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12/06/2019

Je vous jure que si je le pouvais, si j’étais libre et garçon, je ferais un voyage exprès pour vous voir

... Also sprach Mme Denis au XVIIIè siècle !

Situation  qui semble invraisemblable de nos jours , et pourtant ! Au XXIè siècle, être fille/femme dans une grand part du monde est encore servage assuré, infantilisation inepte, dépendance injustifiable à l'homme, au nom de la tradition née de la religion née de la trouille d'un au-delà hypothétique né de l'ignorance crasse de bipèdes mâles insensés . Jusqu'à quand va-t-on voir cela ? ça n'a que trop duré !

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Religion, que d'horreurs tu permets !

 

 

« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville, Ancien conseiller

du Parlement de Rouen

rue Saint-Pierre

à Paris

Et s'il n'y est pas

renvoyez à sa terre de

Launay par Rouen

10è mai 1764 aux Délices 1

Que vous êtes heureux, mon ancien ami, d’avoir conservé vos yeux, et d’écrire toujours de cette jolie écriture que vous aviez il y a plus de cinquante ans ! Votre plume est comme votre style, et pour moi je n’ai plus ni style, ni plume.

Madame Denis vous écrit de sa main , je ne puis en faire autant. Il est vrai que l’hiver passé je faisais des contes, mais je les dictais, et actuellement je peux à peine écrire une lettre. Je suis d’une faiblesse extrême, quoi qu’en dise M. Tronchin ; et mon âme, que j’appelle Lisette, est très mal à son aise dans mon corps cacochyme. Je dis quelquefois à Lisette , allons donc, soyez donc gaie comme la Lisette de mon ami ; elle répond qu’elle n’en peut rien faire, et qu’il faut que le corps soit à son aise pour qu’elle y soit aussi. Fi donc ! Lisette , lui dis-je ; si vous me tenez de ces discours-là, on vous croira matérielle. Ce n’est pas ma faute, a répondu Lisette ; j’avoue ma misère, et je ne me vante point d’être ce que je ne suis pas.

J’ai souvent de ces conversations-là avec Lisette, et je voudrais bien que mon ancien ami fût en tiers ; mais il est à cent lieues de moi, ou à Paris, ou à Launay, avec sa sage Lisette . Il partage son temps entre les plaisirs de la ville et ceux de la campagne. Je ne peux en faire autant . Il faut que j’achève mes jours auprès de mon lac, dans la famille que je me suis faite. Madame Denis, maîtresse de la maison, me tient lieu de femme ; Mlle Corneille, devenue madame Dupuits, est ma fille ; ce Dupuits a une sœur que j’ai mariée aussi, et quoique je sois à la tête d’une grosse maison, je n’ai point du tout l’air respectable.

J’ai été fort affligé de la mort de Mme de Pompadour ; je lui avais obligation ; je la pleure par reconnaissance. Il est bien ridicule qu’un vieux barbouilleur de papier, qui peut à peine marcher, vive encore, et qu’une belle femme meure à quarante ans, au milieu de la plus belle carrière du monde. Peut-être, si elle avait goûté le repos dont je jouis, elle vivrait encore.

Vous vivrez cent ans, mon ami, parce que vous allez de Paris à Launay et de Launay à Paris, sans soins et sans inquiétudes. Ce qui pourra me conserver, c’est le petit plaisir que j’ai de désespérer le marquis de Lézeau. Il est tout étonné de ne m’avoir pas enterré au bout de dix mois. Je lui joue, depuis plus de trente ans, un tour abominable 2. On dit que nous avons un contrôleur-général qui ne pense pas comme lui, et qui veut que tout le monde soit payé.

