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23/01/2011

Si je ne tenais pas à ma bibliothèque et à mes établissements, j'irais certainement passer les hivers dans les pays chauds

 

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Et puis, une découverte , d'une jeune artiste : http://www.deezer.com/listen-3020060

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« Concerto pour hautbois d'amour » , qui ne peut être dédié qu'à Mam'zelle Wagnière : http://www.deezer.com/listen-2985300

 

 

 

 

« A Mathieu-Henri Marchant de La Houlière

 

23 janvier 1771

 

Je ne fais point d'élégie, mon cher neveu i, je ne fais que des montres. J'avais établi dans Ferney trois fabriques ; j'avais recueilli cent artistes, je leur avais bâti des maisons commodes ; je leur avais avancé des sommes très considérables pour un simple particulier comme moi ; leur commerce florissait ; j'avais changé un malheureux hameau en un séjour agréable et opulent ... Une petite lettre de trois lignes a dérangé tout ii. Je ne peux plus rien, ni pour moi, ni pour les autres. Je ne conseille pas qu'on s'attende à moi iii, à moins qu'on ne veuille être placé en Russie, en Danemark ou en Prusse, car je suis fort bien avec les monarques de ces trois pays.

 

Je ne vous conseille pas de quitter le vôtre pour leurs frimas et pour leurs neiges . Vous devez être dans le climat le plus agréable de la nature iv. Je suis , moi, dans la plus belle situation, après Constantinople ; mais je suis entouré cinq mois de l'année, de neiges qui me rendent aveugle, et actuellement que je vous écris , j'ai perdu la vue pour deux mois. Si je ne tenais pas à ma bibliothèque et à mes établissements, j'irais certainement passer les hivers dans les pays chauds, supposé que la nature me garde encore quelques hivers.

 

Cultivez vos belles vignes, mon cher neveu ; vivez heureux chez vous, tandis qu'on ne sait point l'être à Paris, que le parlement embarrasse toujours la cour, qu'il a cessé ses fonctions et que l'on n'a encore nommé ni ministre des Affaires étrangères, ni ministre de la Marine.

 

Mes obéissances à madame votre femme et à toute votre famille.

 

Le vieux malade de Ferney. »

 

i Petit-fils de Marie Arouet, tante de Voltaire, donc plus exactement petit-cousin germain. Voir page 435 , http://books.google.fr/books?id=m7dBAAAAYAAJ&pg=PA435...

et

http://www.cairn.info/revue-annales-de-bretagne-et-des-pays-de-l-ouest-2008-4-page-55.htm

 

 

ii Lettre du roi ordonnant à Choiseul de quitter ses fonctions et se retirer à Chanteloup.

 

iii = qu'on compte sur moi .

Grâce à Voltaire, La Houlière avait obtenu de Choiseul un brevet de brigadier .

 

iv A Salses en Roussillon, où il est commandant.

Voir :http://books.google.fr/books?id=m7dBAAAAYAAJ&pg=PA435...

 

 

N. B. : Guilleret ! dans le ton qui aurait plu à Volti : Les Imbéciles : http://www.deezer.com/listen-2718634

 

C'est une action d'honnêteté et de charité, de ne point accuser son prochain quand il est encore en vie, et de charger les morts à qui on ne fait nul mal

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Mais n'oublions pas que Le chien aboie et la clarinette basse :

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

23è janvier 1768

 

Mon cher ange, c'est une grande consolation pour moi que vous ayez été content de M. Dupuits i. Il me parait qu'il vaut mieux que le Dupuits de Des Ronais ii. Je souhaite à M. le duc de Choiseul que tous les officiers qu'il emploie soient aussi sages et aussi attachés à leur devoir. Je l'attends avec impatience dans l'espérance qu'il nous parlera longtemps de vous .

 

Que je vous remercie de vos bontés pour Sirven ! Il faut être aussi opiniâtre que je le suis pour avoir poursuivi cette affaire pendant cinq ans entiers sans jamais me décourager . Vous venez bien à propos à mon secours. Je sais bien que cette petite pièce n'aura pas l'éclat de la tragédie des Calas ; mais nous ne demandons point d'éclat, nous ne voulons que justice iii.

