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18/06/2019

C'est l'attrait du plaisir qui doit nous conduire en tout 

.. Et non la peur du châtiment /gendarme !

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Plaisir des yeux . A voir , à revoir

 

 

« A Claude-germain Le Clerc de Montmercy

16 mai 1764 aux Délices

Il y a des traits charmants, monsieur, dans tous les ouvrages que vous faites, des vers heureux et pleins de génie 1. Souffrez seulement que je vous dise qu'il ne faut pas prodiguer l'or et les diamants . Quand vous voudrez vous amuser à faire des vers, gardez-vous de trop d'abondance . Vous savez mieux que moi que quatre bons vers valent mieux que quatre cents médiocres . Quand vous en ferez peu, vous les ferez tous excellents. Vous sentez qu'il faut que je vous estime beaucoup pour oser vous parler ainsi .

Si vous n'avez rien à faire, et que vous vouliez quelquefois m'écrire des nouvelles de littérature, ou même des nouvelles publiques à vos heures de loisir, vous me ferez beaucoup de plaisir, mais surtout ne vous gênez pas ; on ne doit faire ni vers ni prose, ni même écrire un billet que quand on se sent en verve . C'est l'attrait du plaisir qui doit nous conduire en tout ; malheur à celui qui écrit parce qu'il croit devoir écrire ! Vous êtes philosophe, et par conséquent un être très libre . Ma philosophie est la très humble servante de la vôtre 2 et l'amitié que vous m'avez inspirée me fait espérer que vous en aurez un peu pour moi . Que cette amitié commence par bannir les cérémonies .

V. »

2 Allusion issue du Médecin malgré lui, II, 4, de Molière .

17/06/2019

on dit que pour consoler les Welches de tous leurs malheurs, on leur a donné une comédie fort bonne qui a un très grand succès ; mais j'aimerais encore mieux quelque bon livre de philosophie qui écrasât pour jamais le fanatisme

... A mes yeux , grand guignol ! En ce jour, première épreuve du BAC : philosophie ! Enorme comédie mettant en scène des lycéens sous la direction d'enseignants de toute façon irresponsables . Que deviendrons ces ados attardés qui ont plus d'exemples de gréves et manifestations que de travail constructif ?

https://etudiant.lefigaro.fr/article/bac-2019-decouvrez-t...

Pour preuve ? https://www.lepoint.fr/education/bac-les-plus-belles-perl...

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« A Etienne-Noël Damilaville

16è mai 1764 aux Délices 1

Mon cher frère, on dit que pour consoler les Welches de tous leurs malheurs, on leur a donné une comédie fort bonne qui a un très grand succès 2; mais j'aimerais encore mieux quelque bon livre de philosophie qui écrasât pour jamais le fanatisme, et qui rendît les lettres respectables . Je mets toutes mes espérances dans l'Encyclopédie .

Avez-vous reçu, mon cher frère, le second ballot que M. Gabriel Cramer vous avait destiné ? J'ai toujours sur le cœur la tracasserie qu'on m'a voulu faire avec lui . N'est-il pas bien singulier qu'un homme s'avise d’écrire de Paris à Genève , que je jette feu et flammes contre les Cramer, que je parle d'eux dans toutes mes lettres avec dureté et avec mépris ; que je veux faire saisir leur livre par les ordres de M. de Sartines ! Et pourquoi s'il vous plait tout ce fracas ? Parce que je n'ai pas voulu que mon nom figurât avec la famille Vadé , et que je me suis cru indigne de cet honneur . Quand j'ai vu mon nom j'ai dit que je ne voulait pas qu'il parût . Quand on l'a ôté j'ai été content , et voilà tout . Vous me feriez grand plaisir d'écrire à Gabriel qu'on l'a très mal informé ; que celui qui lui a mandé ces sottises n'est qu'un semeur de zizanie . Les Cramer m'ont assurément quelque obligation ; et celui qui voudrait leur persuader d'être ingrats ferait une action bien condamnable . Je crois avoir contribué un peu à leur fortune, je ne m'en repens point ; ils sont mes frères, ils sont philosophes, et les philosophes doivent être reconnaissants . C'est vous qui êtes le véritable frère , c'est avec vous que je voudrais célébrer les mystères sacrés de la raison, c'est dans votre sein que je dépose ma douleur de la dispersion des fidèles .