Bonsoir, mon ancien ami ; soyez heureux aux champs et à la ville, et aimez-moi. »



1Cideville a écrit à V* le 17 avril 1764, commentant longuement Olympie qu’il avait vue « six ou sept fois » ; voir aussi une lettre de Mme Denis à Cideville du 29 mars 1764 : « […] Le mariage de notre petite Corneille réussit à merveille . Son mari l'aime à la folie, ils sont tous deux d'un caractère charmant . J'avais pris aussi une jeune personne sœur de M. Dupuits, qui va avoir dix-sept ans, très jolie et très bon enfant . Je viens de la marier à un maître des comptes de Dole en Franche-Comté ; c'est un homme aimable d'une très jolie figure et qui a du bien . La demoiselle a pour toute fortune dix mille écus, n'ayant plus ni père ni mère . Notre marié se nomme M. de Vaux . Il est arrivé ici il y a quinze jours . Toutes les informations de part et d'autres étaient faites ; un ami commun que j'avais chargé de faire ce mariage l'accompagnait . Bref ils arrivèrent le mercredi, nous avons fait le mariage le mercredi suivant , et nous sommes toujours en noces, tout le pays venant nous faire des compliments . Les nouveaux mariés restent avec nous jusqu'au mois de mai, et puis je leur donnerai ma bénédiction et je crois qu'ils seront très heureux . Voilà mon cher ce qui fait que je n'ai pu vous répondre sur-le-champ . J'ai eu depuis quinze jours un embarras inexprimable, n'ayant pas le temps de respirer . Mon oncle prétend que tous ces mariages le rajeunissent . C'est un grand plaisir que de faire des heureux . Il se porte assez bien , et attend le beau temps avec une impatience extrême . La promenade lui est absolument nécessaire . Êtes-vous content d'Olympie ? Les acteurs jouent-ils bien ? Le spectacle doit en être beau, nous l'avons essayé l'année passée sur notre petit théâtre, elle fit un grand effet . Êtes-vous contente [sic] de Mlle Clairon ? Mlle Dumesnil rend-elle bien Statira ? C’est un beau rôle et celui que j'avais choisi, ne me trouvant pas assez jeune pour rendre celui d’Olympie . Ne serez-vous jamais tenté de voir notre petit théâtre ? Soyez sûr qu'un voyage vous ferait du bien . Thieriot m'avait promis qu'il vous déterminerait . Venez passer un été avec nous . Par Lyon, le chemin est superbe actuellement . Le changement d'air, l'exercice, le plaisir que vous feriez à votre bonne amie, tout concourrait à vous donner de la santé . Croyez qu'on ne cause point à son aise par écrit . Je vous jure que si je le pouvais, si j’étais libre et garçon, je ferais un voyage exprès pour vous voir . Mais je ne peux quitter mon oncle, qui, quoique d'une santé encore assez passable, devient très délicat . Je suis sûre qu'il serait enchanté de vous voir, et si je n'en avais pas les preuves l[es] plus convaincues, je ne vous presserais pas . Vous serez content de ma petite Corneille et de son mari . Ce sont les meilleures petites bonnes gens du monde .[…] Mon oncle qui a toujours répandu des grâces dans la société est plus aimable que jamais, l'âge […] le rendant bien plus doux qu'il n'était autrefois . Savez-vous que nous avons aussi un ex-jésuite, car il n'en est plus d'autre . Nous en avons fait nôtre aumônier . C'est une espèce d'imbécile qui n'y a jamais entendu finesse, et qui a cependant quelque connaissance . Il a régenté vingt ans à Dijon, mais ce que j'en aime le mieux c'est qu'il est grand joueur d'échecs et amuse beaucoup mon oncle . Adieu mon cher ami […] . »

2 Depuis 1733 Lezeau lui verse une rente viagère .

11/06/2019

on est entouré alors d’hypocrites qui vous obsèdent pour vous faire penser comme ils ne pensent point, ou d’imbéciles qui veulent que vous soyez aussi sot qu’eux ; tout cela est bien dégoûtant

... En un mot des cons .

De ce fait jamais je ne me syndiquerai, ni ne m'encarterai dans quelque parti politique qui soit , riches en ces espèces .

