec illumination, feux d’artifice, et des Vive le roi sans fin. Peut-être même monsieur le duc ne sera pas fâché d’apprendre au roi qu’il est aimé et célébré par se nouveaux sujets comme par les anciens.
Vos noms, Madame, n’ont été oubliés ni en buvant ni dans le feu d’artifice.
Nous étions tous fort attendris
Voyant du fond de nos tanières
Des Choiseul les beaux noms écrits
En caractères de lumières
Sur nos vieux chênes rabougris
Et parmi nos sèches bruyères.
C’était un plaisir de voir nos huguenots et nos papistes être tous de la même religion en montrant à leurs bienfaiteurs la même reconnaissance.
Rien n’est plus selon mon humeur
Que de voir de bons hérétiques
Boire et chanter de si grand cœur
Avec nos pauvres catholiques.
Dans cet asile du bonheur
Le prêche est ami de la messe ;
Ils se sont dit : Vivons heureux
Et tolérons avec sagesse
Ceux qui se moquent de nous deux.
Que j’aime à voir notre vicaire
Appliquer assez pesamment
Un baiser près du sanctuaire
A la femme du prédicant.
On voit bien après cela, Monseigneur, qu’il n’y a pas moyen de refuser un édit de tolérance.
Nos colons, vos protégés, se mettent à vos pieds et nous supplions tous notre bienfaiteur et notre bienfaitrice d’agréer nos profonds respects et notre reconnaissance.
Le vieil ermite, de Ferney, secrétaire
Ferney 27è auguste 1770. »
18:08 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : voltaire, choiseul, ferney, hérétique, catholique
17/07/2009
Voici, Monsieur, la seule médaille qui me reste
Ce jour, jour du poisson et du repos associés –en tout cas pour moi-, grand ménage et repassage couplés à une mini-lessive. Sèchera quand pourra, orages (oh désespoir !) à qui mieux - mieux …
Fortement tenté d’en faire le minimum, ce jour de la flemme et des bonnes intentions désunies, je me retrouve incapable de résister à l’appel des 105 touches du clavier et au besoin de caresses (dans le sens du poil) de mon mulot attitré.
Cela me permet aussi le plaisir de trainer mes guêtres dans des chambres vides d’occupants, faire résonner mes talons sur les parquets et imaginer le va-et-vient des invités de Volti, amis , parents, touristes et aussi très souvent gens intéressés par les rondeurs de la bourse du maître des lieux (au fait pendant que j’y pense, quelques écus seraient les bienvenus !).
Comme « Jean qui pleure et qui rit », après les distractions heureuses, je viens d’apprendre le décès d’un homme bon, qui m’a connu enfant (c’est vous dire l’âge vénérable atteint), Auguste dit Gust’. Il a choisi sa mort faute d’avoir eu le choix pour sa maladie. J’avais et je garderai un profond respect et de l’affection pour lui. Ses abeilles se retrouvent orphelines, elles sont désormais mon aide-mémoire vivant …
Ce soir, Graf Mourja, violoniste ukrainien, viendra clore en beauté (je me laisse aller : clore en beauté !! plus kitsch que ça, tu pleures !) une série de trois concerts de solistes dans le salon du château (autrefois salle à manger et bibliothèque, réunies par M. Griolay au XIXème).
