31/10/2013
J'ai renoncé au monde ; mais vous me faites éprouver que je n'ai pas renoncé à l'amour-propre
... Et c'est bien comme ça, pour moi au moins .
Si jamais je renonçais à l'amour-propre, je ne serais pas loin de renoncer à l'amour de quiconque et ça me chagrinerait . Ne voulant pas m'attrister, je vous laisse conclure ...
Aux Délices route de Genève
20 septembre [1758 ?]
Recevez, monsieur, les remerciements que je dois à vos bontés et à celles de Mme la princesse de Hornes 2 .
Dans Spa l'erreur et l'ignorance
Persécutaient la vérité .
Mais je la crois en sureté
Puisque l'esprit et la beauté
Ont daigné prendre sa défense .
Je regarde, monsieur, cette petite aventure comme une des plus honorables et des plus flatteuses pour moi . J'ai renoncé au monde ; mais vous me faites éprouver que je n'ai pas renoncé à l'amour-propre . Je m'étendrais davantage sur le plaisir que j'ai de voir les belles-lettres et la philosophie cultivées par un homme de votre nom et de votre mérite si l'état de ma santé me permettait d’écrire beaucoup . Je me borne aujourd'hui à vous assurer de la respectueuse reconnaissance avec laquelle j'ai l'honneur d'être
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire . »
1 La lettre porte la mention « Lettre de V. à M. le marquis de Barbançon », ce qui est impossible puisque la famille de Barbançon est éteinte depuis 1693 par la mort d'Octave-Ignace de Ligne-Aremberg, prince de Barbançon . Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Biographie_nationale_de_Belgique/Tome_1/BARBAN%C3%87ON,_Octave-Ignace_de_Ligne-Arenberg,_prince_DE
La première phrase suggère que le destinataire est le prince de Hornes, mais V* ne l'appellerait pas « monsieur » à plusieurs reprises . La Liste des seigneurs et dames qui sont venus à Spa, liste annuelle, suggère que les Hornes venaient chaque année . Voir : http://www.facphl.ulg.ac.be/upload/docs/application/pdf/seminaire-ddroixhe-infos.pdf
La date de 1758 a été retenue comme la plus plausible .
2 Marie-Albertine, troisième femme de Maximilien-Emmanuel, prince de Hornes . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien-Emmanuel_de_Hornes
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30/10/2013
les Russes sont si menteurs, Paris est si peu instruit
... Voltaire voit juste , y compris pour notre époque .
Rien de nouveau sous le soleil de Sotchi !
Rien de neuf sous le pont du même nom !
Les qualificatifs sont vrais et le restent . Nous ferons avec .
Notre Gégé 2 par 2 en rajoute une couche, comme quoi il soigne son porte-monnaie d'abord, mais n'est pas encore tout à fait reconnaissant , ou plutôt est connaisseur de ceux qui l'accueillent : http://www.sudinfo.be/799996/article/fun/people/2013-09-04/gerard-depardieu-les-russes-peuvent-etre-fourbes-menteurs-inconstants-bavards-hy
Est-ce un reste de lucidité, ou un don de double vue made in vodka qui lui permet de nous éclairer ainsi ?
En tout cas, c'est la première fois que je le vois du même avis que Voltaire, inconsciemment bien évidemment ! Tout n'est pas perdu , peut-être Gégé lira-t-il Voltaire ? ...
Beaufitude
« A Jean-Robert Tronchin
à Lyon
Aux Délices 18 septembre [1758]
Les nouvelles d'Allemagne varient si fort, les Prussiens exagèrent tant et sont si gascons, les Russes sont si menteurs, Paris est si peu instruit que je ne crois rien, mon cher correspondant, et que je ne vous mande rien .
Thieriot me mande qu'il vous a adressé pour moi il y a quelques semaines un livre intitulé La France littéraire 1 et des manuscrits sur la Russie . Certainement si ce paquet vous était parvenu vous me l'auriez envoyé . Je crois qu'il y a inquisition et rapacité sur les envois de livres . Ceux-ci cependant ne sont pas dans le cas d'être volés par les inquisiteurs de la librairie . Je vous demande pardon de cette petite importunité .