Je préfère rire avec Juliette : https://www.youtube.com/watch?v=5oei50UsSW4

Et m'émouvoir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=xgMNT8Dv3lI

 

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

Aux Délices 9è mai 1764

C’est moi, madame, qui vous demande pardon de n’avoir pas eu l’honneur de vous écrire, et ce n’est pas à vous, s’il vous plaît, à me dire que vous n’avez pas eu l’honneur de m’écrire ; voilà un plaisant honneur . Vraiment il s’agit entre nous de choses plus sérieuses, attendu notre état, notre âge, et notre façon de penser. Je ne connais que Judas dont on ait dit qu’il eût mieux valu pour lui de n’être pas né 1, et encore est-ce l’Évangile qui le dit . Mécène 2 et La Fontaine ont dit tout le contraire :

Mieux vaut souffrir que mourir,

C’est la devise des hommes.3 

Je conviens avec vous que la vie est très courte et assez malheureuse ; mais il faut que je vous dise que j’ai chez moi un parent de vingt-trois ans 4, beau, bien fait, vigoureux ; et voici ce qui lui est arrivé .

Il tombe un jour de cheval à la chasse, il se meurtrit un peu la cuisse, on lui fait une petite incision, et le voilà paralytique pour le reste de ses jours, non pas paralytique d’une partie de son corps, mais paralytique à ne pouvoir se servir d’aucun de ses membres, à ne pouvoir soulever sa tête, avec la certitude entière de ne pouvoir jamais avoir le moindre soulagement : il s’est accoutumé à son état, et il aime la vie comme un fou.

Ce n’est pas que le néant n’ait du bon ; mais je crois qu’il est impossible d’aimer véritablement le néant, malgré ses bonnes qualités.

Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie : il est très certain qu’on ne la sent point ; ce n’est point un moment douloureux ; elle ressemble au sommeil comme deux gouttes d’eau ; ce n’est que l’idée qu’on ne se réveillera plus qui fait de la peine , c’est l’appareil de la mort qui est horrible, c’est la barbarie de l’extrême-onction, c’est la cruauté qu’on a de nous avertir que tout est fini pour nous. A quoi bon venir nous prononcer notre sentence ? Elle s’exécutera bien sans que le notaire et les prêtres s’en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuite n’y plus penser du tout . On dit quelquefois d’un homme , il est mort comme un chien , mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet attirail dont on persécute le dernier moment de notre vie. Si on avait un peu de charité pour nous, on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.

Ce qu’il y a de pis encore, c’est qu’on est entouré alors d’hypocrites qui vous obsèdent pour vous faire penser comme ils ne pensent point, ou d’imbéciles qui veulent que vous soyez aussi sot qu’eux ; tout cela est bien dégoûtant. Le seul plaisir de la vie, à Genève, c’est qu’on peut y mourir comme on veut . Beaucoup d’honnêtes gens n’appellent point de prêtres. On se tue, si on veut, sans que personne y trouve à redire, ou l’on attend le moment sans que personne vous importune.

Mme de Pompadour a eu toutes les horreurs de l’appareil, et celle de la certitude de se voir condamnée à quitter la plus agréable situation où une femme puisse être.

Je ne savais pas, madame, que vous fussiez en liaison avec elle 5; mais je devine que Mme de Mirepoix 6 avait contribué à vous en faire une amie ; ainsi vous avez fait une très grande perte, car elle aimait à rendre service. Je crois qu’elle sera regrettée, excepté de ceux à qui elle a été obligée de faire du mal , parce qu’ils voulaient lui en faire 7. Elle était philosophe , je me flatte que votre ami , qui a été malade 8, est philosophe aussi ; il a trop d’esprit, trop de raison, pour ne pas mépriser ce qui est très méprisable. S’il m’en croit, il vivra pour vous et pour lui, sans se donner tant de peines pour d’autres ; je veux qu’il pousse sa carrière aussi loin que Fontenelle, et que dans son agréable vie il soit toujours occupé des consolations de la vôtre.