 

Votre citation du chien qui mange comme un autre du dîner qu'il voulait défendre est bien bonne ; mais je vous supplie de croire par amitié, et de faire croire aux autres par raison et par intérêt de la cause commune, que je n'ai point été le cuisinier qui a fait ce dîner iv. On ne peut servir dans l'Europe un plat de cette espèce qu'on ne dise qu'il est de ma façon. Les uns prétendent que cette nouvelle cuisine est excellente, qu'elle peut donner la santé, et surtout guérir des vapeurs. Ceux qui tiennent pour l'ancienne cuisine disent que les nouveaux Martialo v sont des empoisonneurs. Quoi qu'il en soit , je voudrais bien ne point passer pour un traiteur public . Il doit être constant que ce petit morceau de haut goût est de feu Saint Hyacinthe. La description du repas est de 1728. le nom de Saint-Hyacinthe y est ; comment peut-on après cela me l'attribuer ? Quelle fureur de mettre mon nom à la place d'un autre ! Les gens qui aiment ces ragoûts-là devraient bien épargner ma modestie.

 

Sérieusement vous me feriez le plus sensible plaisir d'engager M. Suard à ne point mettre cette misère sur mon compte. C'est une action d'honnêteté et de charité, de ne point accuser son prochain quand il est encore en vie, et de charger les morts à qui on ne fait nul mal. En un mot, mon cher ange, je n'ai point fait, et je n'aurai jamais fait les choses dont la calomnie m'accuse.

 

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie vi. Ayez la bonté, je vous en prie, de parler à M. Suard s'il vient chez vous.

 

Puis-je espérer que mon cher Damilaville aura le poste qui lui est si bien dû vii? Il est juste qu'il soit curé après avoir été vingt ans vicaire .

 

J'ai une autre grâce à vous demander ; c'est pour ma Catherine . Il faut rétablir sa réputation à Paris chez les honnêtes gens. J'ai de fortes raisons de croire que MM. les ducs de Praslin et de Choiseul ne la regardent pas comme la dame du monde la plus scrupuleuse ; cependant je sais autant qu'on peut savoir qu'elle n'a nulle part à la mort de son ivrogne de mari : un grand diable d'officier aux gardes, Préobazinski, en le prenant prisonnier lui donna un horrible coup de poing qui lui fit vomir du sang ; il crut se guérir en buvant continuellement du punch dans sa prison, et il mourut dans ce bel exercice viii. C'était d'ailleurs le plus grand fou qui ait jamais occupé un trône . L'empereur Venceslas n'approchait pas de lui.

 

A l'égard du meurtre du prince Yvan ix, il est clair que ma Catherine n'y a nulle part . On lui a bien de l'obligation d'avoir eu le courage de détrôner son mari, car elle règne avec sagesse et avec gloire ; et nous devons bénir une tête couronnée qui fait régner la tolérance universelle dans cent-trente-cinq degrés de longitude . Vous n'en avez , vous autres, qu'environ huit ou neuf, et vous êtes encore intolérants . Dites donc beaucoup de bien de Catherine, je vous en prie, et faites-lui une bonne réputation dans Paris.

 

Je voudrais bien savoir comment Mme d'Argental s'est trouvée de ces grands froids . Je suis étonné d'y avoir résisté. Conservez votre santé, mon divin ange, je vous adore de plus en plus.

 

V. »

 

i Mari de Marie-Françoise Corneille, -donc « gendre » adoptif de V*,- est allé à Paris pour y obtenir un commandement.

 

ii  Pièce de Charles Collé : Dupuis et des Ronais, 1759, tirée des Illustres Françaises de Robert Challe .

Dupuis et des Ronais : http://books.google.fr/books?id=0UIGAAAAQAAJ&printsec...

Illustres françaises : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Illustres_Fran%C3%A7aises

 

iii Il faut qu'ils soient reconnus innocents de la mort de leur fille et qu'ils récupèrent leurs biens.

 

iv  Dîner du comte de Boulainvilliers par M. de St-Hiacinthe, 1717, qui est de V* ; http://www.voltaire-integral.com/Html/26/27_Boulainvillie...

 

v François Massiolot (1663-1733) qui écrivit Le Cuisinier royal et bourgeois, 1691 ; V* le nomme déjà Martialo dans le Mondain.

http://www.archive.org/stream/lenouveaucuisin00massgoog#page/n4/mode/2up

Le Mondain , vers 37 : http://www.voltaire-integral.com/Html/10/23_Mondain.html

 

vi Voir Tartuffe.