Nous avons ici le bon M. de Fleurieu 2. J'ai eu l'honneur de boire hier à votre santé avec monsieur votre frère 3 . Je vous embrasse sans cérémonie selon ma louable coutume .
V. »
1 Voir par exemple le livre sur 1758 : http://books.google.fr/books?id=9GE-AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
2 Jacques Annibal Claret de La Tourette de Fleurieu, éminent lyonnais, secrétaire de l'Académie de Lyon . Voir : http://s.claretdefleurieu.free.fr/Jacques%20Annibal.htm
3 François Tronchin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Tronchin
22:49 | Lien permanent | Commentaires (0)
29/10/2013
on dit que l'artillerie prussienne porte jusqu'à Paris, où elle estropie la main droite de nos payeurs des rentes
... Voila une bien belle excuse pour la réduction des rentes de retraites !
J'en ai entendu de meilleures, mais jamais dites avec autant de mauvaise foi que celles qu'on nous sert de nos jours . Nous ferait-on croire qu'on entend encore le tonnerre de la Grosse Bertha ? Ou de la terrible Angela ?
Artillerie prussienne avec munition de gros calibre ! Achtung !!
« A Nicolas-Claude THIERIOT
Aux Délices, 17 septembre [1758]
Il faut reprendre où nous en étions, mon ancien ami. J'ai été un peu de temps par monts et par vaux me voilà rendu à ma famille et à mes amis, dans mes chères Délices. Que faites-vous? où êtes-vous? avez-vous reçu un manuscrit concernant la Russie, que M. l'abbé Menet doit vous avoir remis ? Il y a un domestique de Mme de Fontaine qui repartira bientôt pour notre lac je vous serai très-obligé d'envoyer le manuscrit chez elle. Je suppose que vous êtes toujours chez Mme de Montmorency, et que votre vie est douce et tranquille, j'en connais qui ne le sont pas. Je n'ai pas été précisément aux champs de Mars mais j'étais assez près de ces vilains champs, quand les Hanovriens battaient une aile de notre armée, prenaient Dusseldorf, et repassaient le Rhin à leur aise. Mes chers Russes sont venus depuis d'Arkhangel et d'Astrakan pour se faire égorger à Custrin. Nous sommes malheureux sur terre et sur mer, et on dit que l'artillerie prussienne porte jusqu'à Paris, où elle estropie la main droite de nos payeurs des rentes. Je suis honteux d'être chez moi, en paix et aise 1, et d'avoir quelquefois vingt personnes à dîner, quand les trois quarts de l'Europe souffrent.
J'avais lu dans un journal que M. Helvétius a fait un livre sur l'Esprit, comme un seigneur qui chasse sur ses terres un livre très-bon, plein de littérature et de philosophie, approuvé par un premier commis 2 des affaires étrangères et j'apprends aujourd'hui qu'on a condamné ce livre, et qu'il le désavoue comme un ouvrage dicté par le diable. Je voudrais bien lire ce livre, pour le condamner aussi 3. Tâchez de me le procurer. Vous voyez, sans doute, quelquefois cet infernal Helvétius demandez-lui son livre pour moi, Mais vous êtes un paresseux, un perdi giorno 4; vous n'en ferez rien. Je vous connais, allons, courage remuez-vous un peu. Je suis aussi paresseux que vous, et je viens de faire trois cents lieues. On dit que cela est fort sain cependant je ne m'en porte pas mieux. Une de vos lettres me fera probablement beaucoup de bien. Je suis toujours tout ébaubi d'être venu à mon âge avec une santé si maudite. Vous qui êtes, à peu de chose près, mon contemporain, et qui êtes gras comme un moine, n'oubliez pas le plus maigre des Suisses, qui vous aime de tout son cœur.
V.
P. S. Qu'est-ce qu'un livre de Jean-Jacques contre la comédie 5? Jean-Jacques est-il devenu Père de l'Église? »
1 Cette expression familière est bien connue (on la trouve par exemple dans les comédies de Marivaux) et ne doit pas être corrigée comme le pense Besterman.