Vous vous amusez donc, madame, des commentaires sur Corneille. Vous vous faites lire sans doute le texte, sans quoi les notes vous ennuieraient beaucoup. On me reproche d’avoir été trop sévère ; mais j’ai voulu être utile, et j’ai été souvent très discret. Le nombre prodigieux de fautes contre la langue, contre la netteté des idées et des expressions, contre les convenances, enfin contre l’intérêt, m’a si fort épouvanté, que je n’ai pas dit la moitié de ce que j’aurais pu dire. Ce travail est fort ingrat et fort désagréable, mais il a servi à marier deux filles 9 , ce qui n’était arrivé à aucun commentateur, et ce qui n’arrivera plus.

Adieu, madame ; supportons la vie, qui n’est pas grand-chose ; ne craignons pas la mort, qui n’est rien du tout ; et soyez bien persuadée que mon seul chagrin est de ne pouvoir m’entretenir avec vous, et vous assurer, dans votre couvent 10, de mon très tendre et très sincère respect, et de mon inviolable attachement. »

 

1 Évangile selon Marc : , XIV, 21 : https://www.aelf.org/bible/Mc/14

Mme du Deffand a écrit le 2 mai 1764 : « […] il n'y a à le bien prendre qu'un seul malheur dans la vie, qui est celui d'être né . Il n'y a aucun état tel qu'il puise être qui me paraisse préférable au néant […] malgré tous [les] avantages, il vaudrait mieux n'être pas né, par la raison qu'il faut mourir, qu'on en a la certitude, et que la nature y répugne si fort que tous les hommes sont comme le bûcheron .»

3 La Fontaine, I, XVI, 19-20 : La mort et le bûcheron, qui s'appuie sur l'autorité du précédent : «  Mécène était galant homme. » ; Voir : https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/jean_de_la_fontaine/la_mort_et_le_bucheron

4 Un de ses neveux Daumard .

5Walpole a noté sur la copie Wyart de cette lettre : « Elle ne l'était point ; mais elle s’intéressait fort à M. de Choiseul ». Effectivement, Mme Du Deffand craignait que la mort de Mme de Pompadour ne compromît la position de Choiseul .

6 Seule l'initiale du nom apparaît dans les éditions . Anne-Marguerite-Gabrielle de Beauveau-Craon, duchesse de Mirepoix, la « petite maréchale » était l'amie intime des deux femmes ; mais Mme Du Deffand n'en était pas devenue pour autant l'intime ou l'amie de Mme de Pompadour, ainsi qu'elle le fera remarquer elle-même en répondant à V*.

7 Les jésuites .

8 Le président Hénault .

9 Mlle Marie-Françoise Corneille et sa belle-sœur Dupuits .

10 La communauté de Saint-Joseph .

10/06/2019

qui se trouve le cul par terre entre trois selles

... Eh bien ! une foultitude de maires qui larguent les amarres  de leurs partis d'origine pour se rallier en hâte à LREM, astuce qui leur permettrait de n'avoir pas de candidat de ce parti en face d'eux . Grand bien leur fasse . Rendez-vous l'an prochain .

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« Au colonel David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches etc.

à Paris

9è mai 1764 aux Délices

Vous me trouverez, mon cher monsieur, plus de vérité que de vanité . Je suis obligé de vous avouer que dans le moment présent je vous servirais très mal en écrivant à la personne à laquelle vous voulez que j'écrive 1. Je me trouve dans des circonstances qui doivent me faire garder le silence pendant quelque temps ; tous les moments ne sont pas également favorables . Je serai à vos ordres assurément toute ma vie ; mais actuellement je les exécuterais fort mal . Gardez-vous de vous accrocher à un roseau cassé, lorsque vous avez de si bons appuis. Je vous avoue ma misère, je n'en rougis point, mais j'en suis très fâché . Tout va de travers pour moi depuis quelques jours, je m'enveloppe dans ma petite philosophie, mais je vous suis cent fois plus attaché que je ne suis philosophe . Ma nièce partage tous mes sentiments pour vous . Conservez vos bonté au vieux Français moitié suisse, moitié genevois, qui se trouve le cul par terre entre trois selles . »

1 Constant de Rebecque a écrit le 2 mai 1764 à V*, de paris, pour lui demander une seconde lettre de recommandation pour la duchesse de Gramont, plus détaillée que la précédente ; voir lettre du 22 avril à celle-ci : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/05/20/je-me-crois-bien-autorise-aujourd-hui-a-profiter-de-cette-permission-que-vo.html

09/06/2019

Il n’est pas bon qu’une nation s’avise de penser ; c’est un vice dangereux qu’il faut abandonner aux Anglais

... Theresa May en est, elle aussi, intimement persuadée, et le regrette infiniment .