 

vii Poste alors vacant de directeur du vingtième où il était premier commis . Il était « barré » par Sauvigny.

Le vingtième : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vingti%C3%A8me

 

viii Dans ses Notebooks, tome II, page 335, V* reprend le témoignage du comte Rewusky.

 

22/01/2011

à force de peines et de dépenses

 

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manitas.jpg

 

 

Il n'y en a qu'un, Petites Mains d'Argent, Manitas de Plata , que j'ai eu le plaisir de cotoyer une soirée animée de juin 68 -(eh! oui , même à Montpellier on savait faire la fête, sans beuverie, avec juste ce qu'il faut  )- et que je réécoute quand je veux décoller la pulpe !

 

 

« A Georg Conrad Walther

libraire du roi à Dresde

 

A Berlin ce 22 janvier [1752]

 

J'ai réussi, mon cher Walther, à force de peines et de dépenses à rattraper l'exemplaire i qu'on ii m'avait volé et qu'on avait confié au sieur Lessing, étudiant en médecine à Wittemberg iii. Ainsi je vous épargne tous les mouvements que vous vous seriez donnés iv. Tous les exemplaires sont en ma possession, et en pleine sureté sans en excepter un seul . J'en confierai un si vous voulez à M. Stieven, qui est à Brunswick. C'est un honnête homme et qui est dans un poste de confiance. Je crois que vous serez bien aise d'avoir un aussi habile traducteur. Si vous avez fait quelques démarches auprès du sieur Lessing, regardez-les comme inutiles. J'espère que vous trouverez votre avantage dans le débit de l'original, et dans celui de la traduction. Je vous embrasse.

 

V. »


i Exemplaire du Siècle de Louis XIV.Walther va l'éditer : http://books.google.fr/books?id=LjgHAAAAQAAJ&pg=PR1&a...

ii  « On » = son secrétaire-copiste Richier (de Louvain).

iv Le 18, à Walther, V* demanda de « déterminer » Lessing «  à faire cette traduction » qu'il a entreprise « pour lui sur un exemplaire corrigé, complet et muni d'un grand nombre de cartons... »

 

21/01/2011

Je suis dans mon lit depuis un mois, fort peu instruit de ce qui se passe dans ce monde-ci et dans l'autre

 A Volti, moi, j'accorde le bon Dieu sans confession . Mais qu'il se méfie des anges blonds/blondes fatales  !

Le-Bon-Dieu-sans-confession-1953-1.jpg

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

 

21è janvier 1765 à Ferney

 

Mon héros, si vous prenez goût à l'empereur Julien i j'aurai l'honneur de vous envoyer quelque infamie de cette espèce pour éprouver votre foi, et pour l'affermir .

 

Je suis dans mon lit depuis un mois, fort peu instruit de ce qui se passe dans ce monde-ci et dans l'autre . La faiblesse du corps diminue toutes les passions de l'âme . Je ne me sens aucun zèle pour le tripot de la Comédie-Française . Je sens que si j'étais jeune j'aurais beaucoup de goût pour celui de l'Opéra-Comique . On y danse, on y chante, on y dit des ordures ; tous les contes de La Fontaine y sont mis sur la scène, et on m'assure qu'on y jouera incessamment Le Portier des Chartreux ii mis en vers par l'abbé Grizel .

 

Vous croyez bien , Monsieur le Maréchal, que je ne serai pas assez imbécile pour disputer contre vous sur la tracasserie concernant les indignités de la troupe du faubourg Saint Germain iii. Si j'étais un malavisé et un opiniâtre, je vous dirais que votre lettre du 17è septembre iv qui me donnait toute permission, était une réponse à mes requêtes . Je vous dirais que ces requêtes étaient fondées sur des représentations du tripot même, et je vous jurerais que Parme et Plaisance v n'y avaient aucune part . Mais Dieu me garde d'oser disputer avec vous ! Vous auriez trop d'avantage, non seulement comme mon héros et comme mon premier gentilhomme de la chambre, mais comme un homme sain, frais, gaillard et dispos, vis-à-vis d'un vieux Quinze-Vingt malade qui radote dans son lit au pied des Alpes .