Nous avons eu l’immense honneur, bonheur et avantage (deuxième couche, avant que la première soit sèche !!) de recevoir et écouter Kenneth Weiss au clavecin, et Paul O’Dette aux luths les semaines précédentes. Très belles et très agréables prestations. Pour ajouter au plaisir musical, ces deux artistes sont des gens d’une gentillesse et d’une simplicité adorables. Notre vaillant ukrainien je le suppose sera aussi agréable. Son violon, de Lorenzo Storioni, poussa sa première note en 1776, ce qui fait que Voltaire aurait tout à fait pu entendre ses premières doubles – croches. A voir et écouter ce soir …
Merci, Volti. Ce 17 juillet, lettre courte, pas de cloques aux bouts des doigts en perspective …
« A François-Louis-Claude Marin
Voici, Monsieur, la seule médaille qui me reste. Il n’y en a jamais eu que douze qui aient porté pour légende [Il écrivait autre chose à Collini le 25 octobre 1769 ; médaille gravée par Wächter]: Il ôte aux nations le bandeau de l’erreur. [Extrait de la Henriade proposé par Grimm]
Si vous pouviez m’en faire tirer deux ou trois douzaines, je les paierais bien volontiers. On m’en demande de tous les côtés, il ne faut pas qu’il y en ait trop, mais il est assez bon qu’il y en ait quelques unes.
Mme Denis est bien loin d’oublier monsieur Marin, nous lui sommes tous deux très attachés.
Voltaire
17è juillet 1773 à Ferney. »
17:02 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : voltaire, marin, médaille, wächter, ferney
25/06/2009
Le révérend père Voltaire donne sa très sainte bénédiction à ses anges
« …pardon d’une lettre blog si courte. », mais les jours sont heureusement parfois trop courts pour tout faire et tout dire. Tout faire, c’est fait, en tout cas l’essentiel . Tout dire, cela reste à dire. De toute façon Volti écrit que « la meilleure façon d’ennuyer est celle de tout dire. » Je ne vous ennuie pas davantage …
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental et à Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d’Argental
Le révérend père Voltaire donne sa très sainte bénédiction à ses anges [V* s’était permis de faire un sermon à l’église le jour de Pâques], et leur envoie le paquet ci-joint qui pourrait les faire pouffer de rire si les calomnies qui vont aux oreilles du roi n’étaient pas toujours sérieuses. On soupçonne fort un certain abbé d’Estrées, ci-devant barbouilleur de papier, devenu espion, prieur auprès de Ferney et n’étant pas encore cardinal, quoiqu’il se soit dit ici neveu du cardinal d’Estrées. On soupçonne, dis-je, ce petit maraud [d’] avoir été l’auteur de la tracasserie [V* fait déjà état de l’abbé d’Estrées en 1764].
Le prédicateur demande à ses anges {s’] il est convenable que Mme Denis aille gronder M. le comte de Saint-Florentin respectueusement et tendrement, et lui dire qu’avant d’écrire des pouilles au nom du roi [lettre de Saint Florentin à V* le 18 juin : « …le roi a été informé, par des plaintes qui en ont été portées à Sa Majesté, que le jour de Pâques dernier vous avez fait dans votre paroisse de Ferney une exhortation publique au peuple, et même pendant la célébration de la messe… Il n’appartient à aucun laïc de faire ainsi une espèce de sermon dans l’église et surtout pendant le service divin. » ; V* écrit à Richelieu le 29 juin : « j’envoyai la lettre à mon curé qui fut aussi étonné que moi….Il donna sur le champ un certificat qui atteste qu’en rendant le pain bénit selon ma coutume le jour de Pâques, je l’avertis, et tous ceux qui étaient dans le sanctuaire , qu’il fallait prier tous les dimanches pour la santé de la reine dont on ignorait la maladie dans mes déserts, et je dis aussi un mot touchant un vol qui venait de se commettre pendant le service divin . La chose a été certifiée par l’aumônier du château (le père Adam), et par un notaire au nom de la communauté. »].Il n’est pas mal auparavant de s’informer si le fait est vrai. En cas que mes anges jugent la démarche convenable, je me mets à l’ombre de leurs ailes, et je les supplie d’en parler à Mme Denis le plus tôt qu’ils pourront. Je leur demande pardon d’une lettre si courte.
Voltaire
25 juin 1768. »
Ce Saint -Florentin à qui Volti avait écrit en 1762 pour l'affaire Calas .
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/caran_fr?ACTION...
Sans doute est-ce pour ce passé là qu'il demande de le gronder "respectueusement et tendrement" !...