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

Aux Délices, 8 de mai [1764]

Les uns me disent, mon cher philosophe, qu’il y aura un lit de justice, les autres qu’il n’y en aura point, et cela m’est fort égal. Quelques-uns ajoutent qu’on fera passer en loi fondamentale du royaume l’expulsion des jésuites, et cela est fort plaisant. On parle d’emprunts publics et je ne prêterai pas un sou ; mais je vous parlerai de vous et de Corneille. On me trouve un peu insolent, et je pense que vous me trouvez bien discret ; car, entre nous, je n’ai pas relevé la cinquième partie des fautes : il ne faut pas découvrir la turpitude de son père 1. Je crois en avoir dit assez pour être utile ; si j’en avais dit davantage, j’aurais passé pour un méchant homme. Quoi qu’il en soit, j’ai marié deux filles 2 pour avoir critiqué des vers ; Scaliger et Saumaise n’en ont pas tant fait.

Avez-vous regretté madame de Pompadour ? oui, sans doute, car dans le fond de son cœur elle était des nôtres ; elle protégeait les lettres autant qu’elle le pouvait : voilà un beau rêve de fini. On dit qu’elle est morte avec une fermeté digne de vos éloges. Toutes les paysannes meurent ainsi ; mais à la cour la chose est plus rare, on y regrette plus la vie, et je ne sais pas trop bien pourquoi.

On me mande qu’on établit une inquisition sur la littérature ; on s’est aperçu que les ailes commençaient à venir aux Français, et on les leur coupe. Il n’est pas bon qu’une nation s’avise de penser ; c’est un vice dangereux qu’il faut abandonner aux Anglais. J’ai peur que certains hommes d’État ne fassent comme madame de Bouillon 3, qui disait : « Comment  édifierons-nous le public le vendredi saint ? Faisons jeûner nos gens. » Il diront : « Quel bien ferons-nous à l’État ? persécutons les philosophes. » Comptez que madame de Pompadour n’aurait jamais persécuté personne. Je suis très affligé de sa mort.

S’il y a quelque chose de nouveau, je vous demande en grâce de m’en informer. Vos lettres m’instruisent, me consolent et m’amusent, vous le savez bien ; je ne peux vous le rendre, car que peut-on dire du pied des Alpes et du mont Jura ?

Rencontrez-vous quelquefois frère Thieriot ? Je voudrais bien savoir pourquoi je ne peux pas tirer un mot de ce paresseux-là.

On m’a dit que vous travaillez à un grand ouvrage 4 ; si vous y mettez votre nom, vous n’oserez pas dire la vérité : je voudrais que vous fussiez un peu fripon. Tâchez, si vous pouvez, d’affaiblir votre style nerveux et concis, écrivez platement, personne assurément ne vous devinera ; on peut dire pesamment de très bonnes choses ; vous aurez le plaisir d’éclairer le monde sans vous compromettre ; ce serait là une belle action, ce serait se faire à tout 5 pour la bonne cause, et vous seriez apôtre sans être martyr. Ah ! mon Dieu ! si trois ou quatre personnes comme vous avaient voulu se donner le mot, le monde serait sage, et je mourrai peut-être avec la douleur de le laisser aussi imbécile que je l’ai trouvé.

Avez-vous toujours le projet d’aller en Italie ? Plût à Dieu ! je me flatte qu’alors je vous verrais en chemin et je bénirais le Seigneur. Je vous embrasse de trop loin, et j’en suis bien fâché. »

2 Marie-Françoise Corneille et Mlle Dupuits sœur de son mari .

4 Sur la destruction des jésuites , par un auteur désintéressé : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15201238.image

5 Rappel de la 1ère épître aux Corinthiens, IX, 22 : https://bible.catholique.org/1ere-epitre-de-saint-paul-apotre-aux/3369-chapitre-9

08/06/2019

Ce que vous me dites de l'intolérance m'afflige, et ne m'étonne point ; je m'y attendais .... Ô pauvre raison ! Que vous êtes étrangère chez les Welches !