 

Le chevalier de Boufflers est une des singulières créatures qui soient au monde ; il peint en pastel fort joliment ; tantôt il monte à cheval tout seul à cinq heures du matin, et s'en va peindre des femmes à Lausanne vi, il exploite ses modèles vii; de là il court en faire autant à Genève, et de là il revient chez moi se reposer des fatigues qu'il a essuyées avec des huguenotes .

 

J'aurai l'honneur de vous dire que je suis si dégoûté des tripots que je me suis défait du mien . J'ai démoli mon théâtre, j'en fais des chambres à coucher et à repasser le linge viii. Je me suis trouvé si vieux que je renonce aux vanités du monde . Il ne me manque plus que de me faire dévot pour mourir avec toutes les bienséances possibles . J'ai chez moi, comme vous savez je pense, un jésuite ix, à qui on a ôté ses pouvoirs dès qu'on a su qu'il était dans mon profane taudis . Son évêque savoyard est un homme bien malavisé, car il risque de me faire mourir sans confession, malheur dont je ne me consolerai jamais . En attendant, je me prosterne devant vous . »

 

 

 

 

i Le 19 décembre 1764, V* lui promettait de lui envoyer la Défense du paganisme par l'empereur Julien en grec et en français avec des dissertations et des notes... par M. le marquis d'Argens, 1764 . Voir page 120 : lettre à Richelieu : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f125.image.r...

et : http://books.google.fr/books?id=k-QPAAAAQAAJ&pg=PA75&...

V* publiera lui-même une nouvelle édition de cet ouvrage intitulée Discours de l'empereur Julien contre les chrétiens ... avec de nouvelles notes, 1769 .Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_l%E2%80%99empereur_Julien/%C3%89dition_Garnier

ii Histoire de dom N ... portier des Chartreux, œuvre pornographique de J.-C. Gervaise de Latouche, publiée vers 1745 .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Charles_Gervaise_de_Lat...

iiiConcernant la répartition des rôles à la Comédie-Française . Voir la lettre du 19 décembre sur ce différend avec « le tyran »  Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/22/l...

iv Est-ce une erreur pour « I septembre » par duplication du 7, la date étant ici notée « 17 7bre » et V* évoque dans sa lettre du 19 décembre une lettre de Richelieu du 1 septembre ?

v A savoir, d'Argental, ambassadeur du duc de Parme, et sa femme . V* soupçonnera « un fou de Bordeaux » nommé Treyssac de Vergy - qui avait parlé en mal de d'Argental dans ses Lettres à Mgr le duc de Choiseul, 1764-, de lui avoir fait du tort auprès du maréchal . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Henri_de_Treyssac_de_...

vi C'est à peu près ce qu'écrit le chevalier à sa mère vers le 30 décembre 1764 . Il avait fait entre autres « un petit dessin » de V* « pendant qu'il perd une partie aux échecs ».

Voir pages 269-274 : http://books.google.fr/books?id=2_AFAAAAQAAJ&pg=PA269...

vii Réminiscence de J.-B. Rousseau : Épigramme XL (Remède contre la chair) : voir page 396 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k209398x/f399.image

viii Et il entreprend la construction de deux ailes supplémentaires au château de Ferney .

ix Le père Adam .

Le travail et la bonne compagnie sont les deux meilleurs précepteurs que l'on puisse avoir

 

Je recommande à nos grands pondeurs de réformes de l'éducation nationale ces quelques lignes d'un homme sensé, du XVIIIè siècle, qui les dépasse de la tête et des épaules .

Je sais, pour l'avoir entendu dans le privé, que des enseignants sont d'accord avec ces idées voltairiennes, mais, mais , mais ... la trouille de la réforme véritable fait se racornir ces velléitaires . Ils gardent, ancré au fond d'eux-mêmes, la conviction qu'on peut tout apprendre à tout le monde, ou plus exactement, que si tout le monde n'apprend pas la même chose c'est la faute de l'élève et non du maître . Cette dernière option n'est pas très loin de la vérité du terrain ; mais de remède , point !

Le principe d'égalité scolaire perdure : toute tête bien faite doit trouver sa casquette (quel que soit le sens de la visière ! Yo !! ) et avoir le bac .

