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09/12/2012

ce que je sais, c'est que vous êtes dans la nécessité de faire quelque chose d'éclatant, et que vous le ferez.

... Monsieur le président François Hollande, premier du nom .

 

 

 

« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.

Aux Délices, 21 août [1757].

Mon héros, c'est en tremblant que je vous écris. Je n'aurais pas été peut-être importun à Strasbourg, mes lettres peuvent l'être quand vous êtes à la tête de votre armée. Je vous jure que, sans la maladie de ma nièce, j'aurais assurément fait le voyage. Je voudrais vous suivre à Magdebourg, car je m'imagine que vous l'assiégerez. Il y a plus de quatre mois que j'eus l'honneur de vous mander qu'on en viendrait là. Je ne prévoyais pas alors que ce serait vous qui vous mesureriez contre le roi de Prusse mais vous savez avec quelle ardeur je le souhaitais. Vous irez peut-être à Berlin, et d'Argens 1 viendra au-devant de vous. Sérieusement, vous voilà chargé d'une opération aussi brillante qu'en ait jamais fait le maréchal de Villars 2. Je vous connais, vous ne traiterez pas mollement cette affaire-là et, soit que vous ayez en tête le duc de Cumberland, soit que vous vous adressiez au roi de Prusse, il est certain que vous agirez avec la plus grande vigueur. Je ne sais pas ce que c'est que la dernière victoire remportée sur le duc de Cumberland 3; j'ignore si c'est une grande bataille, si les ennemis avaient assez de forces, si les Anglais viennent ajouter quinze mille hommes aux Hanovriens; mais ce que je sais, c'est que vous êtes dans la nécessité de faire quelque chose d'éclatant, et que vous le ferez.
Permettez que je vous parle du commissaire du roi pour les domaines des pays conquis c'est un M. de Laporte 4, qui sera sans doute chargé plus d'une fois de vos ordres. J'espère que vous en serez très-content. Vous le trouverez très-empressé à vous obéir. Je fais, dans ma retraite, mille vœux pour vos succès, pour votre gloire, pour votre retour triomphant.
Favori de Vénus, de Minerve, et de Mars, soyez aussi heureux que le souhaitent votre ancien courtisan le Suisse Voltaire et sa nièce. »

 

08/12/2012

cet ouvrage, que j'entreprends, qui convient à mon âge, à mon goût, aux circonstances où je me trouve

... Est un blog voltairien, dit James, et en écho , "itou !"  dit  Mam'zelle Wagnière .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

Aux Délices 19 août [1757]


Je commence, mon cher ange, par vous dire que Tronchin s'est trompé sur les eaux de Plombières, et que j'en suis très-aise. J'avais pris la liberté d'écrire à Mme d'Argental contre les eaux 1, et je me rétracte, mais à l'égard des eaux d'Aix-la-Chapelle, je trouve que ce serait au duc de Cumberland à les prendre, et non pas au maréchal d'Étrées. Il vient de gagner une bataille il faut que M. de Richelieu en gagne deux, s'il veut qu'on lui pardonne d'avoir envoyé aux eaux un général heureux. A l'égard du roi de Prusse, l'affaire n'est pas finie, il s'en faut beaucoup. Il est encore maître absolu de la Saxe et si les Anglais envoient quinze mille hommes à Stade, l'armée de France peut se trouver dans une position embarrassante. Je me hâte de quitter cet article pour venir à celui de Fanime. Je vous avoue que je ne suis guère en train à présent de rapetasser une tragédie amoureuse, et que le
czar Pierre a un peu la préférence. Comment voulez-vous que je résiste à sa fille? Il ne s'agit pas ici de redire ce qui s'est passé aux batailles de Narva et de Pultava, il s'agit de faire connaître un empire de deux mille lieues d'étendue, dont à peine on avait entendu parler il y a cinquante ans. Il me semble que ce n'est pas une entreprise désagréable de crayonner cette création nouvelle, c'est un beau spectacle de voir Pétersbourg naître au milieu d'une guerre ruineuse, et devenir une des plus belles et des plus grandes villes du monde , de voir des flottes où il n'y avait pas une barque de pêcheur, des mers se joindre, des manufactures se former, les mœurs se polir, et l'esprit humain
s'étendre
.

