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17/01/2011

perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le service de la patrie

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

17è janv[ier] 1774, à Ferney

 

 

Je vous remercie infiniment, mon cher ange, de la bonté que vous avez eue pour La Harpe i. C'est une petite goutte de baume versée sur la blessure que je lui fais malgré moi en passant devant lui supposé qu'en effet cette Sophonisbe de Mairet ii soit jouée avant les Barmécides iii. La Harpe m'avait demandé avec beaucoup d'adresse ce petit plaisir que vous lui avez fait . Il m'avait écrit que j'avais un prodigieux crédit auprès du Contrôleur général, et que je pouvais aisément lui faire obtenir une gratification. J'ai mieux aimé la lui faire que d'user de mon grand crédit, lequel a consisté jusqu'à présent à perdre une somme considérable que M. le Contrôleur général m'a fait l'honneur de me prendre dans ma poche pour le service de la patrie iv.

Je connais fort L'Épine v, horloger du roi, qui a dans Ferney un établissement, et même à mes dépens ; mais je ne connais point Caron Beaumarchais, quoiqu'il m'ait envoyé ses très comique Mémoires vi, dans lesquels il a fourré notre ami l'hippopotame vii, et Baculard le conseiller d'ambassade ; Caron est si plaisant, sur les ordinaires de la dame Goësmann viii, il est si impétueux, si extravagant et si drôle, que je mettrais ma main au feu qu'il n'a jamais empoisonné ses femmes ix. Les empoisonneurs ne font pas pouffer de rire ; ce sont d'ordinaire des chimistes très sérieux, et très peu amusants ; et il faut songer que Beaumarchais n'est pas médecin. D'ailleurs Beaumarchais n'avait nul intérêt à purger si violemment ses femmes, il n'héritait point d'elles et les vingt mille écus dont vous me parlez sont l'argent de la dot qu'il rendit à la famille en gardant pour lui tout ce qu'il put, qui n'était pas grand chose. Je crois qu'il est assez aisé à une femme d'empoisonner son mari, et à Monsieur d'empoisonner Madame ; il y en a eu des exemples dans les siècles passés ; mais Beaumarchais est trop étourdi pour être empoisonneur. C'est un art qui demande une prudence infinie.

 

Pour la plupart de vos comédiens de Paris, ce sont des meurtriers qui massacrent mes vers ; il n'y a que Lekain qui les fasse vivre.

 

Vous êtes-vous jamais donné la peine de lire la Sophonisbe de Corneille tant louée par Saint-Evremond ? C'est à mon gré le plus ridicule ouvrage qui soit jamais sorti du bec inégal de la plume de ce grand homme.

 

Le temps est fort doux au mont Jura. Je me flatte qu'il en est de même à Paris près de Montmartre ; et que la santé de Mme d'Argental va mieux. Jouissez de la vie, mes deux anges. Je me mets toujours à l'ombre de vos ailes, quoique de bien loin. Votre culte est établi à Ferney. »

 

i V* lui avait demandé de lui donner vingt-cinq louis, à valoir sur ce que d'Argental devait à V*.CF. Lettre du 30 décembre 1773 :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/29/j...

 

iii Sophonisbe a été jouée le 15 janvier sans succès, ce qui fait que V* parlera de cabale. Les Barmécides, tragédie, sera créée à la Comédie Française le 11 juillet 1778.

Les Barmécides, historiquement parlant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Barmécides

Tragédie de La Harpe : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6124677v.r=.langFR

 

iv Rappel des actions de l'abbé Terray et des rescriptions.

 

v Beau-frère de Beaumarchais.

 

vi Les mémoires Goësmann sur son procès ; cf. lettre du 30 décembre 1773 à d'Argental.

 

vii Marin, appelé «animal marin » dans les Mémoires Goësmann ; Beaumarchais rajoute dans l'Addition au supplément du mémloire ...: « Qui sait si l'éclaircissement de ce fait ne nous montrera pas le noeud caché de toute l'intrigue, entre Bertrand, marin et consorts : Tel qui croyait n'avoir harponné qu'un marsouin / Amène quelquefois un lourd hippopotame » Sur le soi-disant « ami » Marin voir lettre à d'Argental du 30 décembre 1773. et voir Page 206 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5452641z/f229.image...

 

viii Beaumarchais l'accusait d'avoir reçu des épices.

 

ix Cette opinion de V* n'est pas partagée dans Paris et provoque des réactions ; Beaumarchais racontera une scène amusante à ce propos.

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