11/01/2015
J'aime il est vrai tirer sur le jésuite, sur le moliniste, sur les billets de banque appelé billets de confession, sur toutes les pauvretés de notre siècle
... Cette déclaration de Voltaire n'est que celle de Charlie Hebdo avec deux siècles et demi d'avance .
A-t-on brûlé l'oeuvre de Voltaire ? oui .
A-t-on voulu faire taire Voltaire ? oui .
Voltaire s'est-il tu ? non .
Voltaire a-t-il défendu la liberté de penser jusqu'au bout ? oui .
Alors, Charlie est un de ses successeurs et doit vivre .
Il fait grincer des dents, tant mieux ; il fait peur aux bénis-oui-oui, qu'il continue, ce sont des lâches ; il fait rire, qu'il en soit remercié ; il crie "liberté et tolérance" , qu'on en soit bien conscient toujours .
« A Nicolas-Claude Thieriot
4 janvier [1760]
Quelles misères de tous côtés : quel peuple que mes chers Parisiens qui s'amusent de platitudes et de tracasseries quand l’État souffre dans toutes ses parties, quand la France est épuisée de sang et d'argent ! L'empereur Julien disait 1 qu'il les aimait parce qu'ils étaient sérieux . Ils ont bien changé . Je parierais contre Marmontel lui-même qu'il n'est pas l'auteur de la malheureuse parodie 2 qu'on lui impute . Cela n'est ni de son esprit ni de son cœur .
Quel est le fait d'imprimeur qui s'avise de défigurer si indignement , la femme qui a tort entre ses mains . Et puis voilà cet autre animal de Fréron 3 qui croit que c'est un ouvrage nouveau et qui ne sait pas que cela fut joué il y a douze ans dans une petite fête que l'on donnait au roi Stanislas dans un appartement de Lunéville . Mme du Châtelet y jouait le premier rôle . La pièce n'était pas assurément telle qu'on vient de la donner 4. Ce Fréron saisit la chose comme un dogue affamé qui ronge le premier os qu'on lui présente .
J'aime il est vrai tirer sur le jésuite, sur le moliniste, sur les billets de banque appelé billets de confession, sur toutes les pauvretés de notre siècle mais c'est en grave historien et je ne m’abaisse pas à turlupiner frère Berthier . Je réserve ces messieurs pour l'article de l'histoire où il sera question du roi de Portugal, et du Paraguay . J'ai sur cela de bonnes anecdotes et très sures qui me viennent de Lisbonne . C'est l'amusement de ma vieillesse . Je n'ai, mon ancien ami, ni votre santé, ni la face large dont vous avez fait l'acquisition, mais je suis étonné d'être plus fort que [je] n'étais à paris . C'est la récompense de la retraite .
Connaissez-vous le dictionnaire de santé 5? Si vous en faites cas je le ferai venir . N'y a-t-il pas quelque petit almanach bien amusant ? Indiquez-m'en un je vous prie . J’aime à prendre de vos almanachs . Dites-moi donc ce que vous savez de ces arrangements de nos fortunes . Je suis obligé d'interrompre mes bâtiments . Qu'est devenu M. de Forbonnais 6? Je relis son livre 7. C'est je crois le seul qui fasse connaître l'intérieur du royaume . Où est l'auteur ? Vite que je le remercie , et vale .
V.
Vous recevrez mes chiffons pour Versailles, il faut avoir de l'attention . »
1 V* a lu dans la Vie de l'empereur Julien, de La Bléterie, 1751, : « En général, il aima beaucoup les Gaulois et n'en fut pas moins aimé . La simplicité, la franchise et les mœurs austères de ces peuples sympathisaient extrêmement avec son humeur affable, populaire, ennemie du faste et des plaisirs . » Voir : https://books.google.fr/books?id=88xfVEDYHZcC&pg=PA514&lpg=PA514&dq=Vie+de+l%27empereur+Julien,+de+La+Bl%C3%A9terie&source=bl&ots=3czqW1WbE2&sig=Ge0YWz5lM-N4a5DyuBL8y1zFRAU&hl=fr&sa=X&ei=8L6xVKucMdKs7AbcxoCoBA&ved=0CEAQ6AEwBQ#v=onepage&q=Vie%20de%20l%27empereur%20Julien%2C%20de%20La%20Bl%C3%A9terie&f=false
2 V* a vu juste ; la parodie en question, où figurent le duc d'Aumont et d'Argental, et qui avait paru dans la Correspondance littéraire, IV, 184-187, était en fait de Bay de Cury . Thieriot lui avait écrit le 29 novembre 1759: « Le bruit court dans Paris que Marmontel a été mené hier au soir coucher près de mon ermitage . M. le duc d'Aumont le croyait auteur de la parodie de la scène de l'abdication de l'empire dans Cinna . C'est une mauvaise plaisanterie piquante dont M. d'Argental n'a fait que rire, mais que M. le duc d'Aumont n'a pas pris de même […] ce que je trouve de pis, c'est la perte de dix ou douze mille livres que lui rapportait le Mercure dont il est fort menacé . »
3 Fréron avait en effet considéré La Femme qui a raison comme une nouveauté dans L’Année littéraire du 30 novembre 1759 .Voir page 13 et suiv. : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0CCUQFjAA&url=http%3A%2F%2Fperiodicals.narr.de%2Findex.php%2Foeuvres_et_critiques%2Farticle%2Fdownload%2F541%2F356&ei=CsKxVJqpLYvvaLOhgdgG&usg=AFQjCNGf09OKyWUwbov75i2W9vqpOtpUrA&bvm=bv.83339334,d.d2s
4 Mme du Châtelet parle dans une lettre du 30 novembre 1748 à d'Argental, d'une « comédie en un acte en vers, qui est très jolie et que nous avons jouée pour notre clôture »
5 Histoire de la santé et de l'art de la conserver, traduit de l'anglais , 1759, Jacques [James] Mackenzie
6 Pressenti pour remplacer Silhouette, Véron de Forbonnais avait décliné cette offre mais avait accepté de conseiller éventuellement le ministère . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_V%C3%A9ron_Duverger_de_Forbonnais
7 Voir lettre du 8 mai 1758 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/08/15/temp-e17f1a4a27109e57869d8c7437cf981f-5141627.html
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