21/09/2010
il n'est pas bien sûr que dans quatre jours je ne demande l'extrême-onction, au lieu de travailler à un ballet.
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« A Jules-David Cromot du Bourg
Ferney 20 septembre [1776]
Monsieur, en me donnant la plus agréable commission dont on pût jamais m'honorer [i], vous avez oublié une petite bagatelle ; c'est que j'ai quatre-vingt-deux ans passés. Vous êtes comme le Dieu des jansénistes qui donnait des commandements impossibles à exécuter ; et pour mieux ressembler à ce Dieu-là, vous ne manquez pas de m'avertir qu'on n'aura que quinze jours pour se préparer ; de sorte qu'il arrivera que la reine aura soupé avant que je puisse recevoir votre réponse à ma lettre.
Malgré le temps qui presse, il faut, Monsieur, que je vous consulte sur l'idée qui me vient.
Il y a une fête fort célèbre à Vienne, qui est celle de L'Hôte et de L'Hôtesse [ii]: l'Empereur est l'hôte, et l'Impératrice est l'hôtesse ; ils reçoivent tous les voyageurs qui viennent souper et coucher chez eux, et donnent un bon repas à table d'hôte. Tous les voyageurs sont habillés à l'ancienne mode de leur pays ; chacun fait de son mieux pour cajoler respectueusement l'hôtesse ; après quoi tous dansent ensemble. Il y a juste soixante ans que cette fête n'a pas été célébrée à Vienne : Monsieur voudrait-il la donner à Brunoy ?
Les voyageurs pourraient rencontrer des aventures : les uns feraient des vers pour la reine, les autres chanteraient quelques airs italiens ; il y aurait des querelles, des rendez-vous manqués, des plaisanteries de toute espèce.
Un pareil divertissement est, ce me semble, d'autant plus commode que chaque acteur peut inventer lui-même son rôle, et l'accourcir ou l'allonger comme il voudra.
Je vous répète , Monsieur, qu'il me parait impossible de préparer un ouvrage en forme pour le peu de temps que vous me donnez ; mais voici ce que j'imagine : je vais faire une petite esquisse du ballet de L'Hôte et de L'Hôtesse ; je vous enverrai des vers aussi mauvais que j'en faisais autrefois ; vous me paraissez avoir beaucoup de goût, vous les corrigerez, vous les placerez, vous verrez quid deceat, quid non [iii].
Je ferai partir, dans trois ou quatre jours, cette détestable esquisse, dont vous ferez très aisément un joli tableau. Quand un homme d'esprit donne une fête, c'est à lui à mettre tout en place.
Vous pourriez, à tout hasard, Monsieur, m'envoyer vos idées et vos ordres ; mais je vous avertis qu'il y a cent vingt lieues de Brunoy à Ferney. Je vous demande le plus profond secret, parce qu'il n'est pas bien sûr que dans quatre jours je ne demande l'extrême-onction, au lieu de travailler à un ballet.
J'ai l'honneur d'être avec respect, et une envie, probablement inutile, de vous plaire, etc. »
i Ce surintendant de « Monsieur » le comte de Provence a demandé à V* de composer un divertissement pour la fête que le prince offrirait à la reine le 7 octobre à Brunoy.
ii Ce fût le titre du divertissement que V* composa et qui fût représenté.
iii Ce qui convient, ce qui ne convient pas.
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20/09/2010
Il faudrait que Mme de Pompadour fût une grande poule mouillée pour craindre ma fière dédicace
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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
envoyé de Parme, rue de la Sourdière à Paris
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
20 septembre 1760
Madame Scaliger, vous êtes divine, vous nous avez donc secourus dans la guerre, vous avez payé de votre personne. Vous avez pansé des blessés et mis les morts à quartier. C'est à vous que la dédicace devrait appartenir.[i]
Mes divins anges,nous jouâmes hier Alzire, nous allons rejouer Tancrède. Nous sommes à l'abri des cabales. C'est beaucoup. Nos plaisirs sont purs. M. le duc de Villars, grand connaisseur, nous encourage. Notre théâtre commence à être en réputation. Brioché n'avait pas si bien réussi chez les Suisses [ii]. Envoyez nous donc la pièce telle qu'on la joue à Paris. Vous donnez L'Indiscret [iii]. La pièce n'est-elle pas un peu froide ?
Le comique écrit noblement
Fait bailler ordinairement .[iv]
Si Tancrède avait un plein succès, il faudrait hardiment donner La Femme qui a raison [v]. Car qu'elle ait raison ou non elle est gaie. Et la morale est bonne. Il y a beaucoup de coucherie, mais c'est en tout bien tout honneur.