2 Jean-Pierre Tercier, le privilège accordé le 12 mai pour l'impression de ce livre avait été révoqué le 10 août. Jean-Pierre Tercier (né en 1704, mort en 1767) qui avait donné son approbation comme censeur, non-seulement fut obligé de donner sa démission, mais il fut privé de sa place de premier commis au ministère des affaires étrangères. (Beuchot.) . Voir aussi la lettre du 3 septembre à Mme du Boccage : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/15/on-n-entend-point-a-cent-lieues-le-petit-bruit-des-louanges.html
3 V* en critiquera plusieurs passages, voir page 23 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113355/f26.image ;et page 321 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411336j/f324.image
mais prendra la défense d'Helvétius . : page 375 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113355/f378.image
et page 474 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113410/f477.image
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28/10/2013
vous avez été aussi indigné que moi de cet abus que les journalistes se permettent de publier les secrets des particuliers sans en demander la permission. C'est violer un des premiers droits de la société et quand la fausseté est jointe à cette hardiesse,
... "... c'est un crime ! "
Et leurs commanditaires sont des chacals :
Ici, l'exemple [sic] britannique n'est pas une exception , au contraire .
Advienne que pourra, je pense que le bon vieux courrier sur papier aura encore du succès face à l'espionnage de l'information électronique . Que les agences de renseignement s'étouffent , qu'elles croulent sous l'inutile et le superflus , voilà mes voeux . Sous prétexte de sécurité, en réalité, tous les moyens sont bons pour se faire du fric , l'information est une marchandise à piller sans vergogne, premier arrivé, premier servi .
« A Claude-Etienne DARGET.
Aux Délices, 16 septembre [1758]
Mon ancien ami, vous n'avez point répondu à la lettre que je vous écrivis de Manheim 1. Vous sentez que, dans les circonstances présentes, il est bien triste que cette lettre par laquelle j'avais répondu avec confiance à vos ouvertures ait été imprimée dans les journaux et falsifiée. Vous me feriez un plaisir extrême de me renvoyer ma lettre, afin que je pusse la confronter avec celle qui a couru, et que j'eusse une pièce justificative toute prête. Je sens que vous avez été aussi indigné que moi de cet abus que les journalistes se permettent de publier les secrets des particuliers sans en demander la permission. C'est violer un des premiers droits de la société et quand la fausseté est jointe à cette hardiesse, c'est un crime. Je crois que le journaliste n'a pas eu mauvaise intention, mais il ne m'a pas moins nui . Il m'a écrit, il a fait une espèce de désaveu 2 que je dois à vos soins et à votre probité, et dont je vous remercie. Je n'ai point voulu irriter cet homme par des plaintes, qui sont inutiles quand la chose est faite, et qui ne peuvent qu'aigrir. Il ne s'attendait pas que le roi de Prusse remporterait sur les Russes une victoire si complète et si mémorable 3. Il faut à présent se taire sur les succès inouïs de ce monarque, et sur les malheurs de la France. Vous me feriez plaisir de me mander s'il est vrai qu'il y ait plusieurs édits pécuniaires, et si on continue de payer les rentes de l'Hôtel de Ville et de la compagnie des Indes. Vous avez du moins une planche dans le naufrage général. Vous êtes bien placé à l'École militaire 4, école dont on a grand besoin. Je vous souhaite tout le bonheur que vous méritez, et suis à vous pour jamais bien tendrement.
Le Suisse V. »
1 Lettre du 17 juillet 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/16/nous-sommes-dans-un-temps-de-jalousies-et-d-ombrages-5169148.html
2 Imprimé sous le titre d'Avis au public, dans le Journal encyclopédique du 15 août 1758, page 147, par Pierre Rousseau . Voir page 17 : http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/11497/1/encyclopedisme.pdf
3 La bataille de Zorndorf, près de Custrin, où, suivant quelques-uns, la victoire fut indécise où, suivant d'autres, elle resta aux Russes, qui cependant, après onze heures et demie de combat, perdirent cent trois canons, au moins quinze mille morts, et deux mille prisonniers. (Beuchot)
Voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Zorndorf
4 L’École militaire venait d'être fondée à l'initiative d'un des frères Pâris-Duverney , Joseph . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_militaire_%28France%29
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27/10/2013
Nos corps ne valent pas nos âmes
... Quant à la longévité, oui, on peut le supposer .