19:09 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, denis, argental, saint florentin, ferney, adam
26/12/2008
Idiots, imbéciles,écorchés : à Noël on pense encore à vous !
... Notes mises à jour le 10 janvier 2014 .
« A Charles de Brosses , baron de Montfalcon
Effugit, evasit, erupit 1 dans le temps qu’on le cherchait partout pour souper, pour lui faire hommage lige, et que toute la famille des Délices voulait demander ses ordres. Mais, Monsieur, je ne vous en tiens pas quitte, et je prétends bien que vous aurez la bonté de venir voir le nouvel appartement que je vais faire à Tournay, dès qu’il ne gèlera plus.
Eh bien ! défendez-vous au sage
De travailler pour le bonheur d’autrui ?
Cela même est un bien que je goûte aujourd’hui.
A propos de bonheur, Monsieur, vous avez entendu dire quelque chose du bonheur éternel que le curé de Moëns veut procurer à cinq familles de Ferney qui sont seules restées dans ce malheureux village, ayant droit de commune.
Il veut les envoyer vite au ciel en les faisant mourir de faim. Ce scélérat, reconnu pour le plus exécrable chicaneur de la province, alla solliciter trois procès à Dijon, et il a fait payer tous les frais de son séjour aux pauvres de Ferney, qui labouraient leurs champs tandis qu’il poursuivait contre eux un procès dont ils n’étaient pas instruits. Le fond de la vexation est une dîme de novailles 2 dont les pauvres de Ferney, nommés pauvres, et pauvres d’effet, sont en possession depuis plus d’un siècle à titre de charité et de dédommagement. M. de Montréal [= Bernard de Budé, comte de Montréal] , aussi processif que ce détestable curé, avait donné un procureur nommé Genot à ces pauvres, et avait avancé cinquante écus qu’il a repris. Le Genot, en digne procureur, a , sucé ce qui restait de sang à ces pauvres, à ces imbéciles [ au sens étymologique = faibles] . Le fonds est trente livres de rente, la forme est le diable, et mes pauvres en sont pour quinze cents livres de frais. La commune n’a pour tout bien qu’un petit pré submergé et quelques enfants que le curé de Moëns pourra faire rôtir , s’il veut, pour lui et pour Pâquette sa servante.3 Pourrait-on, Monsieur, présenter requête à la chambre des enquêtes qui les a condamnés, pour avoir un délai d’une année ? Vos belles chiennes de lois françoises ou françaises,ou gombettes [la loi gombette est le code bourguignon du nom du roi des Burgondes Gondebaud ] ou romaines, permettent-elles que des gens écorchés demandent un répit pendant lequel la peau leur reviendra pour la porter en offrande à M. le curé ? Ayez compassion des malheureux : vous n’êtes pas prêtre . Voyez au nom de l’humanité ce qu’on peut faire pour les idiots 4 de Ferney . Instruisez-moi , je vous en conjure .
Quoi ? M. Le Bault m’envoie du plant de Bourgogne 5, et vous ne m’en envoyez pas , et vous n’avez pas soin de votre vigne ! Allons donc, monsieur, quatre mille petits ceps pour l’amour de Dieu ! Je fais déjà travailler à vos hutins 6. Quelle pitié ! Dans quel état noble ivrogne Chouet [fils de syndic, devenu fermier chez De Brosses,, chassé par Voltaire] a mis votre terre ! Que vous êtes heureux d’avoir fini avec lui ! Venez, venez dans un an, vous trouverez les choses bien changées.
J’ai fait mon entrée comme Sancho Pança dans son île 7 . Il ne me manquait que son ventre . Votre curé m’a harangué . Chouet m’a donné un repas splendide dans le goût de ceux d’Horace et de Boileau, fait par le traiteur des Patis ou Paquis 8. Les sujets ont effrayé mes chevaux avec de la mousqueterie et des grenades : les filles m’ont apporté des oranges dans des corbeilles garnies de rubans . Le roi de Prusse me mande que je suis plus heureux que lui ; il a raison, si vous me conservez vos bontés, et si je ne suis jamais inquiété dans mon ancien dénombrement . Je vous présente mon respect.