J'ai au bord de mon lac un Russe 2 qui a été un des ministres de Pierre le Grand dans les cours étrangères. Il a beaucoup d'esprit, il sait toutes les langues, et m'apprend bien des choses utiles. J'ai vu chez moi des jeunes gens nés en Sibérie, il y en a un 3 que j'ai pris pour un petit-maître de Paris. C'est donc, mon cher ange, ce vaste tableau de la réforme du plus grand empire de la terre qui est l'objet de mon travail. Il n'importe pas que le czar se soit enivré, et qu'il ait coupé quelques têtes 4, au fruit. Il importe de connaître un pays qui a vaincu les Suédois et les Turcs, donné un roi à la Pologne, et qui venge la maison d'Autriche. On me fait copier les archives, on me les envoie. Cette marque de confiance mérite que j'y sois sensible. Je n'ai à craindre d'être ni satirique ni flatteur, et je ferai bien tout mon possible pour ne déplaire ni à la fille de Pierre le Grand ni au public. Je me suis laissé entraîner à me justifier auprès de vous sur cet ouvrage, que j'entreprends, qui convient à mon âge, à mon goût, aux circonstances où je me trouve. Une autre fois je vous parlerai au long de cette pauvre Fanime; mais je crois qu'il faut laisser oublier le grand succès de l'Iphigénie en Tauride. Mes Russes prirent la Tauride il y a dix-huit ans. Adieu, mon divin ange je vous embrasse mille fois. »

3 Sans doute Soltikoff .

4 Sur cet épisode, voir page 443 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411350z/f446.image

 

07/12/2012

je suis condamné par la nature à planter des choux quand vous allez cueillir des lauriers

 ... Question de goûts !

Du chou ou du laurier, je choisi le chou (dans lequel tout garçon nait ) naturellement !

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis , duc de Richelieu

[août 1757 ?]1

Si j'étais moins vieux, moins infirme, je n'écrirais point à mon héros, je viendrais en Allemagne, je serais témoin de sa nouvelle gloire . Mais monseigneur , je suis condamné par la nature à planter des choux quand vous allez cueillir des lauriers .

J'aurai du moins des protecteurs auprès de vous, MM. de Châteauvieux 2 qui se chargent de ma lettre ont l'honneur et le plaisir de servir sous vous . Ce sont de braves gentilshommes de nos cantons qui se sont mis à aimer la France de tout leur cœur et qui vont l'aimer bien davantage en combattant sous vos ordres .

Ils ont levé il y a quelques années des compagnies à leurs dépens . Il sont fils d'un des chefs les plus respectables de la république de Genève . Comme je suis genevois six mois de l'année et que me voilà dans mon semestre, je n'ai pu choisir de meilleurs garants de mon tendre et respectueux attachement pour vous . Je suis extrêmement attaché à toute leur famille et je ne me conduis pas maladroitement avec vous en prenant pour vous faire ma cour les plus sages et les plus braves officiers du monde qui ambitionnent autant que moi de vous plaire.

Recevez avec votre bonté ordinaire le profond et tendre respect du Suisse .

V.»

1 Lettre écrite peu de temps après la nouvelle prise de commandement de Richelieu .

2 Fils de Michel Lullin, seigneur de Châteauvieux, qui occupa diverses charges publiques à Genève . Antoine et Jea-Louis, officiers du régiment de Diesbach ( Antoine fut tué à Sondershausen en 1758), et Jacques-André qui leva le régiment de Châteauvieux et fut fait marquis par Louis XVI ; d'autres membres de la famille furent aussi au service de la France .

 

06/12/2012

Votre administration devient de jour en jour plus légère

... Ah ! si au moins c'était vrai !!

On peut rêver .

 

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

15 août [1757]

J'ai une demi-douzaine de remerciements à vous faire mon cher monsieur pour une demi-douzaine d'articles de votre lettre du 12 .

Votre administration devient de jour en jour plus légère . Voilà 130 000 livres tournois à l'électeur palatin et 60 000 livres tournois sur les fonds de France quand vous aurez pris pour 30 000 livres tournois d'annuités pour mon compte . Or permettez-moi de vous faire très humblement une petite difficulté que voici.

