27/12/2013
bannis loin de toi la Superstition, Fille de l'Imposture et de l'Ambition, Qui tyrannise la Faiblesse
...Il est de bon conseil encore ce jour, notre ami Voltaire .
Ô nom de Dieu ! au nom de Dieu, combien de tyrans ont écrasé/écrasent les faibles
« A Frédéric II, roi de Prusse
[décembre 1758]
Ombre illustre, ombre chère, âme héroïque et pure,
Toi que mes tristes yeux ne cessent de pleurer,
Quand la fatale loi de toute la nature
Te conduit dans la sépulture,
Faut-il te plaindre ou t'admirer?
Les vertus, les talents, ont été ton partage;
Tu vécus, tu mourus en sage;
Et, voyant à pas lents avancer le trépas,
Tu montras le même courage
Qui fait voler ton frère au milieu des combats.
Femme sans préjugés, sans vice, et sans mollesse,
Tu bannis loin de toi la Superstition,
Fille de l'Imposture et de l'Ambition,
Qui tyrannise la Faiblesse.
Les Langueurs, les Tourments, ministres de la Mort,
T'avaient déclaré la guerre;
Tu les bravas sans effort,
Tu plaignis ceux de la terre.
Hélas! si tes conseils avaient pu l'emporter
Sur le faux intérêt d'une aveugle vengeance,
Que de torrents de sang on eût vus s'arrêter!
Quel bonheur t'aurait dû la France
Ton cher frère aujourd'hui, dans un noble repos,
Recueillerait son âme à soi-même rendue;
Le philosophe, le héros,
Ne serait affligé que de t'avoir perdue.
Sur ta cendre adorée il jetterait des fleurs
Du haut de son char de victoire;
Et les mains de la Paix et les mains de la Gloire
Se joindraient pour sécher ses pleurs.
Sa voix célébrerait ton amitié fidèle,
Les échos de Berlin répondraient à ses chants;
Ah ! j'impose silence à mes tristes accents,
Il n'appartient qu'à lui de te rendre immortelle. 1
Voilà, sire, ce que ma douleur me dicta, quelque temps après le premier saisissement dont je fus accablé, à la mort de ma protectrice . J'envoie ces vers à Votre Majesté, puisqu'elle l'ordonne. Je suis vieux elle s'en apercevra bien mais le cœur, qui sera toujours à vous et à l'adorable sœur que vous pleurez 2, ne vieillira jamais. Je n'ai pu m'empêcher de me souvenir, dans ces faibles vers, des efforts que cette digne princesse avait faits pour rendre la paix à l'Europe. Toutes ses lettres (vous le savez sans doute) avaient passé par moi. Le ministre,3 qui pensait absolument comme elle, et qui ne put lui répondre que par une lettre qu'on lui dicta, en est mort de chagrin .Je vois avec douleur, dans ma vieillesse accablée d'infirmités, tout ce qui se passe et je me console parce que j'espère que vous serez aussi heureux que vous méritez de l'être. Le médecin Tronchin dit que votre colique hémorroïdale n'est point dangereuse 4; mais il craint que tant de travaux n'altèrent votre sang. Cet homme est sûrement le plus grand médecin de l'Europe, le seul qui connaisse la nature. Il m'avait assuré qu'il y avait du remède pour l'état de votre auguste sœur,5 six mois avant sa mort. Je fis ce que je pus pour engager Son Altesse royale à se mettre entre les mains de Tronchin elle se confia à des ignorants entêtés, et Tronchin m'annonça sa mort deux mois avant le moment fatal. Je n'ai jamais senti un désespoir plus vif. Elle est morte victime de sa confiance en ceux qui l'ont traitée. Conservez-vous, sire, car vous êtes nécessaire aux hommes. »
1 Wilhelmine de Prusse, margravine de Bayreuth était morte au moment où Frédéric subissait la défaite d'Hochkirch, le 14 octobre 1758 . Le 6 décembre Frédéric écrivait à V* : « Jugez de ma douleur ... » voir : « DE FRÉDÉRIC II
Il vous a été facile de juger de ma douleur par la perte que j'ai faite . Il y a des malheurs réparables par la constance et par un peu de courage; mais il y en a d'autres contre lesquels toute la fermeté dont on veut s'armer et tous les discours des philosophes ne sont que des secours vains et inutiles. Ce sont de ceux-ci dont ma malheureuse étoile m'accable dans les moments les plus embarrassants et les plus remplis de ma vie.
Je n'ai point été malade, comme on vous l'a dit mes maux ne consistent que dans des coliques hémorroïdales, et quelquefois néphrétiques. Si cela eût dépendu de moi, je me serais volontiers dévoué à la mort, que ces sortes d'accidents amènent tôt ou tard, pour sauver et pour prolonger les jours de celle qui ne voit plus la lumière. N'en perdez jamais la mémoire, et rassemblez, je vous prie, toutes vos forces pour élever un monument à son honneur. Vous n'avez qu'à lui rendre justice; et, sans vous écarter de la vérité, vous trouverez la matière la plus ample et la plus belle.
Je vous souhaite plus de repos et de bonheur que je n'en ai. »
Le roi de Prusse ne fut pas content des vers de la lettre présente : « Je désire quelque chose de plus éclatant et de plus public . »; voir lettre du 23 janvier 1759 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f30.image
; et le 4 février 1759, Voltaire lui envoya l'ode suivante , page 462, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411324f/f472.image
2 Le roi de Prusse a adressé à sa sœur, la margrave de Baireuth, plusieurs épîtres en vers. On les trouve dans ses Œuvres posthumes, ainsi qu'une à milord Maréchal, où Frédéric parle longuement de la perte de cette sœur. (Beuchot.)
3 Le cardinal de Tencin que l'abbé de Bernis obligea de signer une lettre qu'il lui envoya pour rompre toute négociation, et cette adroite politique nous a valu la paix glorieuse de 1763. (édition de Kehl)-Voir aussi la lettre à Frédéric, du 19 mai 1759 : page 100 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f112.image
4 Frédéric II à V* le 6 décembre 1758 : « Je n'ai point été malade comme on vous l'a dit ; mes maux ne consistent que dans des coliques hémorroïdales et quelquefois néphrétiques »
5 Voir lettre du 27 septembre 1758 à la margravine de Bayreuth : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/06/il-faut-vivre-tout-le-reste-n-est-rien-5214859.html
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