Madame, je vous demande pardon de ne vous avoir présenté qu’un demi-cent d’épingles [allusion au pot de vin prévu, qu’il veut réduire] ; mais vous êtes la fille de mon intime ami, M . de Crèvecoeur 9. Je n’ai plus le sou ; et vous pardonnerez la liberté grande.
V.
Aux Délices
Le propre jour de Noël 1758
Cela fait souvenir des Noëls bourguignons . »
2 Dîme novale = impôt ecclésiastique prélevé sur une terre nouvellement défrichée ; par une mesure prise le 28 août 1759, elle fut remise en vigueur en faveur des prêtres ; voir Henri Marion , La Dîme ecclésiastique en France et sa suppression au XVIIIè siècle, 1912 .
3 Souvenir de La Fontaine Fables, VII, xi : Le Curé et le mort : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/curemort.htm
4 Dans Un chrétien contre six juifs, 1776, V* écrit : « […] idiot signifiait autrefois isolé, retiré du monde, et ne signifie aujourd'hui que sot » . Le mot grec idiotes qui désignait un simple particulier par opposition au magistrat, avait à l'usage pris le sens d'ignorant, homme du peuple (Littré).
5 Voir lettre du 4 décembre 1758 à Le Bault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/21/je-vais-tacher-de-faire-un-peu-de-bien-dans-un-pays-ou-je-ne-5252467.html
7 Don Quichotte, II, xlv : http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Ing%C3%A9nieux_Hidalgo_Don_Quichotte_de_la_Manche/Deuxi%C3%A8me_partie/Chapitre_XLV
8 Les Paquis forment maintenant un quartier [chaud !] de Genève .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_P%C3%A2quis
9 Voir lettre du 21 avril 1758 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/08/07/les-visites-qu-on-doit-aux-dames-de-quatre-vsingt-ans-ne-peu2.html
"Vos belles chiennes de lois françoises ou françaises, ou gombettes [bourguignonnes] ou romaines, permettent-elles que des gens écorchés demandent un répit" : question qui reste d'actualité pour ceux dont le logement n'est garanti que jusqu'en mars, date à laquelle,- oh ! joyeux retour du printemps et des huissiers en fleur -, les propriétaires privés ou publics mettront à la rue bon nombre de malchanceux . Comme disait Brel ( que j'ose admirer encore et toujours) :
"Et puis, y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux...
mais qui vous flanque dehors pour son que sacro-saint loyer tombe dans son escarcelle sans fond. Tous ne sont pas de cet acabit -bien que j'en aie malheureusement connu que de cette sorte- , il y a quelques exceptions heureusement . Que Dieu les garde !
"Ayez compassion des malheureux : vous n’êtes pas prêtre" : je dois encore avouer une de mes faiblesses ( -la liste n'est pas encore publiable !-) : je viens de voir Ben Oit x .v. i. doré comme un louis d'or, devant un trône doré, et j'ai du mal à partager les valeurs de cet infaillible guide de la chrétienté... J'aimerai un discours moins théorique et des dépenses moins somptuaires.
Vous allez peut-être me dire que je suis injuste, que je n'ai pas compris le message papal . Pourquoi ce bon apôtre n'aime-t-il pas son prochain comme lui-même, à moins qu'il ne s'aime pas, ça expliquerait bien des choses !
- Allez, le psy de comptoir, va te coucher !!!
- Quand je veux !
18:42 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, idiot, faim, curé, moëns, ferney, benoit
13/12/2008
rich man, very poor men
« A Jean-Robert Tronchin
Je suis bien plus coupable encore que vous ne dites, mon cher correspondant, et je crois vous avoir fait ma confession par ma dernière lettre, car outre la terre de Ferney que j’ai achetée pour les miens, et où je bâtis, j’ai encore acheté à vie la comté de Tournay du président De Brosses et lui ai donné une lettre de change sur vous payable aux Saints, de 16 mille livres, et une pour les Rois, de 19 000 livres, qui seront payées à moins qu’il ne survienne quelque accident qui rompe cette affaire et en ce cas je vous donnerais avis.
