17/04/2022
Nous avons toujours dit la même chose
... Paroles de politiciens.ennes à la courte mémoire à l'heure du bilan de carrière .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
8è janvier 1767 au soir, partira le 10 1
Mes divins anges, nous recevons votre lettre du 3 janvier. Allons vite au fait : 1° L’affaire était si grave que la première chose que dit le receveur du bureau à cette dame, c’est qu’elle serait pendue : 2° Le fidèle Wagnière vous écrivit du bureau même pendant que les monstres du bureau écrivaient à monsieur le vice-chancelier ; 3° Cette affaire étant arrivée le 23 décembre au soir, nous n’avons eu de nouvelles détaillées de vous qu’aujourd’hui 8 janvier, et Lejeune a écrit quatre lettres à sa femme dans cet intervalle ; 4° Nous ne pouvions faire autre chose que d’envoyer mémoire sur mémoire au seul maître de cette affaire ; tous ces mémoires ont été uniformes. Nous avons toujours dit la même chose, et nous ne pouvions deviner que vous imagineriez d’alléguer que cette femme est parente de notre femme de charge, attendu que nous ne l’avons jamais dit dans nos défenses dont vous avez copie, et que Wagnière, à qui cette lettre est dictée, n’énonça point du tout cette défaite 2 dans la lettre qu’il a eu l’honneur de vous écrire du bureau.
La femme même articula dans le procès-verbal qu’elle avait une parente en Suisse, mais non pas à Ferney . Elle déclara qu’elle ne nous connaissait point, et voici le certificat que Wagnière vous en donne, en cas que vous ayez perdu sa lettre. Il nous a donc fallu absolument marcher sur la même ligne et soutenir toujours, ce qui est très vrai, que nous n’avons connu jamais la femme Doiret, et que nous ne vendons point de livres.
5° Il est très vrai encore que le bureau de Collonges est en faute jusque dans sa turpitude, et que sa barbarie n’est point en règle. S’il a cru que la dame Doiret et son quidam 3 voulaient faire passer en France des choses criminelles, il devait s’assurer d’eux : première prévarication.
Il n’était pas en droit de saisir les chevaux et le carrosse d’une personne qui venait faire plomber ses malles, qui se déclarait elle-même, et qui ne passait point des marchandises en fraude selon les ordonnances . Seconde prévarication. Il pouvait même renvoyer ces marchandises sans manquer à son devoir, et c’est ce qui arrive tous les jours dans d’autres bureaux. Mme Denis est légalement autorisée à redemander son équipage, dont d’ailleurs cette femme Doiret s’était servie frauduleusement, en achetant des habits de nos domestiques et en empruntant d’eux nos équipages et des malles.
6° Nos malles ne nous sont revenues au nombre de deux que parce que les commis mirent les papiers dans une troisièmes pour être envoyés à monsieur le vice-chancelier.
7° Il est impossible que, si nous passons le moins du monde pour complices de la femme qui faisait entrer ces papiers, nous ne soyons exposés aux désagréments les plus violents.
8° Quand nous ne serions condamnés qu’à la plus légère amende, nous serions déshonorés à quinze lieues à la ronde, dans un pays barbare et superstitieux. Vous ne vous connaissez pas en barbares 4.
9° Si on ne trouve pas un ami de M. de La Reynière qui obtienne de lui la prompte et indispensable révocation du nommé Jeannin, contrôleur du bureau de Sacconex, entre Genève et Ferney, l’affaire peut prendre la tournure la plus funeste.
Cette affaire, toute désagréable qu’elle est, ne doit préjudicier en rien a celle des Scythes ; au contraire, c’est une diversion consolante et peut-être nécessaire. Il serait bon sans doute que la pièce fût jouée incessamment, et que les acteurs eussent leurs rôles ; mais sans deux bons vieillards et sans une Obéide qui sache faire entrevoir ses larmes en voulant les retenir, et qui découvre son amour sans en parler, tout est bien hasardé. J’ai d’ailleurs fait imprimer l’ouvrage pour prévenir l’impertinente absurdité des comédiens, que Mlle Clairon avait accoutumés à gâter toutes mes pièces ; ce désagrément m’est beaucoup plus sensible que le succès ne pourrait être flatteur pour moi.
J’imagine que l’épître dédicatoire n’aura pas déplu à MM. les ducs de Praslin et de Choiseul ; et c’est une grande consolation pour le bonhomme qui cultive encore son jardin au pied du Caucase, mais qui ne fera plus éclore de fleurs ni de fruits, après une aventure qui lui ôte le peu de forces qui lui restait . Ce bon vieillard vous tend les bras de ses neiges, de Scythie aux murs de Babylone.
V.
Je déclare que je n’ai jamais articulé dans aucun papier que la dame Doiret eût des parents dans la maison. Fait à Ferney, 9è janvier 1767.
Wagnière.
Je déclare la même chose, comme ayant été présent.
Racle.
C’est sur quoi nous avons insisté dans toutes nos lettres ; nous n’avons proposé l’intervention de M. de Courteilles que comme le croyant à portée, par lui ou par ses amis, d’engager les fermiers généraux, chargés du pays de Gex, à casser au plus vite ce malheureux. Nous vous répétons que c’est un préalable très important pour empêcher que notre nom ne soit compromis et que nous ne soyons exposés à un procès criminel.
Vous avez, mes divins anges, un résumé exact de l’affaire. Puisqu’elle dépend de M. de Montyon, que nous avons vu aux Délices, nous allons lui écrire 5. Vous connaissez sans doute le conseiller d’État qui préside à ce bureau. Nous avions espéré que monsieur le vice-chancelier aurait la bonté de décider lui-même cette affaire, et qu’il commencerait par s’informer s’il y a en effet une femme Doiret à Châlons, à laquelle la malle pleine de papiers est adressée. Il est fort triste que cette aventure soit discutée devant des juges qui peuvent la criminaliser 6; mais nous comptons sur votre zèle, sur votre activité, sur vos amis. Nous n’avons rien à nous reprocher, et s’il arrive un malheur 7, on aura la fermeté de le soutenir, malgré l’état languissant où l’on est, et malgré la rigueur extrême d’un climat qui est quelquefois pire que la Sibérie. N’en parlons plus, mes chers anges, il n’est question que d’agir auprès de M. de Montyon et du président du bureau, non pas comme demandant grâce, mais comme demandant justice et conformément à nos mémoires, dont aucun ne dément l’autre. Nous ne voulons point nous contredire comme Jean-Jacques. Voilà notre première et dernière résolution, dont nous ne nous sommes jamais départis, comme nous ne nous départirons point des tendres sentiments qui nous attachent à vous pour toute notre vie.
V. »
1 Déclaration de Racle écrite et signée par lui ; le manuscrit daté par des gloses de l'éditeur a été suivi par toutes les éditions .
2 Le mot défaite est employé au XVIIIè siècle au sens de mauvaise excuse .
3 Jeannin .
4 Phrase ajoutée de la main de V* .
5 Lettre du 9 janvier 1767 au baron de Montyon : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/04/correspondance-annee-1767-partie-5.html
6 V* a souligné ce mot qui est usité en termes de droit pour signifier « transférer une affaire du civil au criminel » à l'inverse de civiliser .
7 D’être forcé de déguerpir. (Georges Avenel.)
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