Adieu, soyons toujours unis en Platon, Cicéron, Marc-Antoine, Epictète, Julien Bayle, Shaffsterbury, Bolingbroke, etc . Etc.

Ecr l'inf. »

2 La Jeune Indienne, de Chamfort ; voir lettre de mars 1764 à Chamfort : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/19/notre-nation-n-a-de-gout-que-par-accident-6145031.html

16/06/2019

Puissent tous vos confrères et tous les juges vous ressembler

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« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont 1

[mai 1764]

Un homme de la famille Vadé doit depuis longtemps une lettre au Cicéron qui prend toujours en main la cause des malheureux et de l'humanité . Mais ce Vadé a été bien malade . Il profite monsieur d'un petit rayon de santé pour vous dire combien il estime votre manière de penser et d'écrire, et combien il respecte votre personne . Je ne vous appelle pas Cicéron sans de très bonnes raisons . Puissent tous vos confrères et tous les juges vous ressembler . Il n'y aurait plus de Welches . Daignez mettre je vous prie au rang de vos amis votre très humble et très obéissant serviteur .

V. »

15/06/2019

Tout ce qui est contre la vraisemblance doit au moins inspirer des doutes, mais l'impossible ne doit jamais être écrit

... Ni même dit ?

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« A la « Gazette littéraire de l'Europe » 1

[mai 1764]

Vous avez dit, messieurs, en rendant compte de l'ouvrage de M. Hooke 2, que l'histoire romaine est encore à faire parmi nous, et rien n'est plus vrai . Il était pardonnable aux historiens romains d'illustrer les premiers temps de la république par des fables qu'il n'est plus permis de transcrire que de les réfuter . Tout ce qui est contre la vraisemblance doit au moins inspirer des doutes, mais l'impossible ne doit jamais être écrit .

On commence par nous dire que Romulus ayant rassemblé trois mille trois cents bandits , bâtit le bourg de Rome de mille pas en carré : or mille pas en carré suffiraient à peine pour deux métairies ; comment trois mille trois cents hommes auraient-ils pu habiter ce bourg ?

Quels étaient les prétendus rois de ce ramas de quelques brigands ? n'étaient-ils pas visiblement des chefs de voleurs qui partageaient un gouvernement tumultueux avec une petite horde féroce et indisciplinée ?

Ne doit-on pas, quand on compile l'histoire ancienne, faire sentir l'énorme différence de ces capitaines de bandits avec de véritables rois d'une nation puissante ?

Il est avéré par l'aveu des écrivains romains que pendant près de quatre cents ans l’État romain n'eut pas plus de dix lieues en longueur et autant en largeur . L’État de Gênes est beaucoup plus considérable aujourd'hui que la république romaine ne l'était alors .

Ce ne fut que vers l'an 360 que Véies fut prise après une espèce de siège ou de blocus qui avait duré dix années . Véies était auprès de l'endroit où est aujourd'hui Civita-Vecchia 3, à cinq ou six lieues de Rome ; et le terrain autour de Rome, capitale de l'Europe, a toujours été si stérile que le peuple voulut quitter sa patrie pour aller s’établir à Véies .

Aucune de ses guerres, jusqu'à celle de Pyrrhus, ne mériterait de place dans l’histoire si elles n’avaient été le prélude de ses grandes conquêtes . Tous ces évènements jusqu'aux temps de Pyrrhus sont pour la plupart si petits et si obscurs qu'il fallut les relever par des prodiges incroyables ou par des faits destitués de vraisemblance, depuis l'aventure de la louve qui nourrit Romulus et Rémus, et depuis celles de Lucrèce, de Clélie, de Currius, jusqu'à la prétendue lettre du médecin de Pyrrhus qui proposa, dit-on, aux Romains d'empoisonner son maître, moyennant une récompense proportionnée à ce service . Quelle récompense pouvaient lui donner les Romains qui n'avaient alors ni or, ni argent ; et comment soupçonne-t-on un médecin grec d'être assez imbécile pour écrire une telle lettre ?