Il vous reste dites-vous 350 000 livres tournois portant intérêt . Mais si vous prenez des annuités pour 30 000 livres tournois comment peut-il rester 350 000 livres tournois ? Il n'en restera que 320 000 . Encore de ces 320 000 il faudra réserver une somme de 20 000 livres pour le courant . Voici en attendant mon approbation car je vous assure que j'approuve tout ce que vous faites .

Je n'approuve pas de même la destitution du maréchal d'Estrées, mais après qu'il a un peu battu le duc de Cumberland il faut que M. de Richelieu batte beaucoup le roi de Prusse ce qui n'est pas une besogne fort aisée .

J'attends le paquet de Thieriot 1 . Ce sont des papiers genevois qui reviennent à Genève . C’est une liasse de manuscrits de l'abbé Hubert 2 où l'on dit qu'il y a de bonnes choses . Bonsoir mon cher correspondant .

V. »

 

 

05/12/2012

Je sens combien le métier est difficile et je vous jure que je ne voudrais pas le recommencer

... Parole de retraité ! 

 

 

 

« A Charles PALISSOT de MONTENOY

Je hasarde , monsieur, ce petit mot de réponse , rue du Dauphin où vous demeuriez l'année passée et où je suppose que vous êtes encore . Votre jugement sur la pièce nouvelle 1 confirme ce qu'on m'en a déjà mandé . Je sens combien le métier est difficile et je vous jure que je ne voudrais pas le recommencer .

J'ai été longtemps en peine de votre ami M. Patu . Je désire de tout mon cœur qu'il repasse par mon petit ermitage à son retour : mais il sera triste qu'il y revienne seul . Il avait un compagnon de voyage 2 que je regretterai toujours et à qui je souhaiterais un emploi auprès de mon lac hérétique plutôt qu'en terre papale .

C'est une chose bien flatteuse pour moi que Mme la princesse de Robecq 3 ait bien voulu ne pas m'oublier ; j'ambitionnais son suffrage quand elle ornait les premières loges de sa présence . Je désirais son souvenir ; je l'en remercie bien respectueusement et je vous prie de me mettre à ses pieds . Soyez sûr, monsieur, que votre souvenir n'est pas moins précieux pour moi que celui des belles princesses .

Aux Délices 15 août [1757] »

1 Iphigénie en Tauride, de Guymond de La Touche, représentée pour la première fois le 4 juin 1757 avec un grand succès .

2 Lors de son séjour en octobre 1755, Patu était accompagné de Palissot, et lors du second en novembre 1756, il était avec d'Alembert .

3 Anne-Marie de Montmorency, (1728-1760) , fille du maréchal-duc de Luxembourg et de Marie-Sophie Colbert-Seignelai,épousa en 1745 Anne-Louis-Alexandre de Montmorency , prince de Robecq . Elle mourut le 4 juillet 1760, deux mois après la représentation de la comédie Les Philosophes ( où elle se fit porter mourante) qu'elle protégea particulièrement.

 

04/12/2012

puisse la paix qu'on demande être accordée, nos rentes sur la Compagnie des Indes être payées malgré les vaisseaux qu'on nous prend, le crédit subsister malgré les emprunts et le commerce fleurir malgré les Prussiens et les Anglais

... Voilà qui est nécessaire et suffisant, et d'une troublante actualité .

 

 

 

« A Jean-Robert TRONCHIN

à Lyon

Le petit Mathieu âgé de neuf ans et demi est venu tout seul et s'est fait servir sur la route , disant qu'il était à moi et que je payerai tout . Voilà un joli enfant . Je vous demande pardon , monsieur, des inutiles embarras que je vous ai donnés 1 . Il n'y a point de poste où je n'aie des excuses à vous faire .

Il n'est que trop vrai que M. de Richelieu est chargé d'une triste commission 2. Puisse-t-elle être heureuse, puisse la paix qu'on demande être accordée, nos rentes sur la Compagnie des Indes être payées malgré les vaisseaux qu'on nous prend, le crédit subsister malgré les emprunts et le commerce fleurir malgré les Prussiens et les Anglais .