Il faudrait que Mme de Pompadour fût une grande poule mouillée pour craindre ma fière dédicace.[vi] Pardon , divins anges, de mon laconisme. Il faut marier demain notre résident de France [vii] dans mon petit château de Ferney. Nous sommes occupés à imaginer une façon nouvelle de dire la messe. Et je vais répéter deux rôles, Argire et Zopire [viii]. La tête me tournera si je n'y prends garde.
Je baise le bout de vos ailes humblement. »
i Cf. lettre du 8 septembre pour la « bataille » de Tancrède et dédicace à Mme de Pompadour.
ii Cf. le Pot pourri que V* commence à composer (voir lettre du 5 septembre 1760 ) . Brioché qui avait montré ses marionnettes à Soleure avait été accusé de magie par les paysans et emprisonné.
iii Pièce pour accompagner Tancrède à sa dernière représentation du 2 octobre.
iv Extrait de L'Impromptu de la folie, 1726, de Marc-Antoine Le Grand.
v Jamais jouée en public à Paris.
vi Cf. lettre du 8 septembre ; Mme de Pompadour fit supprimer quelques lignes de l'Épitre dédicatoire , elle fera demander par Choiseul que V* n'ajoute pas de préface pour ne pas être compromise.
vii M. de Montpéroux ; V* a entrepris la construction d'une nouvelle église à Ferney, et vient juste de finir les travaux de son château de Ferney.
viii Dans Tancrède et dans Mahomet.
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Tout ce que je vous dis là est toujours comme tout le reste, soumis à la destinée, qui est fort accoutumée à se jouer de nos projets.
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« A Marie-Louise Denis
rue Bergère, vis-à-vis l'hôtel des Menus à Paris
20è septembre 1769
Ma chère amie,
Si Mme d'Erlach vous fait des offres convenables [i] je crois que vous devez les accepter. En ce cas, vous viendriez chez vous [ii] à la fin d'octobre, ou si vous l'aimiez mieux, je viendrais vous prendre à Lyon, et je vous conduirais avec armes et bagages à Toulouse, où les hivers sont très tempérés, et vous reviendriez au printemps dans votre belle habitation.
Vous croyez bien que je ne vous proposerais pas Toulouse si je n'étais sûr d'y être très bien reçu. Le parlement y est devenu protecteur des Sirven et ne cherche qu'à expier l'horreur du jugement des Calas [iii]. Je ne sais comment cela s'est fait, mais on compte mon suffrage pour quelque chose dans cette ville [iv]. J'ai mandé que je ferais ce voyage en qualité de malade, et que je ne rendrais aucune visite [v]. Je vivrais comme je vis , dans la plus grande solitude ; à cela près que les souscripteurs qui ont établi le théâtre viendraient me consulter quelquefois. Je leur ferais des chœurs pour orner la fin des tragédies. Ils ont de belles voix, et on a exécuté les chœurs d'Athalie avec beaucoup de succès ; c'est ce que vous pourriez savoir de Lekain qui en revient.[vi]
Tout ce que je vous dis là est toujours comme tout le reste, soumis à la destinée, qui est fort accoutumée à se jouer de nos projets.
Je doute beaucoup que je puisse profiter des idées de Mme Le Long [vii]. Je pourrais bien me transporter languissant à Toulouse, et y vivre à ma fantaisie. Mais le bruyant de Mme Le Long m'effraierait et ne me conviendrait pas. Le troisième parti qui est de rester où je suis serait peut-être le meilleur ; il n'y a que ces maudites neiges qui s'y opposent. Ma mauvaise santé serait toujours une excuse valable auprès de Mme Le Long, et je serais dispensé de profiter de ses bontés en lui témoignant ma reconnaissance, et en l'assurant que je viendrai dès que je le pourrai. Je prendrais d'ailleurs le prétexte d'aller aux eaux en allant en Languedoc. Quelque chose qui arrive je ne ferai rien sans voir reçu de vos nouvelles, et je vous laisse maîtresse de tout.
M. de Bourcet vient de faire tracer l'enceinte de Versoix ; on a fixé le prix de tous les terrains dont on s'empare. La ville sera plus grande et plus belle que Genève. Vous savez que le port avance, et qu'on bâtit une frégate où il y aura du canon. M. le duc de Choiseul réussit dans toutes ses entreprises ; le pays de Gex deviendrait charmant sans ces affreux hivers qui rendent la vie insupportable et qui l'abrègent.
J'envoie la première partie [viii] de ce que vous demandez à M. Lefevre [ix].