Tous nos compilateurs recueillent ces contes sans le moindre examen ; tous sont copistes, aucun n'est philosophe . On les voit tous honorer du nom de vertueux des hommes qui au fond n'ont jamais été que des brigands courageux ; ils nous répètent que la vertu romaine fut enfin corrompue par les richesses et par le luxe, comme s'il y avait de la vertu à piller les nations, et comme s'il n'y avait de vice qu'à jouir de ce qu'on a volé . Si on a voulu faire un traité de morale au lieu d'une histoire, on a dû inspirer encore plus d'horreur pour les déprédations des Romains que pour l'usage qu'ils firent des trésors ravis à tant de nations qu'ils dépouillèrent l'une après l'autre .

Nos historiens modernes de ces temps reculés auraient dû discerner au moins les temps dont ils parlent ; il ne faut pas traiter le combat peu vraisemblable des Horaces et des Curiaces, l’aventure romanesque de Lucrèce, celle de Clélie, celle de Currius, comme les batailles de Pharsale et d'Actium . Il est essentiel de distinguer le siècle de Cicéron de ceux où les Romains ne savaient ni lire, ni écrire et ne comptaient les années que par des clous fichés dans le Capitole . En un mot, toutes les histoires romaines que nous avons dans les langues modernes n'ont point encore satisfait les lecteurs .

Personne n'a encore recherché avec succès ce qu'était un peuple attaché scrupuleusement aux superstitions et qui ne sut jamais régler le temps de ses fêtes, qui ne sut même pendant près de cinq cents ans ce qu’était qu'un cadran au soleil ; un peuple dont le Sénat se piqua quelquefois d'humanité , et dont ce même Sénat immola aux dieux deux Grecs et deux Gauloises pour expier la galanterie d'une de ses vestales ; un peuple toujours exposé aux blessures et qui n'eut au bout de cinq siècles qu'un seul médecin, qui était à la fois chirurgien et apothicaire .

Le seul art de ce peuple fut la guerre pendant six cent années ; et comme il était toujours armé, il vainquit tour à tour les nations qui n’étaient pas continuellement sous les armes .

L'auteur du petit volume sur la grandeur et la décadence des Romains 4 nous en apprend plus que les énormes livres des historiens modernes ; il eût seul été digne de faire cette histoire s'il eût pu résister surtout à l'esprit de système et au plaisir de donner souvent des pensées ingénieuses pour des raisons .

Un des défauts qui rendent la lecture des nouvelles histoires romaines peu supportable, c'est que les auteurs veulent entrer dans les détails comme Tite-Live . Ils ne songent pas que Tite-Live écrivait pour sa nation à qui ces détails étaient précieux . C'est bien mal connaître les hommes d'imaginer que les Français s’intéresseront aux marches et aux contremarches d'un consul qui fait la guerre aux Samnites et aux Volsques, comme nous nous intéressons à la bataille d'Ivry et au passage du Rhin à la nage .

Toute histoire ancienne doit être écrite différemment de la nôtre, et c'est à ces convenances que les auteurs des histoires anciennes ont manqué . Ils répètent et ils allongent des harangues qui ne furent jamais prononcées, plus soigneux de faire parade d'une éloquence déplacée que de discuter des vérités utiles . Les exagérations souvent puériles, les fausses évaluations des monnaies de l'Antiquité et de la richesse des États, induisent en erreur les ignorants et font peine aux hommes instruits . On imprime de nos jours qu'Archimède lançait des traits à quelque distance que ce fût , qu'il élevait une galère du milieu de l'eau et la transportait sur le rivage en remuant le bout du doigt, qu'il en coûtait six cent mille écus pour nettoyer les égouts de Rome, etc.