Après vous avoir fait ma confession, voici comme je prétends à l’absolution. 1° les 130 000 livres données à l’Electeur palatin assurent une rente considérable à Mme Denis, et je regardais comme un devoir de prendre soin de sa fortune. 2° les 90 000 livres entre les mains de notre ami Labat [qui les prête à la duchesse de Saxe Gotha] sont une très bonne affaire, et le capital rentre dans les 3 ans ½.
Je vais actuellement vous ouvrir mon cœur sur le reste. Ce cœur est trop à vous pour vous être caché. Après avoir pris le parti de rester auprès de votre lac, il fallait soutenir ce parti. Mais vous savez qu’à Genève il y a des prêtres comme ailleurs. Vous n’ignorez pas qu’ils ont voulu me jouer quelques tours de leur métier. Ils ont continuellement répandu dans le peuple que j’étais venu chercher un asile dans le territoire de Genève et ils ont feint d’ignorer que j’avais fait à Genève l’honneur de la croire libre et digne d’être habitée par des philosophes. J’ai opposé la patience et le silence à toutes leurs manœuvres. J’ai pris une belle maison à Lausanne pour y passer les hivers. Et enfin je me vois forcé d’être le seigneur de deux ou trois prédicants, et d’avoir pour mes vassaux ceux qui osaient essayer de m’inquiéter. J’ai tellement arrangé l’achat de Tournay que je jouis pleinement et sans partage de tous les droits seigneuriaux, et de tous les privilèges de l’ancien dénombrement.
La terre de Ferney est moins titrée, mais non moins seigneuriale. Je n’y jouis des droits de l’ancien dénombrement que par grâce du ministère, mais cette grâce m’est assurée. J’aime à planter, j’aime à bâtir et je satisfais les seuls goûts qui consolent la vieillesse. J’étais las d’acheter pour 3000 livres de bois de chauffage par an, et de n’avoir pas chez moi assez de fourrage pour mes chevaux. J’avais parmi mes domestiques un vigneron en titre d’office, pour cultiver deux arpents de vigne [environ 1 ha]. J’avais deux jardiniers pour un petit potager, et un équipage de charrue au semoir pour semer deux coupes de blé. Ces domestiques seront mieux employés dans de plus grands domaines, et ne me coûteront pas davantage. Les deux terres l’une compensant l’autre me produisent le denier vingt, et le plaisir qu’elles me donnent est le plus beau de tous les deniers.
Je réduirai à la modestie le château que je bâtis à Ferney. J’ai d’ailleurs d’entrée de jeu les pierres, la chaux et presque tous les bois. Vous voyez dans quels détails j’entre avec vous. J’y suis autorisé par votre amitié. Enfin je me suis rendu plus libre en achetant des terres en France que je ne l’étais n‘ayant que ma guinguette de Genève et ma maison de Lausanne. Vos magistrats sont respectables, ils sont sages, la bonne compagnie de Genève vaut celle de Paris, mais votre peuple est un peu arrogant, et vos prêtres un peu dangereux. Vos parents et vos amis me dirent il y a plusieurs mois, qu’ils croyaient nécessaire de me faire recommander à Genève par le ministère de France. J’ai pris le parti de me recommander moi-même, et d'être chez moi maître absolu. J’en serai beaucoup plus maître dans l’ermitage des Délices.
Somme totale j’ai ajouté deux grands degrés à ma félicité et je l’ai affermie, et somme totale par rapport aux finances, soyez sûr que si je vis encore quatre ans vous m’enverrez un compte pareil à celui de 1757. Pardonnez- moi donc, mon cher confesseur. J’ai reçu le groupe jaune et blanc [250 louis d’or et 50 d’argent]. Je vous remercie tendrement de tous vos soins et je suis encore plus sensible à l’amitié avec laquelle vous me parlez de mes intérêts.