Le « mammouth » continue à brouter jusqu'à l'indigestion, -ce n'est pas la matière qui manque,- ce qui nous promet de formidables bouses sans nombre ( à fossiliser ?).

 

 

« A Nicolas-Anselme Collenot i

 

A Ferney 21 janvier 1765

 

La personne que Monsieur Collenot a consultée sent très bien qu'elle ne mérite pas de l'être . Elle croit qu'il ne faut consulter sur l'éducation de ses enfants que leurs talents et leurs goûts. Le travail et la bonne compagnie sont les deux meilleurs précepteurs que l'on puisse avoir . L'éducation des collèges et des couvents a toujours été mauvaise, en ce qu'on y enseigne la même chose à cent enfants qui ont tous des talents différents. La meilleure éducation est sans doute celle que peut donner un père qui a autant de mérite que Monsieur Collenot . Voila tout ce qu'un vieux malade peut avoir l'honneur de lui répondre. »


i Négociant d'Abbeville qui avait consulté V* sur l'éducation à donner à ses enfants.

 

20/01/2011

Ce serait aujourd'hui une trop grande impertinence d'entreprendre de faire rire le public

 

 

 

« A Henri-Louis Lekain

 

20è janvier 1770

 

L'oncle et la nièce, mon cher ami, sont aussi sensibles à votre souvenir qu'ils doivent l'être. Nous savons à peu près ce que c'est que la petite drôlerie dont vous parlez i. C'est une ancienne pièce qui n'est point du tout dans le goût d'à présent. Elle fût faite par l'abbé de Châteauneuf quelque temps après le mort de Mlle Ninon Lenclos . Je crois même qu'elle ne pourrait réussir qu'autant qu'on saurait qu'elle est du vieux temps. Ce serait aujourd'hui une trop grande impertinence d'entreprendre de faire rire le public, qui ne veut, dit-on, que des comédies larmoyantes ii.

 

Je crois qu'il n'y a dans Paris que M. d'Argental qui ait une bonne copie du Dépositaire . Je sais de gens très instruits que celle qu'on a lue à l'Assemblée iii est non seulement très fautive, mais qu'elle est pleine de petits compliments aux dévots que la police ne souffrirait pas . L'exemplaire de M. d'Argental est, dit-on, purgé de toutes ces horreurs . Au reste, si on la joue on pourra très bien s'arranger en votre faveur avec Thieriot ; mais il faut que le tout soit dans le plus profond secret, à ce que disent les parents de l'abbé de Châteauneuf qui ont hérité de ses manuscrits.

 

Je ne sais encore ce qu'on fait des Guèbres en province iv, encore moins ce qu'on en fera à Paris, et pour Les Scythes je m'en rapporte à votre zèle, à votre amitié et à vos adorables talents. »

 

ii Référence aux « tragicomédies de La Chaussée » que l'on retrouve dans une lettre à d'Argental du même jour .Page 428 : http://books.google.fr/books?id=kRJEAAAAYAAJ&pg=PA428...

 

iii Assemblée des Comédiens-Français.

 

iv Lettre à d'Argental du 20 janvier 1770 (cf. ci-dessus): « J'ignore encore si on osera jouer à Toulouse la tragédie de La Tolérance ; ce serait prêcher l'Alcoran à Rome . Je sais seulement qu'on la répète actuellement à Grenoble, mais il n'est pas sûr qu'on l'y joue. »

 

mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

NDLR .- Note rédigée le 24 avril 2011, jour de Pâques .

Bel oeuf pondu ce jour là .

Comme Volti, je dis "suis-je sûr de deux mois/semaines/jours/heures de ma vie ?" . Qui le sait ?

Il vivra, en fait, encore quatre mois, seulement . Je dis seulement, mais mon avis est d'un égoïste qui n'a pas eu  à souffrir comme lui .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

A Ferney, le 20 de janvier [1778]

 

Mon cher ange, en voici bien d'une autre ! Il faut pour le coup que je me jette dans les bras de votre providence, de votre sagesse et de cette constante amitié qui fait la consolation de ma vie . Je suis trop jeune, je ne sais pas me conduire, à moins que je ne sois toujours à l'ombre de vos ailes .