... Notre peuple français semble bien être toujours aussi irraisonnable siècle après siècle, et pourtant toujours là . Les trouillards et les va-en-guerre n'ont qu'à aller se rhabiller .

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

7è mai 1764 aux Délices

Je reçois dans ce moment votre lettre du 2 mai . Ce que vous me dites de l'intolérance m'afflige, et ne m'étonne point ; je m'y attendais, et c'est par cette raison que je vous ai supplié de dire à M. de Sartines que je ne répondais , ni ne pouvait répondre de tout ce qu'on s'avise d'imprimer sous mon nom . Bien entendu que vous n'auriez la bonté de faire cette démarche que quand vous la jugeriez nécessaire . Il y a des gens qui prétendent que la plaisanterie des Welches est trop forte . En ce cas, il faudrait des cartons . J'en avais déjà fait un, mais on n'a pas daigné imprimer . On ne prend pas de si grandes peines quand on croit pouvoir s'en passer . Cramer s’était chargé de donner des exemplaires du Corneille à Lekain, à Mlle Dumesnil, et à Mlle Clairon . Pour moi je n'en ai qu'un seul exemplaire, encore est-il sans figures. Je vous supplie de le dire à M. d'ArgentaI . Je ne me suis mêlé de rien, sinon de perdre les yeux avec une malheureuse petite édition de Corneille 1, en caractère presque inlisible 2, édition curieuse et rare, sur laquelle j'ai fait la mienne . J'ai été le seul correcteur d’épreuves ; je me suis donné des peines assez grandes pendant deux années entières ; elle sont servi du moins à marier deux filles ; mais je ne me suis mêlé en aucune manière des autres détails .

Mon cher frère, si jamais M. de Montmorency fait des vers, dites-lui qu'il en fasse moins 3, par la raison même qu'il en fait quelquefois de fort beaux, mais multiplicasti gentem, non multiplicasti laetitiam 4. Le moins de vers qu'on peut faire c'est toujours le mieux .

Vous avez envoyé un livre sur l'inoculation 5, cela me fait croire qu'elle sera bientôt défendue . Ô pauvre raison ! Que vous êtes étrangère chez les Welches ! »

3 Voltaire, poème en vers libres, 1764, est la seule publication de cet auteur à cette époque, mais on peut présumer qu'il faisait parvenir à V* de nombreux vers en manuscrit . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65165379.texteImage

5 Angelo Gatti : Réflexions sur les préjugés qui s'opposent aux progrès et à la perfection de l'inoculation, 1764 . Ce livre a été écrit par Morellet à partir de notes en italien de Gatti ; il sera suivi des Nouvelles réflexions sur la pratique de l'inoculation, 1767 . Voir : https://books.google.fr/books/about/Reflexions_sur_les_prejuges_qui_s_oppose.html?id=HkNcAAAAcAAJ&printsec=frontcover&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

et : https://books.google.fr/books?id=sTyQpr-cWXQC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

07/06/2019

Nous manquons d'hommes presque en tous les genres . Si nous n'avons point de talents tâchons au moins d'avoir de la raison

...

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« A Etienne -Noël Damilaville