Les histoires plus anciennes sont encore écrites avec moins d'attention . La saine critique y est plus négligée ; le merveilleux, l'incroyable, y domine ; il semble qu'on ait écrit pour des enfants plus que pour des hommes ; le siècle éclairé où nous vivons exige dans les auteurs une raison plus cultivée . »

2 Compte-rendu de l'ouvrage de Nathaniel Hooke : The Roman history from the building of Rome to the ruin of the commonwealth, 1757-1771, dans la Gazette littéraire de l'Europe du 28 mars 1764 . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nathaniel_Hooke

3 V* commet ici un légère erreur ; le site actuellement abandonné de Véies est environ à 15 km au nord-ouest de Rome, tandis que Civita-Vecchia est à une cinquantaine de kilomètres, sur l’emplacement de l'ancienne Centum Cellae . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9ies

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Civitavecchia

14/06/2019

Ils me paraissent un peu fous, ces messieurs de Paris

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Fluctuat et mergitur

 

 

« A Gabriel Cramer

[mai 1764]

Ils me paraissent un peu fous, ces messieurs de Paris ; il faut les laisser faire et aller son train vous dis-je .

L'aventure de Malapert est un peu folle aussi ; les esprits me paraissent échauffés de part et d'autre, et je tiens que Perrin Dandin avait grande raison d'attendre pour accommoder les gens que leur colère fût passée 1. Je ne vois rien encore de bien décidé sur la maladie de Mme de Florian qui est bien plus intéressante qu’une querelle d'ivrognes .

Votre premier garçon attend pour se consoler, l'apostrophe et la feuille entière . Ce petit morceau doit être bien agréable à l'université . Il vous envoie le tome de Corneille qui est probablement celui que M. de Tournes demande . »

1 Dans Les Plaideurs de Racine .

13/06/2019

je crois rendre service à mon prochain, quand je fais croître quatre brins d’herbe sur un terrain qui n’en portait que deux. J’ai bâti des maisons, planté des arbres, marié des filles , l’ange exterminateur n’a rien à me dire

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Ange ou diable, va voir ailleurs si j'y suis !

 

 

« A Élie Bertrand , Premier pasteur de l’Église

française, membre de plusieurs académies etc.

à Berne

Aux Délices 15è mai 1764

Iliacos intra muros peccatur et extra.1

Mais, mon cher philosophe, Berne aura la gloire de tout pacifier ; il lui suffira de dire : Quos ego ?2 On ne connaît pas trop ici les fadaises de Guillaume Vadé ; ce sont des joujoux faits pour amuser des Français, et dont les têtes solides de la Suisse ne s’accommoderaient guère. Cependant, s’il y a ici quelques exemplaires, je ne manquerais pas de vous en faire avoir un. J’aimerais bien mieux être chargé par l’Électeur Palatin de vous présenter quelque chose de plus essentiel.

Je vous suis infiniment obligé de la bonté que vous avez eue de m’envoyer les irrigations 3. Je vous supplie de présenter mes très humbles remerciements à monsieur votre frère ; nous lui devrons, mes vaches et moi, de grandes actions de grâces. Nous ne sommes pas, dans notre pays de Gex, de si bons cultivateurs que les Bernois , mais je fais ce que je peux pour les imiter, et je crois rendre service à mon prochain, quand je fais croître quatre brins d’herbe sur un terrain qui n’en portait que deux 4. J’ai bâti des maisons, planté des arbres, marié des filles , l’ange exterminateur n’a rien à me dire, et je passerai hardiment sur le pont aigu 5. En attendant, je vous aimerai bien véritablement, mon cher philosophe, tant que je végéterai dans ce monde. »

1 On commet des fautes à l'intérieur des murs d'Ilion, comme à l'extérieur ; Horace, Épîtres, I, II, 16 .

2 Je les … , ces mots sont une exclamation interrompue ; Virgile, Enéide, I, 135 .

3 Jean Bertrand , De l'eau relativement à l'économie rustique, ou Traité de l'irrigation des prés, 1764 : https://books.google.fr/books?id=gy7LX6HPl00C&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

4 Rappel des Voyages de Gulliver, de Swift ( Voyage à Brobdingnag, VII : http://www.cosmovisions.com/Swift-Gulliver-Brobdingnag-7.... )