V.
13 décembre 1758. »
Yes, il l’a fait ! Les revenus sont conséquents, offrons nous un territoire pour être (chez moi) maître absolu et éviter de se frotter davantage à ce peuple un peu arrogant . Il est titré, il va bâtir, il va faire cultiver, il va recevoir, il va briller, non pas quatre ans, mais vingt ans. Inespéré ! Fernex devient Ferney et enfin ça bouge dans ce coin insalubre du Pays de Gex.
Hier soir, j’ai vu le reportage Thalassa sur Haïti : j’ai du mal à concevoir que des humains en soient réduits à être des bousiers, oui des bousiers !! Comment nommer des êtres qui mangent de la terre, en galettes salées certes, mais de la boue quand même. Comment prendre au sérieux des présidents et des gouvernements qui lâchent des millions pour la recherche spatiale, pour des guerres, … J’en viens à me demander ce que je fiche ici, je devrais être à l’Assemblée nationale pour engueuler les députés qui se votent des augmentations , qui rajoutent des lois aux lois, qui ne comprennent même plus ces misérables textes qui oppriment plus souvent qu’ils ne libèrent ; ils grimpent sur leurs gradins et sur leurs petits ergots et ne voient pas plus loin que le fond de leurs maroquins. Quant à la valse des bagues aux doigts des ministres et aux voyages non-stop présidentiels, passons, d’autres pendant ce temps trépassent …
Haïti , haï T, ha E.T. : ça y est, je débloque moi aussi ; je suis, comme disait de lui-même un copain de régiment polytechnicien et parachutiste, « fondamentalement lâche » et accessoirement courageux. Quand pourrons nous dire comme Voltaire « j’ai fait un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage ». Hâtons nous …Engueulez moi , moi aussi...
18:45 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, genève, ferney, haïti, bousier, député, ministre
22/11/2008
attention, gel dans 74000 ans
"A Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, rue Louis le Grand à Paris.
Raton {Voltaire}, mon respectable philosophe, est depuis vingt ans l'ami de Mme l'Enveloppe {M. l'Enveloppe des pensées= Necker}, et lui a eu, en divers temps quelques obligations. Il ne faut point être ingrat envers ses amis parcequ'il leur arrive quelque bonne fortune.
.....
Toutes ces disputes sont des balivernes. L'essentiel pour moi est que la petite ville que je batissais tout doucement est détruite avant d'être achevée, et que ses ruines m'écrasent. Je ne pourrai pas dire en mourant,
Urbem ridiculum statui, mea moenia vidi,
Et nunc parva mei sub terras ibit imago.
= J'ai fondé une ville ridicule, j'ai vu des murailles qui étaient à moi, et maintenant une petite image de moi va descendre sous terre.
Mes pauvres horlogers qui avaient fondé la ville sont persécutés. Je ne suis pas assez sot pour les soutenir. J'abandonne tout, je meurs ruiné. Jean s'en alla comme il était venu.
Cependant Gilles Shakespear [William Shakespeare] et maître Guénée triomphent. Peut-être tout cela changera dans soixante et quatorze mille ans, quand tout sera gelé.
Je vous embrasse très tendrement du fond de ma caverne.
Voltaire.
Ferney, le 22 novembre 1776."
Notre latiniste distingué avait un peu le blues en voyant que des tracasseries gouvernementales et fiscales faisaient fuir des travailleurs émigrés qui avaient le plus contribué à transformer le "hameau misérable peuplé de quarante sauvages" de 1758 en petite ville prospère de près de mille habitants. Nous étions déjà dans un état où les normes pouvaient entraver certaines pratiques, en l'occurrence, "la liberté de travailler l'or et l'argent à des titres inférieurs à ceux prescrits par les ordonnances", autorisation pourtant accordée par "le feu roi" (=Louis XV). Voltaire en arrivera à conclure que le meilleur moyen d'améliorer la situation est "qu'on nous oublie", particulièrement les fermiers généraux, le fisc de l'époque .