Aux Délices 7è mai 1764 1

Je suis encore obligé, mon cher frère, de vous écrire au sujet des anciennes craintes que j'avais eues de voir mon nom à la tête des œuvres posthumes de mon ami Guillaume Vadé . Renvoyez-moi, je vous prie, la lettre que je vous ai déjà redemandée 2 ; ma crainte était fort juste puisque j'avais entre les mains un exemplaire à la tête duquel mon nom se trouvait . M. Crommelin, qui est un ministre de paix, ne sèmera pas sans doute la zizanie , et je crois avoir fait assez de bien aux Cramer pour être en droit de compter sur leur reconnaissance . Je ne veux avoir pour ennemis que les fanatiques et les Fréron ; je veux ignorer l'auteur de la tracasserie qui a mandé à Gabriel Cramer que je me plaignais de lui dans les termes les plus violents . Il m'a communiqué copie de plusieurs lettres reçues de Paris, dans lesquelles il paraît un dessein formé de le détacher de moi, après que j’ai travaillé pour lui dix années entières, et que je lui ai fait présent de tous mes ouvrages . Le Corneille ne lui a pas été inutile . Je ne me repentirai jamais d'avoir contribué un peu à sa fortune, et à celle de sa famille, mais ils ne doivent point trouver mauvais que j'aie eu quelques alarmes de me trouver responsable en mon propre et privé nom des fadaises d’Antoine et de Guillaume Vadé . Non seulement je ne veux point répondre de ces fadaises, mais pour peu qu’elles indisposent le public, mon avis est qu'on les supprime entièrement ; et c'est sur quoi je demanderai vos bons offices .

Quant à l'édition qu'on veut faire des commentaires du Corneille détachés du texte 3, je crois que les libraires de Paris doivent me savoir quelque gré des mesures que je leur propose, uniquement pour leur faire plaisir . Je ne veux que le bien de la chose ; je donne tout gratis aux comédiens et aux libraires ; je fais quelquefois des ingrats, ce n'est pas la seule tribulation attachée à la littérature .

J'écrirai incessamment à M. le maréchal de Richelieu au sujet de ce comte d'Oliban . Je ne conçois pas cette rage de vouloir paraître en public quand on déplait au public . Ce n'est pas l'amour qu'il fallait peindre aveugle, c'est l'amour-propre .

Je ne sais aucune nouvelle du théâtre de Paris . On dit que Lekain est le seul homme qu'on puisse entendre . Nous manquons d'hommes presque en tous les genres . Si nous n'avons point de talents tâchons au moins d'avoir de la raison, et sur ce, mon cher frère, écr l'inf. »

1 L'édition de Kehl, à la suite de la copie Beaumarchais donne une version abrégée et déformée amalgamée avec des extraits de la lettre du 16 mai 1764, le tout étant placé sous la date du 11 mai 1764 ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1764-partie-16.html

3 Un Commentaire sur le théâtre de Pierre Corneille a été publié sous le format in-12, pour faire l'assortiment aux nombreuses éditions de Corneille dans ce format ; voir une lettre de Cramer à Panckoucke, sur ce sujet, du 17 décembre 1772 .

06/06/2019

Je voudrais que vous eussiez une fortune égale à votre mérite

... Ce souhait ne s'adresse pas à un Carlos Gohsn, non plus qu'à la famille de notre  Johnny national, mais à Mam'zelle Wagnière dont je n'ai plus de nouvelles depuis le 15 mars . Où êtes-vous, que faites-vous LoveVoltaire ?

 

 

« A Élie Bertrand, Premier pasteur de l’Église

française, membre de plusieurs académies etc.

à Berne.

7è mai , aux Délices

Je me flatte, mon cher philosophe, que vous avez reçu, ou que vous recevrez bientôt, un petit présent de l’Électeur palatin au-dessus du prix du cabinet d’histoire naturelle 1; ce sera le pot-de-vin du marché. Je voudrais que vous eussiez une fortune égale à votre mérite. Je crois qu’on est à présent un peu occupé à Berne de la situation des affaires de Lucerne 2. Non-seulement les Bernois rendent leurs sujets heureux, mais ils veulent aussi le bonheur de leurs voisins. Ce sont là de ces occasions où M. Defreüdenrich ne s’épargne pas. Je vous prie de lui présenter mes respects, aussi bien qu’à madame. Conservez-moi votre amitié, et comptez sur les sentiments qui m’attachent à vous pour jamais. 

V.»

2 La ville de Lucerne est fameuse pour la corruption de son administration ; deux membres de la famille Schumacher viennent d'être démis de leurs fonctions . Voir : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/007382/2018-02-07/