5 V* cite ce qu'il croit être une ancienne œuvre indienne et qui n'est en fait qu'apocryphe ; voir lettre du 1er octobre 1761 à Jacob Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/09/17/vous-seriez-bien-etonne-de-trouver-dans-ce-manuscrit-quelque-5849201.html ) et la note de Beuchot reproduite dans La Défense de mon oncle, chap. XIII, « De l'Inde et du Veidam » : https://fr.wikisource.org/wiki/La_D%C3%A9fense_de_mon_oncle/%C3%89dition_Garnier/Chapitre_13

12/06/2019

Je ne sais rien, je ne vois le monde que par un trou, de fort loin, et avec de très mauvaises lunettes. Je cultive mon jardin comme Candide ; mais je ne suis point de son avis sur le meilleur des mondes possibles

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Mais je n'en pense pas moins !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

14 mai 1764 aux Délices

Voici, mes divins anges, un petit chiffon pour vous amuser, et pour entrer dans la Gazette littéraire. Je n’ai rien d’Italie ni d’Espagne. Si M. le duc de Praslin veut m’autoriser à écrire au secrétaire de votre ambassadeur à Madrid, et au ministre de Florence, j’aurai bien plus aisément, et plus vite, et à moins de frais, tous les livres de ce pays-là, qui pourront m’être envoyés en droiture. Je ne crois pas qu’après la belle lettre de Gabriel Cramer, que je vous ai envoyée, il s’empresse beaucoup de me servir. Il est évident que c’est Cromelin qui a fait cette tracasserie, uniquement pour le plaisir de la faire. Il aura trouvé surtout que j’ai manqué de respect à la majesté des citoyens de Genève. Vous me feriez un très grand plaisir de me renvoyer la lettre 1 dans laquelle je me plaignais assez justement d’avoir vu mon pauvre nom joint au nom illustre de Guillaume Vadé. Je voudrais voir si je suis en effet aussi coupable qu’on le prétend.

Tout le monde s’adresse à moi pour avoir des Corneille. Les souscripteurs qui n’avaient point payé la moitié de la souscription n’ont point eu le livre. Tout ce que je sais, c’est que ni madame Denis, ni madame Dupuits, ni moi, n’en avons encore. Lorsque je commençai cette entreprise, les deux frères Cramer, qui étaient alors tous deux libraires, offrirent de se charger de tout l’ouvrage en donnant quarante mille francs à mademoiselle Corneille. On en a tiré enfin environ cinquante-deux mille livres, dont douze pour le père et quarante mille livres de net pour la fille. De ces 40 000 livres il y en a eu environ 30 000 de payées, lesquelles trente ont composé la dot de la sœur de M. Dupuits. Le reste n’est payable qu’au mois d’août ou de septembre.

Je m’imagine que vous avez reçu tout ce qui concerne la conspiration ; ainsi il ne tiendra qu’à vous de mettre le feu aux poudres quand il vous plaira, comme disait le cardinal Albéroni. Pour moi, mes anges, je me sens dans l’impossibilité totale de travailler davantage à ce drame 2. Mes Roués ne feront jamais verser de larmes, et c’est ce qui me dégoûte . J’aime à faire pleurer mon monde ; mais du moins les roués attacheront, s’ils n’attendrissent pas. Je vous demande en grâce qu’on n’y change rien, qu’on donne la pièce telle qu’elle est. Jouissez du plaisir de cette mascarade, sans que les comédiens me donnent l’insupportable dégoût de mutiler ma besogne. Les malheureux jouent Régulus 3 sans y rien changer, et ils défigurent tout ce que je leur donne. Je ne conçois pas cette fureur : elle m’humilie, me désespère, et me fait faire trop de mauvais sang.

J’avais une grâce à demander à Mme la duchesse de Gramont, mais je ne sais si je dois prendre cette liberté. Je ne sais rien, je ne vois le monde que par un trou, de fort loin, et avec de très mauvaises lunettes. Je cultive mon jardin comme Candide ; mais je ne suis point de son avis sur le meilleur des mondes possibles ; je crois seulement avec fermeté que vous êtes de tous les anges les plus aimables et les plus remplis de bonté pour moi , aussi ma dévotion pour vous est sans bornes. »



2 Le Triumvirat .

3 L'ennuyeux Régulus de Nicolas Pradon , 1688, fut joué jusqu'en 1728 . Voir : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/PRADON_REGULUS.xml