 

J'ai cru qu'il était de mon devoir de vous envoyer la lettre que je reçois d'un de vos protégés i, et la réponse que je lui fais . Je ne doute pas que vous n'engagiez votre ami M. de Thibouville à mettre sous ses pieds cet oubli de toutes les bienséances ii. Je lui mande qu'autrefois M. de Ferriol, votre oncle l'ambassadeur à Constantinople, disait, s'il m'en souvient, qu'il n'y avait d'honneur ni à gagner ni à perdre avec les Turcs iii.

 

Si vous trouvez ma réponse à votre ancien protégé convenable et mesurée iv, puis-je vous supplier de la lui faire tenir aussi bien que celles que j'ai dû écrire à M. Suard v et à Mme Vestris, et à un M. Monvel vi qu'on dit avoir beaucoup d'esprit, beaucoup de sensibilité et beaucoup de talents, avec très peu de poitrine ?

 

Une chose encore bien importante pour moi, c'est de demander très humblement pardon à madame votre secrétaire de lui avoir fait écrire des choses qui certainement ne subsisteront pas, car tout ne sera fini que vers Pâques ; et c'est vers ce saint temps que je compte vous apparaître comme Lazare sortant de son tombeau .

 

Je vous conjure encore plus que jamais de faire retirer la copie qui est peut-être au tripot vii, et les rôles qui peuvent être chez les tripoteurs et les tripoteuses . Je suis réellement perdu, s'il reste dans le monde le moindre lambeau de ces haillons . Vous sentez que la publicité de ces misères est très à craindre : elle arrêterait tout à coup un jeune homme dans le commencement de sa carrière ; mais, soit au commencement, soit à la fin, il est certain que cela me ferait un tort irréparable .

 

Songez, mon divin ange, que je passe les jours et les nuits à remplir la tâche très difficile , mais très nécessaire, que vous m'avez donnée . Songez que je marche sur des charbons ardents . J'ose espérer que je ne me brûlerai pas la plante des pieds, parce que je vous invoquerai en subissant une épreuve qui surpasse mes forces .

 

Vous savez de plus combien il y avait de vers faibles à fortifier, de nuances à observer, d'expressions familières à supprimer, de petites choses à réparer pour les faire servir à de plus grandes ; enfin combien l'esquisse était indigne de vous viii. Vous avez été trop bon ; mais vous m'avez rendu difficile contre moi-même . J'ai deux mois, au moins par-devant moi, et je vais les employer à vous plaire ; mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

 

Sub umbra alarum tuarum . »

i Lekain, qui a refusé de jouer le rôle d'Alexis dans Irène et qui avait écrit le 13 janvier pour se justifier qu'il « n'a plus les forces suffisantes pour soutenir un rôle jeune et vigoureux » surtout plusieurs fois par semaine ; il proposa de jouer un autre rôle dans la pièce . Il mourut le 8 février, alors que V* arrivera à Paris le 10.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lekain

ii Thibouville, chargé d'organiser la représentation avait critiqué sévèrement le refus de Lekain ; le 12 janvier, dans une lettre aux Comédiens, il avait parlé du « procédé indigne et révoltant de M. Le Kain pour son bienfaiteur » ; l'acteur s'était montré mécontent dans sa lettre à l'auteur.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Lambert_de_Thibouville

iii Irène se passe à Constantinople .

http://www.voltaire-integral.com/Html/07/07IRENE.html

iv Le 19 janvier, V* propose à Lekain le rôle de « l'ermite Léonce » , et Lekain répondra à son tour : « Il est aisé de remarquer au ton de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire que l'on vous a prodigieusement aigri contre moi ; vous le déguisez quelquefois avec une politesse à laquelle je suis très sensible », et acceptera le rôle de « l'ermite » bien que n'ayant « ni le ton, ni le caractère, ni la tournure de ces sortes de rôles ». Voir page 150 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80043w/f155.image.r=46.langFR

vi V* a appris que c'était Monvel qui avait « lu la chose » (Irène) à l'Assemblée des Comédiens ; c'était un auteur et un acteur . http://fr.wikipedia.org/wiki/Monvel

vii A la Comédie-Française.

viii V* reçoit les critiques et suggestions non seulement de Thibouville et des d'Argental, mais aussi de Condorcet conforté par Suard, Turgot, ...