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31/01/2022

Il faut de la force pour traiter le beau sujet, l’intéressant sujet, mais le difficile sujet que j’ai trouvé

... Chaque candidat dressé sur ses ergots se dope à l'autosatisfaction .

A vous de juger des programmes présidentiels . Panorama détaillé des excellentes [sic] informations : https://www.ifrap.org/comparateurs/presidentielle-2022

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Séduire par les mots - 6. Séduire le destinataire sans tronquer la vérité -  Presses de l'Université de Montréal

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

3è novembre 1766

Mes divins anges, pour peu que l’état où je suis continue ou empire, vous serez mal servis. Il faut de la force pour traiter le beau sujet, l’intéressant sujet, mais le difficile sujet que j’ai trouvé 1. J’ai besoin d’une santé que je n’ai pas ; j’ai besoin surtout du recueillement et de la tranquillité qu’on m’arrache. Le couvent que j’ai bâti pour vivre en solitaire ne désemplit point d’étrangers ; et vous savez quelles horreurs, soit de Paris, soit d’Abbeville, ont troublé mon repos et affligé mon âme.

Voilà encore ce malheureux charlatan Jean-Jacques Rousseau qui sème toujours la tracasserie et la discorde dans quelque lieu qu’il se réfugie. Ce malheureux a persuadé à quelques personnes du parti opposé à celui de M. Hume que je m’entendais contre lui avec ce même Hume qui l’a comblé de bienfaits. Ce n’est pas assez de le payer de la plus noire ingratitude, il prétend que je lui ai écrit à Londres une lettre insultante 2, moi qui ne lui ai pas écrit depuis environ neuf ans. Il m’accuse encore de l’avoir fait chasser de Genève et de Suisse ; il me calomnie auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg 3; il me force  ainsi de m’abaisser jusqu’à me justifier de ces ridicules et odieuses imputations. La vie d’un homme de lettres est un combat perpétuel, et on meurt les armes à la main.

Cela ne m’empêchera pas de traiter mon beau sujet, pourvu que la nature épuisée accorde encore cette consolation à ma vieillesse. Je serai soutenu par l’envie de faire quelque chose qui puisse vous plaire.

La troupe de Genève, qui n’est pas absolument mauvaise, se surpassa hier en jouant Olympie ; elle n’a jamais eu un si grand succès. La foule qui assistait à ce spectacle le redemanda pour le lendemain à grands cris. Je suis persuadé que Mlle Durancy ferait réussir bien davantage Olympie à Paris ; et, par tout ce que j’apprends d’elle, je juge qu’elle jouerait mieux le rôle d’Olympie que Mlle Clairon. Tâchez de vous donner ce double plaisir ; mais je vous avoue que je voudrais qu’on ne retranchât rien à la pièce. Toute mutilation énerve le corps et le défigure. Je n’ai point vu la représentation donnée à Genève ; je ne sors guère de mon lit depuis longtemps, mais je sais qu’on a joué la pièce d’après l’édition des Cramer, et je suis un peu déshonoré à Paris par l’édition de Duchesne.

Au reste, mes anges ne manqueront pas de pièces de théâtre. M. de Chabanon est bien avancé 4 ; La Harpe vient demain travailler chez moi. Si je vous suis inutile, mes élèves ne vous le seront pas.

J’espère enfin qu’Élie de Beaumont va faire jouer la tragédie des Sirven. Il est comme moi : il a été accablé de tracasseries et de chagrins, mais il travaille à sa pièce.

Vous m’assurez, mes divins anges, que M. le duc de Praslin trouve bon que j’emploie la protection dont il m’honore auprès de M. Du Clairon 5, commissaire de la marine à Amsterdam, au sujet de ces lettres défigurées que l’éditeur 6 de Rousseau a imprimées, et des notes infâmes dans lesquelles le seul Rousseau est loué, et presque toute la cour de France traitée d’une manière indigne et punissable. Ces notes ont été faites à Paris, et il ne serait pas mal de connaître le scélérat. Un mot d’un premier commis, au nom de M. le duc de Praslin, suffirait à M. Du Clairon.

Que mes anges agréent toujours ma tendresse inaltérable et respectueuse.

V. »

1 Les Scythes, dont il a déjà parlé dans la lettre du 26 septembre 1766 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/30/il-est-vrai-que-j-ai-ete-indigne-de-certaines-barbaries-velc-6357692.html

2 La Lettre au docteur Pansophe.

4 Dans sa tragédie d’Eudoxie, en cinq actes et en vers, imprimée en 1769, sans avoir été représentée. Voir : https://books.google.fr/books?id=I3fzA7GTmfwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

6 Marc-Michel Rey, libraire de Rousseau à Amsterdam. Le volume de Lettres dont Voltaire se plaint ne porte pas le nom d’Amsterdam, mais celui de Genève. L’annotateur était J.-B. Robinet ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier

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