Nous avons bu à votre santé en famille avec toute la tribu dont je suis . Buvez à la mienne qui est bien chétive . Adieu mon cher monsieur .

11 août [1757] »

2 Remplacer le maréchal d'Estrées qui pourtant vient de remporter une victoire : voir lettre du 6 août 1757 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/28/les-francais-ont-eu-l-honneur-de-coucher-sur-le-champ-de-bat.html

 

 

03/12/2012

Pas un mot sur l'établissement des manufactures, rien sur les communications des fleuves, sur les travaux publics, sur les monnaies, sur la jurisprudence, sur les armées de terre et de mer

... Pour une fois , on dirait que ceci est une déclaration de la droite à M. Montebourg, à quelques menus détails près ! Est-ce la rupture avec Audrey Pulvar qui lui ôte le sens commun ?

 

 

 

« A M. Ivan Ivanovitch SCHOUVALOW.

Des Délices, près de Genève 11 août 1757

Monsieur, celle-ci est pour informer Votre Excellence que je lui ai envoyé une esquisse de l'Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand, depuis Michel Romanof 1 jusqu'à la bataille de Narva. Il y a des fautes que vous reconnaîtrez aisément. Le nom du troisième ambassadeur qui accompagna l'empereur dans ses voyages est erroné. Il n'était point chancelier, comme le disent les Mémoires de Le Fort, qui sont fautifs en cet endroit. Je ne vous ai envoyé, monsieur, ce léger crayon qu'afin d'obtenir de vous des instructions sur les erreurs où je serais tombé. C'est une peine que vous n'aurez pas sans doute le temps de prendre; mais il vous sera bien aisé de me faire parvenir les corrections nécessaires. Le manuscrit que j'ai eu l'honneur de vous adresser n'est qu'une tentative pour être instruit par vos ordres. Le paquet a été envoyé à Paris, le 8 août (nouveau style 2), à M. de Becktejef 3, et, en son absence, à monsieur l'ambassadeur 4.
Je me suis muni, monsieur, de tout ce qu'on a écrit sur Pierre le Grand, et je vous avoue que je n'ai rien trouvé qui puisse me donner les lumières que j'aurais désirées. Pas un mot sur l'établissement des manufactures, rien sur les communications des fleuves, sur les travaux publics, sur les monnaies, sur la jurisprudence, sur les armées de terre et de mer. Ce ne sont que des compilations très-défectueuses de quelques manifestes, de quelques écrits publics, qui n'ont aucun rapport avec ce qu'a fait Pierre Ier de grand, de nouveau, et d'utile. En un mot, monsieur, ce qui mérite le mieux d'être connu de toutes les nations ne l'est en effet de personne. J'ose vous répéter que rien ne vous fera plus d'honneur, rien ne sera plus digne du règne de l'impératrice que d'ériger ainsi, dans toute la terre, un monument à la gloire de son père. Je ne ferai qu'arranger les pierres de ce grand édifice. Il est vrai que l'histoire de ce grand homme doit être écrite d'une manière intéressante c'est à quoi je consacrerai tous mes soins. J'observerai d'ailleurs avec la plus grande exactitude tout ce que la vérité et la bienséance exigent. Je vous enverrai tout le manuscrit dès qu'il sera achevé. Je me flatte que ma conduite et mon zèle ne déplairont pas à votre auguste souveraine, sous les auspices de laquelle je travaillerai sans discontinuer, dès que les mémoires nécessaires me seront parvenus. 

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments respectueux d'un attachement véritable

Monsieur

de Votre Excellence

le près humble et très obéissant serviteur

Voltaire »

1  Michel Romanov avait été élu tsar en 1613 ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Ier_de_Russie

la bataille de Narva eut lieu le 30 novembre 1700 ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Narva

Voir aussi lettre du 7 août au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/08/07/n-peut-encore-parler-de-quelques-faiblesses-d-un-grand-homme.html

3 Becktejeff (ou Beckteieff ou Beckteiew) figure dans l'Almanach royal de 1757 comme chargé des affaires de l'impératrice Élisabeth auprès de Louis XV.

4 Le comte de Bestucheff.