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02/05/2010

je ne veux point de querelle pour un livre. Je les brûlerais plutôt tous.





« A Nicolas-Claude Thiriot
[1er mai 1738]


Vous faites fort mal, mon cher ami, d’envoyer l’écrit en question [mémorandum de V* sur les Eléments de la Philosophie de Newton] à ce misérable journal très mal fait [La Bibliothèque française d‘Amsterdam], presque inconnu, qui ne se débite que tous les trois mois, qui ne sera dans Paris que dans un an, et dont il  vient tout  au plus une vingtaine d’exemplaires. Vous avez cent autres débouchés. On peut obtenir des permissions, on peut se servir des brochures hebdomadaires, vous devriez même consulter le R. père 
[ révérend père Castel, inventeur du clavecin oculaire, auteur des Nouvelles expériences d’optique et d’acoustique … (1735) et autres traités , quoique, le 28 mars, V* semble avoir déjà composé contre lui sa Lettre à Rameau datée du 21 juin  . Le 15 juin, V* écrit à Maupertuis qu‘il a été en « commerce«  avec le père Castel et lui a envoyé le morceau des Eléments où il est question de son clavecin oculaire. Il est peu probable qu‘il s‘agisse du père Porée à qui, le 17 novembre il écrira qu‘il a envoyé il y a quelques mois au père Castel deux exemplaires de ses Eléments dont un devait lui être présenté ] sur l’ouvrage, en lui faisant tenir une copie ; je suis sûr que la lecture lui fera impression. Il faudra consulter de la même façon les mathématiciens qui ont examiné les mêmes problèmes. J’abandonne le tout à votre prudhomie. Je reçois en même temps votre lettre du vingt cinq, et bien des nouvelles qui me chagrinent. Premièrement je suis assez fâché que Racine que je n’ai jamais offensé ait sollicité la permission d’imprimer une satire dévote de Rousseau contre moi. Je suis encore plus affligé qu’on m’attribue des épîtres sur la liberté [le deuxième Discours sur l‘Homme : De la Liberté, qui est bien de V*]. Je ne veux point me trouver dans les caquets de Molina ni de Jansénius. On m’envoie un morceau d’une autre pièce de vers, où je trouve un portrait assez ressemblant à celui du prêtre de Bicêtre [troisième Discours sur l‘Homme : de l‘Envie, où il attaque Desfontaines]. Mais en vérité il faut être bien peu fin pour ne pas voir que cela est de la main d’un académicien ou de quelqu’un qui aspire à l’être. Je n’ai ni cet honneur ni cette faiblesse et, si j’ai à reprocher quelque chose à ce monstre  d’abbé Desfontaines, ce n’est pas de s’être moqué de quelques ouvrages des quarante [Desfontaines a été condamné pour avoir écrit un libelle contre l‘Académie].

Je suis bien aise que vous ayez gagné un louis à Gentil Bernard, je voudrais que vous en gagnassiez cent mille à Crésus Bernard [Gentil Bernard = Pierre-Joseph Bernard, poète, avec qui Thiriot avait parié que V* était ou non l‘auteur des Epitres en question. Crésus Bernard = Samuel Bernard, le financier]. Je n’ai point vu l’Epître sur la liberté. Je vais la faire venir avec les autres brochures du mois. C’est un amusement qui finit d’ordinaire par allumer le feu.

Autre sujet d’affliction. On me mande que malgré toutes mes prières les libraires de Hollande débitent mes Eléments de la philosophie de Neuton quoique imparfaits. Or da mi consiglio [donne moi un conseil]. Les libraires hollandais avaient le manuscrit depuis un an à quelques chapitres près [cf. lettre du 20 juin 1737 à Pitot]. J’ai cru qu’étant en France je devais à M. le chancelier le respect de lui faire présenter le manuscrit entier. Il l’a lu, il l’a marginé de sa main. Il a trouvé surtout le dernier chapitre peu conforme aux opinions de ce pays-ci. Dès que j’ai été instruit par mes yeux des sentiments de M. le chancelier [d‘Aguessau], j’ai cessé sur le champ d’envoyer en Hollande la suite du manuscrit ; le dernier chapitre surtout qui regarde les sentiments théologiques  de M. Neuton n’est pas sorti de mes mains. Si donc il arrive que cet ouvrage tronqué paraisse en France par la précipitation des libraires, et si M. le chancelier m’en savait mauvais gré, il serait aisé par l’inspection seule du livre de le convaincre de ma soumission à ses volontés. Le manque des derniers chapitres est une démonstration que je me suis conformé à ses idées dès que je les ai pu entrevoir ; je dis entrevoir car il ne m’a jamais fait dire qu’il trouvât mauvais qu’on imprimât le livre en pays étranger.

En un mot, soit respect pour M. le chancelier soit aussi amour pour mon repos, je ne veux point de querelle pour un livre. Je les brûlerais plutôt tous.

Voulez-vous lire le petit endroit de ma lettre à M. d’Argenson ? Est-il à propos que je lui en écrive ? Conduisez-moi.

M. le bailly de Froulay est venu ici, et a été, je crois, aussi content de Cirey que vous le serez. Les Denis en sont assez satisfaits [Marie-Louise Mignot et son mari Nicolas-Charles Denis épousé le 25 février]. Je mets ma nièce Serizi [seconde nièce de V* qui va épouser Nicolas-Joseph de Dompierre de Fontaine] entre vos mains. Si elle est raisonnable, elle en fera autant, et vous prendra pour son directeur.

Le neutonisme pour les dames [d’Algarotti, traduit par Duperron de Castera, 1738] est pour Cirey, nous avons la lettre d’avis. Il faut envoyer cela chez M. le marquis du Châtelet. J’ai toujours Mérope sur le métier.

Vale, te amo.
V…

Rendez-moi le service, mon cher ami, de passer chez Hébert, rue Saint Honoré, et de lui marchander une tabatière en or émaillé et à fleurs, qu’il avait fait faire pour Mme du Châtelet, et dont elle, ou son mari n’a pas voulu parce qu’elle est trop chère. Faites le prix et si cela ne passe pas 600 livres tournois, dites-lui qu’il l’envoie sur-le-champ à l’abbé Moussinot qui paiera comptant. »

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