Quant à la beauté, il est de bien vilaines âmes attachées à de beaux corps , et heureusement on peut voir aussi l'inverse.
Belle fl-âme
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
[vers septembre 1758]
Tant mieux, ma belle philosophe, car je suis aussi bien malade, mais demain si vous venez je me porterai mieux . Nos corps ne valent pas nos âmes, aussi vous savez qu'elles sont immortelles . »
15:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
A midi précis le fiacre part
... Soit ! Heure d'été ou heure d'hiver ?
Mais à quelle heure arrivera-t-il s'il est conduit par un agent SNCF qui a dix ans d'ancienneté dans les TGV ?
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
[septembre 1758]
André est un paresseux qui n'a pas porté mes écrits hier au soir . Selon ma louable coutume ces billets demandaient les ordres du ressusciteur, et de la ressuscitée . Le carrosse ou le fiacre le plus doux est à leurs ordres à midi . Je n'ai pas un moment de santé, je ne mange plus , et j'ai des indigestions . Je suis sans inquiétude et je ne dors point . C'est la vecchiaia, la debolezza,1 et c'est ce qui fait que je n'ai pu encore aller chez les dévotes du révérend père Tronchin 2 .
Frère V.
A midi précis le fiacre part . »
14:57 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/10/2013
vous êtes plus sage encore d'avoir et de donner du plaisir
... Car sagesse n'est pas tristesse, au contraire, je le crois, et si j'étais plus présomptueux je dirais "je le sais " .
A Mam'zelle Wagnière qui sait être sage
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
Aux Délices 13 septembre [1758] 1
Les ermites du lac présentent leurs hommages aux seigneurs du mont Jura 2 . Ils se flattent que l'hiver les rassemblera tous au tripot, et que les tragédies, les comédies, les opera buffa leur feront oublier tous les maux qui affligent l'Europe . Consolez-vous, monsieur, de n'être pas au nombre de ceux qui versent inutilement leur sang dans cette horrible guerre , elle finira probablement comme celle de 1741 . Les choses resteront comme elles étaient, avec la perte de trois ou quatre cent mille hommes . Jouissez, monsieur, de votre heureux repos que vous occupez par les plaisirs . Vous êtes fait pour la société autant que pour la guerre, il n'y a pas d'apparence que la Hollande se mêle jamais de la querelle qui désole tant de provinces . Elle s'enrichit de la folie des autres, et en cela elle est très sage , mais vous êtes plus sage encore d'avoir et de donner du plaisir .
Vous étiez destinés, monsieur votre frère et vous, à souffrir le martyre dans le territoire de Genève . On vous y a coupé trois artères, on lui a ouvert la jambe. [on en a tiré] vingt [pintes] de pus et […] 3. Vous serez tous deux frais et dispos cet hiver à Lausanne . J'ai bien peur qu'il n'en soit pas de même du vieux Lusignan cacochyme, à qui l'hiver est mortel . Je ne fais point le malade comme le roi de Prusse . Puissent ses victoires nous donner la paix . Puisse sa gloire faire le bonheur du monde . Adieu, monsieur, jusqu’au mois de novembre . Je serai à vos ordres, moi et les miens . J'ai deux petits neveux excellents acteurs pour jouer le rôle de gardes . Mille tendres respects à Mme d'Hermenches et à tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec vous .
Le Suisse V. »
1 Voir les lettres à d'Hermenches de juillet-août 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/26/j-ai-attendu-que-vous-fussiez-entierement-retabli-5182026.html
et 25 août 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/06/temp-8ddc57c6cf35e78ee3c069e0b57c3b1f-5190146.html
2 Hermenches était sur le mont Jorat qu'on écrivait parfois Jurat, d'où le mot de V*. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Hermenches
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