Je vous embrasse bien tendrement. »
i Mme Denis désire louer la maison qu'elle veut quitter.
ii Ferney, qui a été acquis par V* au nom de Mme Denis et qu'il lui a donné.
iii Le même jour, à l'abbé Audra : « Je partirai probablement dès que je serai certain d'être bien reçu, et de n'avoir rien à craindre des vieux restes du fanatisme » ... « si on rend une justice complète » aux Sirven.
iv Cf. lettre à d'Alembert du 13 janvier 1769 et un passage d'une lettre de l'abbé Audra du 2 novembre 1768.
v Ce qu'il dit ce même jour à l'abbé Audra.
vi Cf. lettre à d'Argental du 16 septembre.
vii Selon le code employé par V* et sa nièce : Mme du Barry.
viii Le 11 septembre elle signala n'avoir reçu que le second tome de l'Histoire du parlement et demanda le premier.
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Le reste du jour est nécessairement donné aux processions des curieux qui viennent de Lyon , de Genève, de Savoie, de Suisse et même de Paris. Il vient presque tous les jours sept ou huit personnes dîner chez moi
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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Aux Délices 20 septembre [1756]
Mon divin ange, après des chinoises vous voulez des Africaines [i], mais il y aurait beaucoup à travailler pour rendre les côtes de Tunis et d'Alger dignes du pays de Confucius. Vous vous imaginez peut-être que dans mes Délices je jouis de tout le loisir nécessaire pour recueillir ma pauvre âme. Je n'ai pas un moment à moi. La longue maladie de Mme de Fontaine et mes souffrances prennent au moins la moitié de la journée. Le reste du jour est nécessairement donné aux processions des curieux qui viennent de Lyon , de Genève, de Savoie, de Suisse et même de Paris. Il vient presque tous les jours sept ou huit personnes dîner chez moi. Voyez le temps qui me reste pour les tragédies. Cependant si vous voulez avoir l'Africaine telle qu'elle est à peu près, en changeant les noms [ii], je pourrais bien vous l'envoyer et vous jugeriez si elle est plus présentable que le Botoniate [iii]. Il faudrait, je crois, changer les noms pour ne pas révolter les Dumesnil et les Gaussin [iv], mais il faudrait encore plus changer les choses.
Le roi de Prusse est plus expéditif que moi, il se propose de tout finir au mois d'octobre, de forcer l'auguste Marie-Thérèse de retirer ses troupes ; de faire signe à l'autocratrice de toutes les Russies de ne pas faire avancer ses Russes ; et de retourner faire jouer à Berlin un opéra qu'il a déjà commencé [v]. Ses soldats en ce cas reviendront gros et gras de la Saxe où ils ont bu et mangé comme des affamés.
Mon cher ange, qu'elle est donc votre idée avec le vainqueur de Mahon ?[vi] Il faut d'abord que ces frères Cramer impriment les sottises de l'univers en sept volumes [vii], et ces sottises pourront encore scandaliser bien des sots. Il faut en attendant que je reste dans ma très jolie, très paisible et très libre retraite. M. le comte de Gramont qui est ici à la suite de Tronchin [viii], disait hier en voyant ma terrasse, mes jardins, mes entours, qu'il ne concevait pas comment on en pouvait sortir. Je n'en sortirais, mon divin ange, que pour venir passer quelques mois d'hiver auprès de vous. Je n'ai pas un pouce de terre en France. J'ai fait des dépenses immenses à mes ermitages sur les bords de mon lac. Je suis dans un âge et d'une santé à ne plus me transplanter. Je vous répète que je ne regrette que vous, mon cher et respectable ami. Les deux nièces vous font les plus tendres compliments.
Les frères Cramer ont fait une haute sottise d'envoyer des lettres circulaires sans m'en donner avis. Je leur ai lavé leur tête genevoise.
Adieu,mes respects à tous les anges.
V.
Par quelle rage opiniâtre persistez-vous à m'écrire
toujours sous le couvert de Tronchin botoniate [ix] à Genève ? Si vous ne me jugez pas digne de recevoir des lettres en droiture, adressez du moins au Tronchin banquier de Lyon qui se fait rembourser des ports. Mais pourquoi pas aux Délices ? »
i Zulime après L'Orphelin de la Chine.
ii Provisoirement Zulime va devenir Fanime.
iii Les Commènes de François Tronchin.
iv Les actrices qui ont joué la pièce en 1740.
v Mérope ; cf. lettre du 7 février.
vi Richelieu ; cf. lettre du 14 juin 1756 . D'Argental et surtout Richelieu essayaient de faire revenir V* en France, sans doute à Paris; cf. lettre du 10 octobre.
vii L'Essai sur les moeurs.
viii Théodore Tronchin, le médecin.
ix François Tronchin, auteur des Commènes.
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