Je crois qu'en cette période riche en demande pécunière de l'Etat, taxes diverses et variées dont celle d'habitation, nous aussi formulons cette prière :"oubliez nous", nous saurons bien utiliser au mieux ce que vous prélevez !
Quand aux prédictions de gel de toute la terre, c'était une théorie du grand Buffon. Alors réchauffement ou pas ? A suivre...
16:47 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, condorcet, ferney, raton, necker, shakespeare
21/11/2008
Un Gessien faché de plus !?
"A Élie Bertrand
Mon cher ami, je suis bien fâché d'avoir perdu un temps précieux à répondre au misérable qui devait oublier les morts et respecter les vivants. Mais un homme d'un très grand mérite et d'un très bon conseil, qui m'apporta ces jours passés le Mercure suisse 1 me dit qu'il fallait absolument faire rougir et faire repentir l'ennemi de ma société. J'ai rempli les devoirs d'un homme et d'un ami ; et c'est à ces deux titres que je vous demande votre suffrage.
Voltaire " Au château de Ferney, pays de Gex, par Genève, 20 novembre 1758.
1 Le Journal helvétique ( appelé le Mercure suisse) d'octobre 1758 avait publié une lettre d'un nommé Jean-Pierre Le Resche dans lequel celui-ci avait attaqué V* au sujet de l'article « Saurin » du Catalogue [… ] des écrivains joint au Siècle de Louis XIV, et spécialement à propos des passages où V* fait l'apologie de la libre pensée de Saurin et de la façon dont il avait hypocritement dupé Bossuet qui s'était imaginé l'avoir converti . V* répondit par une longue lettre au même journal, intitulée Réfutation, qui occupe les pages 617-625 du numéro de décembre du Journal helvétique : http://books.google.fr/books?id=V6EGAAAAQAAJ&pg=PA617&lpg=PA617&dq=journal+helv%C3%A9tique+octobre+1758&source=bl&ots=ut12KAspkV&sig=Wsx1CfVvlVXlNghQwtNmCf_2RB4&hl=fr&sa=X&ei=GueqUtiaBfD50gX0-oDwAg&ved=0CDEQ6AEwAA#v=onepage&q=journal%20helv%C3%A9tique%20octobre%201758&f=false
. Seigneux de Correvon fait allusion à toute l'affaire dans une lettre à Haller du 30 décembre 1758 : « Vous avez vu, monsieur, le carillon que commençaient à faire les pièces concernant feu Joseph Saurin . M. de Voltaire m'écrit que les seigneurs avoyers [de Berne] ont blâmé l'anonyme [Le Resche] qui a écrit contre lui dans le Journal helvétique et lui en ont témoigné leur indignation ; et j'apprends qu'après la Réfutation on n'écrira plus rien là-dessus . » On ne sait rien de plus de la lettre de V* à laquelle Seigneux de Correvon fait allusion .
On trouvera l'article de Le Resche dans Besterman, D 7980 et la réponse de V* dans Moland , t. XXIV, p. 79-84.
Voir : http://data.bnf.fr/ark:/12148/cb31602533c
et lettre du 7 février 1759 à de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/02/07/tout-est-decouvert-et-constate.html
Il était bon d'être des amis de ce patriarche qui ne laissait pas passer les attaques contre ses protégés, qu'ils soient défunts ou bien vivants. Pointilleux, chercheur de poux dans la tonsure, chicanier et bien autres choses encore, ce nouvel habitant du pays de Gex va laisser une trace indélébile dans le paysage et dans les esprits . Raleur, oui, mais quel talent ; on en redemande !
Note : Elie Bertrand a publié en 1757 "Mémoires historiques et physiques sur les tremblements de terre"
13:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, ferney, chateau, anniversaire